DÉLÉGUÉS DES MINISTRES

Notes sur l'ordre du jour

CM/Notes/1362/H46-26

21 novembre 2019[1]

1362e réunion, 3-5 décembre 2019 (DH)

Droits de l'homme

 

H46-26 Groupe Mikheyev c. Fédération de Russie (Requête n° 77617/01)

Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne

Documents de référence

DH-DD(2019)797, CM/Del/Dec(2015)1222/13

 

 

Requête

Affaire

Arrêt du

Définitif le

Critère de classification

77617/01

GROUPE MIKHEYEV (liste des affaires CM/Notes/1362/H46-26-app)

26/01/2006

26/04/2006

Problème complexe

Description des affaires

Ce groupe d’affaires concerne des décès, la torture ou des traitements inhumains et dégradants pendant la garde à vue et l'absence d'enquêtes effectives à cet égard (violations matérielles et procédurales des articles 2 et 3). Dans Makhashevy et Antayev et autres, la Cour a estimé que le traitement des requérants était fondé sur leur origine ethnique (violation de l'article 14 en liaison avec l'article 3).

Ce groupe d'affaires concerne également les irrégularités relatives à l'arrestation et à la détention en garde à vue, notamment la détention arbitraire et non reconnue au cours de laquelle les requérants ont été maltraités (violations de l'article 5 § 1).

Il concerne en outre l'utilisation, dans le cadre d'une procédure pénale, d'aveux obtenus en violation de l'article 3 (violations de l'article 6 § 1) et l'absence de recours effectif pour demander une indemnisation pour les mauvais traitements infligés (violations de l'article 13).

Dans certaines affaires de ce groupe la Cour a trouvé d’autres violations qui sont examinées dans le contexte d’autres affaires/groupes d’affaires : conditions de détention, isolement prolongé dans un centre de détention provisoire (article 3) ; illégalité de la détention provisoire (article 5§1) ; durée de la détention provisoire (article 5§3) ; absence à une audience concernant la prolongation de la détention provisoire et l’absence de contrôle judiciaire rapide de la détention provisoire (article 5§4) ; absence de procédure contradictoire, durée de la procédure pénale (article 6§1) ; absence d'assistance juridique en garde à vue ou en appel (article 6§3 (c)) ; omission d'interroger des témoins (article 6§3(d)) ; placement dans des colonies éloignées, entrée illégale dans une maison (article 8) ; absence de recours effectif en ce qui concerne les conditions de détention et l'entrée illégale dans un domicile (article 13) ; censure de la correspondance avec la Cour européenne (violation de l'article 34) ; retenue d'une copie d'un dossier d'enquête (violation de l'article 38§1 (a)).

État d’exécution

Il est rappelé qu'en réponse aux violations constatées par la Cour en l'espèce, les autorités russes ont fourni des informations détaillées sur les mesures prises dans leurs plans d'action du 23 novembre 2010
(DH-DD(2010)591) et du 16 août 2013 (DH-DD(2013)933). Ce dernier plan d'action a indiqué notamment l'adoption de la loi sur la police en 2011 et la création en 2012 d'unités d'enquête spécialisées au sein du Comité d'investigation pour enquêter sur les infractions commises par des fonctionnaires de police et d'autres agents des forces de l’ordre. Le 26 décembre 2014, les autorités russes ont fourni un plan d'action mis à jour (DH‑DD(2015)44).


Entre autres, ce plan décrit les modifications apportées à l'instruction relative aux tâches des agents de service dans les postes de police et la tenue des registres, ainsi que de nombreuses formations organisées à l'intention des policiers, des responsables de centres de détention provisoire et de divisions d'escorte et des procureurs (pour un résumé de ces informations, voir le document H/Exec(2015)4rev). Entre décembre 2010 et septembre 2014, plusieurs communications ont été soumises par des ONG (voir DH-DD(2010)385, DH-DD(2012)598,
DH-DD(2013)92 et DH-DD(2013)885). Le Comité a examiné ces affaires en dernier lieu lors de sa 1222e réunion (mars 2015) (DH).

Mesures individuelles : Dans sa décision précédente, le Comité a exprimé sa préoccupation à l’égard du fait que dans la grande majorité des affaires de ce groupe, aucune information n'avait été reçue concernant les progrès accomplis dans les enquêtes et a en appelé aux autorités russes pour qu’elles fournissent les informations pertinentes identifiées t dans le document H/Exec(2015)3. Le Comité a également souligné sa compétence pour examiner toutes les questions relatives aux efforts déployés par les requérants pour obtenir réparation suite à un arrêt de la Cour européenne.

