DÉLÉGUÉS DES MINISTRES

Notes sur l'ordre du jour

CM/Notes/1362/H46-27

5 décembre 2019

1362e réunion, 3-5 décembre 2019 (DH)

Droits de l'homme

 

H46-27 Ališić et autres c. Serbie et Slovénie[1] (Requête n° 60642/08)

Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne

Documents de référence

CM/ResDH(2018)111, DH-DD(2019)1117, DH-DD(2019)1291, CM/Del/Dec(2017)1288/H46-27

 

Requête

Affaire

Arrêt du

Définitif le

Critère de classification

60642/08

ALIŠIĆ ET AUTRES

16/07/2014

Grande Chambre

Arrêt pilote

Description de l’affaire

L’affaire concerne des violations du droit des requérants au respect de leurs biens en raison de l’impossibilité de récupérer les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés auprès de succursales en Bosnie-Herzégovine de banques dont le siège social était situé en Serbie et en Slovénie (violations de l’article 1 du Protocole n° 1).

Les « anciens » fonds d’épargne en devises sont des fonds d’épargne déposés auprès de banques situées sur le territoire de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (la « RSFY »), avant sa dissolution. A la suite de l’effondrement de la RSFY et de son système bancaire, de nombreux épargnants n’ont plus pu disposer de leurs fonds d’épargne en devises. Les nouveaux Etats successeurs de la RSFY ont par la suite introduit différents programmes de paiement visant à rembourser les épargnants pour la perte de ces fonds d’épargne. Différentes conditions devaient être remplies pour bénéficier d’un remboursement par ces programmes, telles que la territorialité des dépôts ou la nationalité des épargnants.

La Serbie s’était engagée en particulier à rembourser les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les banques serbes en Serbie ou à l’étranger sous condition de nationalité des épargnants. Les ressortissants des autres États successeurs de la RSFY ne pouvaient bénéficier de ce programme de remboursement. Dans la mesure où M. Šahdanović, ressortissant de Bosnie-Herzégovine, ne remplissait pas la condition de nationalité prévue par le programme de remboursement serbe, il ne pouvait récupérer ses « anciens » fonds d’épargne en devises déposés auprès d’une banque en Bosnie-Herzégovine dont le siège social était situé à Belgrade.

La Slovénie, quant à elle, avait conditionné le remboursement au principe de territorialité : seuls les fonds d’épargne déposés dans des succursales de toute banque située en Slovénie pouvaient faire l’objet d’un remboursement, que la banque ait son siège social en Slovénie ou à l’étranger (y compris dans d’autres Républiques de la RSFY). Dans la mesure où Mme Ališić et M. Sadžak avaient déposé leurs fonds d’épargne en Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire en dehors de la Slovénie, auprès d’une succursale d’une banque dont le siège social était situé à Ljubljana, ils ne pouvaient prétendre au remboursement de leurs fonds d’épargne en vertu du programme de remboursement slovène.

La Cour européenne a constaté à cet égard que les banques concernées – la Ljubljanska Banka Ljubljana et Investbanka Belgrade – étaient des sociétés publiques appartenant aux et contrôlées respectivement par les gouvernements slovène et serbe (§ 116-117 de l’arrêt). La Cour a par conséquent estimé qu’il existait des motifs suffisants pour imputer à la Slovénie et à la Serbie la responsabilité des dettes respectives.


L’affaire concerne également l’absence de recours effectif au titre des griefs des requérants (violations de l’article 13).

En vertu de l’article 46, la Cour européenne a estimé que, le fait que le gouvernement serbe et le gouvernement slovène n’aient pas intégré les requérants, et tous ceux qui se trouvaient dans la même situation qu’eux, dans leurs programmes respectifs de remboursement des « anciens » fonds en devises, constituait un problème systémique (§ 9 du dispositif de l'arrêt). La Cour a par conséquent appliqué la procédure de l’arrêt pilote et a dit que la Serbie et la Slovénie devaient prendre dans un délai d’un an (soit d’ici le 16 juillet 2015) toutes les mesures, y compris d’ordre législatif, nécessaires pour permettre aux requérants, et à tous ceux qui se trouvent dans la même situation, de recouvrer leurs « anciens » fonds en devises respectivement dans les mêmes conditions que les ressortissants serbes ayant déposé de tels fonds dans les succursales serbes de banques serbes et dans les mêmes conditions que les personnes ayant déposé de tels fonds dans les succursales slovènes de banques slovènes (§§ 10-11 du dispositif de l’arrêt).

Parallèlement, la Cour a décidé d’ajourner pendant un an l’examen de toutes les requêtes similaires à la présente affaire dirigées contre la Serbie ou la Slovénie (§ 12 du dispositif de l’arrêt).

