DÉLÉGUÉS DES MINISTRES

Notes sur l'ordre du jour

CM/Notes/1362/H46-35

5 décembre 2019

1362e réunion, 3-5 décembre 2019 (DH)

Droits de l'homme

 

H46-35 Groupe Oleksandr Volkov c. Ukraine (Requête n° 21722/11)

Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne

Documents de référence

DH-DD(2019)714, DH-DD(2019)875, DH-DD(2019)1331, H/Exec(2017)1, CM/Del/Dec(2019)1355/H46-27

 

Requête

Affaire

Arrêt du

Définitif le

Critère de classification

21722/11

OLEKSANDR VOLKOV

09/01/2013

06/02/2018

27/05/2013

06/05/2018

Problème complexe

5114/09+

KULYKOV ET AUTRES

19/01/2017

19/04/2017

48553/99

SOVTRANSAVTO HOLDING

25/07/2002

02/10/2003

06/11/2002

24/03/2004

76639/11

DENISOV

25/09/2018

Grande Chambre

Description des affaires

Ce groupe d'affaires concerne un certain nombre de questions liées à l'indépendance et à l'impartialité du pouvoir judiciaire. L'affaire Oleksandr Volkov concerne quatre violations du droit du requérant à un procès équitable en raison de sa révocation illégale de son poste de juge à la Cour suprême d'Ukraine en juin 2010 (article 6 § 1) :

-       Procédure de révocation non indépendante et non impartiale, et absence de contrôle judiciaire effectif ;

-       Absence de délai de prescription applicable aux procédures à l'encontre du requérant ;

-       Différentes irrégularités entachant la procédure de vote au Parlement concernant la révocation du requérant (absence de la majorité des parlementaires alors que ceux présents ont délibérément et illégalement exprimé les suffrages de leurs collègues absents) ;

-       Irrégularités dans l’établissement et la composition de la chambre spéciale de la Cour administrative supérieure ayant traité l'affaire du requérant.

 La révocation a également été considérée comme une violation du droit au respect de la vie privée du requérant (article 8) car l'ingérence n'était pas compatible avec la législation nationale, celle-ci ne satisfaisant pas aux exigences de prévisibilité et ne fournissant pas de protection appropriée contre l'arbitraire.

Considérant les circonstances spéciales identifiées dans l'arrêt, la Cour a donné des indications spécifiques au titre de l'article 46 pour son exécution tant en ce qui concerne les mesures individuelles que générales.

Concernant les mesures individuelles, la Cour a estimé que « l’État défendeur doit assurer la réintégration du requérant à son poste de juge de la Cour suprême dans les plus brefs délais » (§§ 207-208).

 

Concernant les mesures générales, la Cour a noté que « la présente affaire fait apparaître de graves problèmes systémiques dans le fonctionnement du système judiciaire ukrainien » (§ 199). La Cour a indiqué que l’Ukraine devait mettre en place d’urgence des réformes générales de son système juridique, notamment en adoptant un certain nombre de mesures générales visant à réformer le système de discipline judiciaire. Ces mesures devraient comprendre une réforme législative restructurant la base institutionnelle du système, ainsi que la mise en place de formes et de principes appropriés d’application cohérente du droit interne dans ce domaine (§§ 200 et 202).


Dans l’affaire Kulykov et autres, la Cour a constaté la violation de l’article 6 § 1 et de l’article 8 de la Convention, similaire à ses conclusions dans l’affaire Oleksandr Volkov. En particulier, la Cour a considéré que les organes internes, saisis des affaires des requérants, avaient manqué d’impartialité et d’indépendance, et que le recours judiciaire ultérieur n’avait pas remédié à ces manquements. De plus, la Cour a constaté que la révocation des requérants, de leur fonction de juges, était illégale en ce que la disposition légale sur laquelle elle est basée, ne répondait pas aux exigences de « qualité de la loi » requise, i.e. de sécurité juridique. L’affaire Denisov concerne la révocation d’un juge de sa position de président de la cour d’appel, en violation des principes d’indépendance et d’impartialité établi à l’article 6 § 1, et en l’absence de contrôle approprié et suffisant à cet égard.

Etat d’exécution

En réponse à la décision adoptée par le Comité à sa 1355e réunion (septembre 2019) (DH), les autorités ont présenté un plan d'action actualisé le 13 novembre 2019 (DH-DD(2019)1331), dont un résumé est présenté ci-dessous.