Le 11 janvier 2019, le Comité a reçu une communication dans l'affaire Alexandre Novoselov (voir
DH-DD(2019)72), dans laquelle les représentants du requérant font valoir qu'une enquête pénale sur sa torture a finalement été ouverte deux ans et demi après l'arrêt de la Cour. Il ressort d'une communication ultérieure (voir DH-DD(2019)892) que, le 7 mars 2019, plusieurs policiers ont été reconnus coupables d'abus de pouvoir aggravé et condamnés à des peines d'emprisonnement allant de 5 à 10 ans mais ont été dispensés de purger leur peine en raison de l'expiration du délai de préscription de dix ans.

Le 21 janvier 2019, le Comité a reçu une communication dans l'affaire Olisov et autres, concernant le requérant M. Danishkin (voir DH-DD(2019)81), qui a indiqué que les autorités refusaient toujours d'ouvrir une enquête pénale relative à la torture du requérant, malgré le constat de la Cour, en novembre 2017, de violations matérielle et procédurale de l'article 3.

Le 30 juillet 2019, le Comité a reçu une communication des représentants des requérants dans les affaires Tangyiev et Mukaev (voir DH-DD(2019)849), dans laquelle des violations de l'article 6 ont été constatées du fait de l'utilisation aux procès de preuves viciées parce qu’obtenues sous la torture, ainsi que des violations matérielle et procédurale de l'article 3. En ce qui concerne l'affaire Tangiyev, dans laquelle la nouvelle condamnation du requérant pour les mêmes chefs d'accusation a été confirmée par la Cour suprême le 26 mars 2015, les représentants ont fait valoir que, si les aveux incriminés du requérant étaient exclus du champ des preuves dans le nouveau procès, sa nouvelle condamnation était fondée sur les déclarations des coaccusés qui avaient également été torturés. En ce qui concerne l'affaire Mukayev, le 12 septembre 2018, le Présidium de la Cour suprême a rouvert les procédures internes et confirmé le verdict rendu en 2007 par la Cour suprême de Tchétchénie condamnant le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité. Le Présidium a estimé que les allégations de torture du requérant étaient incohérentes et non confirmées par les enquêtes internes, y compris par celle menée à la suite de l'arrêt de la Cour (il ressort de cette décision que, le 9 août 2018, le Comité d'investigation de la République de Tchétchénie a refusé d'ouvrir une enquête pénale sur les mauvais traitements du requérant pour absence de preuves d'un crime). La Cour suprême a également fondé son refus sur le principe de sécurité juridique interdisant la modification des décisions judiciaires définitives en l'absence de violations de la loi affectant l'issue de l'affaire.

Le 2 août 2019, le Comité a reçu une communication du Comité contre la torture de Nijni Novgorod (voir
DH-DD(2019)892) soulevant des questions relatives, entre autres, à l'adoption de mesures individuelles dans dix affaires de ce groupe. Selon la communication, à la suite de la constatation par la Cour de violations matérielles et procédurales de l'article 3, dans quatre affaires (Ochelkov, Fartushin, Leonid Petrov, Shestopalov), aucune mesure n'a été prise d'office pour remédier aux lacunes identifiées. Dans trois autres affaires (Gorshchuk, Aleksandr Andreyev, Ovakimyan), les autorités d'enquête ont refusé de (ré)ouvrir une enquête pénale et, dans l'affaire Maslova, un tribunal régional, en confirmant les décisions de refus d'une enquête pénale (rendues avant l'arrêt de la Cour), a refusé de tenir compte de l'arrêt de la Cour européenne car la requérante n'avait pas pu fournir sa « traduction officielle ».

Dans l'affaireLyapin, une procédure pénale a été ouverte plus d'un an après l'arrêt de la Cour. Toutefois, à cette date, la procédure contre des policiers suspectés était prescrite, et le second suspect a été condamné avec sursis en raison, notamment, de « la personnalité de l'accusé, son statut patrimonial et civil » et « compte tenu des buts et motifs du crime commis ». Les représentants des requérants considèrent que les arrêts précités n’ont pas été exécutés.

Un aperçu des mesures individuelles figure dans le document H/Exec(2019)4. Bien que les autorités n'aient pas fourni d’informations à jour sur les mesures individuelles, il ressort de celles disponibles qu’en ce qui concerne la réparation des violations de l'article 3, sur 135 affaires, dans deux affaires les policiers impliqués dans les actes de torture ont été condamnés avec sursis à la suite de l'adoption des arrêts.


Dans une affaire, les policiers ont été reconnus coupables mais ont été dispensés de purger leur peine en raison de l'expiration du délai de prescription. Dans sept affaires, l'ouverture d'une procédure pénale pour les actes de torture établis par la Cour avait été refusée, nonobstant les constats de violations par la Cour concernant l’absence d'éléments constitutifs du crime. Les poursuites sont maintenant prescrites dans certaines de ces affaires.