État d’exécution (concernant la Serbie uniquement)

Il est rappelé qu’en mars 2018, le Comité des Ministres a décidé de clore l’examen de cette affaire au titre de la Slovénie (Résolution CM/ResDH(2018)111. Cette affaire n’est depuis examinée qu’au titre de la Serbie.

Mesures individuelles : Dans leur plan d'action du 9 janvier 2015 (DH-DD(2015)69), les autorités serbes ont indiqué que des mesures individuelles permettant à M. Šahdanović de récupérer ses « anciennes » économies en devises seraient prises dans le cadre du plan de remboursement qui sera établi conformément aux indications de la Cour dans cette affaire (§ 146 de l'arrêt). Dans leur plan d'action du 4 octobre 2019
(
DH-DD(2019)1117), les autorités ont indiqué qu'en novembre 2017, le requérant avait demandé le remboursement de ses dépôts et qu’une décision serait prise à cet égard au plus tard le 23 décembre 2019.

Mesures générales :

1.            Aperçu du processus d'exécution dans le passé : En réponse à l'arrêt de la Cour européenne, le 28 décembre 2016 les autorités serbes ont adopté une loi visant à introduire un programme de remboursement des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans des succursales étrangères de leurs banques. Cette loi est entrée en vigueur le 30 décembre 2016. Dans ses décisions, le Comité a noté que le programme de remboursement proposé satisfaisait aux conditions fixées par la Cour européenne en ce qu'il prévoyait le remboursement d'un montant maximal de 310 millions d'euros de dépôts auxmêmes taux d'intérêt que ceux qui avaient été appliqués aux ressortissants serbes disposant de tels fonds d’épargne dans des branches nationales de banques serbes (voir en particulier la décision du Comité adoptée lors de la 1230e réunion (CM/Del/Dec(2015)1230/19) (juin 2015) (DH) ainsi que celle de la 1273e réunion (CM/Del/Dec(2016)1273/H46-28) (décembre 2016) (DH) ; les détails du programme de remboursement sont présentés dans les notes préparées les notes préparées pour les 1250e et 1273e réunions (CM/Notes/1250/H46-24 et CM/Notes/1273/H46-28).

Des mesures ont également été prises pour assurer l'application effective de la loi. En particulier, le 3 février 2017, le gouvernement a adopté une législation d’application réglementant la procédure de vérification, y compris les formulaires de demande à utiliser (révisée par la suite le 30 août pour tenir compte des modifications législatives - voir ci-dessous). Par la suite, le 23 février 2017, le Ministère des finances émis un appel public invitant les épargnants à déposer leurs demandes auprès de l'Administration de la dette publique, chargée de gérer le programme de remboursement. Les décisions sur les demandes soumises devaient être prises avant le 23 juin 2019.

Cet appel public a été publié dans un quotidien majeur dans chacun des États successeurs de RSFY sur le site Internet du Ministère des finances et au Journal officiel. Cet appel public comprend, entre autres, toutes les informations nécessaires concernant la documentation requise et le calendrier d'application. Enfin, les autorités ont indiqué que l'Administration de la dette publique vérifie les demandes sur proposition d'un comité ad hoc.

2.            Situation actuelle : Dans sa dernière décision de juin 2017, le Comité des Ministres a encouragé vivement les autorités à soutenir leurs efforts pour assurer le bon fonctionnement du programme de remboursement.


En réponse, les autorités ont fourni les précisions suivantes :  Conformément à l'arrêt, la Serbie peut exclure du remboursement les montants utilisés dans le processus de privatisation ou utilisés d'une autre manière dans d'autres États successeurs. Il est donc indispensable d'obtenir ces informations, actuellement détenues à l'étranger. Les autorités ont dû faire face à des défis pour obtenir les informations pertinentes, notamment de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine. Il a donc été impossible, en particulier pour les épargnants de Bosnie-Herzégovine, de fournir les documents requis en temps utile. En conséquence, à l'initiative du Gouvernement, le 22 juillet 2019, leParlement a modifié la loi comme suit :

a)     le délai pour les décisions de remboursement a été prolongé du 23 juin 2019 au 23 décembre 2019 afin de donner aux épargnants, principalement de Bosnie-Herzégovine, un délai supplémentaire pour obtenir la documentation relative à l'utilisation éventuelle de leurs fonds d’épargne dans le cadre du processus de privatisation (voir ci-dessous) ;

b)    le remboursement commencera le 28 février 2020 (initialement le 31 août 2019) et prendra fin le 31 août 2023 (initialement le 28 février 2024) ;

c)     le remboursement sera effectué en huit versements semestriels (au départ dix versements).

