DÉLÉGUÉS DES MINISTRES

Notes sur l'ordre du jour

CM/Notes/1362/H46-25

5 décembre 2019

1362e réunion, 3-5 décembre 2019 (DH)

Droits de l'homme

 

H46-25 Groupe Klyakhin c. Fédération de Russie (Requête n° 46082/99)

Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne

Documents de référence

CM/ResDH(2018)230, DH-DD(2018)474, DH-DD(2019)1223, CM/Del/Dec(2018)1318/H46-20

 

 

Requête

Affaire

Arrêt du

Définitif le

Critère de classification

46082/99

GROUPE KLYAKHIN (Liste des affaires CM/Notes/1362/H46-25-app)

30/11/2004

06/06/2005

Problème complexe

Description des affaires

Toutes les affaires dans ce groupe concernent des violations du droit des requérants à la liberté et à la sûreté dans le contexte de la détention provisoire (article 5), principalement pour les motifs suivants :

Article 5 § 1 : Détention provisoire en l’absence d’une décision de justice (principalement en raison de prolongations répétées de la détention aux fins d’étudier le dossier.

Article 5 § 2 : Manquement à l’obligation d’informer promptement le requérant des raisons de son arrestation.

Article 5 § 3 : Manquement des juridictions nationales à l’obligation de fournir des raisons pertinentes et suffisantes pour justifier la prolongation de la détention provisoire des requérants (y compris le manquement à l’obligation d’examiner des mesures alternatives à l’emprisonnement et décisions ordonnant la détention collective, sans examen au cas par cas des raisons justifiant la détention) ; et défaut de diligence spéciale.

Article 5 § 4 : Durée excessive et diverses irrégularités des procédures en appel.

Article 5 § 5 : Absence de droit exécutoire à réparation pour des violations de l’article 5.

Autres violations: Dans certaines affaires, la Cour a également constaté d’autres violations, notamment mauvaises conditions de détention provisoire (article 3) et absence de recours effectif (article 13) ; conditions de détention inadéquates pendant le transport au palais de justice et manquement des autorités nationales à assurer de manière adéquate les besoins du requérant en matière d’alimentation et de sommeil durant les jours d’audience au tribunal (article 3) ; mesures de sécurité humiliantes dans la salle d’audience (cages métalliques) (article 3) ; durée excessive des procédures pénales (article 6 § 1) et absence de recours effectif (article 13) ;  iniquité des procédures pénales en raison de l’absence d’audiences publiques, l’impossibilité de réfuter les déclarations des témoins à charge, le défaut d’accès à un avocat pendant la détention, l’impossibilité de faire témoigner les experts de la défense, la composition illégale du tribunal (article 6) ; atteinte au principe de la présomption d’innocence (article 6 § 2) ; restriction de la liberté pour des raisons autres que celles autorisées par l’article 5 (article 18 combiné avec l’article 5) ; envoi des requérants dans des colonies correctionnelles éloignées pour y purger leur peine (article 8) ; censure de la correspondance des prisonniers (article 8) ; entrave à l’exercice du droit de recours individuel (article 34) ; des violations du droit au respect des biens, requérants tenus responsables personnellement de certains impôts sur les sociétés sans aucune base légale (article 1 du Protocole 1).


État d’exécution

Des plans d'action ont été soumis pour ce groupe d’affaires en 2008 (selon les méthodes de travail précédentes), le 5 novembre 2015 (DH-DD(2015)1171), le 23 février 2017 (DH-DD(2017)345), le 22 août 2017 (DH-DD(2017)880), le 29 août 2017 (DH-DD(2017)936) ainsi que dans le cadre de l'exécution de l'arrêt pilote Ananyev et autres, concernant les mauvaises conditions de détention mais couvrant également partiellement le problème lié à l’article 5 § 3.  

Lors de son dernier examen du groupe en juin 2018, en ce qui concerne les mesures individuelles, le Comité a clos sa surveillance de 123 affaires dans lesquelles les mesures individuelles nécessaires avaient été prises ; il a examiné les informations concernant les requérants toujours en détention provisoire, demandant des informations supplémentaires au sujet de trois requérants qui se plaignaient que cette détention était de nouveau insuffisamment motivée ; et, s'agissant des affairesKhodorkovskiy et Lebedev (violation de l'article 1 du Protocole n° 1) et des deux affaires Pichugin (violations de l'article 6), réitéré ses conclusions antérieures selon lesquelles les progrès nécessaires n'avaient pas été accomplis. En particulier, le Comité a noté que dans la deuxième affaire Pichugin, l'affaire avait été rouverte au niveau national mais que la Cour suprême avait conclu que les violations de la Convention n'avaient pas influencé l'issue de l'affaire et n'appelaient pas à un nouveau procès. Compte tenu de ces questions en suspens, de la gravité des violations et de la sanction infligée (condamnation à perpétuité), le Comité a regretté l'absence de toute mesure tangible de réparation.