Les autorités ont déclaré que l'objectif de la réforme judiciaire en cours était de résoudre les questions en suspens, et de garantir l'accès à la justice et le droit à un procès équitable. Par conséquent, la réforme exigeait une réorganisation des organes de discipline judiciaire et de carrières, une réduction du nombre de juges à la Cour suprême, avec une réduction de l’étendue des pourvois en cassation formés devant la Cour suprême, pour diminuer sa charge de travail et avec la redéfinition de du modèle de la Cour suprême par rapport à la nature d’examen des pourvois en cassation. En outre, les changements mis en oeuvre visent à assurer une rémunération égale à tous les juges, quel que soit leur statut, et s'inscrivent dans le cadre des mesures prises par les autorités pour assurer une mise en œuvre égalitaire des politiques sociales et économiques.

En ce qui concerne la réorganisation des organes de discipline judiciaire et de carrières, les autorités ont, par des modifications législatives, clarifié les pouvoirs des organes de gouvernance judiciaire, y compris les principes de fonctionnement du Conseil supérieur de la justice (le "CSJ"). Elles ont décidé de modifier la procédure de nomination des membres de la Commission supérieure des qualifications des juges, ainsi que d'améliorer la procédure d'examen des plaintes disciplinaires. La loi n°193-IX[1]  a également clarifié les pouvoirs du Conseil de l'intégrité publique, dont la fonction principale est de recueillir, vérifier, analyser et rendre publiques les informations relatives aux juges et aux candidats à la fonction de juge. Les amendements introduisent également des modifications aux procédures disciplinaires dans le but de les accélérer et de les rendre plus transparentes. Désormais, la durée de la procédure disciplinaire ne peut dépasser soixante jours à compter de la date de réception de la plainte disciplinaire. Le nouvel article 51 de la loi ukrainienne sur le CSJ prévoit que le CSJ examine les recours contre la décision de la Chambre disciplinaire au plus tard trente jours après leur réception.

En ce qui concerne la réduction du nombre de juges de la Cour suprême, les autorités ont noté que la raison principale de cette réduction était liée à la nécessité de mettre en place les meilleurs modèles pour la mise en place des cours de cassation. Elles se sont en outre référées aux amendements en cours aux codes de procédure envisagés par le projet de loi n° 2314, qui clarifient les compétences et l'étendue de la compétence des cours de cassation. Les autorités ont indiqué que la procédure actuelle d'admission des pourvois en cassation devant la Cour suprême ne contribuait pas à ce que celle-ci s'acquitte de sa tâche principale, à savoir assurer la cohérence et l'unité de la pratique judiciaire et, partant, respecter le principe de la sécurité juridique en tant qu'élément de l'Etat de droit. Ainsi, parallèlement à la réduction du nombre des juges de la Cour suprême, les autorités ont envisagé des mesures visant à réduire le nombre d'affaires et la charge de travail de la Cour suprême en tant que juridiction de cassation.

Les autorités ukrainiennes ont déjà entrepris d'importantes réformes législatives et institutionnelles dans les systèmes de discipline judiciaire et de carrières des juges pour répondre aux violations constatées par la Cour.

Le Comité a noté avec satisfaction ces réformes, qui comprenaient des modifications de la Constitution et l'adoption de deux lois importantes concernant le fonctionnement du pouvoir judiciaire (voir H/Exec(2017)1, DH-DD(2018)275 et DH-DD(2018)437 pour plus de détails) ainsi que d'autres changements pratiques et institutionnels.


En juin 2018 et septembre 2019, le Comité a évalué positivement l'exclusion du Parlement du processus décisionnel concernant la discipline judiciaire, les limitations du rôle de l'exécutif dans ce contexte et le rôle purement cérémoniel du Président. Il a noté en outre l'introduction d'un nouveau régime disciplinaire global pour traiter des cas de faute professionnelle des juges. Les règlements et les sanctions à cet égard ont été jugés suffisamment prévisibles, dans le respect des principes de sécurité juridique et de proportionnalité. Il s'agissait là de mesures positives visant à combler les lacunes systémiques en matière d'indépendance judiciaire qui avaient été relevées dans l’arrêt. En outre, le Comité a noté avec satisfaction les progrès réalisés dans le développement de la pratique en matière de discipline judiciaire et des carrières. Elle s'est félicitée du fait que le Conseil supérieur de la justice, ses chambres disciplinaires et la nouvelle Cour suprême étaient devenus pleinement opérationnels et qu'ils étaient en train d'élaborer une pratique cohérente et conforme à la Convention en ce qui concerne l'application des sanctions disciplinaires aux juges. Le Comité a invité les autorités à fournir des informations sur les mesures d'application en suspens, concluant que des mesures législatives systémiques et globales dans les domaines de la discipline et des carrières judiciaires avaient déjà été prises.

