DÉLÉGUÉS DES MINISTRES

Notes sur l'ordre du jour

CM/Notes/1362/H46-29

5 décembre 2019

1362e réunion, 3-5 décembre 2019 (DH)

Droits de l'homme

 

H46-29 Milanović c. Serbie (Requête n° 44614/07)

Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne

Documents de référence

DH-DD(2019)1104, DH-DD(2019)1229, DH-DD(2019)1332, CM/Del/Dec(2017)1280/H46-28

 

 

Requête

Affaire

Arrêt du

Définitif le

Critère de classification

44614/07

MILANOVIĆ

14/12/2010

20/06/2011

Problème complexe / structurel

Description de l’affaire

L’affaire concerne le manquement des autorités à leur obligation de protéger le requérant, un dirigeant de la communauté Hare Krishna en Serbie, contre plusieurs agressions susceptibles d’être motivées par la haine religieuse, la dernière ayant eu lieu en 2007, et le défaut d’enquête effective (violations du volet matériel et procédural de l’article 3 et de l’article 14 combiné avec l’article 3).

En particulier, la Cour européenne a constaté la durée excessive de l'enquête depuis le signalement des premières agressions en 2001 et l’absence de mesure adéquate prise pour identifier les auteurs des agressions, y compris l’absence de suite donnée à l’allégation de connexion avec une organisation d’extrême-droite (Srpski narodni pokret 1389) ou de mesure pour impliquer de manière adéquate le requérant ou l’informer de l’état d’avancement.   

Etat d’exécution

Le 13 octobre 2019, les autorités ont fourni un bilan d'action contenant les informations suivantes :

Mesures individuelles :

Il apparaît que les agressions n'ont pas eu d'effets néfastes à long terme sur la santé du requérant. En cas de séquelle, il a droit aux services de santé gratuits de l'État

Depuis le prononcé de l'arrêt de la Cour européenne, la police s'est efforcée de protéger le requérant, notamment en inspectant sa maison et les alentours pour prévenir des agressions similaires. Il n'y a pas eu d’agression contre le requérant depuis lors.

En réponse aux conclusions de la Cour européenne, toutes les mesures raisonnables ont été prises pour mener une enquête adéquate sur cette affaire, notamment en interrogeant plusieurs personnes, en enquêtant sur certains membres de groupes informels de droite ainsi que sur des personnes ayant commis des infractions similaires. Le requérant et son avocat ont été tenus au courant de tous les développements de l'enquête et, en vertu de la législation nationale, étaient habilités à faire des propositions concernant l'enquête en cours.

Dans sa dernière décision de mars 2017, le Comité des Ministres a invité instamment les autorités serbes à procéder à l'évaluation nécessaire des mesures d'enquête qui pourraient encore être prises dans cette affaire, conformément aux normes de la Convention et à la pratique du Comité des Ministres, et à fournir des informations sur leur évaluation.


En réponse, en 2017, le procureur de Jagodina a établi que le délai de prescription pour poursuivre l'infraction de lésions corporelles légères a expiré le 29 juin 2013, soit cinq ans après la dernière agression. Le requérant disposait d’un moyen effectif de contester cette décision devant le procureur supérieur mais il ne s’en est pas prévalu.

L'enquête pénale contre X pour incitation à la haine religieuse est toujours en cours au niveau national. Tout au long de l'enquête, plusieurs personnes, dont le requérant, ont été entendus. La Direction de la police et le parquet supérieur de Jagodina tiennent régulièrement des réunions conjointes afin d’identifier le suspect et de suivre toute activité des groupes d'extrême droite. Malgré les efforts déployés, aucun auteur n'a été identifié. Si de nouvelles pistes sont découvertes, l'enquête reprendra.

