CONSEIL DE L'EUROPE
COMITE DES MINISTRES

 

 

EXPOSE DES MOTIFS

 

Recommandation Rec(2001)11
du Comité des Ministres aux Etats membres
concernant des principes directeurs
pour la lutte contre le crime organisé

 

(adoptée par le Comité des Ministres,
le 19 septembre 2001,
lors de la 765e réunion des Délégués des Ministres)

 

 

 

I.          Introduction

 

1.         Pourquoi adopter une recommandation de plus sur le crime organisé? Parce que, comme une autre institution européenne[1] l'a noté, cette forme de délinquance menace de plus en plus la société telle que nous la connaissons et telle que nous souhaitons la préserver. L'activité criminelle n'est plus le propre d'individus; elle est aussi devenue le fait d'organisations qui infiltrent les structures de la société civile et envahissent même la société tout entière. Le crime tend, de plus en plus, à s'organiser indépendamment de toute frontière nationale, profitant, lui aussi, de la liberté de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. Les innovations techniques, telles qu'Internet ou les banques virtuelles, sont aussi devenues des moyens extrêmement commodes de commettre des crimes ou d'en transférer les produits vers des activités en apparence licites. La fraude et la corruption ont pris des proportions massives, au détriment des citoyens comme des institutions publiques. Par comparaison, les moyens concrets de prévenir et de réprimer ces activités criminelles évoluent lentement, presque toujours avec un temps de retard. Le moment était donc venu pour le Conseil de l'Europe de réagir avec fermeté et détermination. Les principes directeurs présentés ici, rédigés par un Comité d'experts sur le crime organisé, expriment à la fois les idées des praticiens et celles des décideurs désireux de prendre des mesures raisonnablement efficaces contre le crime organisé et de contribuer ainsi à mieux protéger la société.

2.         Le Comité d'experts sur les aspects de droit pénal et les aspects criminologiques du crime organisé (PC-CO) a été créé à la suite d'une décision du Comité des Ministres (587e réunion, 1er avril 1997) avec pour mandat d'analyser, sous l'autorité du Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC), les caractéristiques du crime organisé dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, d'évaluer les mesures adoptées pour lutter contre celui-ci et de rechercher les moyens de renforcer l'efficacité des politiques nationales et de la coopération internationale à cet égard.

 

3.         Le PC-CO a tenu trois réunions plénières et six réunions en groupe de travail entre avril 1997 et décembre 1999. Il a d'abord rédigé un questionnaire, adressé chaque année, moyennant un certain nombre de modifications, aux Etats membres. A partir des réponses reçues, le Comité PC-CO a établi et soumis au CDPC trois rapports annuels sur la situation du crime organisé dans les Etats membres (1996-1998). Il a procédé, en outre, à trois études de bonne pratique, portant respectivement sur la protection des témoins, le renversement de la charge de la preuve dans les procédures de confiscation et les mesures de surveillance intrusives. Enfin, le PC-CO a rédigé la présente recommandation qui contient des principes directeurs pour la lutte contre le crime organisé et l'exposé des motifs qui les accompagne. 

 

4.         Ce projet de recommandation a été soumis pour la première fois au CDPC lors de sa 49e session plénière, en juin 2000. Toutefois, faute de temps, le CDPC a décidé de reporter l'examen du projet et confié la question à son Bureau. Lors de sa réunion des 7-8 mars 2001, le Bureau a examiné et révisé le projet de recommandation en tenant compte des observations écrites formulées par les chefs de délégation du CDPC. Le texte révisé a été approuvé par le CDPC lors sa 50e réunion plénière, qui s'est tenue du 18 au 22 juin 2001. L' exposé des motifs a été adopté à la même occasion. Le Comité des Ministres a adopté le texte en tant que Recommandation Rec(2001)… lors de la ..e réunion des Délégués des Ministres et autorisé la publication du présent exposé des motifs qui s'y rapporte.

 

5.         Le mandat du comité était le suivant:

 

« eu égard à la Recommandation n° R (96) 8 sur la politique criminelle dans une Europe en transformation, examiner les questions suivantes en vue d'élaborer un rapport et, au besoin, des recommandations:

            a.     Caractéristiques du crime organisé

Le Comité analysera, en vue d'élaborer des explications, la situation actuelle du crime organisé, des points de vue qualitatif et quantitatif, notamment en ce qui concerne:

            – les facteurs politiques, sociaux (ou mésologiques) et économiques, juridiques et réglementaires facilitant soit l'apparition, soit la persistance du crime organisé (ou encore les deux à la fois);

            – la description des infractions commises, y compris le modus operandi des organisations qui les commettent (en tenant compte du caractère national ou international de celles-ci);

            – la description du degré d'organisation (par exemple, groupes criminels «ad hoc», réseaux criminels structurés ou organisations de type mafieux);

            – la description des auteurs d'infractions (jeunes ou adultes, nationaux ou étrangers, personnes morales, opérant sur place ou sur un plan international).

            b.     Mesures destinées à prévenir et à réprimer le crime organisé

            Le comité évaluera les mesures prévues ou déjà mises en œuvre contre le crime organisé, les ressources nécessaires (qu'il s'agisse de ressources matérielles ou de savoir-faire), ainsi que les moyens d'information et d'évaluation disponibles. A cet égard, il tiendra compte notamment de ce qui suit, dans le cadre des phénomènes mentionnés sous a ci-dessus:

            – mesures législatives;

            – mesures (de prévention) sociales (par exemple, politique sociale et économique, éducation, information, aide sociale);

            – mesures (de prévention) liées aux situations (par exemple, mesures visant à réduire les occasions et les moyens de commettre des infractions);

            – amélioration du fonctionnement de la justice pénale (par exemple, formation et spécialisation, simplification des procédures, élaboration de nouvelles techniques d'investigation, ou encore intervention de nouveaux acteurs, comme les institutions financières).

            c.     Etude des législations pénales vis-à-vis du crime organisé

Dans la mesure où ceci apparaît nécessaire pour la prévention ou la répression du crime organisé, les législations nationales devraient être étudiées afin:

            – d'identifier les solutions existantes qui peuvent servir d'exemples;

            – d'identifier des critères utilisés dans les législations nationales pour qualifier des infractions comme étant «commises de manière organisée», relevant de «conspiracy» ou de «l'association de malfaiteurs», en vue de surmonter les difficultés posées notamment au niveau de la coopération internationale par ces concepts, par exemple en établissant des critères communs;

– d'identifier les lacunes dans les instruments de coopération internationale et les solutions qui pourraient être insérées dans lesdits instruments, compte tenu des activités menées par le Comité PC-OC;

            – d'élaborer des principes de procédure communs, notamment en ce qui concerne le secret bancaire, la recevabilité de certains types de preuves ou la durée et l'effet des périodes de prescription;

            – de définir des objectifs communs de politique pénale, notamment pour ce qui est de la nature et de la sévérité des sanctions et autres mesures. »

 

II.        Observations générales

 

6.         Le texte de la Recommandation comprend quatre parties:

            - les principes relatifs à la prévention générale (principes 1 à 7);

- les principes relatifs au système de justice pénale (principes 8 à 21);

            - les principes relatifs à la coopération internationale (principes 22 à 25) ;

- les principes relatifs au recueil des données, à la recherche et à la formation (principes 26 à 28).

 

7.         La première partie, à savoir les principes relatifs à la prévention générale (1 à 7), doit, dans l'esprit des experts, attirer l'attention des gouvernements sur l'importance d'associer à la prévention des activités du crime organisé différentes composantes de la société, n'ayant pas de liens avec les services de répression ni avec la justice pénale. C'est à leur niveau, en effet, que semblent souvent se situer les «points de contact» utilisés par le crime organisé pour faire avancer ou légitimer ses activités. Ce sont essentiellement des personnes morales constituées dans les règles – banques ou sociétés commerciales, par exemple – qui interviennent au service du crime organisé, notamment en prenant livraison de produits du crime ou en servant de façade juridique à des activités criminelles. Mais il arrive aussi que ce soient des organes publics, à l'échelon national ou local – par exemple en délivrant les licences nécessaires. Les membres de certaines professions, particulièrement dans le secteur financier et dans le secteur juridique, agissent aussi parfois pour le crime organisé en facilitant les activités illégales ou en tant qu'intermédiaires financiers. Ces institutions et les membres de ces professions, visés par le premier groupe de principes, devraient devenir des acteurs ou des partenaires des stratégies officielles de lutte contre le crime organisé, par exemple en dépistant les pratiques illégales et en les signalant aux autorités compétentes. Le premier groupe de principes traite aussi de certains types de réglementation, par exemple sur les changes ou d'autres aspects administratifs, dont il est facile d'abuser à des fins criminelles, souvent à cause de leur complexité ou de l'insuffisance des contrôles. Enfin, certains principes concernant la prévention générale traitent des mesures que les entreprises et les institutions publiques peuvent prendre au plan interne pour assurer la transparence et la responsabilité.

 

8.         Le second groupe de principes (principes 8 à 21) concerne le système de justice pénale au sens large: il porte sur des questions comme l'incrimination de certains comportements, les enquêtes (y compris les enquêtes sur le patrimoine), la confiscation des avoirs résultant d'activités criminelles ou encore la protection des témoins. Ces principes partent de l'idée que les mesures de prévention ne suffiront certainement pas à faire obstacle à toutes les activités criminelles organisées et qu'il faut les compléter par des mesures de répression. La mesure la plus radicale que les pouvoirs publics sont invités à prendre à cet égard consiste à ériger en infractions pénales certains agissements, tels que la participation aux activités d'un groupe criminel organisé, le blanchiment des produits du crime ou le fait de ne pas signaler des opérations suspectes. Ces agissements à présent ne constituent pas tous par eux-mêmes un délit pénal en droit interne des Etats membres, mais les experts du comité ont estimé que leur incrimination était un élément indispensable d'une stratégie globale de lutte contre le crime organisé.

 

9.         La privation des biens issus du crime organisé est étroitement liée à la question de l'incrimination, bien que les gouvernements se soient vu proposer diverses options, y compris le recours à des mesures de droit pénal, en présence de tels biens. Des mesures prises par les autorités administratives, fiscales en l'occurrence, répondraient aux objectifs visés par le principe. Les gouvernements sont également invités à porter une attention particulière aux délits fiscaux lorsqu'ils sont liés au crime organisé, malgré les difficultés qui peuvent se présenter dans certains cas pour prouver l'existence d'un tel lien. On considère, en effet, que certains délits fiscaux, comme l'évasion ou la fraude fiscales, peuvent fort bien être utilisés pour poursuivre les membres de groupes criminels organisés – et en particulier leurs chefs – qui sont largement bénéficiaires des produits du crime sans pour autant participer directement aux activités illégales.

 

10.       Outre les principes qui se rapportent à l'incrimination, le second groupe traite aussi des enquêtes financières, de la coopération des membres de certaines professions avec les autorités, des mesures provisoires visant à localiser et à saisir les avoirs provenant d'activités criminelles organisées et de la confiscation de ces avoirs. Ces principes mettent à nouveau en relief la nécessité d'insister sur l'aspect financier du crime organisé en faisant des enquêtes sur le patrimoine une composante normale des stratégies gouvernementales de lutte contre le crime organisé. Les autres principes précisent les éléments que ces stratégies peuvent comprendre et recommandent, pour renforcer l'efficacité des enquêtes sur le crime organisé, d'utiliser la technique des témoins protégés, les mesures de surveillance intrusives et les opérations d'infiltration, l'exploitation par la police des informations recueillies par les services de renseignements et la coordination interinstitutions.

 

11.       Un troisième groupe de principes (principes 22 à 25) traite de la coopération internationale, principalement en vue de faciliter la coopération transfrontalière officielle et informelle, par exemple en éliminant les obstacles qui nuisent au fonctionnement des arrangements en vigueur et en permettant de nouvelles formes de coopération. A cet égard, la recommandation contient en annexe une liste de traités du Conseil de l'Europe que les gouvernements sont invités à ratifier et à mettre en œuvre. Il s'agit aussi bien d'instruments portant spécifiquement sur la coopération internationale, par exemple sur l'extradition et l'entraide, que de traités sectoriels sur l'incrimination, en matière de blanchiment de capitaux ou de corruption, par exemple.

 

12.       Enfin, un quatrième groupe de principes (26 à 28) concerne les moyens d'améliorer la collecte des données, la recherche et la formation en matière de crime organisé.

 

III.       Travaux antérieurs

 

13.       Les principes directeurs pour la lutte contre le crime organisé sont peut-être le premier instrument spécifique du Conseil de l'Europe exclusivement consacré au crime organisé, mais certainement pas le premier à traiter de ce sujet. Deux recommandations antérieures valent d'être rappelées à ce propos: les Recommandations n° R (96) 8 sur la politique criminelle dans une Europe en transformation et n° R (97) 13 sur l'intimidation des témoins et les droits de la défense.

 

14.       La Recommandation n° R (96) 8 énonce plusieurs principes importants dont les principes directeurs se sont inspirés. Elle invitait les gouvernements à prendre les mesures suivantes:

 

- étudier la possibilité d'ériger en infraction le fait d'appartenir ou d'apporter son soutien à une association criminelle organisée;

 

- s'efforcer de mieux connaître les caractéristiques des organisations criminelles et partager cette connaissance avec les gouvernements des autres Etats membres;

 

- agir dans le cadre d'une stratégie, notamment en utilisant les renseignements et l'analyse criminelle pour atteindre les objectifs fixés;

 

- créer des structures spécialisées de police, d'instruction et de poursuites dotées de moyens d'investigation financière et de systèmes d'analyse informatique;

 

- prévoir une protection adéquate des témoins et autres intervenants dans des procédures liées à la lutte contre le crime organisé;

 

- envisager l'interception des communications (télécommunications et communications directes) pour mieux répondre aux besoins de la lutte contre les organisations criminelles;

 

- ériger le blanchiment des capitaux en infraction autonome et adopter des dispositions pour la recherche, la saisie et la confiscation des produits du crime;

 

- envisager la possibilité de prévoir l'existence d'un magistrat d'instruction et/ou de poursuites dont la compétence s'étendrait sur tout le territoire national, ou la création d'un service central de coordination.

15.       La Recommandation n° (97) 13 prévoyait notamment ce qui suit:

 

- lors de l'élaboration d'un cadre de mesures tendant à lutter contre la criminalité organisée, il faudrait adopter des règles de procédure spécifiques destinées à faire face à l'intimidation. Les mesures adoptées pourraient s'appliquer également à d'autres infractions graves. Ces règles devraient assurer l'équilibre nécessaire dans une société démocratique entre la protection de l'ordre et la prévention de la criminalité et la garantie du droit de l'accusé à un procès équitable;

 

- tout en assurant à la défense une possibilité adéquate de contester les preuves fournies par un témoin, les mesures ci-après devraient notamment être envisagées:

 

- enregistrer à l'aide de moyens audiovisuels les dépositions faites par les témoins au cours de leur audition préliminaire;

 

- utiliser les dépositions faites devant une autorité judiciaire au cours de l'audition préliminaire comme ayant la valeur d'un témoignage devant le tribunal lorsque la comparution du témoin devant le tribunal ne saurait être envisagée ou lorsqu'elle pourrait entraîner une menace grave et sérieuse pour sa vie ou sa sécurité personnelle ou celle de ses proches;

 

- ne révéler l'identité des témoins qu'au stade le plus avancé possible de la procédure et/ou ne faire connaître que certains détails les concernant;

 

- exclure la présence des médias et/ou du public de tout ou partie du procès;

 

- lorsqu'il est possible, l'anonymat d'une personne susceptible de fournir des preuves devrait, en conformité avec le droit national, être une mesure exceptionnelle. Lorsque la garantie de l'anonymat a été requise par le témoin et/ou temporairement accordée par les autorités compétentes, la procédure pénale devrait prévoir une procédure de vérification permettant de maintenir un juste équilibre entre les nécessités de la justice pénale et les droits de la défense. La défense devrait, grâce à cette procédure, avoir la possibilité de contester le besoin présumé de conserver l'anonymat du témoin, sa crédibilité et l'origine de sa connaissance des faits;

 

- l'anonymat ne devrait être accordé que lorsque l'autorité judiciaire compétente, après avoir entendu les parties, estime que:

i. la vie ou la liberté d'une personne concernée est sérieusement menacée ou, dans le cas d'un agent infiltré, la possibilité de poursuivre son travail est sérieusement compromise; et

ii. que la preuve paraît être importante et la personne crédible;

- lorsque cela apparaît justifié, il faudrait prévoir des mesures complémentaires pour protéger les témoins qui procurent des preuves, y compris des mesures visant à empêcher l'identification du témoin par la défense, par exemple en utilisant des écrans, en masquant son visage ou en déformant sa voix;

- lorsque l'anonymat a été accordé à une personne, une condamnation ne devrait pouvoir reposer exclusivement ou dans une mesure décisive sur la preuve apportée par la personne en question;

- le cas échéant, des programmes spéciaux, tels que des programmes de protection des témoins, devraient être mis en place à l'égard des témoins qui ont besoin d'une protection. Le but principal de ces programmes devrait être de sauvegarder la vie et d'assurer la sécurité personnelle des témoins et de leurs proches;

- les programmes de protection des témoins devraient offrir divers types de protection, en prévoyant notamment la possibilité pour les témoins et leurs proches de changer d'identité, d'avoir un nouveau lieu de résidence, d'être aidés dans la recherche d'un nouvel emploi et de bénéficier de gardes du corps et d'autres formes de protection physique;

- étant donné le rôle essentiel que les collaborateurs de justice jouent dans la lutte contre la criminalité organisée, ils devraient recevoir une considération appropriée, incluant la possibilité de bénéficier des mesures prévues par les programmes de protection des témoins. Si nécessaire, ces programmes pourraient aussi inclure des arrangements particuliers, tels que des régimes pénitentiaires spéciaux pour les collaborateurs de justice purgeant une peine de prison.

