DÉLÉGUÉS DES MINISTRES |
Notes sur l'ordre du jour |
CM/Notes/1362/H46-30 |
5 décembre 2019 |
1362e réunion, 3-5 décembre 2019 (DH) Droits de l'homme
H46-30 Chypre c. Turquie (Requête n° 25781/94) Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne Documents de référence DH-DD(2019)1310, DH-DD(2019)260; CM/Del/Dec(2019)1340/H46-23 |
Requête |
Affaire |
Arrêt du |
Définitif le |
Critère de classification |
CHYPRE c. TURQUIE |
10/05/2001 12/05/2014 |
Grande Chambre |
Affaire interétatique |
Description de l’affaire
Cette affaire concerne quatorze violations en relation avec la situation dans la partie nord de Chypre depuis l'intervention militaire de la Turquie en juillet et août 1974 portant sur :
- les Chypriotes grecs portés disparus et leurs familles (violation des articles 2, 3 et 5)
- le domicile et les biens immobiliers des Chypriotes grecs déplacés (violation des articles 8 et 13 et de l’article 1 du Protocole n° 1)
- les conditions de vie des Chypriotes grecs dans la région du Karpas, dans la partie nord de Chypre (violation des articles 3, 8, 9, 10 et 13 et des articles 1 et 2 du Protocole n° 1)
- les droits des Chypriotes turcs résidant dans la partie nord de Chypre (violation de l'article 6).
Conformément à la décision du Comité de mars 2019 (réunion DH), le présent examen est axé sur les violations concernant les personnes disparues et leurs proches, à savoir :
- le fait que les autorités turques n'ont pas mené d'enquête efficace sur le sort des Chypriotes grecs portés disparus, qui ont disparu dans des circonstances mettant leur vie en danger ou dont on pouvait soutenir qu'elles étaient détenues par la Turquie au moment de leur disparition (violations continues des articles 2 et 5) ; et
- le silence des autorités turques face aux préoccupations réelles des proches qui a été qualifié de traitement inhumain (violation continue de l'article 3).
Dans l'arrêt Chypre c. Turquie (satisfaction équitable), la Grande Chambre a décidé que la Turquie devait verser au Gouvernement chypriote 30 millions d'euros au titre du préjudice moral subi par les proches des personnes disparues et 60 millions d'euros au titre du préjudice moral (qui ne concerne pas les droits de propriété) subi par les résidents chypriotes grecs enclavés de la péninsule du Karpas. La Cour a indiqué que ces montants devraient être distribués par le Gouvernement chypriote aux victimes individuelles, sous la surveillance du Comité des Ministres, dans un délai de 18 mois à compter de la date du paiement ou dans tout autre délai jugé approprié par le Comité des Ministres.
État d’exécution
- Chypriotes grecs portés disparus et leurs familles
Le dernier examen du Comité de cette question a eu lieu en mars 2019. Le Comité rappelant les questions humanitaires importantes soulevées dans cette affaire en ce qui concerne la question des personnes disparues, entres autres, a réitéré, au vu du temps écoulé, qu’il est de plus en plus urgent que les autorités turques fournissent au Comité sur les personnes disparues à Chypre (CMP) toute l’assistance nécessaire afin qu’il puisse continuer à obtenir des résultats tangibles dans les plus brefs délais.
Il en a appelé aux autorités turques pour qu’elles s’assurent que le CMP dispose d’un accès sans entrave à toutes les zones d’intérêt, y compris les zones militaires, dans la partie nord de Chypre et pour fournir d’office au CMP toute information provenant des archives pertinentes, y compris des archives militaires, en leur possession sur les lieux d’inhumation et sur les sites où des dépouilles auraient pu être déplacées.
Le Comité a, en outre, réitéré son appel aux autorités turques afin qu’elles garantissent l’effectivité des enquêtes menées par l’unité des personnes disparues (MPU), ainsi que leur achèvement rapide. Le Comité a demandé aux autorités de continuer à lui transmettre des informations sur l’avancement des enquêtes et sur les conclusions des rapports finaux établis, en particulier dans les affaires concernant Savvas Apostolides et Andreas Varnava. Le Comité a réitéré sa demande aux autorités turques de fournir davantage d’informations sur les ressources supplémentaires mises à la disposition de la MPU.
Les autorités turques ont fourni des information en réponse à la décision du Comité, le 8 novembre 2019
(DH-DD(2019)1310).
S’agissant des personnes toujours portées disparues, les autorités turques font référence aux travaux du CMP. Elles indiquent qu’elles assistent le CMP dans la recherche des personnes disparues, en facilitant ses activités d’exhumation, en lui fournissant une aide financière et en lui soumettant toute nouvelle information pertinente au sujet d’éventuels lieux d’inhumation.
