CONSEIL DE L’EUROPE
COMITE DES MINISTRES
Recommandation Rec(2003)20
du Comité des Ministres aux Etats membres
concernant les nouveaux modes de traitement de la délinquance juvénile et le rôle de la justice des mineurs
(adoptée par le Comité des Ministres le 24 septembre 2003,
lors de la 853e réunion des Délégués des Ministres)
Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l'Europe,
Considérant que la délinquance juvénile est perçue comme un sujet de grande préoccupation dans un certain nombre de pays d'Europe;
Conscient du fait que, malgré la stabilité relative des taux globaux de la délinquance juvénile, sa nature et son degré de gravité appellent de nouvelles réponses et de nouvelles méthodes d'intervention;
Considérant que le système de justice pénale traditionnel ne peut pas, en tant que tel, offrir des solutions adéquates s’agissant du traitement des jeunes délinquants dont les besoins éducatifs et sociaux spécifiques diffèrent de ceux des adultes;
Convaincu que les mesures prises face à la délinquance juvénile devraient s’appuyer sur une démarche multidisciplinaire et multi-institutionnelle, et être conçues de manière à traiter l’ensemble des facteurs qui jouent un rôle à différents niveaux de la société: individuel, familial, scolaire et communautaire;
Considérant que l'âge de la majorité légale ne coïncide pas nécessairement avec l'âge de la maturité, et que les jeunes adultes délinquants devraient bénéficier de certaines réponses comparables à celles adaptées aux délinquants mineurs;
Considérant en outre que certaines catégories de jeunes délinquants, tels que les membres de minorités ethniques, les jeunes femmes et les jeunes agissant en groupes, peuvent avoir besoin de programmes d'intervention spécifiques;
Prenant en compte, entre autres, les Recommandations du Conseil de l'Europe n° R (87) 20 sur les réactions sociales à la délinquance juvénile, n° R (88) 6 sur les réactions sociales au comportement délinquant des jeunes issus de familles migrantes et Rec(2000)20 sur le rôle de l'intervention psychosociale précoce dans la prévention des comportements criminels;
A la lumière des conclusions du 10e Colloque criminologique sur les jeunes adultes délinquants et la politique criminelle (1991);
Prenant en compte la Convention européenne des Droits de l’Homme, la Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), les Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté,
Recommande aux gouvernements des Etats membres:
– de s’inspirer des principes et des mesures contenus dans cette recommandation dans l’élaboration de leurs législations et leurs politiques et pratiques ;
– de porter la présente recommandation et son exposé des motifs à l'attention de tous les organes concernés, des médias et du public; et
– de reconnaître la nécessité d’établir des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté et des règles pénitentiaires européennes spécifiques et distinctes pour les mineurs.
I. Définitions
Aux fins de la présente recommandation:
– le terme «mineurs» désigne les personnes ayant atteint l’âge de la responsabilité pénale, mais n’ayant pas atteint celui de la majorité ; toutefois, la présente recommandation peut aussi englober les personnes d’âge immédiatement inférieur ou supérieur à ces âges ;
– le terme «délinquance» désigne des actes relevant du droit pénal. Dans certains pays, il s’applique également à des comportements antisociaux et/ou déviants susceptibles de relever du droit administratif ou civil ;
– la «justice des mineurs» se définit comme la composante formelle d’un système plus large de traitement de la délinquance juvénile. Outre les tribunaux pour enfants, elle englobe des instances ou organismes officiels tels que la police, les procureurs et les juristes, les services de probation et les établissements pénitentiaires. Elle travaille en étroite collaboration avec les services œuvrant dans des domaines de la santé, de l’éducation, de l’action sociale et de la protection des enfants, par exemple, et des organismes non gouvernementaux tels que les associations d’aide aux victimes et aux témoins.
II. Une approche plus stratégique
1. Les principaux objectifs de la justice des mineurs et des mesures associées visant la délinquance juvénile devraient être les suivants:
i. prévenir la primo-délinquance et la récidive;
ii. (re)socialiser et (ré)insérer les délinquants;
iii. s’occuper des besoins et des intérêts des victimes.
2. La justice des mineurs devrait être considérée comme une composante d’une stratégie plus large de prévention de la délinquance juvénile, appuyée sur les structures de proximité et prenant en compte le contexte général – environnement familial, école, voisinage, groupe de pairs – dans lequel la délinquance se produit.
3. Des ressources devraient plus particulièrement être affectées à la lutte contre les infractions graves, les infractions avec violence, les infractions répétées et les infractions liées à la drogue et à l’alcool.