 

IV.       Commentaire du préambule

16.       En étudiant les réponses au questionnaire de 1998, les experts du Comité PC-CO ont constaté que beaucoup d'Etats membres (mais certainement pas tous) avaient adopté une législation et pris des mesures pour lutter contre le crime organisé. Il est apparu que des délits particuliers, tels que l'introduction irrégulière d'étrangers sur le territoire ou le trafic de drogues illicites, étaient souvent érigés en infractions pénales au vu des éléments spécifiques de la définition de la criminalité dans l'Etat membre considéré. Cependant, les experts ont également relevé que, bien souvent, ni les rapports entre différents délits pénaux commis de manière organisée ni le caractère transnational de ces délits n'étaient dûment pris en considération. Pour cette raison, les statistiques pénales ne faisaient pas ressortir les délits en rapport avec le crime organisé, donnant à penser que la grande délinquance était le fait d'individus isolés. En définitive, l'efficacité de la législation interne pour lutter contre le crime organisé est apparue douteuse dans plusieurs cas.

 

17.       Le crime organisé est aujourd'hui l'un des principaux problèmes auxquels se trouvent confrontées les missions de maintien de l'ordre et, dans certains cas, l'autorité de l'Etat. Naturellement, l'implantation et la force du crime organisé peuvent varier considérablement d'un pays à l'autre. Comme l'ont montré les rapports annuels sur la situation du crime organisé, certains pays sont particulièrement exposés à cette forme de délinquance, tandis que d'autres (insulaires, par exemple) en sont relativement protégés. Il est généralement admis qu'un pays agissant seul, aussi puissant et déterminé qu'il puisse être, n'a guère de chances d'éliminer le crime organisé, étant donné les liens qui existent entre les groupes locaux et les groupes étrangers, et la tendance croissante à voir différents groupes se fédérer en organisations «supranationales». Les experts ont donc souhaité définir avec les principes directeurs, des points de repère indispensables pour arriver à une politique pénale commune à l'égard de la criminalité organisée, du double point de vue de la législation et de l'action coordonnée à l'échelon international. Une politique criminelle commune marquerait une étape essentielle sur la voie d'une réaction internationale des Etats membres au crime organisé. La coopération internationale à cet égard n'est pas seulement nécessaire: elle est le seul moyen de réussir. Elle suppose aussi que les Etats partagent les résultats de leur expérience et leur connaissance du crime organisé.

 

18.       A l'occasion de la rédaction des rapports annuels sur le crime organisé, les experts du Comité PC-CO ont constaté l'existence d'une corrélation étroite entre le crime organisé et la criminalité économique, particulièrement la corruption, le blanchiment des capitaux et la fraude. Cette relation est du reste prise en compte par différentes définitions nationales et internationales du crime organisé ou par les critères utilisés pour identifier les «groupes criminels organisés», qui considèrent invariablement que la corruption et le blanchiment des capitaux sont des activités connexes du crime organisé, souvent même vitales pour cette forme de délinquance. Les délits de fraude, par exemple les carrousels organisés de TVA, sont souvent le fait du crime organisé et génèrent de substantiels produits illicites. De ce fait, les instruments mis au point pour lutter contre la corruption et le blanchiment des capitaux sont aussi des outils utiles contre le crime organisé, qu'il s'agisse de la Convention de 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (STE n° 141) ou de la Convention pénale de 1999 sur la corruption (STE n° 173). Dans la mesure où le Conseil de l'Europe ne s'est, jusqu'à présent, guère préoccupé de la fraude, les experts ont soutenu fermement l'idée, avancée par le rapporteur général de la 3e Conférence des services spécialisés dans la lutte contre la corruption (Limassol, octobre 1999[2]), selon laquelle il serait bon d'examiner la possibilité d'élaborer une convention européenne sur la fraude fiscale, type de fraude qui est souvent le fait du crime organisé, afin d'harmoniser les dispositions des législations nationales et d'éliminer ou de réduire les obstacles à l'entraide judiciaire dans ce domaine.

 

19.       Les experts ont aussi souligné qu'il fallait trouver des solutions imaginatives pour réagir au crime organisé. L'idée des «études de bonne pratique», mentionnée dans le mandat du comité, est née de la simple constatation que certains pays ont pu concevoir ou mettre en œuvre des mesures contre le crime organisé qui pourraient se révéler utiles à d'autres. Trois études ont été menées entre 1997 et 1999: sur les mesures de protection des témoins, sur la «surveillance intrusive» et sur le renversement de la charge de la preuve dans les procédures de confiscation. Toutes trois ont fourni des idées pour la rédaction des principes directeurs et proposé des recommandations concrètes au sujet des mesures qu'elles avaient examinées. Ces conclusions seront mentionnées plus loin au moment d'aborder les questions correspondantes.

V.        Commentaire sur les principes contenus dans la Recommandation

Définitions

 

20.       La Recommandation contient trois définitions, établies aux fins du texte lui-même et qui ne correspondent pas nécessairement à une définition ou une autre du droit positif ou de la doctrine.

Groupe criminel organisé

 

21.       Le Comité PC-CO n'a pas cherché à définir le crime organisé. Il a jugé préférable d'utiliser, pour ses travaux, une liste de critères applicables aux groupes criminels organisés. Cette liste devait permettre aux Etats membres d'identifier, suivant les mêmes critères, certains groupes criminels pouvant être réputés «organisés» et donc de comparer les expériences nationales en rapport avec ces groupes. Une liste de onze critères a été dressée à partir d'une liste similaire établie par l'Union européenne[3], elle-même largement inspirée de la définition[4] de la «criminalité organisée» retenue par le Bundeskriminalamt (BKA) allemand. Suivant l'interprétation du comité, un certain nombre de caractéristiques minimales, numérotées de 1 à 4 («critères obligatoires») plus au moins deux des autres caractéristiques («critères optionnels») devaient être réunis pour qu'un groupe criminel puisse être qualifié d'organisé. Les groupes visés étaient donc ceux qui répondaient à au moins six des onze critères. Il pouvait ainsi s'agir de groupes criminels de type traditionnel aussi bien que d'entités juridiques ou de membres de professions pratiquant certaines formes de délinquance comme la délinquance économique. Les critères obligatoires sont les suivants:

 

- au moins trois personnes collaborent;

 

- durant une période prolongée ou indéfinie;

 

- elles sont soupçonnées d'avoir commis des infractions pénales graves ou ont été condamnées pour de telles infractions ;

- leur objectif est de rechercher un profit et/ou le pouvoir.

 

22.       Les critères optionnels sont les suivants:

- chaque participant a une tâche ou un rôle spécifique;

- une forme de discipline et de contrôle internes s'applique;

- le groupe utilise la violence ou d'autres moyens d'intimidation;

- il exerce, par la corruption ou par d'autres moyens, une influence sur la politique, les médias, l'administration publique, les organes répressifs, l'administration de la justice ou l'économie;

- il utilise des structures commerciales ou quasi commerciales;

- il pratique le blanchiment de capitaux;

- il opère au niveau international.

 

23.       La définition du «groupe criminel organisé» énoncée dans la Recommandation tient compte de ces critères, tout en correspondant formellement à la définition utilisée dans la convention des Nations Unies contre le crime organisé transnational[5] ; elle est aussi compatible avec celle qui est utilisée dans l'action commune adoptée par le Conseil de l'Union européenne[6]. La définition figurant dans les principes directeurs fait référence – comme celle qui figure dans la convention des Nations Unies - à des « infractions graves »[7].

Organes de répression

 

24.       Cette définition fonctionnelle cherche à englober, indépendamment de toute définition nationale, les institutions et organes publics qui, en vertu de leur mandat, instruisent et/ou poursuivent les infractions pénales. Les forces de police, la gendarmerie, les services des douanes, les brigades des finances, le fisc, etc., entreront normalement dans cette définition en tant qu'autorités investies d'un pouvoir d'enquête. Le ministère public sera également considéré comme un organe de répression. Les juges d'instruction entreront eux aussi dans cette définition, soit comme organes d'instruction soit comme organes de poursuites. Les services de sûreté de l'Etat ou de renseignement qui n'instruisent pas les infractions pénales en seront, en revanche, exclus, à l'exception des unités de renseignement financier qui, dans certains pays, peuvent aussi déclencher ou mener des enquêtes. Les organismes privés de sécurité ou de renseignement ne seront pas considérés comme des organes de répression aux fins de la Recommandation.

 

Principes concernant la prévention générale

Utilisation d'argent liquide dans les paiements (Principe directeur n° 1)

 

25.       Dans certains pays, l'activité économique repose encore largement sur le règlement de grosses sommes en espèces et le change de devises au comptant est une opération courante. Les pratiques de ce type facilitent le blanchiment des capitaux, surtout si les contrôles administratifs sont légers ou inexistants. Comme les produits de l'activité criminelle se présentent principalement sous la forme d'argent liquide et qu'ils doivent être convertis en d'autres avoirs financiers ou en biens pour masquer leur origine criminelle (opération communément appelée «blanchiment de capitaux»), le paiement de sommes élevées en espèces peut correspondre à une opération de blanchiment par le crime organisé. L'achat d'automobiles de luxe, de biens immobiliers, d'or ou de bijoux, d'œuvres d'art, d'actions ou d'obligations, etc., pour des sommes élevées réglées en espèces devrait normalement éveiller les soupçons, du moins dans les économies qui ne pratiquent pas couramment les paiements en espèces, et, dans certaines circonstances, être signalé à un organe chargé de recueillir les dénonciations. De plus, en cas d'opération portant sur un montant supérieur à un certain seuil, l'identité des clients devrait être vérifiée. Ce type de réaction en cas de paiements importants en espèces devrait devenir, avec le temps, une pratique commune dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe. On se souviendra que les Recommandations 22 et 23 du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) suggéraient, dès 1990, que les banques et autres établissements financiers «[déclarent] toutes les transactions nationales et internationales en espèces au-dessus d'un certain montant» et que soient prises des mesures destinées à «détecter ou à surveiller les transports physiques transfrontaliers d'espèces». L'article 3, paragraphe 2, de la Directive du Conseil n° 91/308/CEE relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (10 juin 1991) fait obligation aux établissements de crédit et aux institutions financières à l'intérieur de l'Union européenne d'exiger l'identification de leurs clients pour toute transaction dont le montant atteint ou excède 15 000 ECU.

 

26.       Il est donc important que les mesures susmentionnées soient appliquées par tous les Etats membres, conformément aux recommandations du GAFI et à la directive communautaire. Un comité d'experts du Conseil de l'Europe[8] a été créé expressément à cette fin en 1997 et procède actuellement à sa première série d'évaluations[9].

 

27.       Le Principe 1 demande aux gouvernements de prendre des mesures pour empêcher des personnes physiques ou morales de dissimuler, au moyen de paiements en espèces ou d'opérations de change, la conversion des produits du crime en d'autres biens. Ces mesures devraient comprendre des dispositions visant à réduire le montant des paiements en espèces, les opérations de change au comptant et le transport physique d'espèces à travers les frontières, en développant les techniques modernes de paiement telles que les chèques, les cartes de paiement, le virement direct des salaires, etc. Ce principe suppose aussi un renforcement de la vigilance de la part des établissements bancaires et financiers, de même que des professions qui manipulent des sommes élevées en espèces, afin de déceler les opérations suspectes.

Utilisation des centres financiers (Principe directeur n° 2)

 

28.       Les centres financiers offshore font partie du système économique mondial. Leur nombre et leur diversité ont grandi avec la mondialisation des échanges commerciaux et des investissements, à la faveur du développement des technologies modernes de l'information. L'utilisation des services qu'ils offrent par les différents agents de la vie économique a considérablement augmenté et de nombreux établissements financiers des Etats membres du Conseil de l'Europe, y compris les Etats en transition, ont de fait créé leurs propres filiales dans des centres offshore.

 

29.       Les centres offshore sont des ressorts dans lesquels les non-résidents ont la possibilité de créer des sociétés et d'utiliser des services financiers pour des activités menées en dehors du centre; ils offrent le plus souvent des avantages tels que des taux d'imposition peu élevés et/ou une réglementation réduite dans des domaines comme le droit des sociétés, le droit financier, le droit administratif ou le régime des devises. Les services qu'ils proposent varient et la concurrence se développe entre les différents centres offshore. Certains pays qui ne sont pas situés «au large» ont même jugé utile d'ouvrir des zones offshore à l'intérieur de leur propre ressort. Dès lors, la notion même de centre offshore risque d'être trompeuse car elle recouvre des réalités très variées et des régimes juridiques divers. Certaines juridictions offshore offrent le secret bancaire, le respect du caractère confidentiel des informations, l'anonymat et des mécanismes d'évasion fiscale, et refusent de pratiquer la coopération internationale en matière pénale, tandis que d'autres ont adopté des mesures de surveillance et de contrôle qui équivalent largement à celles qui existent dans certains ressorts onshore et qui vont même parfois plus loin.

 

30.       Les services procurés par les centres offshore sont particulièrement attrayants pour les personnes, physiques et morales, qui participent à la corruption, au blanchiment des capitaux et à d'autres activités criminelles. L'expérience montre qu'ils sont souvent utilisés pour créer des caisses noires et des sociétés écrans, et certaines preuves indiquent que les grandes opérations de blanchiment comportent souvent l'utilisation de sociétés écrans ou de comptes bancaires domiciliés dans des centres offshore. Ces activités sont facilitées par des opérations licites en apparence, ou imbriquées dans de telles opérations, par exemple les investissements par l'intermédiaire de services offshore et la planification fiscale. Il est fréquent que ces opérations n'aient pas de but commercial visible (par exemple des dépôts en espèces sur des comptes bancaires offshore à taux d'intérêt faible ou nul, suivis de virements télégraphiques vers d'autres comptes bancaires à l'étranger) et se déroulent sans même une vérification minimale de l'identité des parties qui interviennent. Dans les pays offshore, la vérification de l'identité du client se limite souvent aux intermédiaires locaux, avocats, comptables ou fondés de pouvoirs, et les établissements financiers ne cherchent pas systématiquement à établir, par l'intermédiaire des banques du pays de résidence du client éventuel, si la personne a une réputation suffisamment bonne pour qu'ils acceptent de nouer des relations d'affaires avec elle. De même, il est fréquent que le bénéficiaire ultime de l'opération ne soit pas identifié, particulièrement dans le cas des sociétés commerciales, ce qui est contraire aux «mesures raisonnables» préconisées par les recommandations du GAFI (Recommandation n° 11) et par la directive communautaire (article 3, paragraphe 5). Enfin, les messages Swift en provenance et à destination des pays offshore ne contiennent souvent aucune indication sur l'émetteur et/ou le destinataire du message, contrairement à la pratique bancaire internationale courante.

 

31.       L'expérience et les rapports des gouvernements montrent que les groupes criminels organisés profitent des marchés financiers mondiaux et des lacunes de leur réglementation, de la même manière que ceux qui pratiquent la fraude fiscale ou le blanchiment de capitaux. De plus, les centres financiers offshore n'accordent généralement aux autorités étrangères qu'une coopération insuffisante. A ce sujet, les conclusions de la 4e Conférence des services spécialisés dans la lutte contre la corruption[10] énumèrent une série d'obstacles qui entravent la coopération internationale:

- les différences dans les droits des sociétés et les autres normes réglementaires, en particulier la possibilité de création de sociétés écrans ou de sociétés boîtes aux lettres n'exerçant aucune activité commerciale ou industrielle et sans aucune exigence de capital minimal, de vérification des comptes, d'assemblées générales annuelles ou même la désignation d'un administrateur local;

- le fait que de telles sociétés écrans ou boîtes aux lettres sont utilisées pour opérer en dehors du territoire de création du centre offshore, rendent ainsi leur contrôle difficile, voire impossible;

- l'absence de moyens d'identification de l'ayant droit économique des sociétés écrans ou sociétés boîtes aux lettres;

- la réticence à signer, ratifier, ou appliquer des traités sur la coopération internationale en matière pénale et administrative;

- l'insuffisance en nombre et en formation du personnel des autorités chargées de l'application de la loi;

- l'abus des règles du secret bancaire, de la confidentialité, du secret professionnel et des immunités.