En ce qui concerne les violations de l'article 6, la procédure pénale à l'encontre des requérants a été rouverte dans 11 affaires à la suite de l'adoption des arrêts. Dans une affaire, le requérant a été acquitté par le jury lors d'un nouveau procès ; dans quatre affaires, les condamnations ont été soit confirmées, soit prononcées à nouveau dans de nouveaux procès après exclusion des éléments de preuve viciés. Toutefois, dans deux autres affaires, les condamnations initiales ont été laissées en suspens par le présidium de la Cour suprême, malgré les constats de la Cour européenne que l'utilisation de preuves obtenues sous la torture avait rendu les procédures inéquitables dans leur ensemble (voir, pour le raisonnement, Mukayev (ci-dessus) et Abdulkadyrov et Dakhtayev, dans H/Exec(2019)4). Dans une autre affaire, le requérant est décédé peu de temps après l'annulation de sa condamnation et l'ouverture du nouveau procès. Dans les affaires restantes, aucune information n’est disponible sur l’issue des nouveaux procès. Dans un certain nombre d’affaires, il n’a pas été clarifié si les requérants ont demandé une réouverture.

Aucune information n'est disponible sur des réparations octroyées pour les autres violations constatées par la Cour européenne dans ces affaires (voir Description de l'affaire).

Mesures générales : La nécessité d'un message de « tolérance zéro » à haut niveau vis-à-vis des décès, de la torture et des mauvais traitements a été réaffirmée dans la décision adoptée par le Comité à sa 1222e réunion (mars 2015) (DH).

En ce qui concerne les garanties contre les mauvais traitements, le Comité s'est félicité des modifications réglementaires et législatives introduites par les autorités, les a invitées à fournir des informations sur les questions en suspens identifiées dans le document H/Exec(2015)4rev et les a encouragées à poursuivre leurs efforts visant à assurer l'efficacité pratique des garanties en tenant compte de la jurisprudence de la Cour et des recommandations du CPT.

En ce qui concerne les instructions et les formations, le Comité a noté avec satisfaction les mesures prises par les autorités et les a encouragées à poursuivre leurs efforts au cours des prochaines années, en se concentrant en particulier sur les méthodes modernes d'investigation et d'interrogatoire, afin de consolider la connaissance pratique et le respect des garanties contre les mauvais traitements, et les normes de la Convention en la matière.

En ce qui concerne les enquêtes au sujet des plaintes pour mauvais traitements, à la lumière des constats de la Cour, il a invité les autorités à fournir des informations sur les mesures prises ou envisagées afin d’assurer que les allégations crédibles de mauvais traitements fassent l’objet d’enquêtes diligentes et impartiales, en pleine conformité avec les exigences de la Convention. Depuis lors, la Cour a rejeté la possibilité de recourir à cette fin à une enquête préliminaire (« pré-enquête »)

En ce qui concerne le suivi officiel des incidents de mauvais traitements, le Comité a invité les autorités à fournir des informations sur la question de savoir si les parquets et les services de sécurité interne du ministère de l’Intérieur établissent des rapports mensuels et/ou annuels dans le contexte du suivi réalisé et si ces rapports sont rendus publics, ainsi que des informations sur les suites données aux résultats des organes de suivi.

En ce qui concerne les données statistiques, il a invité les autorités à fournir les informations manquantes sur le nombre de plaintes pour mauvais traitements reçues par le Comité d’investigation, le nombre d’enquêtes ordonnées, le nombre de décisions ne pas engager de poursuites pénales et le nombre de procès ayant abouti à un acquittement, et en cas de condamnation, le type de peines imposées.

En ce qui concerne le problème de l'expiration des délais de prescription, le Comité a invité les autorités à renforcer le cadre législatif pertinent, afin d’assurer que des enquêtes sur les abus par des représentants des forces de l’ordre soient rapidement menées par les autorités responsables des enquêtes et les autorités judiciaires, en vue d’éviter l’impunité découlant de l’application des règles de prescription.

En ce qui concerne le contrôle judiciaire des enquêtes ainsi que l'utilisation lors de procès, d'aveux obtenus sous la contrainte, le Comité a pris note avec intérêt des initiatives prises par la Cour suprême, en particulier de l'étude envisagée en vue d'améliorer la pratique des tribunaux nationaux en matière d'irrecevabilité des preuves obtenues par des traitements contraires à l'article 3 de la Convention. Il a également invité les autorités à informer le Comité des résultats de cette initiative et a réitéré son appel d'adopter des mesures supplémentaires visant à remédier aux défaillances constatées par la Cour.