Une procédure administrative sera appliquée lors de la vérification des montants payables. Cette procédure est conçue de manière simple, rapide, efficace et sans frais pour les épargnants. En outre, les épargnants ne sont pas tenus d’être légalement représentés ou de fournir des traductions juridiques. L'administration, y compris l'Administration de la dette publique, a l'obligation de fournir d'office les clarifications nécessaires et de guider les parties qui ne sont pas des professionnels du droit.

Ceux qui ne sont pas en mesure de produire l'original d'un livret bancaire peuvent fournir d'autres formes de preuves dans le cadre d'une procédure judiciaire non contentieuse (avec de faibles frais de justice d'environ 15 euros) afin d'obtenir l’annulation de leur livret bancaire et de le remplacer par une décision de justice. Cette décision peut alors servir de base pour demander le remboursement à l'État en vertu de la loi Ališić.

Les épargnants insatisfaits des décisions prises dans le cadre de la procédure administrative peuvent les contester par la voie du contrôle juridictionnel. Cette voie ne nécessite pas la représentation d'un avocat, ni une traduction juridique. Les frais de procédure sont faibles (environ 5 euros). L'Administration de la dette publique fournit des indications quant à la procédure à suivre.

Le délai pour demander le remboursement a expiré le 23 février 2019. Au total, 9 400 demandes ont été déposées pour un montant supérieur à 100 millions d'euros, dont 5 600 provenaient de Bosnie-et-Herzégovine. Dans 1 400 demandes, aucune preuve concluante n'a pas été fournie sur l'utilisation des fonds d’épargne dans le cadre de la privatisation dans ce pays les autorités ayant délivré aux épargnants des documents confirmant qu'aucun des montants n'avait été utilisé à cette fin, alors que de nombreux épargnants ont déclaré que les montants avaient effectivement été utilisés ainsi. Un comité ad hoc créé au sein de l'Administration de la dette publique pour conduire la procédure de vérification a tenu 57 réunions jusqu'en septembre 2019 pour examiner les demandes déposées en vue de s'assurer que les décisions sur toutes les demandes déposées soient prises dans le cadre de la procédure administrative avant le 23 décembre 2019, comme prévu par la loi. 

Deux séries de consultations entre les autorités de Serbie et de Bosnie-Herzégovine ont eu lieu à Sarajevo et à Belgrade respectivement en avril et octobre 2019, avec les bons offices du Secrétariat. Leur objectif était d'examiner s'il était possible pour les autorités serbes d'obtenir de meilleures informations sur l'utilisation des fonds d’épargne dans le processus de privatisation en Bosnie-Herzégovine et de permettre à 1 400 épargnants concernés de bénéficier du remboursement. Au moment de la rédaction des présentes notes, aucune conclusion n'avait été approuvée par les deux parties.  

Analyse du Secrétariat

Mesures individuelles : Afin d'assurer la réparation pour la violation subie par M. Šahdanović, des informations sont requises sur l'issue de la procédure de remboursement de ses fonds d’épargne dès que la décision finale sera prise au niveau national.


Mesures générales : Il ressort des informations fournies par l'État défendeur que les mesures législatives, administratives et de confiance ont été prises pour que les décisions de remboursement soient prises selon une procédure administrative simple, rapide et à faible coût. La Cour européenne a également estimé que la procédure de remboursement mise en place était conforme aux normes de la Convention. Il est particulièrement encourageant, dans ce contexte, que la période de remboursement ait été réduite. Les résultats du fonctionnement du programme de remboursement dans la pratique devront être évalués ultérieurement. À cette fin, il serait utile d'obtenir des statistiques supplémentaires, notamment sur les demandes rejetées dans le cadre de la procédure administrative (nombre et motifs de rejet) ainsi que le nombre de recours judiciaires introduits. Des informations pourraient également être demandées sur la jurisprudence émergente des tribunaux nationaux et sur la durée des procédures de recours judiciaire en cas de rejet des demandes.

 

Cela étant dit, il semble que certaines questions en suspens nécessitant une coopération entre la Serbie et certains États successeurs restent toujours à résoudre. Étant donné qu'environ 60 % des demandes proviennent de Bosnie-Herzégovine, l’effectivité du mécanisme de remboursement dépendra en grande partie de l’accessibilité de la procédure de remboursement aux épargnants de cet État membre. Le Secrétariat est disposé à continuer de fournir une assistance à cet égard.

Financement assuré : OUI



[1] Affaire contre « la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Serbie, la Slovénie et « l'ex-République yougoslave de Macédoine » », mais la Cour n'a conclu à des violations que pour la Serbie et la Slovénie.