 

32.       Pour prévenir l'utilisation abusive des centres financiers offshore dans le but de blanchir des capitaux et de réaliser des opérations financières illicites, ainsi que pour surmonter certains des obstacles ci-dessus, le Principe 2 invite les gouvernements à prendre des mesures appropriées, et donc aussi à assurer le respect des normes internationales. Bien entendu, il faut que ces normes soient également respectées par les pays offshore et les pays onshore. Le principe recommande explicitement aux gouvernements de permettre l'examen des opérations financières sans but commercial apparent et exiger l'identification des parties directement impliquées ou des destinataires ultimes des fonds. Voici quelques-unes des autres mesures que les gouvernements devraient prendre pour donner effet au Principe 2:

- la législation des sociétés commerciales devrait être alignée sur les normes internationales de «diligence raisonnable» établies, par exemple, par le Comité de Bâle, le Groupe d'action financière (GAFI) ou les Communautés européennes, normes qui exigent notamment l'identification des clients, la consignation des opérations dans des registres et la dénonciation des opérations suspectes, etc.;

- les intermédiaires – notamment les avocats, les comptables, les commissaires aux comptes, les mandataires intervenant dans la création de sociétés et les fondés de pouvoirs – devraient être tenus de respecter des normes professionnelles minimales et de signaler toute opération suspecte. Le manquement à ces obligations devrait être assorti de sanctions pénales ou administratives efficaces, proportionnées et dissuasives;

- le secret bancaire ne devrait jamais faire obstacle aux enquêtes pénales et des procédures devraient être établies pour lever promptement le secret bancaire à la demande des autorités répressives étrangères ou nationales;

- aucune société ne devrait être enregistrée dans les ressorts offshore sans l'obtention et la vérification préalables de renseignements détaillés sur l'identité de la (des) personne(s) physique(s) propriétaire(s) et ultime(s) bénéficiaire(s) et du gérant effectivement responsable, de renseignements détaillés sur les activités de la société, de références bancaires ou commerciales, d'extraits du casier judiciaire, etc.;

- les membres des professions libérales s'occupant de la constitution et de la gestion des sociétés et des fiducies devraient faire l'objet d'une réglementation efficace, notamment, le cas échéant, par l'intermédiaire d'associations professionnelles auxquelles l'appartenance serait obligatoire, et soumis à des codes de conduite et des règles disciplinaires;

- les établissements financiers devraient considérer comme «suspecte», aux fins de leur obligation de dénonciation, la participation à toute opération d'une société écran ou boîte aux lettres établie dans un ressort offshore qui n'applique pas les mesures décrites ci-dessus;

- les agents des organes de répression devraient recevoir, de la part de spécialistes du secteur bancaire et du contrôle de gestion, une formation concernant la création, le fonctionnement et les possibilités d'abus des sociétés écrans et boîtes à lettres offshore.

Obligations des professions vulnérables (Principe directeur n° 3)

 

33.       Dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe, les membres de diverses professions (notaires, comptables, avocats ou conseillers fiscaux, notamment) sont habilités à pratiquer, et pratiquent couramment, des opérations financières pour le compte de leurs clients. Cependant, comme ces professions ne sont soumises à aucune obligation de «diligence raisonnable» (aujourd'hui de règle dans le secteur financier traditionnel) et sont souvent protégées par le régime du secret professionnel et par les privilèges juridiques qui s'y rattachent, elles attirent (aussi) les clients malhonnêtes et leurs services risquent donc d'être utilisés abusivement pour des opérations illicites. Pour certaines d'entre elles, il faut distinguer clairement entre les activités conduites pour le compte de clients en qualité d'intermédiaire financier (ouverture de comptes bancaires, réception de dépôts en espèces, autorisation de virements bancaires par l'intermédiaire des comptes des clients, etc.) et les autres relations professionnelles avec le client (représentation légale, fonction de défenseur en justice, gestion du patrimoine personnel, etc.). Le Principe 3 devrait donc s'interpréter comme ne concernant que les activités accomplies par ces professions en qualité d'intermédiaire financier. D'autres professions (agents immobiliers, marchands d'art, commissaires-priseurs, gérants de casinos, transporteurs de fonds ou contrôleurs de gestion) ne présentent pas cette dualité d'activité mais, faute d'être soumises à des obligations de diligence raisonnable, sont elles aussi exposées, à l'occasion de la manipulation de liquidités ou d'autres opérations financières, aux risques d'abus en vue de la réalisation d'opérations illicites. En bref, ces professions seront réputées vulnérables aux fins du présent principe.

 

34.       Il convient de rappeler qu'à l'heure actuelle, aucune norme internationale n'oblige ces professions vulnérables à vérifier l'identité de leurs clients, à consigner les opérations réalisées avec eux ni à signaler les transactions suspectes à un organe spécialisé. La Directive de 1991 (91/308/CEE) relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux a servi de base aux mesures prises au niveau de l'UE afin de faire obstacle à l'entrée des produits du crime sur le système financier en exigeant que les établissements financiers (y compris les bureaux de change et les organismes effectuant des transferts de fonds) vérifient l'identité de leurs clients lorsqu'ils ouvrent un compte, louent des services de coffre-fort, ou effectuent des opérations qui, prises isolément ou liées, dépassent la valeur de 15 000 euros, consignent de façon appropriée les opérations en question et adoptent des programmes de lutte contre le blanchiment de l'argent. Plus important encore, la directive exige que le secret bancaire soit suspendu chaque fois qu'il le faut, et que tout soupçon de blanchiment de capitaux (même si l'opération porte sur un montant inférieur au seuil prévu) soit signalé aux autorités compétentes, c'est-à-dire aux organes chargés de recueillir les dénonciations. Depuis que la directive a été adoptée en 1991, la menace du blanchiment et la réponse à cette menace ont évolué l'une et l'autre. Les Etats membres de l'UE (dans les recommandations du programme d'action relatif à la criminalité organisée adopté par le Conseil européen d'Amsterdam) et le Parlement européen (dans deux rapports et résolutions) ont appelé à un renforcement et à un élargissement de l'action menée par l'UE dans ce domaine crucial. La plupart des pays de l'UE et certains pays non membres de l'Union vont déjà plus loin que les obligations prévues par la Directive de 1991 dans le domaine de la couverture des professions non financières. La seconde directive sur le blanchiment des capitaux, adoptée récemment, cherche à élargir le cercle des professions et des établissements soumis aux obligations de diligence raisonnable. Elle part de la constatation que le renforcement des défenses du secteur bancaire contre le blanchiment de capitaux a conduit ceux qui le pratiquent à trouver d'autres manières de masquer l'origine criminelle de leurs fonds. Cette tendance a été relevée clairement par le Groupe d'action financière et par d'autres organes internationaux qui confirment que les services des avocats et des comptables font l'objet d'une utilisation abusive pour aider à masquer les fonds d'origine criminelle. Fréquemment aussi, le secteur de l'immobilier est utilisé pour blanchir des fonds provenant d'activités criminelles.

 

35.       Le Principe 3 fait écho aux objectifs de la seconde directive européenne* (Footnote) pour renforcer le dispositif de lutte contre le blanchiment et soutient l'idée que de nombreuses professions et activités devraient jouer aujourd'hui un rôle actif dans la lutte contre le crime organisé et l'argent sale. Le principe lui-même ne dresse pas la liste complète des «professions vulnérables». Il laisse aux gouvernements des Etats membres le soin de déterminer les professions qu'ils jugent vulnérables dans le cadre de leur régime de lutte contre le blanchiment. Bien entendu, lors de ce choix, les gouvernements souhaiteront peut-être tenir compte de la liste dressée dans la seconde directive, pour faire en sorte que les mêmes catégories de professions respectent les règles sur la diligence raisonnable dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe.

 

36.       La 2e directive envisage d'obliger les agents immobiliers, les comptables, les contrôleurs de gestion et les gérants de casinos à participer pleinement à la lutte contre le crime organisé. Ces secteurs et ces professions seraient tenus de vérifier dûment l'identité de leurs clients et de signaler leurs soupçons de blanchiment d'argent aux autorités compétentes chargées de la lutte contre le blanchiment des capitaux établies par les Etats membres. Ces professions seraient protégées contre toute responsabilité, civile ou pénale, pouvant résulter de la communication d'informations concernant des fonds d'origine suspecte. Dans le cas des notaires et des membres des autres professions libérales juridiques, les obligations prévues par la directive s'appliqueraient à l'égard d'activités précises relevant de la législation financière ou du droit des sociétés, et pour lesquelles le risque de blanchiment d'argent est le plus grand (par exemple en cas d'achat ou de vente de biens immobiliers ou d'entreprises commerciales, à l'occasion d'opérations réalisées avec les fonds, les titres ou d'autres biens appartenant à leurs clients, ou encore lors de l'ouverture ou de la gestion de comptes bancaires, d'épargne ou de titres, ou de la création, de l'exploitation ou de la gestion de sociétés, fiducies ou structures similaires). Les avocats, en raison de leur statut particulier et de leur obligation de secret professionnel, seraient dispensés de toute obligation de dénonciation dans toute situation liée à la représentation ou à la défense des clients dans des procédures judiciaires. Pour tenir pleinement compte du devoir professionnel de secret qui incombe aux avocats, il est envisagé que ceux-ci aient l'option de faire part de leurs soupçons de blanchiment d'argent par le crime organisé non pas aux autorités normalement chargées de la lutte contre le blanchiment mais par l'intermédiaire de leur association professionnelle (barreau ou autre).

 

37.       En ménageant ainsi un régime spécial pour les avocats, la 2e directive européenne s'efforce d'associer cette profession à l'effort de lutte contre le blanchiment des capitaux tout en préservant le rôle spécifique de l'avocat dans notre société. Cette politique est épousée sans réserve par le Principe 3. Suivant la proposition, les blanchisseurs éventuels qui tenteraient d'abuser des services d'un avocat, par exemple en fournissant des renseignements inexacts ou incomplets, s'exposeraient à être dénoncés à une autorité supérieure. Simultanément, les avocats auraient l'avantage de ne pas être livrés à eux-mêmes lorsqu'ils soupçonneraient l'existence d'une activité criminelle grave.

Complexité des règles administratives (Principe directeur n° 4)

 

38.       Plus les règles administratives sont complexes, plus il est probable qu'elles feront l'objet d'abus. Tel est particulièrement le cas pour les réglementations en matière d'import/export, la délivrance de licences et les réglementations fiscales et douanières. Le plus souvent, les règles applicables dans ces domaines sont si complexes que même les juristes professionnels ne sont pas certains du sens à leur donner. Cette complexité ouvre la porte à de nombreux abus, particulièrement à la fraude. D'après une série d'études[11] et de rapports[12] sur la fraude dans l'Union européenne, les pertes provoquées directement par la fraude organisée de grande envergure peuvent atteindre des sommes énormes (estimées à 1,3 milliard d'ECU en 1996) et la complexité des règles, ajoutée à la lourdeur bureaucratique à l'échelon national et à celui de l'UE, est l'un des facteurs favorisant généralement la fraude. Le Principe 4 invite les gouvernements à identifier dans leur réglementation les dispositions détournées ou susceptibles d'être détournées par le crime organisé et à prendre des mesures pour renforcer cette réglementation afin de remédier à cette utilisation illicite. De plus, il est nécessaire que les gouvernements assurent la cohérence entre les réglementations. L'attention des gouvernements est appelée sur le fait que les normes adoptées à cet égard sont non seulement complexes mais aussi souvent incompatibles entre elles. Ce manque de cohérence crée des vides qui ont toutes chances d'être exploités par les malfaiteurs, notamment par les criminels organisés.

 

39.       Le Principe 4 suggère une méthode pour traiter des réglementations administratives complexes, qui consiste à les soumettre à un examen approfondi par des vérificateurs indépendants chargés d'évaluer leur résistance aux pratiques criminelles telles que la fraude. Ce type d'examen, effectué avant l'adoption des réglementations, comme le font souvent les grands cabinets d'audit à l'égard des sociétés, pourrait permettre de déceler très tôt les incohérences et les possibilités de fraude ou de corruption dans la réglementation envisagée.

Utilisation des technologies de l'information (Principe directeur n° 5)

 

40.       L'utilisation des technologies de l'information a eu, et continue d'avoir, un impact extraordinaire sur tous les secteurs de la société, notamment l'activité bancaire. En Europe, les grandes banques sont de plus en plus nombreuses à offrir leurs services par l'intermédiaire de «banques virtuelles» ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept (cette tendance a commencé il y a quelques années dans les pays nordiques). Ces «banques virtuelles» sont créées en établissant un accès par l'Internet à un système d'ordinateurs et avec lequel les utilisateurs peuvent entrer en communication pour obtenir des services. Il n'y a aucun contact face-à-face entre la banque et le client, même si certaines opérations ne sont généralement pas effectuées automatiquement, notamment l'ouverture d'un compte bancaire.

 

41.       L'utilisation des banques virtuelles crée cependant un grave risque d'abus car les procédures d'identification du client sont soit rudimentaires (le système demande une photocopie d'un document d'identité) soit totalement inexistantes (comme c'est le cas, apparemment, pour certaines banques virtuelles basées hors d'Europe). Quiconque peut, bien entendu, être client d'une banque virtuelle. Il n'y a aucun obstacle géographique et la connaissance personnelle, par la banque, des antécédents financiers ou même sociaux du client n'a plus de raison d'être (comme au bon vieux temps, quand la banque établissait des relations commerciales avec des clients dignes de confiance). Dans le cas précis des clients qui sont des sociétés susceptibles d'être enregistrées n'importe où dans le monde, par exemple dans les centres financiers offshore insuffisamment réglementés, les banques virtuelles se trouvent particulièrement dans l'impossibilité de vérifier les antécédents financiers de la société ou même son existence, en réclamant des références bancaires, la preuve de la constitution en société, etc. Le contournement ou l'inapplication des règles sur la vérification de l'identité du client crée donc un grave risque d'abus.

 

42.       Une fois qu'un compte a été ouvert auprès d'une «banque virtuelle», le client a accès à tout un ensemble de services bancaires, y compris les virements électroniques à d'autres comptes bancaires. D'après les rapports des services de renseignement financier, dans certaines régions du monde, les «banques virtuelles» prolifèreraient et de grosses sommes d'argent, parfois d'origine suspecte, sont virées électroniquement par des messages Swift. Ces rapports confirment aussi le vif intérêt que les groupes criminels organisés portent, depuis ces dernières années, à ce type de comptes ouverts auprès de banques virtuelles situées dans des ressorts à réglementation laxiste. Il apparaît donc essentiel que les banques qui exploitent des «guichets virtuels» ou des «banques virtuelles» adoptent systématiquement des mesures rigoureuses telles qu'elles sachent exactement qui sont leurs clients. L'application de la règle «connaître son client» ferait que les banques virtuelles n'accepteraient pas de client sans vérifier, comme une banque traditionnelle le ferait, l'identité, l'existence et les antécédents financiers des clients, ainsi que la fiabilité des renseignements fournis à l'appui. Les autres obligations de diligence raisonnable, telles que la consignation des transactions, etc., devraient naturellement s'appliquer elles aussi. Les «banques virtuelles» devraient, par ailleurs, s'assurer de l'identité de l'expéditeur et du destinataire de tout message Swift et rechercher, par exemple à partir du pays de résidence du bénéficiaire et des références bancaires, tout abus éventuel du système à des fins de blanchiment d'argent. Des mesures de sécurité appropriées, comme le codage des données relatives aux opérations, devraient aussi s'appliquer pour prévenir les intrusions et le détournement des renseignements bancaires.

Bonne gouvernance (Principe directeur n° 6)

 

43.       Les pouvoirs publics et les entreprises sont des acteurs importants dans les sociétés modernes. Ils sont les principaux employeurs dans la plupart des pays et leurs ressources financières sont également considérables. Dans une société démocratique, l'administration publique est responsable devant le gouvernement et, en dernier ressort, devant les citoyens qui ont voté pour le parti ou les partis au pouvoir. Dans l'économie mondiale et intégrée qui est la nôtre, les grandes entreprises ne peuvent guère survivre si elles ne respectent pas un minimum de règles en matière de responsabilité, imposées par la réglementation, l'environnement concurrentiel, les marchés boursiers et les actionnaires. Les administrations publiques et les entreprises sont censées exercer leurs fonctions dans le respect des règles de la bonne gouvernance comme le ferait un «bon père de famille». L'une des méthodes fréquemment utilisée aujourd'hui, pour faire en sorte que les salariés des secteurs public et privé soient soumis à des règles communes consiste à adopter et à faire respecter des codes de conduite.