Le 12 juillet 2019, les autorités ont fourni un bilan d'action (voir DH-DD(2019)797), qui peut être résumé comme suit. Les autorités ont fait référence aux garanties juridiques et administratives détaillées dans les plans d'action précédents et ont ajouté des informations sur les mesures les plus récentes. En décembre 2015, le Code de procédure pénale a été modifié afin de prévoir plus clairement le droit d'un suspect à un appel téléphonique à sa famille ou à d'autres proches pour les informer de son appréhension et de sa localisation. En 2017, la législation fédérale a été modifiée afin de fournir une description plus détaillée des motifs et de la procédure d’application des mesures de sécurité aux victimes de crimes.

En 2018, la Cour suprême a adopté un arrêt plénier lequel, se référant notamment à la Convention, impose aux juridictions inférieures statuant en matière administrative de signaler aux autorités d’enquêtes tout soupçon raisonnable de mauvais traitements. La Cour suprême a également régulièrement porté à l'attention des juges les normes et la pratique de divers organes internationaux en matière de droits de l'homme, y compris la protection contre les mauvais traitements et la torture, par le biais d’aperçus de la pratique des organes conventionnels et non conventionnels internationaux et des rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l'homme de l’ONU. La Cour suprême publie également sur son site intranet tous les arrêts de la Cour européenne constatant des violations en raison de tortures et mauvais traitements, ainsi que des analyses pertinentes de la jurisprudence de la Cour européenne à l’encontre d’autres États membres et des divers comités de l’ONU traitant de questions similaires. Les questions relatives à la protection contre la torture et les mauvais traitements sont également abordées lors des exposés hebdomadaires des juges de la Cour suprême et des membres du greffe aux juges des juridictions inférieures dans le cadre du programme de formation continue des juges.

En ce qui concerne les procureurs, des ordonnances, instructions et notes ont été adoptées visant à améliorer le contrôle du parquet sur les droits des détenus, à garantir une enquête efficace sur des allégations de torture et de mauvais traitements, ainsi qu'à renforcer la coordination entre les agences dans ce domaine. Les procureurs continuent de surveiller les centres de détention provisoire, y compris lors des week-ends, des jours fériés et la nuit, et immédiatement après avoir reçu une plainte. En cas de découverte de personnes détenues illégalement ou dont la durée de la détention est expirée, les procureurs sont habilités à ordonner leur libération immédiate. En cas de détection de signes ou de plaintes pour mauvais traitements, les procureurs procèdent à une vérification approfondie. À la suite d'une inspection effectuée par le bureau du procureur général en 2018 et 2019 concernant le respect de la législation interdisant la torture et les mauvais traitements, ainsi que des décisions de procédure prises dans les affaires pénales et des infractions de cette catégorie, 485 policiers ont été sanctionnés, et de nombreuses demandes visant à éliminer les violations de la loi ont été faites.

En ce qui concerne le Comité d’investigation, les méthodes d'enquête sur les affaires pénales concernant des abus de pouvoir, y compris celles associées à l'usage de la violence, ont été incluses dans la formation de ses employés actuels et futurs. En outre, une lettre circulaire « Sur les positions juridiques de la Cour européenne des droits de l'homme et les principaux problèmes soulevés dans ses arrêts » a été envoyée à ses branches territoriales, et les arrêts pertinents de la Cour européenne ont été publiés sur son site web. Des instructions supplémentaires concernant des enquêtes sur des allégations de violence de la part des agents des forces de l’ordre sont en cours d'élaboration. En 2017, le Comité d'investigation a reçu 20 500 plaintes pour actes illégaux commis par des policiers, alors qu’environ 18 400 de telles plaintes ont été reçues en 2018. Des enquêtes ont été menées à l'égard de toutes ces plaintes. En 2017 et 2018, 725 affaires pénales ont été ouvertes sur des actes criminels impliquant « l'utilisation de méthodes prohibées », et 379 affaires contre 548 personnes ont été déférées aux tribunaux. Au cours de la même période, 541 agents des forces de l’ordre ont été reconnus coupables d'abus de pouvoir associé à l'usage de la violence. Les autorités ont fourni 19 exemples de telles condamnations, avec des peines allant de 2 à 14 ans d'emprisonnement (dans certains cas avec sursis).