4. Il convient en outre de mettre au point des mesures plus adaptées et efficaces pour prévenir la primo-délinquance et la récidive des jeunes membres de minorités ethniques, des bandes de jeunes, des jeunes femmes et des mineurs n’ayant pas encore atteint l’âge de la responsabilité pénale.
5. Le traitement des délinquants juvéniles devrait se fonder autant que possible, sur des données scientifiques indiquant ce qui fonctionne, avec qui et dans quelles conditions.
6. Afin de prévenir la discrimination, les pouvoirs publics devraient publier une étude sur les incidences potentielles des nouvelles politiques et pratiques sur les jeunes membres des minorités ethniques.
III. De nouvelles réponses
7. Il conviendrait de continuer à développer la gamme des mesures autres que les poursuites judiciaires classiques. Ces mesures doivent s'inscrire dans une procédure régulière, respecter le principe de proportionnalité, être prises dans l’intérêt supérieur du mineur et ne s’appliquer «en principe», que dans les cas où la responsabilité est librement reconnue.
8. En vue de lutter contre les infractions graves, violentes ou répétées commises par des mineurs, les Etats membres devraient développer une gamme plus large de mesures et de sanctions appliquées dans la communauté, qui soient novatrices et plus efficaces (tout en restant proportionnelles). Ces mesures devraient viser directement le comportement délictueux et prendre en compte les besoins du délinquant. Elles devraient également associer les parents du délinquant ou son tuteur légal (à moins que cela ne soit considéré comme allant à l’encontre du but recherché) et, s’il y a lieu et lorsque c’est possible, permettre la médiation, la réparation des préjudices causés et l’indemnisation de la victime.
9. Le degré de culpabilité devrait être davantage lié à l’âge et à la maturité du délinquant, et mieux correspondre à son stade de développement, les mesures d’ordre pénal étant appliquées progressivement au fur et à mesure du développement de sa responsabilité individuelle.
10. Il conviendrait d’encourager les parents (ou les tuteurs légaux) à prendre conscience de leurs responsabilités envers le comportement délictueux des jeunes enfants et à les assumer. Ils devraient être présents aux audiences des tribunaux (à moins que cela ne soit considéré comme allant à l’encontre du but visé) et, lorsque les circonstances le permettent, se voir proposer aide, soutien et conseil. Si cela se justifie, ils devraient être tenus d’accepter un accompagnement psychosocial ou de suivre une formation à l’exercice des responsabilités parentales, de veiller à ce que leur enfant fréquente l’école et d’assister les organismes officiels dans l’exécution des sanctions et mesures dans la communauté.
11. Pour tenir compte de l’allongement de la période de transition vers l’âge adulte, il devrait être possible que les jeunes adultes de moins de 21 ans soient traités d’une manière comparable à celle des adolescents et qu’ils fassent l’objet des mêmes interventions, si le juge estime qu’ils ne sont pas aussi mûrs et responsables de leurs actes que de véritables adultes.
12. Pour faciliter leur entrée dans la vie professionnelle, tout devrait être fait pour veiller à ce que les jeunes délinquants de moins de 21 ans ne soient pas tenus de révéler leurs antécédents judiciaires à leurs employeurs potentiels, à moins que la nature de l'emploi visé ne le justifie.
13. Il conviendrait de mettre au point des outils d’évaluation du risque de récidive pour pouvoir adapter avec précision la nature, l’intensité et la durée des interventions au risque de récidive et aux besoins du délinquant, sans jamais perdre de vue le principe de proportionnalité. S’il y a lieu, les organismes compétents devraient être encouragés à échanger des informations, mais toujours dans le respect de la législation relative à la protection des données.
14. Il faudrait fixer de courts délais pour les différentes phases de la procédure pénale, de manière à éviter les retards et à réagir le plus rapidement possible à la délinquance juvénile. Dans tous les cas, il convient de trouver un juste équilibre entre les mesures destinées à accélérer la procédure et à améliorer son efficacité, et les exigences d’un procès.
15. Lorsque des mineurs sont placés en garde à vue, il conviendrait de prendre en compte leur statut de mineur, leur âge, leur vulnérabilité et leur niveau de maturité. Ils devraient être informés dans les plus brefs délais, d’une manière qui leur soit pleinement intelligible, des droits et des garanties dont ils bénéficient. Lorsqu’ils sont interrogés par la police, ils devraient, en principe, être accompagnés d'un de leurs parents/leur tuteur légal ou d’un autre adulte approprié. Ils devraient aussi avoir le droit d’accès à un avocat et à un médecin. Ils ne devraient pas être maintenus en garde à vue plus de quarante-huit heures au total, délai qu’il faudrait s’efforcer de réduire encore pour les délinquants les plus jeunes. La garde à vue des mineurs devrait être supervisée par les autorités compétentes.