En outre, à sa réunion de septembre 2019, le Comité a pris note de l'adoption en première lecture du projet de loi qui était à l’époque le projet n° 1008, visant en particulier à introduire de nouveaux changements dans le système de discipline judiciaire et des carrières. Il a souligné que les amendements législatifs proposés devaient être conformes à la Convention et à la jurisprudence de la Cour, aux principes de l'indépendance du pouvoir judiciaire tels qu'énoncés dans l'arrêt Oleksandr Volkovet aux recommandations pertinentes du Conseil de l'Europe. Le Comité a rappelé que les progrès réalisés jusqu'à présent ont été positivement reconnus par le Conseil de l'Europe dans son évaluation de la réforme judiciaire 2014-2018 en Ukraine.

Le 16 octobre 2019, la Verkhovna Rada a adopté le projet de loi n°1008, nonobstant les avis consultatifs du CSJ et les avis du Conseil des juges et de la Cour suprême plénière, cette dernière a par la suite demandé au Président de l'Ukraine de mettre son veto à la loi adoptée. Tous ces avis faisaient référence à des menaces importantes que la loi faisait peser sur l'indépendance judiciaire.  

Le 6 novembre 2019, le Président a signé la loi adoptée, qui est entrée en vigueur le jour suivant sous la dénomination loi n° 193-IX. La loi prévoit une réduction de la composition actuelle de la Cour suprême afin qu'elle ne dépasse pas 100 juges. Selon les procédures proposées, la nouvelle Commission supérieure des qualifications des juges (CCQH), composée de 12 membres, sélectionnerait 100 des juges actuels de la Cour suprême, dans un délai de deux mois, sur la base d'une notation qui consisterait à évaluer le professionnalisme, l'intégrité et la déontologie des juges actuels de la Cour suprême. Les juges non sélectionnés seraient transférés aux cours d'appel. Les rémunérations des juges ont également été considérablement réduites.[2]

La loi n°193-IX prévoit un certain nombre d'autres mesures institutionnelles qui relèvent des mesures générales pour l’exécution de l'arrêt dans le groupe d'affaires Oleksandr Volkov :

·         Changements du rôle et de la composition du CCQH [3];

·         Révision des pouvoirs du CSJ ;[4]

·         Mise en place du nouvel organe impliqué dans les carrières judiciaires - la Commission d'éthique et d'intégrité - chargé de superviser les membres du CCQH/CSJ et d'agir en tant qu'organe disciplinaire ;[5]

·         Révision des règles de procédure pour le dépôt de plaintes disciplinaires contre les juges[6].

La Commission de Venise évalue actuellement ces amendements à la demande de la Commission de suivi de l'APCE. Cet exercice comprend une mission en Ukraine du 11 au 15 novembre 2019.


Analyse du Secrétariat

Selon la jurisprudence bien établie de la Cour européenne, rappelée dans l'arrêt Oleksandr Volkov, un tribunal peut être considéré comme "indépendant" au sens de l'article 6 § 1 si, notamment, la procédure de nomination de ses membres et leur mandat, ainsi que les autres garanties d'indépendance judiciaire, notamment une séparation claire - structurelle et pratique - entre les pouvoirs politiques et le pouvoir judiciaire, garantissent une protection contre les pressions extérieures. À cet égard, la Cour a critiqué l'implication du législateur dans l’évaluation de la responsabilité disciplinaire de M. Volkov. Elle a déclaré que l'implication du Parlement avait contribué à la politisation de la procédure, en violation du principe de séparation des pouvoirs. Elle a conclu que le système de discipline judiciaire en Ukraine n'assurait pas une séparation suffisante entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs de l'État et n'offrait pas de garanties appropriées contre tout abus ou mauvais usage des mesures disciplinaires, au détriment de l'indépendance judiciaire.[7]