Selon les statistiques qu’il a publiées, au 31 octobre 2019, le CMP avait retrouvé les restes de 1 229 personnes portées disparues et avait identifié 961 personnes appartenant aux deux communautés (sur un total de 2 002 personnes portées disparues appartenant aux deux communautés). Parmi les personnes identifiées, 695 sont des Chypriotes grecs (sur les 1 510 Chypriotes grecs portés disparus).
Les personnes exhumées par an étaient 106 en 2016, 41 en 2017, 13 en 2018 et 26 en 2019. Le pourcentage des lieux d’inhumation excavés contenant des restes était de 17 % en 2016, 19 % en 2017 et 2018 et 20% en 2019 à ce jour.
En novembre 2015, les autorités turques ont donné accès au CMP aux 30 zones militaires dans le nord de Chypre dont on savait à l'époque qu'elles pouvaient contenir des lieux d’inhumation (le plan de travail de la CMP était de procéder à des exhumations dans dix zones par an à compter de 2016). En 2017, les autorités turques ont donné l’autorisation au CMP d’accéder à une onzième zone militaire en sus des dix zones auxquelles il a déjà eu accès cette année.
En juin 2019, les autorités turques ont donné au CMP accès à 30 sites supplémentaires situés en zones militaires dans la partie nord de Chypre, qui pourraient contenir des lieux d’inhumation. Selon le communiqué de presse du CMP, cette décision n’est pas assortie d'une contrainte de temps, et la planification des travaux d'excavation sera décidée par le CMP. Selon les informations communiquées par les autorités turques, au total 1 050 exhumations ont été effectuées par le CMP dans la partie nord de Chypre - 992 dans les zones civiles et 58 dans les zones militaires.
Selon les autorités turques, en 1997 elles ont fourni au CMP toutes les informations dont elles disposaient sur d’éventuels lieux d’inhumation. Un comité des archives a été mis en place en août 2016 dans la partie nord de Chypre ayant pour mandat de rechercher dans les archives pertinentes les informations demandées par le CMP sur les lieux d’inhumation et sur la localisation des dépouilles. Selon les informations transmises en mai 2018, le comité des archives continue de répondre aux demandes spécifiques du CMP et il a fourni au membre chypriote turc des photos aériennes de 1974 ainsi que des informations sur l’emplacement exact des zones militaires dans la partie nord de Chypre afin d’aider le CMP à planifier les fouilles au cours des années suivantes.
S’agissant des Chypriotes grecs dont les corps ont été identifiés par le CMP, la MPU a été mise en place en 2010 dans la partie nord de Chypre pour mener des enquêtes sur le décès de ces personnes. Selon les informations fournies en novembre 2019 (DH-DD(2019)1310), elle a entamé 685 enquêtes pénales sur la base des dossiers transmis par le CMP. Elle a finalisé 439 dossiers et les a transmis au Procureur général pour évaluation finale. Le Procureur général a finalisé son évaluation dans 306 de ces dossiers et a rendu un rapport à leur sujet.
Des précisions ont été soumises pour quatre de ces enquêtes, notamment concernant le contenu des rapports finaux et les conclusions qu’ils contiennent (deux de ces enquêtes concernent Savvas Hadjipantelli and Andreas Varnava, deux des personnes portées disparues dont traite l’arrêt Varnava). Le Procureur Général a conclu, au vu des résultats de l’enquête dans les quatre affaires, que les preuves disponibles n’étaient pas suffisantes pour engager des poursuites et que, dans l’attente de preuves complémentaires, les enquêtes devaient être considérées comme closes. Si de nouvelles informations sont découvertes et portées à l’attention de la police, elles seront transmises aux services du Procureur Général pour examen.
Dans ces quatre affaires, l’Unité des personnes disparues (MPU) a pris contact avec les familles des personnes portées disparues pour leur présenter les conclusions de l’enquête et les rapports finaux. Selon les autorités turques, la Cour a examiné des enquêtes similaires menées à Chypre et les a considérées comme conformes à la Convention (voir décision d’irrecevabilité Gürtekin et autres du 10 mars 2014).
Selon les informations fournies en novembre 2019, la MPU a été renforcée financièrement et a reçu 250 000 euros dans le budget de 2018 pour couvrir les salaires de 11 enquêteurs et autres membres du personnel travaillant à la MPU. Cela représente une augmentation de 35 000 euros par rapport au budget de 2017.
S’agissant des mesures de caractère individuel dans l’affaire Varnava c. Turquie, deux autres personnes portées disparue (en plus de Savvas Hadjipanteli, mentionnée ci-dessus) ont été identifiées par le CMP en 2014 et en 2017 (respectivement Andreas Varnava et Savvas Apostolides) et des enquêtes ont été engagées dans ces affaires. Selon les dernières informations soumises par les autorités turques le 30 mai 2018, l’enquête dans l’affaire Andreas Varnava touchait à sa fin et celle de l’affaire Savvas Apostolides était en cours (DH-DD(2018)551).