Mesures générales :

Mesures prises pour accroître l’effectivité des enquêtes sur les crimes de haine 

Suite à l'arrêt de la Cour européenne, le nouveau Code de procédure pénale (CPP), en vigueur depuis le 15 janvier 2013, a introduit un certain nombre de mesures visant à renforcer l’effectivité des enquêtes pénales et le rôle d'enquête des procureurs. Les procureurs sont désormais habilités à coordonner le travail des différents services répressifs et à mener des enquêtes ; ils peuvent engager des poursuites disciplinaires contre les membres de la police qui ne se conforment pas aux ordres qui leur sont donnés de prendre des mesures d'enquête spécifiques. En outre, dans le cadre du nouveau CPP, les victimes doivent être associées aux enquêtes et tenues au courant de l'évolution de la situation.

En ce qui concerne les mesures spécifiques prises ou envisagées pour que des enquêtes soient menées en vue de découvrir et de sanctionner les crimes motivés par la haine, les autorités ont indiqué que, conformément aux modifications apportées en 2012 au Code pénal, les motifs fondés sur la haine, y compris la haine religieuse, constituent une circonstance aggravante.

En réponse à ce changement, le Procureur général a publié un certain nombre d'instruments d'orientation : a) Une instruction en 2015 visant à créer des dossiers spéciaux pour les infractions motivées par la haine, y compris la haine religieuse ; b) des directives de 2017 pour la poursuite des infractions motivées par la haine afin d'aider les procureurs dans leur travail d'enquête (élaborées avec les représentants de la société civile) ; et c) une instruction de 2018 aux bureaux des procureurs subordonnés pour désigner les personnes de contact local chargées des affaires de crimes de haine. 

Le nombre de plaintes relatives à des crimes motivés par la haine était de 80 en 2012, lorsque le travail de réforme a commencé. Il n'a cessé de diminuer depuis lors pour atteindre 40 en 2018. De 2015 à 2018, 174 personnes ont fait l'objet de plaintes pénales pour des motifs liés à la haine nationale, raciale et religieuse, qui ont abouti à 33 condamnations. Au cours de la même période, 68 personnes ont fait l'objet de plaintes pénales pour discrimination raciale ou autre, qui ont abouti à 11 condamnations. Le 17 octobre 2018, le premier tribunal de première instance de Belgrade a rendu le premier jugement déclarant qu’une infraction motivée par la haine constitue une circonstance aggravante. Quatre autres procédures pénales concernant des infractions motivées par la haine sont pendantes devant les tribunaux nationaux.

Des mesures ont également été prises pour renforcer les droits des victimes de crimes motivés par la haine, telles que la création de bureaux d'information au sein des parquets pour les aider et les guider sur les ressources de conseil et d'assistance disponibles.

Mesures visant à prévenir la discrimination dans les enquêtes sur les crimes motivés par la haine religieuse

Suite aux faits de la présente affaire, en 2009 la loi régissant la lutte contre la discrimination a été adoptée. Cette loi permet aux victimes d'obtenir réparation et a introduit diverses mesures provisoires de restrictions. En vertu de ses dispositions, un traitement discriminatoire infligé par les agents publics constitue un manquement grave qui peut entraîner leur révocation. Cette loi a créé le Bureau du Commissaire à l'égalité - un organe indépendant compétent pour enquêter sur les affaires de discrimination et pour proposer des solutions. En 2016, le Commissaire à l'égalité a publié un manuel présentant une liste de contrôle utile pour identifier toute discrimination à l’encontre de personnes entre les mains de la police et d'autres autorités. Les autorités ont souligné la diminution significative du nombre de plaintes faisant état d'allégations de discrimination fondée sur les croyances religieuses (d'après les données publiées par le Commissaire à l'égalité, ces plaintes ne représentaient que 1,4 % de toutes les plaintes reçues par cet organe en 2018).