La réforme du système judiciaire entreprise en 2014-2018 a été axée sur la restructuration de l'architecture institutionnelle relative à la responsabilité disciplinaire et à la carrière des juges. L'objectif de la réforme était de rétablir la confiance de la société à l’égard du pouvoir judiciaire et, plus largement, de renforcer l'indépendance judiciaire. Cet objectif devait être atteint en modifiant le système et les principes de fonctionnement des organes compétents en matière de discipline judiciaire et des carrières des juges et en renforçant les garanties d'indépendance judiciaire vis-à-vis des autres branches du pouvoir. Des progrès majeurs ont été réalisés, que le Comité a estimé être susceptibles de prévenir des violations similaires de la Convention à l'avenir. [8] Ces progrès ont également été positivement reconnus par le Conseil de l'Europe.[9]

Comme indiqué plus haut, les garanties suivantes ont été introduites dans le cadre des réformes judiciaires entreprises entre 2014 et 2018 :

·         retrait de la participation des organes politiques, y compris le Président et la Verkhovna Rada, au processus de nomination et de révocation des juges ;

·         renforcer les garanties constitutionnelles d'inamovibilité des juges et leur inamovibilité dans la pratique ; et

·         redéfinir, de manière légale et prévisible, les procédures et les critères applicables à la responsabilité disciplinaire et aux autres types de responsabilité des juges, en garantissant la sécurité juridique et en clarifiant les délais de prescription applicables.

Il est suggéré que le Comité concentre son examen, au cours de cette réunion, sur les effets de la loi n° 193-IX dans ces trois domaines spécifiques, ainsi que sur d'autres changements institutionnels. Les éventuels impacts de cette réforme sur l’efficacité de la justice en Ukraine seront examinés dans le contexte des groupes Merit /Svetlana Naumenko (aussi examiné à cette réunion), qui concernent le problème systémique de la durée excessive des procédures judiciaires.

1.     Mesures visant à assurer la séparation des pouvoirs en vue de l'indépendance structurelle du pouvoir judiciaire

Il est rappelé qu’à sa réunion de juin 2018, le Comité s'est félicité de l'exclusion du Parlement du processus décisionnel et des limites imposées au rôle du Président et de l'exécutif en matière de discipline judiciaire et de carrières des juges. En particulier, dans le cadre des nouvelles dispositions, tant le Parlement que le Président, sur la base des principes de l'État de droit et de la séparation des pouvoirs, ont perdu le pouvoir de remettre directement en cause les nominations judiciaires ou la durée du mandat des juges nommés.[10]

Les amendements constitutionnels de 2016 ont étendu les pouvoirs du CSJ, dont la majorité des membres sont désormais des juges, et lui ont confié la protection de l'indépendance des juges, la gestion du pouvoir judiciaire, la discipline et la carrière des juges en fonction, ainsi que la nomination de nouveaux juges candidats.

Le nouveau cadre institutionnel prévoyait que les juges ne pouvaient être poursuivis individuellement pour violation des règles disciplinaires, contrairement à la notion vaguement interprétée et appliquée arbitrairement de « violation du serment judiciaire », et seulement dans des délais précis. La responsabilité disciplinaire ne peut désormais être établie que pour des motifs pertinents et conformément à la procédure prévue par l'article 126 de la Constitution et l'article 106 de la loi sur le statut des juges.


En outre, en vertu des nouvelles dispositions constitutionnelles (article 125 de la Constitution), le CSJ est habilité à superviser les amendements législatifs proposés par le Président concernant l'établissement, la réorganisation ou la fermeture des tribunaux. Dans le cadre de cette procédure, ces pouvoirs sont exercés par le CSJ par le biais d'avis consultatifs, sans lesquels ces propositions ne peuvent être examinées par le Parlement. Ces pouvoirs avaient pour objet d'éviter toute ingérence injustifiée dans l'indépendance structurelle du pouvoir judiciaire, en assurant une séparation suffisante entre le pouvoir judiciaire et les autres branches du pouvoir de l'État, comme le prévoit l'arrêt Oleksandr Volkov.  

Il est évident que la question de savoir quand et à quelle fréquence la législation doit être modifiée relève de la responsabilité du législateur. Néanmoins, il est préoccupant de constater que la loi n° 193-IX a été adoptée sans consultation préalable du CSJ ni évaluation approfondie de ses implications pour l'indépendance judiciaire. En outre, la modification considérable de la composition de la Cour suprême qui se trouve au sommet du système judiciaire et est chargée de consolider et d'unifier la pratique judiciaire en Ukraine, pourrait avoir des effets négatifs et durables sur l'indépendance du pouvoir judiciaire dans son ensemble.