En ce qui concerne le ministère de l'intérieur, en 2018, il a reçu 986 plaintes pour violence, mauvais traitements et torture par des policiers (contre 1 075 en 2017). La plupart des plaintes ont été envoyées pour vérification aux services de sécurité interne du ministère de l’Intérieur. Sur la base des résultats des vérifications, 22 affaires ont été transmises au Comité d'investigation en 2017 et 12 en 2018. 45 policiers en 2017 et 18 policiers en 2018 ont fait l'objet de sanctions disciplinaires. Les programmes de formation continue des agents de police comprennent des méthodes modernes d’activités opérationnelles et de fouille à la lumière des garanties légales et des normes internationales relatives à la torture et aux mauvais traitements. La prévention de l’emploi injustifié de la force et des méthodes d’enquête illégales a également été incluse dans le programme initial de formation pour les futurs policiers en 2019. Actuellement, le ministère de l'Intérieur s'emploie à intégrer plus complètement dans son cadre juridique et réglementaire les normes de la Cour européenne en matière de droits des personnes appréhendées, de garanties contre la torture et les mauvais traitements, et de mesures préventives. À compter de mars 2019, la coopération entre le ministère de l’intérieur et le bureau de l’agent du gouvernement a été renforcée. Un certain nombre d’événements de sensibilisation et d’éducation ont été organisés en 2018 par le ministère de l’intérieur en coopération avec la Chambre publique de la Fédération de Russie et le Conseil du Président pour le développement de la société civile et les droits de l’homme.


L'inspection des lieux de détention est régulièrement effectuée par les membres des commissions de surveillance publique (PMC) et les médiateurs régionaux. Sur un total de 3 911 visites de ce type en 2017 et 2018, aucun cas de torture et de mauvais traitements intentionnels n'a été révélé. Les amendements législatifs adoptés en juillet 2018 ont élargi les droits des PMC, y compris le droit de filmer et de photographier pour enregistrer des violations dans des lieux de détention. Les conseils publics des bureaux régionaux de l'intérieur ont continué à mener des entretiens individuels avec les citoyens concernés.

Tous les arrêts pertinents de la Cour européenne et les décisions du Comité ont été diffusés auprès de toutes les autorités compétentes.

Le 12 juillet 2019, le Comité a reçu une communication de l’ONG Public Verdict Foundation (voir
DH-DD(2019)818) qui peut être résumée comme suit. En ce qui concerne le respect de normes d'enquêtes effectives, il existe un obstacle institutionnel aux enquêtes effectives du fait que le Comité d'investigation s'appuie sur la coopération avec la police, même dans les affaires de faute professionnelle, puisque cette dernière fournit un appui opérationnel aux enquêtes. Des enquêtes pénales complètes sur des plaintes des mauvais traitements ne sont ouvertes que rarement ; les enquêtes restant souvent limitées au stade préliminaire. Cela s'explique en partie par le fait que le déclenchement de poursuites pénales qui n'aboutissent pas à des condamnations judiciaires a un impact négatif sur l'évaluation des performances des enquêteurs par leurs supérieurs hiérarchiques. L'extension des pouvoirs de l'enquêteur dans le cadre d'une enquête préliminaire en 2013 n'a pas été accompagnée d'une augmentation similaire de la portée des droits des victimes ou des auteurs présumés. Une instruction interne adoptée par le Comité d'investigation en 2012 autorise les enquêteurs à enregistrer un rapport d'infraction entrant comme une « pétition citoyenne » qui ne déclenche pas une procédure de vérification obligatoire. Elle délègue également à la personne de service la décision d'enregistrer ou non un message entrant comme rapport d'infraction. Selon l'ONG, cette pratique a donné lieu à une interprétation arbitraire des plaintes entrantes et à une situation où de nombreux rapports de violence policière ne parviennent jamais au stade de la vérification et sont effectivement exclus du champ de contrôle du Comité d'investigation. Le risque qu'une victime de torture soit poursuivie au pénal, le plus souvent pour de « fausses accusations », porte également atteinte au droit de porter plainte. En outre, il n'existe aucun programme gouvernemental assurant la réadaptation des victimes de la torture dans la Fédération de Russie.

Enfin, des observations sur les mesures générales ont également été formulées dans la communication précitée du Comité contre la torture de Nijni Novgorod (voir DH-DD(2019)892). Elle s'est notamment plainte du fait que de longs délais dans l'ouverture ou la reprise des enquêtes pénales, même après un constat de violation de la Cour, conduisent souvent à ce que les faits de mauvais traitements infligés par la police soient prescrits, à des peines parfois trop clémentes. L'enquête préliminaire reste un outil juridique inadéquat car, par exemple, elle ne prévoit pas de confrontation entre la victime et l'auteur de l'infraction et ne donne pas à la victime les moyens de participer pleinement à la procédure. Les unités spéciales du Comité d'investigation chargées d'enquêter sur les infractions commises par des agents des forces de l’ordre manquent de personnel (par exemple, trois personnes pour un district fédéral entier composé de plusieurs régions), souffrent d'une répartition peu claire des compétences vis-à-vis d’autres entités du Comité d'investigation et ne sont pas directement accessibles aux victimes. Se référant aux informations fournies dans le plan d'action 2015 sur les unités spéciales chargées d'enquêter sur les affaires les plus complexes et les plus médiatisés, l'ONG souligne que cela n'est pas prévu dans le décret qui les a créées et que la limitation de leur champ d'action signifie que les mauvais traitements en garde à vue font toujours l'objet d'enquêtes par des agents dépendants des bonnes relations professionnelles avec les personnes censées faire l'objet d'une enquête.