16. Lorsque des suspects mineurs sont en dernier recours placés en détention provisoire, il ne devrait pas s’écouler plus de six mois avant qu’ils ne passent en jugement, cette période ne pouvant être prolongée que dans les cas où un juge ne participant pas à l’instruction de l’affaire a acquis la certitude que les éventuels retards dans la procédure sont pleinement justifiés par des circonstances exceptionnelles.
17. Dans la mesure du possible, il convient de recourir, avec les suspects mineurs, à des solutions autres que la détention provisoire, comme le placement chez des proches, dans des familles d’accueil ou autres formes d’hébergement encadré. La détention provisoire ne doit jamais être utilisée comme une sanction ou une forme d’intimidation, ni en remplacement de mesures de protection de l’enfant ou de soins de santé mentale.
18. Pour décider de l’opportunité de placer un jeune suspect en détention provisoire afin d’éviter qu’il ne commette de nouvelles infractions, les tribunaux devraient procéder à une évaluation approfondie des risques en s’appuyant sur des informations détaillées et fiables concernant la personnalité et la situation sociale de l’intéressé(e).
19. Les mineurs faisant l’objet d’une mesure privative de liberté devraient être préparés en vue de leur libération dès le premier jour de leur détention. Une évaluation complète des besoins et des risques devrait étayer un programme de réinsertion préparant pleinement le délinquant à la libération et prenant en compte de manière coordonnée ses besoins en matière de formation, d’emploi, de revenus, de santé, de logement, de suivi et d’environnement familial et social.
20. Il convient d’adopter une stratégie progressive de (ré)insertion faisant appel à des permissions de sortie, au séjour en établissement ouvert, à la libération conditionnelle anticipée et au placement en unité de réinsertion. Il faudrait consacrer des moyens à l’organisation de la réinsertion après libération, réinsertion qui, dans tous les cas, sera programmée et menée en étroite collaboration avec les structures extérieures au milieu pénitentiaire.
IV. Mise en œuvre
21. Les réponses à la délinquance juvénile devraient être conçues, coordonnées et mises en œuvre par des partenariats locaux regroupant les principaux acteurs publics – police, services de probation, protection de la jeunesse et action sociale, autorités judiciaires, éducation, emploi, santé et logement – et le secteur associatif et privé. Ces partenariats devraient avoir la responsabilité de la réalisation d’un objectif commun, selon des orientations clairement définies, et:
– offrir une formation initiale et continue;
– prévoir, financer et fournir des services;
– définir des normes et suivre les progrès réalisés;
– échanger des informations (dans le respect des exigences légales relatives à la protection des données et au secret professionnel, et compte tenu des missions spécifiques des organes concernés); et
– évaluer l’efficacité des actions et diffuser les bonnes pratiques.
V. Droits et garanties
22. Toutes les nouvelles mesures et procédures prévues par la présente recommandation doivent s’interpréter dans le cadre des droits et garanties énoncés dans les instruments internationaux pertinents.
VI. Suivi, évaluation et diffusion de l’information
23. Pour disposer de connaissances plus précises sur l’efficacité des différents types d’interventions, il conviendrait de consacrer des fonds à une évaluation scientifique indépendante de ces interventions et à la communication des résultats à ceux qui travaillent sur le terrain.
24. Afin de prévenir toute discrimination fondée sur l’appartenance ethnique dans le cadre de la justice des mineurs et d’identifier les cas dans lesquels des interventions culturellement ciblées s’imposent, il conviendrait de collecter des informations et/ou d’entreprendre des recherches sur la participation et le traitement des minorités ethniques à chacun des stades de la justice des mineurs.
25. Pour contrer les perceptions trop négatives, informer l’opinion et accroître la confiance du grand public, il conviendrait d’élaborer des stratégies d’information sur la délinquance juvénile et sur le travail et l’efficacité de la justice des mineurs, par des canaux très divers dont la télévision et l’Internet, en veillant à ne pas communiquer d’informations à caractère personnel ou d’autres données susceptibles de permettre l’identification d’un délinquant ou d’une victime en particulier.