Il est donc proposé que le Comité invite les autorités à fournir des informations sur les mesures adoptées ou prévues en vue d'assurer que toute nouvelle mesure législative, pratique ou institutionnelle liée à la réforme judiciaire ou affectant le fonctionnement et l'organisation du pouvoir judiciaire, s'accompagne de garanties suffisantes et effectives, qui devraient être compatibles avec la nécessité de garantir l'indépendance structurelle du pouvoir judiciaire vis-à-vis des autres branches.

2.     L'inamovibilité des juges et les critères de sélection des juges de la nouvelle Cour suprême

Le principe de l'inamovibilité des juges est consacré à la fois par la Constitution (article 126) et par la législation, notamment l'article 53 de la loi sur le pouvoir judiciaire et le statut des juges. Une telle approche est conforme à la nature de la fonction judiciaire. Il peut être rappeler ici que le principe de l'inamovibilité des juges, ainsi que confirmé par la jurisprudence de la Cour et également par les instruments internationaux et les instruments pertinents du Conseil de l'Europe, est un élément essentiel de l'indépendance judiciaire.[11]

Le principe de l'inamovibilité signifie que, dans un système où les juges sont nommés à vie, leur mandat doit être garanti jusqu'à l'âge de la retraite obligatoire et qu'un juge en exercice ne devrait pas, en principe, être nommé à un autre poste judiciaire ou affecté ailleurs sans son consentement. Une exception à ce principe n'est permise que dans le cas où un tel transfert est prévu et décidé à titre de sanction disciplinaire, dans le cas d'un changement légal du système judiciaire, et dans le cas d'une affectation temporaire pour renforcer un tribunal voisin, la durée maximale de cette affectation étant strictement limitée par la loi[12].

Lorsque des exceptions à l'inamovibilité sont autorisées, il est essentiel de veiller à ce que les exigences de l'indépendance externe et interne du pouvoir judiciaire soient respectées en ce qui concerne les procédures et méthodes appliquées. En l'espèce, en vertu des amendements introduits par la loi n° 193-IX, il est envisagé de transférer un grand nombre de juges de la Cour suprême aux cours d'appel, éventuellement sans leur consentement. Cela impliquera une évaluation des compétences, de l’éthique professionnelle et de l’intégrité de tous les membres de la Cour suprême, nonobstant leur nomination à vie et indépendamment de l’existence de motifs d’engager une procédure disciplinaire contre eux.

Par souci d’indépendance du judiciaire, un tel processus doit être mené avec grand soin, basé strictement sur des critères pertinents, précis et prévisibles et entouré de garanties procédurales effectives Dans ce contexte, les critères d' « intégrité » et d' « éthique », qui paraissent être pris dans une approche très large dans ce contexte, sont difficilement conciliables avec les principes de sécurité juridique et de prévisibilité. Le Comité pourrait par conséquent préciser clairement que toute évaluation individuelle d'un juge doit pleinement respecter son 'indépendance judiciaire. Dans une situation donnée, lorsqu'une évaluation individuelle peut avoir une incidence sur la carrière d'un juge – révocation, rétrogradation - cela peut être une source de pression sur le juge pour qu'il tranche les affaires d'une certaine manière.

Ainsi, il semble que, comme dans l'affaire Volkov, presque toute faute ou lacune d'un juge de la Cour suprême, survenant à n'importe quel moment de sa carrière, pourrait être interprétée par un organe de sélection comme une base factuelle suffisante pour une évaluation négative du juge[13]. Il apparaît donc que ces derniers changements législatifs représentent un recul en matière d’exécution des arrêts de la Cour.