Analyse du Secrétariat

Des consultations bilatérales/conférences avec les autorités compétentes ont été organisées pour le 19 novembre 2019. L'analyse qui suit a été réalisée sur la base du dernier bilan d'action reçu le 12 juillet 2019 (voir ci-dessus).

Mesures individuelles : Il est regrettable que les autorités n'aient pas répondu à l'appel du Comité de fournir des informations sur l'état d'avancement des enquêtes, ni n’avaient fourni d’informations concernant les mesures individuelles à temps pour cette réunion. Les informations soumises par les requérants et leurs représentants dans ce groupe, ainsi que celles qui ressortent des bases de données judiciaires en ligne, sont très préoccupantes car il apparaît que, dans des décisions ultérieures des autorités nationales d’enquête et dans certaines affaires, dans des décisions de juridiction interne, les constats de la Cour ne sont pas suivis d’effet. En l'absence de réponse ou d'autres informations de la part des autorités, le Secrétariat estime que la meilleure façon d'aller de l'avant est de procéder à un examen fondé sur les informations non contestées fournies par les requérants et disponibles dans les bases de données judiciaires en ligne.


L'absence, au moment opportun, d'un examen d'office de la possibilité de poursuivre les enquêtes contestées ou d'en ouvrir une nouvelle est très regrettable et, dans certaines des affaires les plus anciennes, a conduit à la prescription des crimes en question. Une autre source de préoccupation est, tout comme dans l'affaire Buntov, l'absence de nouvelles enquêtes convaincantes. L'absence de réouverture des procès pénaux correspondants est également préoccupante.

Les problèmes susmentionnés liés aux retards importants dans l'ouverture des enquêtes sont bien illustrés dans les affaires Alexandre Novoselov et Lyapin, dans lesquelles les policiers condamnés ont été dispensés de purger leur peine. Cette dernière affaire a également démontré l'existence d'un problème lié à l'effet dissuasif du droit pénal, le second accusé n'ayant reçu qu'une peine très légère avec sursis. En outre, la procédure rouverte dans les affairesMukayev et Abdulkadyrov et Dakhtayev n'a pas permis d'obtenir réparation car les éléments de preuve que la Cour a constaté qu’ils avaient été obtenus sous la torture, ont été à nouveau considérés recevables après une nouvelle enquête contestant les conclusions de la Cour sans explication convaincante.

L'absence d'action convaincante en ce qui concerne les mesures individuelles, malgré l'adoption de certaines mesures générales, suggère fortement que les anciennes pratiques policières et l'impunité sont toujours acceptées. D'où la nécessité, tout comme en milieu pénitentiaire, d'un message de tolérance zéro à haut niveau contre les abus de pouvoir de la police par la torture ou des mauvais traitements ou des actes susceptibles d'entraîner la mort de personnes en garde à vue. Dans le contexte pénitentiaire, de tels messages semblent avoir déjà été envoyés - voir Buntov.

Compte tenu de la situation, il importe de réaffirmer l'obligation continue de poursuivre les enquêtes qui peuvent encore aboutir à des résultats. En particulier, dans l'affaire Lyapin, où la peine clémente peut encore faire l'objet d'un appel judiciaire, l'action d'un procureur serait utile pour assurer son réexamen. Dans les affaires où de telles enquêtes ne sont plus possibles, d'autres formes de réparation pour les victimes ou leur famille pour ce manquement à prendre les mesures individuelles nécessaires devraient également être envisagées. Cela vaut également pour les affaires dans lesquelles les condamnations pénales semblent avoir été confirmées sur la base des éléments de preuve que la Cour a constaté qu’ils avaient été obtenus sous la torture.

Mesures générales :

A)    Prévenir et combattre les mauvais traitements en garde à vue

Il paraît qu’aucun message à haut niveau de tolérance zéro à l'égard des mauvais traitements en garde à vue n'ait été envoyé à ce jour. Cette conclusion est corroborée par les données statistiques démontrant que les enquêtes pénales n'ont été ouvertes que dans 1,9 % des plaintes pour mauvais traitements et torture par la police en 2017 et 2018, ainsi que par le manque apparent de mesures individuelles appropriées dans plusieurs, sinon dans la majorité, des affaires de ce groupe (voir état de l'exécution ci-dessus et aperçu des mesures individuelles dans H/Exec(2019)4)).