 

44.       Les codes de conduite doivent énoncer clairement et en termes concis les normes de comportement auxquelles une organisation entend que ses membres se conforment et les valeurs auxquelles elle adhère. Un code de conduite est à la fois un document destiné au public et un message adressé individuellement à chaque salarié. L'existence d'un tel code est spécialement importante dans le secteur public car on ne peut pas attendre d'un agent public qu'il connaisse les normes de conduite qu'il est censé respecter, si nul ne les lui a jamais présentées. Il est hasardeux de compter sur un mécanisme spontané d'assimilation des normes dans l'environnement de travail. Si l'agent doit être appelé à rendre compte de son comportement, il est essentiel qu'il ait été informé de ce que l'on attend de lui et qu'il sache de quelle manière son comportement laisse à désirer. Un énoncé clair, concis et accessible des normes qui doivent régir sa vie professionnelle est à cet égard une condition fondamentale. Dans le secteur privé, le code peut être considéré comme un élément du contrat de travail et, dans ce cas, faire l'objet d'un engagement signé du salarié. Une éventuelle violation du code pourra dès lors s'analyser comme une violation du contrat de travail et justifier une mesure disciplinaire ou un licenciement. Certains codes ne prévoient pas de sanctions mais renvoient simplement aux délits correspondants (détournement de fonds ou corruption, par exemple) définis par le Code pénal. L'efficacité d'un code de conduite dépendra dans une large mesure des sanctions prévues. Le champ d'application des mesures disciplinaires est évidemment plus vaste que celui des mesures de droit pénal.

 

45.       Les codes de conduite devraient aller plus loin que la simple prévention de la corruption et énoncer des normes strictes de comportement déontologique. Ils devraient contenir des principes généraux concernant la licité, la diligence, l'efficacité, une gestion économique, la transparence, la confidentialité, la responsabilité personnelle et l'indépendance de jugement, l'équité, l'intégrité et la formation professionnelle. Le contenu de ces principes peut aussi être divisé en deux grandes catégories: les dispositions qui traitent de l'intégrité personnelle et celles qui portent sur les responsabilités de l'encadrement à l'égard de l'intégrité du service public ou de l'entreprise, notamment en concevant et en mettant en place des modes de fonctionnement appropriées, en veillant à ce que les subordonnés soient informés et conscients de leurs devoirs, ainsi que des mécanismes de supervision et de responsabilité, ainsi que des procédures de sélection appropriées, en veillant au respect du code de conduite et en maintenant la discipline. Les codes de conduite devraient, au minimum, reprendre les normes de droit pénal au sujet de la malhonnêteté et de la corruption. De plus, il devrait toujours y avoir un rapport entre les codes de conduite et les lois et règlements régissant les mesures disciplinaires.

 

46.       L'adoption de codes de conduite est particulièrement importante dans le domaine de marchés publics où des fonds publics d'un montant substantiel sont dépensés pour des travaux publics coûteux et où le risque de corruption ou d'autres abus est plus élevé. La pratique montre en effet que, du point de vue du volume des fonds, la passation de marchés publics est, de loin, le principal domaine de corruption. Selon le programme d'action contre la corruption[13] adopté par le Conseil de l'Europe, «les remèdes principaux [à la corruption dans les marchés publics] sont des procédures d'adjudication qui rendent la corruption aussi difficile que possible (par exemple, en répartissant la compétence de décider entre plusieurs personnes ou administrations, en adoptant une procédure de soumission qui met tous les concurrents sur un pied d'égalité, en exigeant des offres très détaillées de la part des souscripteurs, en veillant à ce que le personnel et les contrôleurs financiers qui analysent les offres aient de bonnes connaissances techniques, etc.), ainsi qu'un maximum de transparence à toutes les étapes du processus, y compris après la fin de la procédure. D'autres solutions comprennent des vérifications de fiabilité des administrateurs participant à la prise de décisions dans les marchés publics, etc.».

 

47.       Naturellement, l'adoption et l'application de codes de conduite par les administrations publiques et les entreprises ne renforceraient pas seulement la transparence et les valeurs déontologiques mais contribueraient aussi à rendre les comportements illicites, notamment la fraude, la corruption, l'abus de fonctions et le blanchiment d'argent, plus visibles et, à terme, aideraient à les éliminer. En définitive, les organisations qui respectent effectivement ces codes de conduite et appliquent les principes de la transparence et de la responsabilité résistent mieux à la pénétration ou à la prise de contrôle par le crime organisé.

Informateurs (Principe directeur n° 7)

 

48.       Ce principe est étroitement lié au précédent. Il vise à encourager le respect de la déontologie dans les entreprises par l'adoption des principes de responsabilité et d'absence totale de tolérance à l'égard des pratiques illégales. Il invite aussi les gouvernements à adopter des règles communes pour la protection des informateurs, c'est-à-dire des personnes qui dénoncent des cas de corruption ou d'autres activités criminelles apparentes commises par ou dans les entreprises.

 

49.       Plusieurs documents adoptés récemment par le Conseil de l'Europe ont appelé l'attention sur la nécessité de protéger les informateurs pour favoriser un changement d'attitude envers les comportements illicites dans les entreprises. Tout d'abord, le programme d'action contre la corruption déjà mentionné a souligné qu'en raison du caractère consensuel de la plupart des délits de corruption, la coopération de sources d'information situées dans l'entreprise avec les services de répression avait une importance essentielle pour la découverte et la poursuite de ces délits. Il a reconnu cependant que, dans la grande majorité des cas, les personnes qui détiennent des renseignements sur les délits de corruption ne les communiquent pas à la police, principalement parce qu'elles s'incrimineraient ainsi elles-mêmes ou par peur des conséquences éventuelles. Cette constatation s'applique autant aux administrations publiques qu'aux entreprises. Ensuite, l'article 22 de la Convention pénale sur la corruption [STE n° 173] fait obligation aux Etats de prendre les mesures nécessaires pour assurer une protection effective et appropriée aux collaborateurs de justice et aux témoins. Les auteurs de cette convention se sont notamment inspirés de la Recommandation n° R (97) 13[14] qui avait proposé un ensemble complet de principes devant inspirer les législations nationales en matière d'intimidation des témoins, soit dans le cadre de la procédure pénale soit pour concevoir des mesures de protection en dehors des tribunaux. L'article 22 de la Convention et la Recommandation n° R (97) 13 donnent un sens large à la notion de «témoin» afin de l'étendre aux personnes détenant des renseignements qui se rapportent à une action pénale concernant des délits tels que la corruption, et d'y inclure les informateurs.

 

50.       Le Principe 7 prévoit que les informateurs doivent être protégés. Bien entendu, le niveau de protection doit être adapté aux risques encourus par ces informateurs. Dans certains cas, il pourra suffire, par exemple, de ne pas divulguer leur identité durant le cours du procès; dans d'autres, des mesures de protection beaucoup plus complètes pourront être nécessaires.

 

51.       Le troisième document, le plus récent, qui traite des obligations de «dénonciation» des fonctionnaires publics est la Recommandation n° R (2000) 10 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les codes de conduite pour les agents publics. L'article 12 (Faire rapport) conseille aux gouvernements d'assurer en particulier:

- que l'agent public qui estime qu'on lui demande d'agir d'une manière illégale, irrégulière ou contraire à l'éthique, pouvant relever de la forfaiture ou en contradiction de toute autre manière avec le code, doit le signaler conformément à la loi;

- que l'agent public doit signaler aux autorités compétentes toute preuve, allégation ou soupçon d'activité illégale ou criminelle concernant la fonction publique dont il ou elle a connaissance dans ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. L'enquête sur les faits rapportés incombe aux autorités compétentes;

- que l'administration publique doit veiller à ce que l'agent public qui signale un cas prévu ci-dessus sur la base de soupçons raisonnables et de bonne foi ne subisse aucun préjudice.

Principes concernant le système de justice pénale

Réprimer pénalement la participation à un groupe criminel organisé (Principe directeur n° 8)

 

52.       Le fossé de plus en plus large entre la réalité criminologique complexe du crime organisé et l'approche individualiste du droit pénal traditionnel a récemment fait l'objet d'un vaste débat. Ce fossé, perceptible également dans d'autres domaines du droit, s'est élargi à cause de l'apparition et de l'évolution rapide d'un type de criminalité organisée sans cesse plus élaboré, souvent de nature entrepreneuriale, dont la conception traditionnelle du délit, «un homme – un crime», ne peut pas rendre compte. Il ne s'agit plus aujourd'hui de poursuivre un meurtre, un cambriolage, un vol ou une vente de marchandises de contrebande. Il est possible, dans le meilleur des cas, de découvrir, d'instruire et de prouver de tels délits ou crimes et d'obtenir la condamnation de leur auteur. Le problème est que, même si l'on additionne ces délits et crimes individuels et leurs auteurs, la somme obtenue ne correspond pas à la réalité du crime organisé qui, comme son nom l'indique, suppose une «organisation» de la délinquance. Comme les rapports annuels du Conseil de l'Europe sur la criminalité l'illustrent clairement, le crime organisé peut être «organisé» de différentes manières (organisation mafieuse pyramidale, en réseau, etc.), mais la caractéristique qui le distingue en définitive de la délinquance individuelle est l'interaction entre les membres du groupe qui fixent les objectifs, ceux qui répartissent les tâches et ceux qui exécutent ensemble un projet criminel. Dans certains cas, le programme criminel devient permanent et la formule «entreprise criminelle continue», forgée par le législateur des Etats-Unis, décrit bien l'idée du crime organisé.

 

53.       Dans la mesure où le droit pénal traditionnel réprime des délits individuels, même s'ils sont commis par plusieurs personnes, il ne saisit généralement pas, pour des raisons conceptuelles, la dimension socio-organisationnelle du crime organisé. Les pays de common law sont, en principe, mieux à même de s'adapter à ces caractéristiques en utilisant la notion de «conspiracy», bien qu'une incertitude demeure quant à savoir dans quelle mesure elle pourrait s'appliquer aux délits commis par le crime organisé. En revanche, la notion de «conspiracy» contient un élément essentiel qui crée généralement des difficultés pour les pays de droit civil: «l'entente» des intéressés suffit pour constituer le délit. Telle est précisément l'essence du crime organisé: des personnes s'entendent pour commettre ensemble des délits en exécution d'un programme criminel à long terme. Cependant, dans certains systèmes juridiques, l'entente elle-même n'est pas toujours suffisante pour incriminer les faits et une forme ou une autre de manifestation extérieure peut être nécessaire. Cela étant dit, un groupe de personnes ayant conclu une telle entente peut se diviser pour commettre les infractions, certains membres ne procurant éventuellement qu'un véhicule ou un garage, ou participant seulement aux préparatifs (peut-être légaux en eux-mêmes); or, ce qui compte, c'est le fait d'agir en poursuivant un objectif commun. Aussi n'est-il pas nécessaire que tous les membres du groupe commettent des infractions conformément à un plan convenu: certains se borneront éventuellement à procurer une aide matérielle au groupe ou, comme c'est généralement le cas pour les patrons du groupe, se contenteront de donner des instructions. Pour engager la responsabilité de ces personnes, le Principe 8 invite les gouvernements à s'efforcer d'incriminer la participation aux organisations criminelles, telles qu'elles sont définies dans les Principes directeurs (premier alinéa de la partie I), quel que soit le lieu dans les Etats membres du Conseil de l'Europe où le groupe est concentré ou exerce ses activités criminelles. Le principe est rédigé de telle manière qu'il met en relief la nécessité de lutter contre les groupes criminels organisés à un niveau transfrontalier.

 

54.       Le rapport sur la situation du crime organisé dans les Etats membres du Conseil de l'Europe[15] contient un chapitre consacré spécialement à l'incrimination de l'appartenance aux groupes criminels organisés et signale que plusieurs Etats membres ont déjà adopté les mesures suggérées par le Principe 8. En Belgique, par exemple, la loi sur les organisations criminelles vise à rendre expressément répréhensible le fait, pour quiconque, de participer à une organisation criminelle, même si la personne n'a pas l'intention de commettre un délit au sein de cette organisation ni de participer à un acte délictueux comme coauteur ou comme complice. Le Code pénal italien contient deux dispositions sur la participation à une association criminelle. La première, qui figure à l'article 416, est très semblable à la notion française d'association de malfaiteurs et n'exige pas que des délits spécifiques soient commis[16]

 

La seconde disposition italienne figure à l'article 416 bis du Code pénal (introduite en 1982 et modifiée en 1992) et vise la participation à une association criminelle «de type mafieux[17]». Cette disposition prévoit des circonstances aggravantes si l'association est armée et si les activités économiques que les membres ont l'intention d'exercer ou de contrôler sont financées en tout ou partie par les produits du crime.

 

55.       Les différences entre l'appartenance à une organisation de type mafieux et l'appartenance à une association criminelle ordinaire valent d'être mentionnées. Alors que l'existence d'une association ordinaire exige seulement la création d'une organisation stable, aussi rudimentaire soit-elle, aux fins de commettre un nombre indéterminé d'infractions, l'appartenance à une organisation de type mafieux nécessite en outre que l'organisation ait acquis un véritable pouvoir d'intimidation là où elle opère. Il faut aussi que les membres de l'organisation exploitent ce pouvoir pour exercer une contrainte à l'égard des tiers avec qui l'organisation établit des relations, et les obligent ainsi à entrer dans une conspiration du silence. L'intimidation peut prendre différentes formes qui vont de la simple exploitation d'un climat d'intimidation déjà créé par l'organisation criminelle à la perpétration de nouveaux actes de violence ou à l'usage de menaces qui renforcent la capacité d'intimidation déjà acquise. La «méthode mafieuse» (ou plutôt, l'ensemble d'instruments qu'elle utilise) est donc caractérisée, en droit pénal italien, par trois éléments («les pouvoirs d'intimidation tirés des liens d'appartenance à l'organisation», «la coercition» et «la conspiration du silence»), et tous trois sont des éléments essentiels et nécessaires du délit d'association.

 

56.       Quant aux buts poursuivis, alors qu'une association simple a pour but de commettre des faits qualifiés d'infractions pénales par la loi, une association mafieuse peut aussi être organisée dans le but de prendre le contrôle direct ou indirect d'activités économiques, de la délivrance d'autorisations, de l'attribution de marchés publics et de l'obtention de services ou de profits ou autres avantages injustifiés, pour l'organisation ou pour autrui, ou d'empêcher ou de restreindre le libre exercice du droit de vote ou d'obtenir des voix pour soi-même ou pour autrui dans des élections. Dans sa réponse au questionnaire du Conseil de l'Europe de 1997 sur la situation du crime organisé, l'Italie avait signalé un problème important apparu dans les années précédentes: le besoin d'ériger en infraction pénale le fait d'apporter un appui extérieur à la mafia. Il s'agit ici de réprimer le comportement des hommes politiques, des fonctionnaires ou des entrepreneurs qui coopèrent avec des organisations mafieuses en s'accordant mutuellement des «faveurs» (par exemple en embauchant des membres de l'association dans leur entreprise en échange de la protection et du développement d'activités économiques, en versant des sommes d'argent ou en attribuant des marchés publics en échange de voix lors des élections). La question est de savoir si de tels comportements licites (très importants pour la survie et l'expansion des associations mafieuses) peuvent êtres réprimés lorsqu'ils sont le fait d'individus qui n'appartiennent pas aux associations mafieuses. La jurisprudence[18] de la Cour de cassation a apporté une réponse essentielle à ce sujet en établissant que, si une contribution «extérieure» à l'association a une importance particulière, soit parce qu'il s'agit d'une contribution continue soit parce qu'elle intervient à un moment de crise pour l'organisation, cette contribution peut être assimilée à une participation «interne» du point de vue de la répression. Concrètement, la Cour de cassation a précisé que, même si un individu non membre d'une association criminelle commet un seul acte isolé et le fait pour accomplir l'un quelconque des buts de l'organisation, son comportement doit être considéré comme un acte de complicité dans la réalisation de l'infraction.

 

57.       A l'échelon international, l'Union européenne a traité de la question de l'incrimination de la participation à une organisation criminelle dans une Action commune du 21 décembre 1998[19]. Ce texte définit d'abord une «organisation criminelle» comme une «association structurée, de plus de deux personnes, établie dans le temps, et agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions punissables d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté privative de liberté d'un maximum d'au moins quatre ans ou d'une peine plus grave, que ces infractions constituent une fin en soi ou un moyen pour obtenir des avantages patrimoniaux, et, le cas échéant, influencer indûment le fonctionnement d'autorités publiques». Il établit ensuite une obligation à la charge des Etats membres de l'UE de «s'engager, selon la procédure prévue à l'article 6, à faire en sorte que l'un ou les deux comportements suivants soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives:

 

a. le comportement de toute personne qui, d'une manière intentionnelle et en ayant connaissance soit du but et de l'activité criminelle générale de l'organisation, soit de l'intention de l'organisation de commettre les infractions en cause, participe activement:

 

- aux activités criminelles de l'organisation, relevant de l'article 1er, même lorsque cette personne ne participe pas à l'exécution proprement dite des infractions en cause et, sous réserve des principes généraux dans le droit pénal de l'Etat membre concerné, même lorsque l'exécution des infractions en cause ne se réalise pas;

 

- aux autres activités de l'organisation en ayant, en outre, connaissance que sa participation contribuera à la réalisation des activités criminelles de l'organisation, relevant de l'article 1er;

 

b. le comportement de toute personne consistant à avoir conclu avec une ou plusieurs personnes un accord portant sur l'exercice d'une activité, qui, si elle était mise en œuvre, reviendrait à commettre les infractions relevant de l'article 1er, même lorsque cette personne ne participe pas à l'exécution proprement dite de l'activité».

 

58.       Le texte de l'Action commune indique clairement, tout comme le Principe 8, que peu importe le lieu sur le territoire des Etats membres de l'UE où l'organisation est basée ou poursuit ses activités criminelles (article 4).