3.     Modifications de la structure institutionnelle et des procédures des organes de discipline judiciaire

En ce qui concerne les changements apportés à la structure institutionnelle et aux procédures des organes chargés de la discipline judiciaire, la loi n°193-IX, tout en prévoyant le rétablissement du CCQH et l’introduction d’une Commission d’éthique et d’intégrité, a supprimé l'exigence que la majorité des membres soient des juges, choisis par les juges. En outre, il reste à clarifier la question de savoir si sur les six membres de la Commission d’éthique et d'intégrité la majorité sera constituée également de juges sélectionnés[14]. En outre, les modifications apportées aux procédures disciplinaires prévues par la loi n°193-IX risquent de porter atteinte au droit du juge, en vertu de l’article 6 de la Convention, à une procédure disciplinaire équitable. Ces modifications comprennent l'introduction de procédures d'examen de plaintes anonymes, l'examen des affaires et l’adoption de décisions, en règle générale, lors de l’audience publique et sans délibérations judiciaires in camera, la limitation des audiences non publiques du CSJ, des mesures visant à rationaliser les procédures disciplinaires et l'introduction d'un délai pour le réexamen des affaires disciplinaires. La mise en œuvre de ces mesures pourrait s'avérer problématique et soulever un certain nombre de questions de compatibilité avec la Convention et la jurisprudence de la Cour en matière de discipline judiciaire et de carrière des juges. En outre, le rôle, les pouvoirs et les limites de la participation à ce processus du Conseil de l'intégrité publique restent encore flous.

De même, il est proposé de demander aux autorités un complément d'information sur la réduction de la rémunération des juges, notamment les salaires des juges à la Cour suprême. Les autorités devraient expliquer le lien entre les facteurs sociaux ou économiques auxquels elles font référence dans leur plan d’action, et la réduction des salaires des juges. Il pourrait être rappelé que le montant et la stabilité des salaires judiciaires et les aspects du financement suffisant et maintien du judiciaire sont des garanties importantes pour l’indépendance judiciaire. De plus, il est suggéré que les autorités informent le Comité des garanties juridiques existantes en droit interne contre les réductions de rémunérations non justifiées, visant en particulier les juges[15].

Enfin, il est proposé de demander aux autorités ukrainiennes de fournir davantage d'informations sur les mesures pratiques qu'elles ont l'intention de prendre afin d'aligner ces modifications législatives, en pratique, sur les exigences de la Convention.

Financement assuré : OUI



[1] Le projet de loi n°1008 noté par le Comité dans son examen de cette affaire à la 1355è réunion (DH) est devenu la Loi n°193-IX pour son adoption.

[2] Les salaires ont été ramenés de 75 indemnités minimales de subsistance prévues par la loi à 55, soit une réduction de près de 25 %.

[3] Les membres du CCQH ont été réduits de 16 à 12 avec des modifications du processus de sélection de ses membres.

[4] Notamment, approbation du règlement intérieur du CCQH par le HCJ ; révocation des membres du CCQH / HCJ par le HCJ.

[5] Le droit d'intenter des procédures disciplinaires pour les membres du CCQH/HCJ et par la commission d’éthique et d'intégrité.

[6] Suppression des filtres procéduraux pour les plaintes manifestement mal+ fondées et, dans le même temps, fixation de délais de procédure pour l'examen des plaintes ; suppression de l'examen clos des affaires disciplinaires par le HCJ en règle générale, avec des exceptions.

[7] Oleksandr Volkov, §§ 103, 118 et 199.

[8] H46-28 Groupe Salov (no 65518/01), groupe Oleksandr Volkov (no 21722/11), CMDH, 1318e réunion, 5-7 juin 2018 (DH), CM/Notes/1318/H46-28, 7 juin 2018.

[9] Évaluation de la réforme judiciaire en Ukraine et de sa conformité aux normes et recommandations du Conseil de l'Europe. Résumé consolidé, avril 2019(https://rm.coe.int/assessment-consolidated-eng/168094dfe8).

[10] En raison de modifications constitutionnelles, les juges ne sont plus nommés pour une période de probation de cinq ans, mais à vie, avec un simple pouvoir cérémonial d'approbation formelle de la sélection par le Président.

[11] Baka c. Hongrie, §172.

[12] Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités, adoptée le 17 novembre 2010.

[13] Voir Oleksandr Volkov, § 185.

[14] La Commission d’éthique et d'intégrité devrait être composée de trois membres du CSJ et de trois personnes choisies parmi des experts internationaux, proposées par des organisations internationales et étrangères avec lesquelles l'Ukraine coopère dans le domaine de la lutte contre la corruption et de la prévention de la corruption, au Conseil d'experts internationaux, créé par la loi sur le tribunal supérieur anticorruption.

[15] Voir le mémorandum explicatif à la Recommandation CM/Rec (2010)12, cité en note de bas de page 13 ci-dessus, au paragraphe 54, https://rm.coe.int/16807096c1