CONSEIL DE L’EUROPE
COMITE DES MINISTRES

Recommandation Rec(2006)6

du Comité des Ministres aux Etats membres

relative aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays

(adoptée par le Comité des Ministres le 5 avril 2006,

lors de la 961e réunion des Délégués des Ministres)

Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,

Rappelant que l’un des objectifs fondamentaux du Conseil de l’Europe est de préserver et de promouvoir les droits de l’homme au profit de tout un chacun en Europe ;

Considérant qu’un grand nombre de citoyens des Etats membres du Conseil de l’Europe ne peuvent pleinement jouir de leurs droits de l’homme du fait qu’ils ont été forcés ou contraints de fuir ou de quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, en particulier en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l'homme, ou pour en éviter les effets, et qui n'ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d'un Etat ;

Rappelant l’existence des Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays (ci-après « Principes directeurs des Nations Unies »), qui abordent toutes les phases du déplacement interne et qui jouissent d’une reconnaissance et d’une autorité internationales ;

Soulignant son attachement à l’esprit et aux dispositions des principes directeurs des Nations Unies et sa volonté de mettre en œuvre ces principes dans la législation et la politique nationales des Etats membres ;

Soucieux de promouvoir les principes directeurs des Nations Unies dans un contexte européen et de développer davantage certains de ces principes sur la base des normes existantes du Conseil de l’Europe ;

Reconnaissant que les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ont des besoins particuliers en raison même de leur déplacement ;

Gardant à l’esprit que le droit international ne dispose d’aucun instrument contraignant spécifique qui définirait les droits des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, nonobstant le fait que celles-ci, malgré leur déplacement, demeurent des citoyens de leur pays ayant le droit de jouir pleinement de leurs droits de l’homme et des garanties du droit humanitaire international ;

Considérant qu’il incombe en premier lieu aux autorités nationales des Etats membres sur le territoire duquel le déplacement interne a lieu d’assurer la protection et l’aide aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, nonobstant les droits et les obligations des autres Etats ou organisations internationales concernés en vertu du droit international ;

Affirmant que les Etats membres touchés par le déplacement interne devraient s’abstenir d’instrumentaliser les personnes déplacées à des fins politiques ;

Rappelant qu’il est interdit de déplacer arbitrairement une personne de son foyer ou de son lieu de résidence habituel et que cette interdiction découle de la Convention européenne des Droits de l’Homme qui est partie intégrante du droit interne des Etats membres ;

Conscient du fait qu’une mauvaise gestion du déplacement interne peut non seulement entraîner des violations des droits de l’homme mais aussi donner lieu à un phénomène de migration internationale et de mouvement de réfugiés à travers le continent ;

Considérant que ni cette recommandation, ni les principes directeurs des Nations Unies ne devraient faire obstacle à l’introduction ou au maintien par les Etats membres du Conseil de l’Europe de normes plus favorables aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays,


Recommande aux gouvernements des Etats membres, lors de l’élaboration de leur législation et de leurs pratiques nationales ou lorsqu’ils font face au phénomène de déplacement interne, de suivre les principes suivants :

1.            Les principes directeurs des Nations Unies et d’autres instruments internationaux pertinents en matière de droits de l’homme ou de droit humanitaire s’appliquent à toutes les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, y compris les personnes déplacées de leur foyer ou lieu de résidence habituel en raison de catastrophes d’origine naturelle ou provoquées par l’homme ;

2.         Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ne doivent pas faire l’objet de discrimination du fait de leur déplacement. Les Etats membres devraient prendre les mesures appropriées et efficaces pour garantir l’égalité de traitement parmi les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, ainsi qu’entre celles-ci et les autres citoyens. Cela peut entraîner l’obligation d’envisager des traitements particuliers adaptés aux besoins des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ;

3.             Une attention particulière doit être portée à la protection des personnes qui appartiennent aux minorités nationales et aux besoins de protection et d’aide des groupes les plus vulnérables, conformément aux normes pertinentes du droit international ;

4.             Protéger les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et leurs droits ainsi  que leur fournir une aide humanitaire relève en premier lieu de la responsabilité de l’Etat concerné ;

Une telle responsabilité implique de demander l’assistance d’autres Etats ou d’organisations internationales si l’Etat concerné n’est pas en mesure de fournir protection et assistance aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ;

Cette responsabilité implique également de ne pas refuser arbitrairement les offres d’assistance provenant d’autres Etats ou d’organisations internationales ;

5.             Conformément à leurs obligations en vertu des articles 2, 3 et 5 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, les Etats membres doivent prendre les mesures appropriées, d’une part, pour prévenir les actes pouvant porter atteinte aux droits des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays à la vie, à l’intégrité physique et à la liberté et à la sûreté ainsi que, d’autre part, pour enquêter de manière effective sur les prétendues violations de ces droits. Cela est particulièrement pertinent en ce qui concerne l’organisation et la gestion des camps de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays : à cet égard, parmi les mesures appropriées figurent celles visant à sauvegarder le caractère civil des camps ;

Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ne doivent pas être renvoyées vers des lieux où elles seraient exposées à un risque réel de traitement contraire aux articles 2 et 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme ;

6.         Conformément à l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme , les Etats membres doivent prendre des mesures appropriées pour faciliter le regroupement des familles séparées par le déplacement interne. Ces mesures peuvent comprendre la recherche des membres d’une famille qui ont été portés disparus, notamment de ceux qui ont été pris en otage. Les autorités compétentes devraient transmettre aux proches d’une personne déplacée à l’intérieur de son propre pays, qui le leur demandent, toute information qu’elles peuvent détenir concernant le lieu où elle peut se trouver ;

7.         Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays doivent recevoir, aussi rapidement que possible après leur déplacement et sans qu’il leur soit imposé des conditions excessives, tous les documents qui leur sont nécessaires pour l’exercice effectif de leurs droits ;

8.         Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ont le droit de jouir de leurs biens, conformément aux droits de l’homme. Elles ont en particulier le droit de recouvrer les biens qu’elles ont laissés à la suite de leur déplacement. Lorsque les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays sont privées de leur propriété, elles devraient se voir offrir un dédommagement adéquat ;

9.         Les Etats membres devraient prendre les mesures pratiques et juridiques appropriées pour permettre aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays d’exercer effectivement leur droit de vote lors des élections nationales, régionales ou locales, et pour veiller à ce que des obstacles d’ordre pratique ne viennent pas entraver l’exercice de ce droit ;


10.        Afin de limiter les conséquences dommageables du déplacement interne, les Etats membres devraient mettre au point des mesures préventives, telles que des plans d’action stratégiques, qui seraient mises en œuvre en cas de crise pouvant entraîner un déplacement interne ;

11.        Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays devraient non seulement être correctement informées, mais aussi être consultées, autant que faire se peut, au sujet de toute décision affectant leur situation avant, pendant ou après leur déplacement ;

12.        Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ont le droit de regagner leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, ce de manière volontaire, en toute sécurité et dans la dignité, ou de se réinstaller dans une autre partie du pays, conformément à la Convention européenne des Droits de l’Homme ;

Les conditions d’une véritable et durable intégration des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays à la suite de leur déplacement devraient être assurées ;

13.        En vue de combler les lacunes existantes du droit international en ce qui concerne le traitement des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, les Etats membres devraient réfléchir à l’élaboration d’instruments internationaux supplémentaires.