 

59.       Dans le cadre de l'organisation des Nations Unies, la convention contre le crime organisé transnational envisage d'établir une infraction similaire à celle que prévoit l'Action commune de l'UE ou le Principe 8. L'article 5 de la convention («Incrimination de la participation à un groupe criminel organisé») oblige les parties à ériger comme une infraction distincte notamment le fait de conclure un accord entre au moins deux personnes pour commettre une infraction grave en vue d'obtenir un avantage financier ou un autre avantage matériel et faisant intervenir un groupe criminel organisé, même si aucun acte n'est commis à la suite de l'accord. Le texte prévoit aussi que l'accord peut être déduit des circonstances de fait objectives. Un groupe criminel organisé est défini (article 2/a) comme un groupe structuré de trois personnes ou davantage, qui existe durant un certain temps et dont les membres agissent de concert dans le but de commettre un ou plusieurs crimes ou délits graves établis conformément à la convention, afin d'obtenir, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel.

Incrimination du blanchiment des produits du crime organisé (Principe directeur nº 9)

 

60.       Le but du crime organisé est avant tout de gagner de l'argent. L'argent donne aux criminels les moyens de se faire respecter, de s'acheter une légitimité, de corrompre les autorités, etc., en bref, les moyens de poursuivre leurs activités et de leur donner l'apparence de la légitimité. Ce mécanisme qui, souvent, ne se différencie guère du cours normal des affaires, oblige à transformer les profits tirés directement du crime (souvent de grosses sommes d'argent) en capitaux, biens ou autres objets de valeur financière légitimes. En masquant l'origine illégitime de ces produits, qui proviennent le plus souvent d'un ensemble d'activités illégales comme le trafic des drogues ou d'autres biens illégaux, de la fraude, du racket, etc., par un procédé souvent appelé aujourd'hui «blanchiment des capitaux», le crime organisé se procure de l'argent propre qui peut servir à des affaires «normales», par exemple des investissements. Ce processus est une condition sine qua non de l'accès du crime organisé aux circuits financiers et économiques légitimes (et peut-être de l'exercice d'une influence sur ces circuits) et il figure dans toutes les définitions actuelles du crime organisé comme l'un des éléments constitutifs de cette forme de criminalité.

 

61.       Le Principe 9 recommande aux Etats membres d'incriminer le blanchiment de toute forme de produits du crime comme le prévoit la Convention de 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime [STE nº 141], y compris les produits du crime organisé. Il conduirait les Etats membres à réexaminer leur législation sur le blanchiment des capitaux et, si nécessaire, à inclure dans leur liste des infractions principales toute infraction pénale[20] et, à tout le moins, les infractions qui sont communément commises par le crime organisé et qui procurent des gains considérables. Les produits de plusieurs activités peuvent être, et sont souvent, blanchis en même temps. Pour que les mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux soient efficaces contre les groupes criminels organisés qui pratiquent toute une variété d'activités criminelles, cette infraction de blanchiment doit englober un grand nombre d'infractions, attendu notamment qu'en pratique, il est parfois quasiment impossible de savoir de quelle infraction précise proviennent les produits. En toute hypothèse, les infractions principales devraient comprendre aussi les infractions fiscales.

 

62.       Le Principe 9 va donc dans le sens de la tendance internationale, de plus en plus marquée, à pouvoir considérer comme des infractions de blanchiment de capitaux toutes les catégories possibles d'infractions principales, ce qui devrait faciliter la tâche des organes de répression lorsqu'ils doivent établir le lien entre l'infraction de blanchiment et l'infraction qui est à l'origine des produits, mais il insiste particulièrement sur la nécessité d'incriminer le blanchiment résultant du crime organisé et donc de focaliser l'attention sur les aspects financiers de ce dernier.

L'incrimination de la non-dénonciation des opérations financières suspectes (Principe directeur nº 10) 

63.       Ce principe est étroitement lié à l'obligation de dénoncer les opérations soupçonnées de relever du blanchiment, obligation imposée aux établissements financiers et non financiers et à certaines professions[21] (ci-après dénommés «les entités déclarantes») par différentes normes internationales, dont les quarante recommandations GAFI (Recommandation nº 15) et la Directive 308/91/CEE (articles 6 et 12). Il tient compte aussi de la 2e Directive de l'UE à cet égard, qui devrait être adoptée sous peu. Ces normes établissent un cadre réglementaire général pour traiter du blanchiment des capitaux dans le secteur financier et, de plus en plus, dans les autres secteurs. La pièce maîtresse du dispositif est constituée par l'obligation faite aux entités déclarantes de révéler leurs soupçons concernant d'éventuelles opérations de blanchiment en s'adressant à une autorité désignée, souvent appelée «organe chargé de recevoir les révélations» ou «service de renseignement financier», qui examine les renseignements reçus et décide de la suite à donner. Les entités déclarantes et leurs salariés doivent être protégés contre l'engagement de leur responsabilité pénale ou civile pour violation de la confidentialité.

 

64.       Si, malgré leurs obligations légales, les entités déclarantes s'abstiennent délibérément de communiquer des renseignements en rapport avec des opérations soupçonnées relever du blanchiment de capitaux, elles peuvent se rendre coupables, en vertu de certaines législations pénales, d'aide et d'encouragement au blanchiment d'argent. Il est, cependant, assez difficile de prouver que l'entité déclarante savait que l'argent provenait du crime, même si la plupart des législations admettent que l'intention ou la connaissance peut se déduire des circonstances de fait. Dans la pratique, les banques et les autres établissements financiers sont rarement condamnés pour blanchiment de capitaux alors même que les autorités de surveillance ou les contrôleurs de gestion découvrent souvent des renseignements qui auraient dû être communiqués. Il arrive que la négligence ou le manque de formation puisse expliquer l'absence de dénonciation; il arrive aussi que les renseignements soient délibérément cachés aux autorités supérieures ou encore que l'ensemble de l'entité déclarante participe à l'exercice de l'activité illégale.

 

65.       Le Principe 10 invite les Etats membres à pénaliser la non-dénonciation intentionnelle des opérations suspectes, c'est-à-dire le comportement par lequel une entité déclarante (y compris les membres de professions comme celles d'avocat ou de comptable) ferment volontairement les yeux sur une opération suspecte. Pénaliser un tel comportement signifie, dans ce contexte, que l'on applique des sanctions pénales ou administratives à l'égard de ceci. Même si ce comportement revient, pourrait-on soutenir, à aider et encourager au blanchiment d'argent, l'existence d'un délit spécifique, pénal ou administratif,  aura certainement un effet préventif en conduisant les membres des professions concernées à agir de manière plus responsable et plus attentive.

Priver des personnes des biens illicites ( Principe directeur nº 11)

 

66.       De nombreuses organisations criminelles réalisent des profits et encaissent des recettes d'un montant substantiel qui sont en réalité des produits tirés du crime, dont elles conservent la possession et qu'elles peuvent utiliser pour financer d'autres activités criminelles ou qui peuvent être dépensés à des fins de consommation personnelle. Selon les estimations, les organisations dont les activités englobent le trafic de stupéfiants, la prostitution, la vente de biens volés ou les paris illégaux au Royaume-Uni ont encaissé entre 6,5 et 11,1 milliards de livres sterling en 1996[22]. D'autres pays ont estimé les bénéfices à un niveau sensiblement moins élevé pour la même année: l'Espagne a estimé à 326 millions de dollars américains et l'Allemagne à 549 millions de dollars américains les recettes réalisées par les groupes criminels organisés connus[23]. Avec une grande prudence, le GAFI, le FMI et d'autres organisations internationales font état de chiffres énormes dans leurs estimations des bénéfices tirés du trafic de drogues: entre 500 et 800 milliards de dollars américains. Quel que soit le chiffre exact, qui ne sera du reste peut-être jamais connu, il semble unanimement admis que la richesse accumulée par le crime organisé atteint des proportions sans précédent.

 

67.       Il existe différents moyens juridiques de priver les criminels de cette richesse mal acquise: ils peuvent être pénaux, civils ou administratifs. Les mesures de droit pénal peuvent notamment consister à rendre la personne pénalement responsable pour des infractions impliquant un «enrichissement illicite», avec pour conséquence la confiscation des biens de caractère illicite. Les mesures administratives pourraient consister, par exemple, à appliquer des sanctions fiscales pour non-déclaration de revenus ou de fortune. La solution pénale reste aujourd'hui très contestée. Même si elle demeure limitée aux agents publics, dont la situation financière est relativement facile à vérifier puisqu'ils figurent sur les états de paye de l'Etat et, dans plusieurs pays, sont tenus de déclarer leur fortune, l'incrimination pour enrichissement illicite soulève des problèmes politiques, constitutionnels et juridiques. Suivant l'exemple du Royaume-Uni (loi de 1906 sur la corruption), plusieurs pays (Hong Kong, notamment) ont introduit un tel délit d' «enrichissement illicite» pour lutter contre la corruption largement répandue dans le secteur public et ont rendu leurs agents publics pénalement responsables en cas d'augmentation importante de leur fortune qu'ils ne peuvent pas expliquer raisonnablement compte tenu de leurs revenus licites durant la période d'exercice de leurs fonctions. Cependant, les éléments du patrimoine ne peuvent pas être vérifiés avec la même facilité dans le cas des agents du secteur privé. Pour qu'une autorité publique puisse enquêter sur la fortune d'une personne qui n'est pas un agent public, il faut qu'elle puisse s'appuyer sur des éléments juridiques solides, par exemple sur des soupçons importants quant à l'existence d'une activité illégale constituant un délit pénal ou fiscal (fraude fiscale, par exemple).

 

68.       C'est dans le cas des criminels organisés connus qui parviennent à échapper aux poursuites parce qu'ils ne participent pas à l'accomplissement du crime ou parce qu'il est impossible d'établir qu'ils y ont participé que le Principe directeur n° 11 pourrait, dans certaines circonstances, s'appliquer. Premièrement, il faut qu'existent des preuves que la fortune de la personne provient du crime organisé (preuves indirectes ou tirées du mode de vie de l'intéressé). En vertu du Principe, ces preuves doivent conduire à des raisons plausibles de soupçonner que les biens de l'intéressé proviennent d'une activité criminelle organisée. Deuxièmement, si les soupçons plausibles sont suffisants pour justifier une mesure de droit pénal, par exemple une confiscation qui n'est pas fondée sur une condamnation, les Etats membres devraient appliquer une telle mesure, conformément à leurs principes constitutionnels. Cela peut nécessiter de renverser la charge de la preuve : c'est à la personne poursuivie qu'il incomberait de prouver l'origine légitime des biens. Si aucune explication n'est donnée montrant que les biens ont une origine légitime et que la personne, compte tenu des circonstances (absence de revenus, etc.), ne peut pas tenir ces biens d'une autre source que le crime, la personne en question pourrait faire l'objet de ladite sanction pénale.

 

69.       Lorsque la situation décrite ci-dessus ne justifie pas, en vertu des principes constitutionnels nationaux, de prendre des mesures de droit pénal, des mesures civiles ou administratives peuvent constituer une solution de remplacement efficace ; on peut par exemple utiliser des sanctions fiscales en présence d'éléments patrimoniaux ou de revenus d'origine inexplicable. Dans de nombreux pays, notamment aux Pays-Bas, l'administration fiscale impose effectivement des amendes très lourdes aux individus soupçonnés d'appartenir à des groupes criminels organisés en cas de non-déclaration de revenus et de non-paiement des impôts. Dans un tel cas, les conditions énoncées plus haut s'appliquent mais la sanction est imposée par l'autorité administrative. Les deux formules nécessitent un examen approfondi de la situation juridique des biens ainsi que des revenus et de l'activité légitimes du propriétaire. Si, toutefois, les autorités disposent d'indices graves et que leur présomption de l'origine illicite des biens ne peut pas être renversée, il faut qu'au moins l'une des mesures décrites ci-dessus puisse s'appliquer.

Responsabilité des personnes morales (Principe directeur nº 12)

 

70.       Le crime organisé a souvent besoin de s'abriter derrière une structure commerciale pour exercer ses principales activités sources de profits (comme la fraude), blanchir l'argent ou s'intégrer aux activités économiques légitimes. Comme le rapport du Conseil de l'Europe de 1997 sur la situation du crime organisé l'a relevé, «un aspect important du crime organisé – en relation à la fois avec la fraude et le blanchiment de capitaux – est l'utilisation des entreprises comme un moyen de mener des activités illicites. Les fraudeurs utilisent toujours, presque par définition, une entreprise commerciale comme «société écran», et les contrebandiers (de biens licites ou illicites et d'êtres humains) trouvent pratique de recourir à des structures d'entreprise pour dissimuler leurs activités (ou pour tirer davantage d'argent encore de leurs activités criminelles afin de payer les dépenses courantes et d'étoffer le fonds de roulement). Il n'est pas rare non plus que des activités d'extorsion débouchent sur une prise de contrôle de l'entreprise elle-même, dont les malfaiteurs deviennent, dans l'ombre, les véritables directeurs, ou dont ils deviennent même les véritables propriétaires: cela permet aux racketteurs de conclure des contrats soi-disant légaux avec leurs victimes commerciales[24]».

 

71.       Suivant les constatations faites dans le rapport, les trois formes d'association avec le monde des affaires sur lesquelles portait le questionnaire existent dans de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe: 1. l'appartenance à des sociétés légitimes préexistantes dans lesquelles un ou plusieurs salariés coopèrent avec le crime organisé; 2. l'exploitation d'une société par des groupes criminels qui mêlent les activités légales et illégales; 3. l'utilisation d'une société écran, par exemple une société offshore, qui n'a pas véritablement d'activité commerciale. L'intervention de telles structures commerciales dans le crime organisé a été signalée notamment par «l'ex-République yougoslave de Macédoine», la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, la Norvège, la Pologne, la Roumanie et la Turquie, tandis que l'Italie a noté l'existence de «sociétés criminelles» qui poursuivent des activités apparemment légales et sont parfaitement intégrées au monde économique, cachées par d'énormes structures, et toujours liées étroitement aux milieux politiques dirigeants. Les pays nordiques et les pays Baltes ont aussi reconnu que les criminels organisés utilisaient des sociétés écrans à des fins commerciales. L'Allemagne a indiqué que des structures commerciales existantes avaient été utilisées dans 257 cas en Allemagne même et 159 cas à l'étranger, et que des sociétés écrans avaient été découvertes dans 108 cas en Allemagne et dans 66 cas à l'étranger. Le Portugal a mentionné l'utilisation d'entreprises légales pour falsifier des documents et recycler des valeurs volées. Une organisation aujourd'hui démantelée mêlait ses gains illégaux à des bénéfices légaux de millions d'escudos provenant d'activités hôtelières. Des sociétés non commerciales domiciliées dans des centres financiers offshore au Canada et aux Etats-Unis servent souvent d'écrans pour la fraude (et aussi pour le blanchiment d'argent, spécialement au stade de la démultiplication des transactions). La Belgique a indiqué que les profits économiques du crime organisé atteignaient un total proche de 30 milliards de FB (environ 825 millions de dollars américains) et que les trois quarts des groupes criminels organisés repérés utilisaient chacun une moyenne de 2,3 structures commerciales, dont près de la moitié mêlaient activités légales et illégales, et dont seulement 11,3 % étaient de simples sociétés écrans sans aucune véritable activité commerciale. Les Pays-Bas (comme la Pologne) ont signalé que les criminels avaient d'importantes activités commerciales authentiques dans les secteurs des transports, de l'hôtellerie, de la restauration et de l'import/export. Aux Pays-Bas, les sociétés privées, les commerces individuels et les fondations sont utilisés pour masquer des activités illégales et tout indique que les trois types d'intervention mentionnés dans le questionnaire existent aux Pays-Bas.

 

72.       La responsabilité pénale des personnes morales figure depuis longtemps à l'ordre du jour des organisations internationales, que ce soit l'Union européenne, l'OCDE ou le Conseil de l'Europe, spécialement en rapport avec la fraude, la délinquance environnementale et la corruption. La première mesure a été prise au sujet de la délinquance environnementale (qui est une grande source de profit pour le crime organisé dans certains pays) par le Conseil de l'Europe en 1977, lorsqu'il a demandé, par sa Résolution (77) 28[25], le réexamen des principes de la responsabilité pénale, en vue, notamment, de l'introduction éventuelle dans certains cas de la responsabilité des personnes morales, publiques ou privées. Le rapport joint notait qu'une part importante de la législation pénale européenne adhérait toujours au principe, établi par le droit romain, que les personnes morales ne peuvent pas être tenues responsables» (societas delinquere non potest) et que seuls leurs représentants encourent une responsabilité en tant que personnes physiques. Plus tard, au niveau du Conseil de l'Europe, des instruments plus spécifiques, juridiquement contraignants dans le domaine de la délinquance environnementale[26] et de la corruption[27], ont reconnu pleinement le principe de la responsabilité des personnes morales tout en admettant à la fois des formes de responsabilité pénale et non pénale (administrative, par exemple). Une tendance similaire se manifeste dans l'action de l'Union européenne[28] et de l'OCDE[29].