En ce qui concerne les garanties contre les mauvais traitements, bien que certaines améliorations aient été apportées à l’époque des faits survenus dans l’affaire de référence, y compris l’amendement de 2015 au Code de procédure pénale pour renforcer le droit du suspect à une conversation téléphonique, d’autres améliorations sont nécessaires. Ilest rappelé que de telles garanties comprennent des mesures visant à faire en sorte que la personne arrêtée soit dûment informée, clairement et par écrit, de ses droits, que l'accès à un avocat soit accordé avant l'interrogatoire initial des policiers et que le droit du détenu d'être vu par un médecin soit inconditionnel et non soumis à la discrétion de la police.

Il est également rappelé que toutes ces garanties devraient s’appliquer dès qu'une personne est privée de facto de sa liberté, et que toute exception à cette règle devrait être clairement réglementée et dûment consignée. D'après les informations dont dispose le Secrétariat, les problèmes suivants persistent en ce qui concerne le cadre législatif et réglementaire.

Selon la législation russe, le moment de l'appréhension en cas de suspicion d'accusations pénales commence à courir à partir du moment de l'appréhension de facto. Dans le cas d'infractions administratives présumées, il ne commence à courir qu'à partir du moment où la personne appréhendée est arrivée au poste de police (article 14 § 4 de la loi sur la police). On peut en déduire qu'en cas de suspicion d'infractions administratives, les droits procéduraux, en particulier le droit à un avocat et le droit d'informer des tiers, ne sont pas applicables pendant la phase d'escorte.

Si, conformément à l'article 5, paragraphe 4, de la loi sur la police, un agent de police doit informer oralement la personne appréhendée de ses droits, il ne semble pas que cela inclut des informations concernant le droit à un médecin. Rien n'indique non plus qu'une liste complète écrite des droits soit remise à une personne appréhendée à un stade ultérieur.

Le droit de consulter un médecin ne semble accordé qu'une fois que la personne appréhendée a été placée dans un centre de détention temporaire (« IVS ») – autrement, c'est au fonctionnaire de service au poste de police de décider si une assurance médicale ou un examen médical sont nécessaires. L'Instruction de 1999 sur les procédures sanitaires et médicales dans les IVS (§ 19) prévoit que les examens médicaux par le personnel de l'État et des établissements de santé municipaux ne sont effectués qu'en présence du fonctionnaire de service, ce qui contredit clairement les normes jurisprudentielles de la Cour selon lesquelles de tels examens devraient normalement se faire hors de la vue et de l'ouïe de la police. Il serait utile de savoir si les professionnels de la santé sont tenus de signaler aux autorités chargées de l'application des lois tout signe de lésion corporelle détecté chez les détenus ou leurs plaintes pour mauvais traitements.

Quant au droit d'informer d’autres personnes, la personne appréhendée peut l'exercer « dès que possible, mais au plus tard dans les 3 heures suivant l’appréhension » (des exceptions sont possibles dans les affaires pénales). La possibilité d'un délai de 3 heures dans tous les cas peut toutefois soulever des questions quant à l'efficacité de cette garantie en termes de protection contre les mauvais traitements. Les commentaires des autorités sur ce qui précède ainsi que les mesures prévues pour remédier aux lacunes susmentionnées s’avèrent nécessaires.

En outre, il serait utile de disposer d’informations sur le cadre législatif et réglementaire régissant le recours à la force par la police.

Les condamnations pour « fausses accusations » de personnes alléguant des mauvais traitements par la police sont inquiétantes, en ce sens qu'elles entravent l'accès au système d'enquête criminelle. Par conséquent, le recours à de telles condamnations, en particulier à de longues peines d'emprisonnement, devrait être fait avec une grande prudence. Des informations statistiques sur le nombre de condamnations de ce type dans le contexte des plaintes pour mauvais traitements seraient utiles.

En outre, des informations restent attendues sur toute mesure visant à lutter contre les mauvais traitements infligés par la police en raison de l'origine ethnique de la victime.

B)    Garantir l'efficacité des enquêtes sur les allégations de mauvais traitements en garde à vue

Les informations sur la formation interne du Comité d'investigation sur les méthodes d'enquête concernant les plaintes pour mauvais traitements en garde à vue peuvent être notées avec intérêt.

Il est satisfaisant de noter que des données statistiques concernant les plaintes de mauvais traitements par la police en 2017 et 2018 ont été fournies. En ce qui concerne la baisse du nombre total de ces plaintes, une question peut se poser sur la manière dont elles sont enregistrées, comme indiqué ci-dessus par « Public Verdict Foundation ». Des commentaires des autorités sur cette question sont nécessaires.

Il apparaît que des affaires pénales ont été ouvertes dans environ 1,9 % des plaintes (bien qu'il soit possible que plusieurs plaintes aient été jointes dans une même affaire pénale), le reste ayant été rejeté au stade de l'enquête préliminaire. Il convient de rappeler ici que de telles enquêtes ne constituent pas un cadre juridique approprié car elles manquent de garanties suffisantes (voir Lyapin, no 46956/09, définitif le 24 octobre 2014, et Samesov, no 57269/14, définitif le 20 février 2019), et que de vraies enquêtes pénales doivent être ouvertes à cet effet.