- Satisfaction équitable allouée dans l'arrêt du 12 mai 2014
Le Comité a pour pratique d'examiner la question de la satisfaction équitable accordée dans l'arrêt Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) à chacune de ses réunions lorsqu'il examine un aspect de l'arrêt sur le fond. Ainsi, dans chacune de ses décisions depuis juin 2015, le Comité a rappelé que l’obligation de payer la satisfaction équitable allouée par la Cour était inconditionnelle et il en a appelé aux autorités turques pour qu’elles versent les sommes allouées par la Cour.
Analyse du Secrétariat
- Chypriotes grecs disparus et leurs familles (y inclus l’enquête concernant l’affaire Varnava et autres)
Etant donné que la recherche des personnes disparues est confiée au CMP bicommunautaire opérant sous les auspices et avec la participation des Nations Unies, le Comité des Ministres a demandé aux autorités turques d'assister activement le CMP en lui assurant un accès sans entrave à toutes les zones pertinentes, y compris les zones militaires, situées dans la partie nord de Chypre et en lui transmettant proprio motu toute information des archives pertinentes, notamment les archives militaires, en sa possession sur les lieux d’inhumation et sur les sites où des dépouilles auraient pu être déplacées.
En ce qui concerne l'accès aux zones concernées, le Comité pourrait souhaiter noter avec intérêt sur l’accès donné au CMP par les autorités turques en juin 2019 à 30 sites supplémentaires pouvant contenir des dépouilles dans des zones militaires situées dans la partie nord de Chypre. Il apparaît que cette décision n’est assortie d’aucune contrainte de temps et que la planification des fouilles est laissée entièrement à la décision du CMP, ce qui est positif. Les autorités turques pourraient être encouragées à continuer de lui accorder accès à toutes les zones qui pourraient contenir des dépouilles de personnes disparues.
En ce qui concerne la transmission proprio motu d'informations au CMP, à l'exception de quelques photos aériennes de 1974 transmises au membre turc du CMP, il n’apparaît pas que des informations relatives à d'éventuels lieux d’inhumation ont été jusqu’à présent fournies des archives turques pertinentes, y compris les archives militaires, malgré les appels répétés du Comité en ce sens aux autorités turques.
L'accès à des informations correctes semble être un élément crucial pour déterminer le sort des personnes disparues à Chypre à l'heure actuelle, étant donné les difficultés rencontrées par le CMP pour localiser des lieux d’inhumation supplémentaires et la réduction significative de ses découvertes de restes humains ces dernières années.
Cette question est d'autant plus urgente étant donné les problèmes humanitaires qui se posent en ce qui concerne les personnes disparues et les difficultés croissantes causées par le passage du temps. Le Comité pourrait donc réitérer son appel aux autorités turques pour qu'elles fournissent d'urgence au CMP toutes les informations sur l'emplacement possible des restes humains dont elles disposent, y compris des archives militaires.
Dans ce contexte, le Comité pourrait envisager d'inviter les trois membres du CMP à un échange de vues sur les défis actuels et les raisons de la diminution du nombre de dépouilles découvertes et identifiées. Il convient de rappeler que le Comité a tenu un échange de vues avec les membres du CMP en mars 2009 et à nouveau en décembre 2013 et, comme indiqué dans la décision adoptée lors de cette dernière réunion, cet échange a apporté des éclaircissements importants sur différentes questions soulevées dans le cadre de l'exécution de cet arrêt (pour plus de détails, voir les actes sur ces échanges). Le nouvel échange de vues pourrait avoir lieu à la prochaine réunion à laquelle la question des personnes disparues sera examinée.
En ce qui concerne les personnes déjà identifiées par le CMP, le Comité pourrait souhaiter noter les informations communiquées par les autorités turques sur l'état d'avancement des enquêtes menées par l'Unité des personnes disparues (MPU) et sur les conclusions des rapports finaux dans les affaires finalisées à ce jour, y inclus celle sur l’affaire relative à Andreas Varnava (une des personnes disparues dans l'affaire Varnava). Le Comité pourrait également souhaiter prendre note des informations des informations sur les ressources supplémentaires mises à la disposition de la MPU et inviter les autorités turques à le tenir informé de l’avancement des enquêtes et en particulier de celle sur l’affaire relative à Savvas Apostolides (une autre personne disparue dont traite l’affaire Varnava).
- Paiement de la satisfaction équitable allouée dans l'arrêt du 12 mai 2014
À ce jour, aucune information n'a été communiquée sur le paiement de la satisfaction équitable allouée dans cette affaire, bien que dans chacune de ses décisions depuis juin 2015, le Comité ait rappelé que l'obligation de payer la satisfaction équitable accordée par la Cour est inconditionnelle et a demandé aux autorités turques de payer sans plus attendre les sommes allouées par la Cour.
Financement assuré : OUI |