 

73.       Tous les instruments internationaux en vigueur reconnaissent les difficultés conceptuelles et juridiques que certains pays peuvent éprouver à introduire une responsabilité pénale des personnes morales, attendu notamment que la culpabilité pénale suppose une forme ou une autre de mens rea que les personnes physiques sont seules à posséder. A l'heure actuelle, les Etats ont donc la faculté discrétionnaire de décider s'ils introduisent une responsabilité pénale ou administrative des personnes morales, dès lors que cette responsabilité comporte des sanctions ou des mesures effectives, proportionnées et dissuasives, qui répriment les infractions pénales commises à l'intérieur d'une société commerciale ou par elle.

 

74.       Le Principe 12 suit le chemin tracé par les instruments juridiques susmentionnés et invite les Etats membres à introduire la responsabilité des personnes morales. Les experts ont été d'avis qu'une telle mesure était essentielle à cause de l'influence exercée par le crime organisé et de sa dépendance à l'égard de ce type de structure. Le principe demande donc que les Etats veillent «à ce que les personnes morales puissent être tenues responsables des infractions liées à la criminalité organisée qu'elles ont commises» et que des sanctions appropriées leur soient en conséquence appliquées.

Infractions financières ou fiscales (Principe directeur nº 13)

 

75.       Les gouvernements appliquent des politiques différentes en matière d'infractions fiscales, en fonction d'un certain nombre de facteurs parmi lesquels les taux d'imposition en vigueur, l'attitude des citoyens à l'égard du respect des lois et du paiement de l'impôt, les dispositions juridiques et les mesures de répression, la nécessité et la capacité de recouvrer les impôts, etc. Les autorités considèrent généralement les infractions fiscales comme un problème modérément prioritaire si les contribuables acquittent volontiers leurs impôts et comme un problème hautement prioritaire si tel n'est pas le cas. De même, les infractions à la législation fiscale sont traitées comme des infractions mineures relevant du droit administratif lorsque les contribuables n'ont pas besoin d'incitations fortes ou comme des infractions plus graves réprimées par le droit pénal dans le cas contraire.

 

76.       L'évasion fiscale et la fraude fiscale sont généralement des infractions commises individuellement en matière d'impôts sur le revenu mais peuvent dégénérer en délits fiscaux graves lorsque des sociétés violent massivement la réglementation fiscale. Dans certains cas, la fraude fiscale peut être liée directement au crime organisé, qui échappe naturellement à l'impôt sur ses revenus illégaux, mais qui est aussi impliqué de plus en plus dans des carrousels de TVA (fraude organisée à la TVA). Selon le professeur Savona[30], la fraude dans l'Union européenne, y compris les carrousels de TVA, est aujourd'hui devenue particulièrement séduisante pour le crime organisé et les pertes montrent qu'il s'agit de crimes financiers organisés à grande échelle. Les rapports de l'Uclaf[31] confirment cette hypothèse.

 

77.       Le Principe 13 invite donc les gouvernements à accorder une attention particulière à ces délits fiscaux qui, bien que leur traitement ne semble pas prioritaire, peuvent être liés à l'activité criminelle organisée. Peuvent laisser soupçonner l'existence d'un tel lien l'identité des personnes impliquées, des irrégularités au niveau des entités juridiques concernées (par exemple si elles sont enregistrées dans des centres offshore à la réglementation laxiste), l'existence d'autres activités illégales découvertes par les organes de répression ou les services de renseignement (notamment le blanchiment d'argent), les sommes sur lesquelles portent les infractions de fraude, etc. Les cas de ce type, qui exigent certainement, de la part des services fiscaux, une «diligence renforcée», semblable à celle qui s'applique dans le secteur bancaire pour déceler les opérations de blanchiment, devraient être pris au sérieux par les pouvoirs publics et des enquêtes devraient avoir lieu couramment. Pour permettre la répression effective de ces faits, il faut éliminer les obstacles à l'entraide judiciaire dans ce domaine. Il faut en outre offrir au personnel des services concernés des programmes de formation sur les mécanismes et procédés liés à la fraude fiscale.

Investigations financières (Principe directeur n° 14)

 

78.       Les enquêtes de police se concentrent généralement sur les éléments matériels du crime, comme par exemple l'objet du délit, qui peuvent être ensuite produits comme éléments de preuve devant les tribunaux. Jusqu'à une date relativement récente, les enquêtes criminelles ne prêtaient guère d'attention à la situation financière du délinquant et ce n'était que lorsque l'infraction concernait directement des actifs ou autres moyens financiers que des mandats de saisie étaient délivrés en vue de leur éventuelle confiscation. Le crime organisé, dont l'objectif essentiel est la recherche des profits et du pouvoir, manipule nécessairement de l'argent (sale) provenant de ses activités criminelles, notamment pour blanchir les capitaux et les réinvestir dans d'autres activités, ou encore pour la consommation personnelle des criminels. Quasiment chaque crime commis par les groupes criminels organisés a un aspect financier qui, s'il fait l'objet d'investigations appropriées, peut conduire à d'autres preuves de l'activité criminelle. Michael Levi et Lisa Osofsky ont décrit[32] un certain nombre de scénarios dans lesquels les investigations financières ont joué un rôle utile dans des enquêtes pénales dont l'origine était au Royaume-Uni, et ce:

- en montrant qu'entre la date de l'infraction et l'arrestation, le délinquant avait dépensé l'équivalent d'un tiers du produit d'un vol à main armée en sus de son revenu légitime;

- en permettant de vérifier que d'importantes sommes d'argent provenant du trafic de drogues avaient été déposées sur un compte en banque (le délinquant, arrêté et accusé d'être un fournisseur de drogues, avait affirmé que les fonds provenaient de la vente d'une voiture; les investigations financières purent démontrer la fausseté de cette affirmation);

- en établissant l'existence de recettes dépassant les moyens légaux de l'intéressé et correspondant à la valeur des biens volés dans une enquête sur des vols professionnels d'automobiles;

- en établissant un lien entre des trafiquants de drogues et un montant élevé de produits du trafic des drogues grâce à des registres d'opérations et d'autres moyens de preuve.

 

79.       Van Duyne et Levi[33] ont également souligné que «la notion générale d'enquêtes financières peut désigner l'activité qui permet d'exposer les opérations des entreprises à but lucratif contrôlées par le crime (organisé) en procédant à l'analyse et à l'examen de la gestion financière (les flux de marchandises, de paiements et de dépenses)». Cette orientation vers un «lien crime-argent» peut permettre d'atteindre plusieurs objectifs:

- les enquêtes financières peuvent contribuer à recueillir des preuves contre des individus soupçonnés, notamment des preuves de paiements effectués pour acquérir des moyens de transport en contrebande (bateaux, camions), de pots-de-vin ou, dans les fraudes transfrontalières à la TVA, de versements correspondant à la facturation;

- en rapport avec cette recherche d'éléments de preuve, les enquêtes financières peuvent également servir à établir une base de données qui permettra de remonter les réseaux soupçonnés de faciliter les activités criminelles, qu'il s'agisse d'avocats, de comptables ou de sociétés d'investissement apparemment légitimes qui ont échappé jusqu'alors à l'attention;

- elles peuvent aboutir à priver le criminel de ses biens mal acquis et permettre de financer (directement ou, plus fréquemment, comme au Royaume-Uni, indirectement) le coût des enquêtes de police;

- les enquêtes financières peuvent aussi présenter l'avantage de contribuer à affaiblir, voire de désorganiser, le réseau commercial dans lequel opèrent les entreprises criminelles poursuivies.

 

80.       Dans le contexte de la lutte contre le crime organisé, les enquêtes financières répondent donc à plusieurs buts: examiner le patrimoine des criminels soupçonnés pour rechercher un rapport possible avec d'éventuels chefs d'inculpation, trouver, dans un labyrinthe d'opérations financières, le fil conducteur qui permettra de reconstituer les circuits suivis par les flux de capitaux et apporter la preuve des accusations et, en définitive, aller au-delà des mouvements de fonds et de biens en exposant au grand jour les rapports de travail et de force entretenus par les groupes criminels organisés, dans le but de prouver leur existence et de les éliminer. De plus, van Duyne et Levi estiment[34] que ces éléments combinés peuvent et doivent aller au-delà des objectifs tactiques d'une enquête donnée et servir à des fins stratégiques pour «dresser la carte du paysage ou du créneau occupé par les criminels afin de repérer les points faibles utilisables pour des enquêtes ultérieures». Ces enquêtes financières stratégiques devraient englober le «marché d'approvisionnement» de base des criminels (à savoir tous les biens, produits et services illégaux), le «circuit de transformation financière», dans lequel les produits du crime sont blanchis et la «solubilisation de l'argent criminel», c'est-à-dire les marchés sur lesquels les investissements criminels sont faits (restauration et hôtellerie, immobilier, etc.), et chercher, en dernier recours, à «faire obstacle à la consolidation de la position des entrepreneurs du crime sur le marché et/ou à l'acquisition d'une position influente ou d'un pouvoir dans la société».

 

81.       Les moyens utilisés par les enquêtes financières consistent pour l'essentiel à recueillir et à analyser les renseignements financiers sur les délinquants ou les sociétés commerciales soupçonnés, généralement avant l'ouverture d'une enquête officielle. Ces investigations sont de plus en plus souvent confiées aux services de renseignement financier lorsque des infractions de blanchiment d'argent sont soupçonnées à la suite d'indications venant du secteur financier. Cependant, il est fréquent que les enquêtes sur le crime organisé ne bénéficient pas, et ne puissent pas bénéficier, des résultats des recherches effectuées par les services de renseignement financier et que les enquêtes sur le patrimoine et les enquêtes sur le blanchiment de capitaux relèvent d'organes différents. Il n'est pas rare que ces organes n'aient pas connaissance des enquêtes faites par leurs homologues parce qu'au stade de leurs investigations, les liens entre les avoirs, les criminels et les activités de blanchiment ne sont pas pleinement appréhendés.

 

82.       Le Principe 14 demande que soient rendues possibles des investigations financières interconnectées sur les avoirs des groupes criminels organisés, par exemple en utilisant les renseignements financiers recueillis par d'autres services et en faisant de ces enquêtes un élément essentiel de toute enquête pénale concernant le crime organisé. Cela signifie, en pratique, que des enquêtes financières devraient être effectuées sur les avoirs et les biens de tout suspect dès qu'il existe un indice de sa participation au crime organisé ou à des infractions connexes comme la corruption, la fraude ou le blanchiment ou produit de ces infractions. En vertu des pouvoirs conférés à l'organe chargé de ces investigations, une telle mesure conduirait à lever le secret bancaire pour avoir accès aux renseignements bancaires et recueillir, auprès des membres de certaines professions, tels que les intermédiaires financiers, les avocats et les comptables, dans la limite des privilèges reconnus à ces professions, des informations sur les avoirs, les investissements, les revenus, etc. des intéressés.

 

83.       Il convient de rappeler que l'article 3 (Mesures d'investigation et mesures provisoires) de la Convention de 1990 relative au blanchiment oblige les Etats parties à se donner les moyens d'identifier et de rechercher les biens susceptibles de confiscation et à prévenir toute opération, tout transfert ou toute aliénation relativement à ces biens. L'article 4 (Pouvoirs et techniques spéciaux d'investigation) oblige en outre les Parties à la convention à habiliter leurs tribunaux ou leurs autres autorités compétentes à ordonner la communication ou la saisie de dossiers bancaires, financiers ou commerciaux, par exemple pour des investigations financières. Le rapport explicatif a noté à cet égard qu'en général, le secret bancaire ne fait pas obstacle aux enquêtes pénales internes ni à la prise de mesures provisoires dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, en particulier quand la levée du secret bancaire est ordonnée par un juge, par un grand jury, par un juge d'instruction ou par un procureur. Le Principe 14 souligne qu'il faut mettre en place des mécanismes juridiques rapides permettant de lever le secret bancaire; il mentionne aussi la possibilité de prononcer des décisions judiciaires qui contraignent les établissements ou intermédiaires financiers à produire des états financiers ou des bilans. De telles décisions sont également mentionnées par la Convention de 1990 sur le blanchiment (article 4, paragraphe 2).

Confiscation et saisie des avoirs (Principe directeur n° 15)

 

84.       L'expérience montre que l'un des rares moyens de lutter efficacement contre le crime organisé consiste à le priver de sa puissance financière, c'est-à-dire de ses moyens de corrompre, de s'acheter une légitimité et de poursuivre son programme criminel. Cette méthode est largement utilisée dans quelques pays, dont l'Italie, les Etats-Unis et l'Irlande, pour lutter contre les organisations criminelles et il semblerait[35] qu'elle ait réussi à perturber le dispositif financier des groupes visés. Le Principe 15 s'appuie sur cette expérience et vise à faire de l'élimination des avoirs du crime organisé un élément constitutif de toute stratégie de lutte contre cette forme de criminalité. L'idée simple de «frapper le criminel là où ça fait mal: dans ses poches» n'est malheureusement pas encore pleinement comprise ni appliquée par tous les Etats membres. A l'occasion des évaluations mutuelles faites par le GAFI ou par le Conseil de l'Europe, qui dans les deux cas consistent notamment à vérifier la conformité aux normes internationales des régimes nationaux de lutte contre le blanchiment, il est apparu que de nombreux pays étaient dotés de dispositions dépassées en matière de confiscation, applicables seulement à un nombre limité de cas, souvent laissés à l'appréciation du juge de première instance. De plus, certains pays considèrent toujours la confiscation comme une peine accessoire, qui n'est généralement applicable que si la personne poursuivie est déclarée coupable et que ses avoirs proviennent directement de son activité répréhensible. Cette conception conduit parfois à des situations curieuses, par exemple quand la personne poursuivie est reconnue coupable de blanchiment de capitaux mais que ses avoirs restent intacts ou doivent lui être restitués à l'issue du procès, faute de preuves suffisantes de l'existence de liens directs avec l'activité répréhensible. Le Principe 15 rappelle aux Etats membres l'objectif fondamental de la Convention de 1990 sur le blanchiment, qui est de permettre la confiscation, au niveau national et au niveau international, des produits et des moyens du crime, spécialement du trafic de stupéfiants et des autres formes de crime organisé ou de grande délinquance. Il convient de souligner que la confiscation peut porter non seulement sur les sources de richesses qui constituent des profits illicites, mais aussi sur les moyens utilisés ou prévus pour commettre des crimes. Par conséquent, toute source de richesse appartenant au crime organisé doit pouvoir faire l'objet d'une confiscation, y compris les entreprises contribuant matériellement à la structure organisationnelle et opérationnelle d'un groupe criminel organisé, même s'il n'est pas possible de retracer son origine criminelle. Les avoirs criminels, même s'ils sont mêlés à des avoirs légitimes, devraient être sujets à confiscation tout comme les moyens et les produits directs du crime. Il faut que la confiscation soit systématique, c'est-à-dire automatique dès lors que les conditions sont remplies, pour qu'elle devienne vraiment ce qu'elle doit être: une arme stratégique contre le dispositif économique et financier du crime organisé et, en définitive, contre son existence même.

 

85.       Le Principe 15 ne traite pas seulement de la confiscation, mais aussi des mesures provisoires qui permettent d'y procéder: le dépistage, le gel et la saisie des avoirs. Il est également fait mention des divers instruments que devraient adopter les pays pour se conformer à ce principe, lequel suit la logique de l'article 3 (et de l'article 11) de la Convention de 1990 sur le blanchiment: il existe, en effet, toute une série de mesures judiciaires permettant le gel, la saisie ou la mise sous séquestre des avoirs, leur surveillance ou encore l'exercice d'un droit de suite.

Procédures indépendantes de confiscation ou de mise sous séquestre des avoirs (Principe directeur n° 16) 

86.       Comme indiqué plus haut, la confiscation est souvent considérée comme une peine accessoire qui suppose notamment que le délinquant ait été condamné par un tribunal pour une infraction pénale. Il convient d'observer qu'une conception aussi traditionnelle de la confiscation, en vigueur dans certains Etats membres, ne peut pas servir efficacement contre les membres de groupes criminels organisés et leurs chefs. Les enquêtes sur les groupes criminels organisés aboutissent fréquemment à des soupçons quant à l'origine criminelle de la richesse, souvent à partir de données fiscales ou de renseignements sur le mode de vie, mais sans guère procurer de preuves de la participation des intéressés à une activité criminelle.