En outre, la répartition des compétences entre les différents organes chargés d'enquêter sur les actes de torture et les mauvais traitements par la police reste floue. Si les unités spéciales du Comité d'investigation ne traitent que des affaires les plus complexes et les plus médiatisées, la question de l'indépendance insuffisante des enquêtes semble persister. Les autorités devraient être invitées à fournir une description claire des rôles des autres organes impliqués, y compris des services de sécurité interne de la police et des enquêteurs qui ne sont pas membres des unités spéciales susmentionnées.

D'autres questions soulevées par les ONG suscitent également des préoccupations, telles que l'impact négatif allégué sur l'évaluation des performances des enquêteurs de l'absence de condamnations judiciaires dans les affaires pénales qu'ils ont ouvertes. Les commentaires des autorités sont nécessaires.

Enfin, la pratique du sursis de peines infligées aux policiers reconnus coupables de torture et de traitements inhumains et dégradants, du moins lorsqu'elle n'est pas justifiée par leur repentir actif ou l'indemnisation des victimes, est disproportionnée et prive le droit pénal de son effet dissuasif (voir, par exemple, Voroshilov, § 26). Cette pratique devrait être reconsidérée.


En outre, compte tenu de la persistance de la torture en garde à vue et de la pratique apparemment généralement clémente des condamnations en vertu de la disposition relative à « l'abus de pouvoir », le Comité pourrait suggérer que les autorités érigent la torture en infraction pénale distincte[2], en supprimant les délais de prescription et en fixant des peines appropriées, conformément à la pratique des autres États membres et du Comité.

Des informations restent attendues en ce qui concerne les mesures prises pour améliorer l'efficacité du contrôle juridictionnel des enquêtes au titre de l'article 125 du Code de procédure pénale (voir la décision du Comité adoptée en juin 2015 et H/Exec(2015)4rev pour l'analyse du Secrétariat). Le rejet précité par un tribunal d'une plainte contre refus d'ouvrir une enquête pénale sur la base de l'incapacité d'un requérant à produire « la traduction officielle » d'un arrêt de la Cour (voir Statut d'exécution - Mesures individuelles ci-dessus) pose une autre question quant à son efficacité : il appartient aux autorités d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que les juges puissent se familiariser avec les arrêts de la Cour sans que les parties soient obligés de fournir des « traductions officielles ». Une clarification est attendue sur cette question, notamment en ce qui concerne la rapidité avec laquelle les traductions, les résumés ou les extraits d'arrêts de la Cour européenne sont transmis aux juges nationaux et sur le point de savoir si le statut juridique de telles traductions permet leur utilisation dans les procédures nationales sans qu'il soit nécessaire de faire les parties fournir d'autres traductions certifiées conformes.

C)    Utilisation d'aveux obtenus sous la contrainte pendant le procès

L'admission d'éléments de preuve obtenus sous la torture, ainsi que le contrôle judiciaire superficiel ou autrement inefficace des enquêtes sur les allégations selon lesquelles certains éléments de preuve auraient été ainsi obtenus, pose de sérieux problèmes. Cela continue d'encourager la pratique de la torture et vicie l'équité de toute procédure fondée sur des éléments de preuve obtenus de cette manière. Il faut trouver des moyens d'encourager les tribunaux à envoyer le message clair que les mauvais traitements et la torture par la police ne sont pas tolérés. Des informations concernant cet aspect restent attendues.

D)    Conclusion

Si les informations communiquées par les autorités sont notées avec intérêt, il ne semble pas que des progrès importants aient été réalisés dans ce groupe d'affaires bien que les questions qu’il soulève aient été identifiées et acceptées par les autorités comme un problème nécessitant des mesures générales déjà en 2006 (Mikheyev). L'absence de progrès majeurs est corroborée par les communications des ONG et les plaintes des requérants, ainsi que par les conclusions d’organismes internationaux[3].

Une action urgente s'impose donc en vue d'assurer enfin le respect du droit russe et le respect de la Convention dans ce domaine. En outre, les autorités devraient être encouragées à consentir à la publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), couvrant la question des mauvais traitements et de la torture en garde à vue.

Financement assuré : OUI



[1] Ce document a été classé en diffusion restreinte jusqu’à la date de son examen par le Comité des Ministres.

[2] Voir également les Observations finales du Comité des Nations Unies contre la torture sur le sixième rapport périodique de la Fédération de Russie (adoptées par le Comité à sa 64e session, juillet-août 2018).

[3] Ibid