En outre, le Ministère de l'intérieur a élaboré la Stratégie 2013-2018 pour la prévention de la discrimination et la protection contre la discrimination ainsi qu'un plan d'action pour sa mise en œuvre. Conformément à la Stratégie, un certain nombre de mesures concrètes ont été mises en œuvre dans divers ministères pour que les autorités compétentes soient notamment informées des exigences de la Convention lorsqu'elles enquêtent sur des crimes de discrimination, y compris pour des motifs religieux.

Formations et mesures de sensibilisation

Les procureurs, les juges et la police ont bénéficié d'une formation approfondie et des mesures de sensibilisation ont été prises. L'objectif principal de ces mesures était de leur permettre juridiques d'acquérir des connaissances spécifiques sur les crimes de haine et sur leur traitement conforme à la Convention.

Conclusion

Les autorités considèrent que les développements intervenus depuis la mise en place du nouveau cadre législatif et réglementaire et les statistiques fournies démontrent l'efficacité des mesures adoptées. Elles soulignent que, dans le rapport de suivi 2018 sur la Serbie, la Commission européenne l'a également confirmé et que les incidents motivés notamment par des motifs religieux ont continué à diminuer[1].

Analyse par le Secrétariat

Mesures individuelles : Compte tenu des conclusions du procureur dans le cadre de la nouvelle enquête, selon lesquelles les poursuites ne peuvent plus être engagées pour l'infraction de lésions corporelles légères pour cause de prescription, ce qui n'a pas été contesté par le requérant, et de l'enquête pénale en cours concernant l'incitation à la haine religieuse, qui n’a abouti à aucun résultat à ce jour, il ne paraît plus possible de prendre des mesures individuelles.

Mesures générales : Cette affaire concerne l’effectivité des enquêtes sur les crimes motivés par la haine, en particulier la haine religieuse. Le Comité examine actuellement des mesures plus générales liées à l’effectivité des enquêtes criminelles en général dans le contexte du groupe d'affaires Stanimirović.

Il est encourageant de constater que, depuis les événements à l'origine de l'arrêt, le cadre juridique pertinent a été renforcé. Ceci a renforcé la capacité du système de justice pénale à réagir de manière adéquate aux crimes motivés par la haine, y compris la haine religieuse, et la capacité des organes nationaux de lutte contre la discrimination. Il convient également de noter que les motifs religieux à l'origine d'une infraction constituent désormais une circonstance aggravante que les procureurs doivent toujours enregistrer et examiner, et qui doivent faire par la suite l'objet d'un suivi par les tribunaux.

Les mesures de confiance adoptées à l'intention des autorités de poursuites sont également importantes et comprennent des instructions contraignantes du Procureur général visant à améliorer la détection et le traitement des affaires de crimes de haine. Les initiatives prises par les autorités pour sensibiliser l'opinion à l'importance de poursuivre et d'enquêter sur les crimes de haine sont encourageantes et paraissent avoir donné des résultats positifs. Une évaluation similaire peut être faite en ce qui concerne les mesures plus générales prises pour prévenir la discrimination et protéger les victimes de crimes motivés par la haine et leur fournir des conseils et autres types d'assistance appropriés. Enfin, comme le Comité l'a déjà noté avec intérêt, la Cour constitutionnelle a interdit un certain nombre d'organisations d'extrême droite, ce qui a envoyé un message sans ambiguïté de tolérance zéro à la haine. 

En raison de la combinaison des mesures adoptées, le nombre de plaintes pénales alléguant des crimes motivés par la haine est en baisse constante. En outre, les derniers rapports des organes de contrôle internationaux et des institutions nationales indépendantes, telles que le Défenseur du peuple et le Commissaire à l'égalité ne font plus état de préoccupations liées aux crimes à motivation religieuse et à l'absence d'enquêtes effectives. De même, aucune requête alléguant des violations similaires n'a été introduite devant la Cour européenne. En conséquence, le Comité des Ministres pourrait envisager de mettre fin à sa surveillance dans cette affaire.

Financement assuré : OUI



[1] SWD(2018) 152 final