 

87.       Le Principe 16 propose de découpler les procédures de confiscation ou de mise sous séquestre des procédures judiciaires traditionnelles, centrées sur la culpabilité supposée de la personne poursuivie, et d'élargir le champ d'application de la mise sous séquestre dans le cadre d'une procédure civile. En conséquence, les Etats membres devraient envisager d'établir des procédures portant sur les avoirs à confisquer/mettre sous séquestre qui n'exigeraient pas nécessairement que la personne soupçonnée ait été condamnée avant qu'une décision définitive de confiscation/mise sous séquestre puisse être prise. En l'absence de preuves ou en présence de preuves insuffisantes pour obtenir la condamnation pénale du propriétaire, les pays qui pratiquent les procédures «in rem» pourraient se contenter d'un degré de preuve moins exigeant (par exemple la somme des probabilités) quant à l'origine criminelle des avoirs. Les autres pays, ceux dans lesquels une condamnation pénale est nécessaire et où l'action «in rem» n'est pas reconnue, pourraient introduire des procédures de confiscation distinctes, postérieures à la condamnation, dans lesquelles tous les avoirs seraient réputés provenir du crime et le délinquant condamné pourrait aussi être tenu de prouver que tout ou partie d'entre eux n'en provient pas. Les deux systèmes s'appliquent en Europe et la deuxième étude de bonne pratique, consacrée au renversement de la charge de la preuve dans les procédures de confiscation du produit du crime[36], décrit les résultats de l'expérience acquise à cet égard, limitée toutefois à la grande délinquance organisée comme le trafic des drogues. Le Principe n'exige pas que la législation des Etats membres fasse peser la charge de la preuve concernant l'origine des biens exclusivement sur la personne poursuivie, mais il recommande de veiller à ce que la charge pesant sur les autorités de poursuites soit allégée, c'est-à-dire que la personne poursuivie doive elle aussi donner des informations concernant ses biens.

 

88.       La mise sous séquestre civile, utilisée comme un moyen stratégique contre le crime organisé, n'est pas une pratique courante aujourd'hui en Europe. Comme indiqué dans le document de politique générale du Gouvernement britannique[37] sur la mise sous séquestre des avoirs («recouvrement des produits du crime»): «la mise sous séquestre civile réalise un élargissement considérable des pouvoirs conférés à l'Etat pour traiter des produits du crime. Il faut s'attendre à ce qu'elle ne fasse pas l'unanimité.» Il faut donc trouver un juste équilibre entre les droits civils de la personne et le besoin de donner à l'Etat les moyens de protéger la société contre le crime. Certains pays, dont les Etats-Unis, l'Australie, l'Italie et l'Irlande, appliquent avec succès des législations sur la mise sous séquestre civile qui ont, jusqu'à présent, résisté aux contestations invoquant les normes constitutionnelles nationales et les normes européennes des droits de l'homme[38]. Le système irlandais semble être un bon modèle pour les autres pays à cause de son efficacité et de l'équilibre qu'il respecte par rapport aux droits de l'homme.

Protection des témoins (Principes directeurs n° 17 et 18)

 

89.       Au cours de ces dix ou quinze dernières années, la question de la protection des témoins est devenue une préoccupation majeure pour les systèmes judiciaires de nombreux pays européens. Plusieurs motifs expliquent l'attention particulière accordée aux témoins. Tout d'abord, cette période a été marquée par une augmentation notable des activités criminelles des groupes terroristes et des groupes criminels organisés à l'échelle de l'Europe et dans l'ensemble du monde. Ces groupes cherchent de plus en plus à corrompre et même à détruire le fonctionnement normal du système de justice pénale par tous les moyens possibles, y compris les menaces de violence ou la corruption des agents de justice et l'intimidation ou l'élimination systématique des témoins. La protection des témoins et de leurs proches est donc devenue une nécessité qui dépasse les intérêts personnels des individus et qui s'impose comme un devoir des pouvoirs publics pour assurer l'intégrité et l'efficacité de la justice pénale.

 

90.       Les Principes 17 et 18 portent sur la protection des témoins et des collaborateurs de justice qui accepteront de donner des renseignements ou de témoigner en justice contre le crime organisé. Les mesures qu'ils proposent sont identiques à celles qui sont exposées en détail dans la Recommandation n° R (97) 13 sur l'intimidation des témoins et les droits de la défense. Comme indiqué dans ce document, « La nécessité de protéger les témoins contre l'intimidation est apparue dans le cadre d'infractions relevant du terrorisme, de la criminalité organisée, du trafic de drogues, des délits commis dans des groupes minoritaires fermés et de la violence au sein de la famille. La découverte de ce type d'infractions est souvent fondée sur le témoignage de personnes qui sont étroitement liées à l'organisation, à la bande, au groupe ou à la famille. Ces personnes sont donc plus vulnérables que d'autres à l'intimidation et il est facile de les dissuader de fournir des preuves à charge ou de les empêcher de répondre aux questions risquant d'aboutir à la condamnation de l'accusé. L'intimidation et/ou les menaces peuvent s'exercer soit sur le témoin lui-même, soit sur ses proches. Lorsqu'il existe de bonnes raisons de croire qu'un témoin risque d'être victime d'une infraction pénale dirigée contre sa vie, sa santé ou sa liberté, les autorités publiques, et notamment la police, devraient être obligées d'en informer le témoin et de prendre les mesures de protection qui s'imposent. On peut ainsi être conduit à adapter la procédure pénale de manière à protéger effectivement les témoins. A cet égard, il importe de trouver un équilibre entre les droits de la défense et la garantie de la sécurité des témoins et de leur famille. Il convient d'envisager de prendre des mesures de protection particulières, consistant, par exemple, à masquer le visage du témoin, ou à changer son identité, sa profession ou son adresse[39]».

 

91.       Compte tenu de la gravité des crimes commis par les groupes criminels organisés et du pouvoir d'intimidation dont ils disposent, les Etats devraient, dans le cadre de l'élaboration des mesures de lutte contre le crime organisé, adopter des règles de procédure spécifiquement conçues pour répondre aux problèmes créés par l'intimidation des témoins. Il leur est, par exemple, recommandé d'envisager la possibilité ou la nécessité de cacher à la personne poursuivie l'identité, l'adresse, etc., des témoins ou d'élargir la recevabilité des dépositions faites avant le procès. Certains Etats ont déjà adopté des dispositions sur les témoins anonymes et/ou des dispositions qui permettent d'appliquer des mesures techniques rendant plus difficile l'identification des témoins (Italie, Allemagne, par exemple). Lorsque l'anonymat ne peut pas être accordé ou s'il n'est pas suffisant pour protéger le témoin, le Principe 18 envisage toute une série de mesures, telles le fait de permettre aux témoins de déposer par le biais de moyens de télécommunication, en limitant la divulgation de leur adresse et d'autres éléments d'identification, en élargissant l'utilisation des dépositions faites avant le procès et en transférant temporairement les témoins qui sont en détention.  Ces mesures de protection peuvent nécessiter d'autres mesures de protection qui rendent difficile ou impossible l'identification du témoins par la défense: cacher son visage ou déformer sa voix, soit lorsqu'il est présent à l'audience soit en cas d'utilisation d'une liaison audiovisuelle. L'audition par le truchement d'une liaison vidéo peut présenter de nombreux avantages dans la mesure où elle diminue les risques et abaisse également le coût de la protection. Ces mesures ne doivent pas être considérées comme exagérées et doivent être accordées par le tribunal en tenant compte des droits de la défense. Elles peuvent aussi être acceptables pour les pays qui se heurtent à des difficultés constitutionnelles notamment, pour introduire des mesures autorisant le témoignage anonyme au sens strict.

 

92.       Enfin, le Principe 17 envisage des programmes complets de protection des témoins pour assurer une protection de longue durée. Les programmes de protection des témoins s'appliquent aux témoins et aux collaborateurs de justice nécessitant une protection au-delà de la durée du procès pénal et peuvent s'appliquer durant une période limitée ou à vie. De tels programmes existent dans plusieurs pays dont l'Italie, les Etats-Unis, le Canada, la Turquie (en rapport avec les actes de terrorisme seulement) et le Royaume-Uni. La première étude de bonne pratique du Comité PC-CO, consacrée aux programmes de protection des témoins[40], et rédigée à partir de l'expérience concrète de trois Etats membres du Conseil de l'Europe, contient une analyse détaillée de l'organisation et du fonctionnement des programmes de protection.

Techniques spéciales d'investigation (Principe directeur n° 19)

 

93.       Le crime organisé évolue avec le temps, tout comme les sociétés dans lesquelles il opère. Les «hommes d'honneur» légendaires d'autrefois, sous l'autorité d'un parrain respectable, brassent aujourd'hui des affaires d'une valeur de plusieurs milliards de dollars sur un vaste ensemble de marchés criminels et leur vulnérabilité aux méthodes traditionnelles de répression semble s'être amenuisée au fil des années. Les stratégies traditionnelles de la police se révèlent donc d'une portée trop limitée. Pour prendre le dessus sur le crime organisé, il faut des méthodes nécessairement plus intrusives que les méthodes classiques et l'expérience de la répression dans deux pays indique que, pour renforcer les moyens d'investigation, diminuer le temps nécessaire pour construire un dossier solide et rassembler des preuves convaincantes, il faut utiliser les renseignements obtenus au moyen de la surveillance électronique, de l'interception des télécommunications[41], des opérations d'infiltration, des informateurs, des «repentis» ou de la remise surveillée de drogues ou d'argent. Bien que les pays s'accordent généralement à reconnaître qu'il faut donner aux organes de répression les moyens d'utiliser ces méthodes d'investigation dans la lutte contre le crime organisé, de nombreuses différences existent dans la réalité[42], particulièrement à propos des opérations d'infiltration, des livraisons surveillées et de la surveillance électronique. Il est important de relever que tous les Etats membres du Conseil de l'Europe qui autorisent, en droit ou en pratique, l'emploi de ces méthodes intrusives ont dû, à un moment ou un autre, régler la question délicate de l'équilibre à respecter entre les avantages à en attendre du point de vue de la répression et la nécessité de protéger les droits civils, notamment le droit à la vie privée. On se souviendra que la Convention européenne des Droits de l'Homme autorise les atteintes à la vie privée (article 8) sous réserve que l'utilisation de pouvoirs tels que celui d'intercepter les communications téléphoniques soit nécessaire dans une société démocratique dans l'intérêt, par exemple, de la sécurité nationale ou de la prévention du crime, qu'elle respecte la loi et qu'elle soit proportionnée aux circonstances invoquées par les autorités pour la justifier.

 

94.       Des instruments internationaux de plus en plus nombreux demandent l'utilisation de techniques d'investigation spéciales contre le crime organisé ou les crimes qui en font partie, tels que le blanchiment de capitaux ou la corruption. La 36e des quarante recommandations du GAFI considère la livraison surveillée d'actifs, dont on sait ou soupçonne qu'ils sont le produit du crime, comme une «technique d'enquête valable et efficace» et en recommande vivement l'utilisation dans les enquêtes, y compris transfrontalières, sur le blanchiment d'argent. L'article 11 de la Convention des Nations Unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes suggère également d'utiliser les livraisons surveillées dans les enquêtes portant sur le trafic de drogues ou les infractions connexes de blanchiment d'argent, tandis que l'article 4, paragraphe 2, de la Convention du Conseil de l'Europe de 1990 sur le blanchiment [STE n° 141] invite les pays à envisager d'introduire «des techniques spéciales d'investigation facilitant l'identification et la recherche du produit ainsi que la réunion de preuves y afférentes». Les techniques spéciales mentionnées expressément par la convention comprennent les ordonnances de surveillance de comptes bancaires, l'observation, l'interception de télécommunications, l'accès à des systèmes informatiques et les ordonnances de production de documents déterminés. L'article 23 de la Convention pénale contre la corruption [STE 173] impose aux parties l'obligation d'adopter des mesures permettant l'utilisation de techniques d'investigation spéciales pour faciliter la collecte de preuves relatives aux délits de corruption définis par la convention.

 

95.       Le Principe 19 se fonde sur l'idée, largement acceptée, que les groupes criminels organisés sont secrets et fermés, et donc difficiles à pénétrer. Il recommande aux gouvernements d'introduire des mesures d'investigation qui permettent aux organes de répression de mieux connaître les activités de ces groupes en utilisant la surveillance, l'interception des communications, les opérations d'infiltration, les livraisons surveillées et les informateurs. Certaines de ces techniques sont réservées depuis longtemps aux investigations sur les crimes les plus graves, comme le terrorisme ou les meurtres mafieux, mais aujourd'hui, leur utilisation est généralement autorisée, à des conditions expresses, dans les enquêtes en rapport avec le crime organisé, par exemple les affaires de trafic de stupéfiants. Le Principe 19 invite les gouvernements à en faire pleinement usage pour infiltrer les groupes criminels organisés et rassembler des preuves de leurs activités dans le cadre des enquêtes pénales. Ces méthodes doivent évidemment être employées en respectant dûment les droits civils et sous le contrôle de la justice ou toute autre forme de contrôle effective. L'emploi de moyens à base de technologie, comme l'interception des communications ou la surveillance électronique, nécessite un matériel approprié, comme des appareils d'interception et de décodage.

 

Méthodes de police privilégiant l'anticipation (Principe directeur n° 20)

 

96.       Comme on l'a souligné plus haut, la police doit traiter le crime organisé différemment des formes traditionnelles de grande délinquance. Dans le cas de crimes comme la fraude ou le trafic des stupéfiant, aucune plainte n'est généralement déposée par une victime directe. Les éléments de preuve scientifique (taches de sang et empreintes digitales, par exemple) interviennent rarement, notamment parce que le crime n'est pas commis en un lieu particulier et à un moment particulier. Il est donc spécialement difficile de trouver des preuves concrètes, ou même simplement des indices, constituant une base suffisante pour étayer une suspicion au sens des procédures pénales nationales. Pour lutter contre la grande délinquance organisée, il faut une stratégie (plus) proactive. Cette stratégie diffère des modalités du travail d'enquête traditionnel, que l'on peut qualifier de réactif. Traditionnellement, les enquêteurs se concentrent sur des infractions qui ont été dénoncées et appliquent des techniques de routine, comme l'examen du lieu du crime pour rechercher des preuves scientifiques, l'interrogatoire des témoins et l'interrogatoire des suspects.

 

97.       Dans les investigations proactives, les enquêteurs concentrent leur attention sur le comportement présent des personnes dont on pense qu'elles sont impliquées dans le crime et s'intéressent moins aux infractions passées. Les enquêteurs écoutent les rumeurs du milieu et fondent sur elles leurs décisions (utiliser des informateurs, placer les lignes téléphoniques sous écoute ou des individus sous surveillance). Il s'agit moins alors de rassembler des preuves que de recueillir des indices. Aussi cette stratégie est-elle parfois appelée «investigation par le renseignement», étant donné que certaines techniques utilisées dans l'exercice de la police proactive proviennent directement de l'arsenal des services de renseignement (ou de sécurité). L'investigation proactive cherche à savoir comment une organisation criminelle est structurée, quelles activités criminelles sont prévues, où elles se dérouleront, etc. Parce que les groupes criminels organisés tiennent généralement leurs projets et leurs activités secrets et que les plans comportent des activités criminelles exécutées par plus d'un individu à plusieurs endroits et à différents moments, les organes de répression doivent faire un effort supplémentaire pour arriver à repérer, pister et poursuivre les individus impliqués. L'utilisation des renseignements stratégiques fournis par les services de renseignements criminels ou financiers et l'analyse criminologique sont les principaux outils de ces enquêtes proactives. Outre la participation de criminologues et d'analystes spécialisés, elles supposent aussi celle d'analystes du secteur économique (macroéconomie, analyse de marché, par exemple), de spécialistes du renseignement et de sociologues.

 

98.       Etant donné que les informations recueillies concernent non seulement des suspects mais aussi des individus dont la participation aux activités criminelles n'est pas (encore) avérée, il faut accorder une attention toute particulière à la protection des droits de l'homme, spécialement du droit à la vie privée. Des garanties de procédure et autres sont nécessaires pour faire en sorte que les méthodes d'enquête proactives ne s'appliquent que lorsque existent des indices clairs qu'un crime grave ou organisé se prépare ou se commet.

Equipes interinstitutions (Principe directeur n° 21)

 

99.       Dans la plupart des pays, le crime organisé peut faire l'objet d'enquêtes de la part de tout un ensemble d'organes de répression différents, essentiellement parce que ces organes ne savent pas que leurs investigations ont un rapport avec le crime organisé. Un tel organe, ou son service d'enquêtes criminelles, peut s'occuper d'un dossier d'homicide, un autre d'une affaire de corruption d'agent public et un autre encore d'un dossier de fraude fiscale. Dans une affaire de ce type, associant plusieurs délits (cas moins hypothétique qu'il pourrait paraître), il peut s'avérer, en définitive, que le meurtre a été commis sous contrat par quelqu'un qui souhaitait acquérir le contrôle d'affaires légales ou illégales et qui a dû verser des pots-de-vin à un agent public pour obtenir des autorisations et frauder le fisc pour éviter d'être repéré. Dans certains pays, la personne, si elle était prise, serait probablement condamnée du chef de trois infractions distinctes et il n'y aurait guère de chances qu'un lien soit établi entre les trois affaires. De plus, aucune trace de «crime organisé» n'apparaîtrait dans les statistiques criminelles. Absence de coordination et absence de centralisation des données au sujet des délinquants: telles sont les causes principales des échecs dans les enquêtes sur le crime organisé.

 

100.     Un autre aspect très voisin concerne l'existence, dans certains pays, de nombreux organes de répression (par exemple, en Italie, les Carabinieri, la Guardia di Finanza, la Polizia di Stato, etc.) qui, peuvent tous être associés à une enquête sur le crime organisé ou économique. Ces services ont souvent une connaissance spécialisée dans un domaine précis, mais leurs compétences risquent néanmoins de se chevaucher. Il arrive parfois – et cela n'est pas réservé à la littérature – que ces organes luttent entre eux davantage que contre le crime et que leurs rivalités internes se traduisent par une inefficacité totale dans un domaine donné. La répartition des tâches et la spécialisation sont donc aussi importantes que la coordination. Bien que certains Etats membres du Conseil de l'Europe ne semblent pas avoir de services spécialisés chargés des enquêtes dans les affaires de crime organisé, lorsque les ressources l'autorisent, il serait probablement utile de créer un ou plusieurs services multidisciplinaires (centraux et régionaux) expressément chargés des enquêtes sur les groupes criminels organisés, par exemple dans les domaines du trafic de stupéfiants, du blanchiment de capitaux et de la grande corruption.

101.     Le Principe 21 recommande donc la création d'équipes multidisciplinaires spécialisées. Ce travail multidisciplinaire implique une coordination étroite, des communications régulières et un partage de l'information entre les différents organes qui participent aux enquêtes sur le crime économique et organisé, afin de renforcer l'efficacité de ces enquêtes. La création d'une base de données centralisée réunissant des données sur les délits, leurs auteurs, les victimes et les avoirs, accessible dans tout le pays par les services locaux ou régionaux, pourrait aussi améliorer la gestion des enquêtes sur le crime organisé par l'ensemble du système de justice pénale.

 

Principes relatifs à la coopération internationale

(Principes directeurs n° 22 à 25)

 

102.     La libéralisation des échanges commerciaux et des investissements financiers, la révolution scientifique et technologique, l'apparition de réseaux de communication planétaires, l'élimination des frontières nationales dans certaines régions et la création d'espaces supranationaux à l'intérieur desquels les personnes, les biens et les services circulent librement – autant d'éléments qui font incontestablement figure d'acquis – créent aussi des possibilités que les organisations criminelles n'hésitent pas à exploiter à leur propre avantage. Il n'y a pas si longtemps que la justice pénale était presque exclusivement un problème national. Aujourd'hui, toute politique criminelle qui ne tiendrait pas pleinement compte des aspects organisés et transnationaux de la criminalité serait vouée à l'échec. Les Etats désireux de réussir dans leur lutte contre le crime organisé doivent coopérer, partager les données de leur expérience et mettre en commun leurs résultats et leurs moyens. La coopération internationale est donc une condition essentielle du succès de toute politique nationale de lutte contre le crime organisé. La communauté internationale en devient de plus en plus consciente, comme en témoigne le nombre des accords bilatéraux et multilatéraux conclus en matière de criminalité (blanchiment d'argent, corruption, terrorisme, etc.) ou d'entraide internationale. Pourtant, les Etats semblent avoir été beaucoup trop lents, en tout cas plus lents que les délinquants, à adapter leurs stratégies répressives au cadre international dans lequel le crime organisé moderne évolue.

 

103.     Les Principes 22 à 25 mentionnent quelques idées que les Etats devraient examiner s'ils souhaitent renforcer l'efficacité de la coopération internationale. Ils envisagent les aspects suivants:

- échanges d'informations sur les entités juridiques: les investigations nationales sur la fraude, la corruption ou le blanchiment de capitaux (en rapport ou non avec le crime organisé) souffrent souvent d'un manque d'informations sur les sociétés commerciales étrangères et autres personnes morales qui semblent avoir facilité une opération ou sa dissimulation. Le Principe 22 invite les gouvernements à prendre des mesures pour permettre, en droit et en pratique, les échanges d'informations de ce type par-delà les frontières, notamment au sujet des personnes physiques qui ont créé ces entités, en sont propriétaires, les dirigent ou les financent;

- accords sur le partage des avoirs: les avoirs confisqués par certains pays restent souvent sur place, même s'ils provenaient de l'étranger. Il est fréquent que ces avoirs criminels n'aient pas d'autre raison de se trouver là que la protection offerte par le secret bancaire reconnu dans le pays, tandis que la confiscation est opérée au nom des autorités étrangères, sur la base de preuves recueillies à l'étranger. Dans quelques cas, malheureusement rares aujourd'hui, les avoirs ainsi confisqués sont finalement restitués au pays d'où ils étaient venus. En revanche, dans la majorité des cas de confiscations internationales importantes, le pays qui a procédé aux investigations sur le crime sous-jacent et qui a repéré les avoirs ne reçoit aucune récompense dans la mesure où le pays qui a procédé à la confiscation conserve pour lui la totalité des avoirs. Il existe bien des traités bilatéraux ou des protocoles d'accord entre certains ressorts d'Europe et d'Amérique du Nord mais l'absence d'accord multilatéraux sur le partage des avoirs constitue toujours un sérieux obstacle aux investigations internationales sur les avoirs (qui sont généralement assez onéreuses). Le Principe 23 invite donc les pays à partager les avoirs confisqués entre les pays qui ont contribué à la confiscation en prenant des mesures comme le dépistage ou le gel des avoirs soumis à confiscation;

- mise en œuvre des programmes de protection des témoins par-delà les frontières: dans les petits pays, il est quasiment impossible de mettre les personnes à l'abri des groupes criminels organisés. Si les petits pays veulent que des personnes bénéficiant des programmes de protection des témoins soient protégées effectivement, ils doivent souvent les transférer dans un autre pays. Une telle mesure nécessite une coopération étroite, un haut degré de confiance et un partage des charges entre le pays requis (d'accueil) et le pays requérant (d'envoi). Jusqu'à présent, ce type de coopération n'est visé expressément par aucun traité international d'entraide mais la nécessité d'établir un tel instrument au niveau du Conseil de l'Europe a été reconnue par la Recommandation n° R (97) 13 (paragraphe 30) et dans la première étude de bonne pratique;

- ratification et mise en œuvre des instruments internationaux d'entraide judiciaire: le Principe 25 énonce un certain nombre d'idées quant aux moyens d'améliorer la coopération internationale en matière d'enquêtes et de poursuites contre le crime organisé, particulièrement en signalant les éventuels obstacles juridiques ou structurels qui nuisent à la coopération, en proposant des modalités de coopération originales et constructives et en invitant les gouvernements à accélérer et à rationaliser davantage les communications entre les autorités ou les personnes appelées à coopérer. Une liste des traités du Conseil de l'Europe relatifs à la coopération internationale et que les Etats membres devraient ratifier figure en annexe à la recommandation. 


Principes relatifs au recueil des données, à la recherche et à la formation 

Recueil des données (Principe directeur n° 26) 

104.     Le Principe directeur n° 26 repose sur la constatation selon laquelle, en l'absence d'une collecte et d'une analyse systématiques de données relatives au crime organisé, la conception et la mise en œuvre des stratégies nationales de lutte contre le crime organisé répondent moins à la situation du crime qu'à des objectifs des pouvoirs publics. Idéalement, ces deux éléments sont liés.

 

105.     Lors de l'élaboration des rapports annuels du PC-CO sur le crime organisé, il est apparu clairement que la plupart des Etats membres ne disposent pas d'un système spécifique de collecte des données dans ce domaine et que leurs statistiques générales ne fournissent pas certains types d'informations nécessaires pour établir ces rapports annuels. Le Principe n° 26 souligne donc la nécessité de recueillir des données concernant spécifiquement le crime organisé, énumère certaines caractéristiques sur lesquelles des données devraient être recueillies (le champ d'action géographique des groupes, leur organisation, leur base financière, leurs relations avec des groupes étrangers, etc.), et recommande d'utiliser ces données pour analyser le phénomène du crime organisé. Il recommande aussi de faire en sorte que les systèmes nationaux de collecte de données et des statistiques pénales prennent en considération les traits spécifiques du crime organisé (voir les paragraphes 52 et 53) et qu'ils soient dotés de moyens et personnels adéquats.

 

Recherche (Principe directeur n° 27)

 

106.     Le Principe directeur n° 27 complète le principe précédent et vise à augmenter, dans les secteurs public et privé, les capacités de recherche sur le crime organisé. Les gouvernements sont invités à soutenir les institutions – universités, fondations et organismes publics (écoles de police), par exemple – qui effectuent des recherches dans ce domaine. Ils peuvent les soutenir en leur allouant des ressources financières, mais aussi en leur donnant accès à des fichiers et à des données utiles dans le cadre des activités de recherche.

 

Formation (Principe directeur n° 28)

 

107.     Ce principe reconnaît que les méthodes nouvelles ne donnent généralement pas de bons résultats si les personnes qui sont censées les appliquer les connaissent mal ou ne sont pas convaincues de leur intérêt. Il en est spécialement ainsi lorsque les nouvelles méthodes, comme les investigations financières ou les méthodes proactives, nécessitent des qualifications supplémentaires, par exemple en comptabilité ou en contrôle de gestion, qu'il faut nécessairement mettre à la portée de tous les agents des organes répressifs dès leur formation initiale. Le Principe 28 invite donc les gouvernements à procurer à tous ces organes et, le cas échéant, au personnel des organes judiciaires ou de poursuites, une formation théorique et pratique aux nouvelles méthodes d'enquête. Selon la nature de la méthode, il faudra d'abord dispenser une formation initiale, puis offrir une formation permanente (afin de tenir compte, par exemple, de l'évolution des techniques d'interception).

 

 



[1]        Union européenne – Programme d'action relatif à la criminalité organisée, adopté par le Conseil, le 28 avril 1997, 97/C 251/01.

[2]        Voir le document Conf/4 (99) 8, Conclusions, point IV/7.

[3]        Voir Enfopol 161/1994, annexe C.

 

[4]        «Le crime organisé est la violation planifiée de la loi à des fins lucratives ou pour obtenir du pouvoir, les délits étant, individuellement ou ensemble, d'une gravité majeure et exécutés par plus de deux participants qui coopèrent en se répartissant les tâches durant une période de longue durée ou de durée indéterminée, en employant les moyens suivants:

             a. des structures commerciales ou quasi commerciales;

             b. la violence ou d'autres moyens d'intimidation;

             c. l'influence sur la politique, les médias, l'administration publique, la justice et l'économie légitime.»

[5]           Article 2(a) de la Convention des Nations Unies.

[6]        Voir 98/733/JAI Action commune du 21 décembre 1998, adoptée par le Conseil sur la base de l'article K.3 du Traité sur l'Union européenne, relative à l'incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les Etats membres de l'Union européenne – Journal officiel L 351, 29 décembre 1998, pages 1 à 3.

[7]           Article 2 (b) de la Convention des Nations Unies.

[8]           Comité restreint d'experts sur l'évaluation des mesures contre le blanchiment des capitaux (PC-R-EV).

[9]           Voir les rapports annuels du Comité PC-R-EV pour les années 1997-1998 et 1998-1999.

[10]          Voir la note de bas de page n° 4.

*              Lorsque ce projet de Recommandation a été approuvé par le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) lors de sa 50e session plénière (juin 2001), la seconde directive européenne n'a pas encore été adoptée de manière définitive. En attendant son adoption finale, le texte de ces paragraphes sera sous réserve des  changements qui pourraient intervenir dans le champ d'application et des dispositions de la directive.

[11]      Voir, par exemple, Hans de Doelder, Legal Fraud Trends, conférence donnée à l'université de Trente, le 22 octobre 1998.

[12]      Voir Commission européenne, Protection des intérêts financiers des Communautés, La lutte contre la fraude, rapports annuels 1996 à 1999.

[13]      Voir le document GMC (96) 95.

[14       Voir la Recommandation n° R (97) 13 sur l'intimidation des témoins et les droits de la défense, adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, le 10 septembre 1997.

[15]    Voir le document PC-CO (1999) 7.

[1   Article 416: «Si trois personnes ou davantage s'associent aux fins de commettre plus d'un crime, quiconque encourage, constitue ou organise l'association sera puni, pour ce seul fait, d'une peine d'emprisonnement d'une durée de trois à sept ans. La peine pour le seul fait de participer à l'association sera l'emprisonnement d'une durée d'un à cinq ans. Les dirigeants seront punis de la même peine que celle prévue pour quiconque encourage une telle association. Si les personnes associées prennent le contrôle du territoire ou de la voie publique par la force des armes, elles seront punies d'une peine d'emprisonnement de cinq à quinze ans. La peine sera aggravée si le nombre des personnes qui s'associent est égal ou supérieur à dix.»

[17]       Article 416 bis: «Les personnes qui appartiennent à une association de type mafieux de trois personnes ou davantage encourent une peine d'emprisonnement de trois à six ans. Une association de type mafieux est une association dont les membres utilisent le pouvoir d'intimidation tiré des liens d'appartenance et l'atmosphère de coercition et de conspiration du silence (omertà) qui en résultent pour commettre des infractions, pour acquérir le contrôle direct ou indirect d'activités économiques, se procurer des permis ou des autorisations, obtenir des marchés publics de biens et services ou recueillir des bénéfices ou des avantages injustifiés pour eux-mêmes ou pour autrui, ou pour prévenir ou empêcher le libre exercice du droit de vote, ou pour obtenir des votes pour eux-mêmes ou pour autrui dans une élection... Les dispositions du présent article sont applicables également à la Camorra et à toute autre organisation, quel que soit son nom, qui fait usage du pouvoir d'intimidation créé par les liens d'appartenance pour poursuivre des buts qui sont caractéristiques des organisations de type mafieux.»

[18]      Voir l'arrêt rendu le 5 octobre 1994 par les chambres réunies dans l'affaire Demitri.

[19]     Voir 98/733/JAI Action commune du 21 décembre 1998 adoptée par le Conseil sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relative à l'incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les Etats membres de l'Union européenne, Journal officiel L 351, 29 décembre 1998, pages 1 à 3.

[20       L'article 6 de la Convention définit, en principe, une infraction de blanchiment des capitaux en rapport avec «toute infraction» mais les Parties à la convention peuvent émettre des réserves pour limiter la portée de l'infraction aux produits de certaines infractions spécifiques. Les quarante recommandations du GAFI, révisées en 1996, demandent aux pays d'étendre l'infraction de blanchiment des capitaux issus du trafic de stupéfiants pour en faire une infraction en rapport avec les infractions graves (Recommandation 4), tandis que l'Action commune de l'Union européenne en date du 3 décembre 1998 (98/699/JAI) concernant l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime demande aux Etats membres de lever les réserves faites à l'article 6 de la Convention de 1990 relative au blanchiment, de telle sorte que les infractions de blanchiment prévues par leur législation couvrent au moins les produits de toutes les infractions graves, c'est-à-dire de celles qui sont punies d'une peine d'emprisonnement d'au moins un an.

[21]     Voir les observations faites au sujet du Principe 3.

[22]    Voir Recovering the Proceeds of Crime, a PIU Report, Cabinet Office, Royaume-Uni, juin 2000, page 10.

[2          Voir le document PC-CO (98) 26 rév.: rapport sur la situation du crime organisé dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, 1996, page 20.

[24]     Voir le document PC-CO (1999) 7, page 31.

[25]     Voir la Résolution (77) 28 sur la contribution du droit pénal à la protection de l'environnement et le rapport du Comité européen pour les problèmes criminels, Conseil de l'Europe 1978.

[26]      Voir la Convention sur la protection de l'environnement par le droit pénal [STE nº 172], article 9.

[27]      Voir la Convention pénale sur la corruption [STE nº 173], article 18.

[28]     Voir le 2e Protocole à la Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, Acte du Conseil en date du 19 juin 1997, JO n° C 221/02, article 4.

[29         Voir la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, signée à Paris, le 17 décembre 1997, article 2.

[30]      Trends of cross-border organised crime in the European Union, communication présentée au séminaire Eucos (8-9 novembre 1999), page 11.

[31]      Commission européenne, Protection des intérêts financiers des Communautés, Lutte contre la fraude, rapports annuels 1996-1999.

[32]      Michael Levi et Lisa Osofsky: Investigating, seizing and confiscating the proceeds of crime, Home Office Police Research Group, Crime Detection and Prevention Series, Paper 61, Londres 1995, pages 14-15.

[33]      Voir Petrus C. van Duyne, Michael Levi – Criminal Financial Investigation, A strategic and tactical approach in the European dimension, document PC-CO (97) 15, pages 2 et 3.

[34]          Op. cit., page 3 (cf. note de bas de page n° 35).

[35]          Voir note 24, op. cit., pages 18 à 20.

[36]          Voir 2e étude de bonne pratique – Renversement de la charge de la preuve dans les procédures de confiscation du produit du crime, document PC-S-CO (2000) 8.

[37]          Voir note 22, op. cit.

[38]          Voir note 37, op. cit.

[39]          Voir Recommandation n° R (97) 13 relative à l'intimidation des témoins et aux droits de la défense, page 13.

[40]          Première étude de bonne pratique, rapport sur la protection des témoins, Conseil de l'Europe, 1999.

[41]          Voir Etude de meilleure pratique n°3 – Rapport sur l'interception des communications et la surveillance intrusive – Conseil de l'Europe, 2000

[42]          Pour une analyse détaillée des différents moyens utilisés dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, voir le rapport sur la situation du crime organisé dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, 1997, pages 41-45