En ce qui concerne les mesures générales, le Comité a noté l'absence de progrès suffisants pour résoudre le problème de l'incapacité des tribunaux nationaux à invoquer des motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire, et a appelé les autorités à poursuivre leurs efforts, notamment en modifiant éventuellement la législation, en améliorant l'application pratique des lois et en poursuivant les activités de sensibilisation, notamment grâce à l'aide du Conseil de l'Europe.

 

En réponse à cette décision, les autorités ont fourni un plan d'action (DH-DD(2019)1223), qui est résumé ci‑dessous, ainsi que fait part d'autres développements importants.

Mesures individuelles

 

Dans les informations fournies précédemment et leur dernier plan d'action, les autorités ont fourni des détails sur les mesures individuelles prises dans 48 affaires de ce groupe, montrant que les requérants ont été soit libérés, soit purgeant leur peine. Pour remédier aux violations de l'article 6 constatées dans certaines affaires en raison de la durée de la procédure, la procédure pénale a été arrêtée. En ce qui concerne plusieurs de ces affaires dans lesquels des violations de l'article 6 ont été constatées parce que la participation des requérants détenus à la procédure civile n'avait pas été assurée sur la base de motifs suffisants, les requérants n'a présenté aucune demande de réouverture. Une satisfaction équitable a été versée dans tous les affaires pertinentes pour traiter les autres violations auxquelles il ne peut être remédié autrement, notamment les violations de l'article 5 §§ 1, 4 et 5. Dans certaines de ces affaires, il n'a pas été possible de payer la satisfaction équitable parce que les requérants n'ont pas fourni les détails de leur compte malgré les rappels des autorités ; les autorités s'engagent à la payer dès que les requérants fournissent ces détails.

 

Dans certaines autres affaires du groupe, les requérants[1] étaient encore en détention provisoire au moment de l'adoption des arrêts. Certains d'entre eux ont transmis des communications se plaignant que leur détention provisoire avait été prolongée après les arrêts de la Cour sans raisons pertinentes et suffisantes[2]. Un requérant[3] s'est plaint que, en décidant de prolonger sa détention, le tribunal a refusé de prendre note de l'arrêt de la Cour européenne parce que la traduction n'était pas certifiée conforme.

En ce qui concerne l'affaire Gusinskiy, selon les informations disponibles, l'accord conclu en violation de l'article 18 combiné avec l'article 5 n'a jamais été exécuté (voir § 32 de l'arrêt), les charges retenues contre le requérant ont été abandonnées et celui-ci a été libéré rapidement (avant toute révision judiciaire de la décision de détention). Aucune plainte ou information complémentaire n'a été reçue du requérant à la suite de l'arrêt de la Cour européenne, adopté le 19 mai 2004.


Aucune information n'a été fournie en réponse à la dernière décision du Comité concernant les mesures individuelles dans les affaires Khodorkovskiy et Lebedev et les deux affairesPichugin.

Mesures générales

Depuis le dernier examen du groupe par le Comité, tous les arrêts de ce groupe ont été traduits et diffusés auprès des autorités compétentes de l'État, y compris des services centraux et des antennes régionales et locales (le cas échéant) de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême, du Bureau du Procureur général, du Comité d'enquête, du Ministère de l'intérieur, du Service pénitentiaire fédéral. Les traductions en russe des arrêts sont disponibles sur les sites Web du Ministère de la justice, des parquets, de la Cour suprême (site Web interne accessible à tous les tribunaux en Russie) et dans des bases de données privées.  

L'article 109 du Code de procédure pénale a été modifié les 27 décembre 2018 et 2 août 2019. Il oblige désormais les enquêteurs à justifier les demandes de prolongation de la détention provisoire et contient une description détaillée des critères à utiliser à cette fin. Il oblige également les juges à fixer une date de fin de prolongation de la détention aux fins de l'étude d'un dossier (chaque prolongation ne peut excéder trois mois) et à prendre en considération les circonstances particulières de l'affaire. Les juges ont désormais le droit de prolonger la détention pour une durée plus courte que celle demandée par l'enquêteur.

Une nouvelle mesure de restriction a été introduite par la loi du 18 avril 2018, à savoir l'injonction restrictive qui impose des conditions au comportement de la personne accusée, comme l'obligation de ne pas quitter la maison à certaines périodes ou de ne pas communiquer avec des personnes spécifiques. Cette mesure est utilisée comme alternative à la détention provisoire.

Le 3 juillet 2018, l'article 72 du Code pénal a été modifié afin d'augmenter les ratios entre la période de détention provisoire et les peines d'emprisonnement prononcées après condamnation. En conséquence, en 2018, environ 10 000 détenus condamnés ont été libérés et les peines de 81 000 autres détenus ont été réduites.

Avant la fin de 2019, la Cour suprême achèvera ses recherches sur les raisons de la détention provisoire non justifiée d'hommes d'affaires. Elle a également traduit l'aperçu de la jurisprudence de la Cour européenne en matière de détention provisoire et l'a publié sur son site Web, qui est accessible à tous les tribunaux. Dans ses contrôles réguliers, la Cour suprême continue de se référer à la jurisprudence de la Cour européenne.

Le comité d'enquête prend des mesures pour réduire la durée des enquêtes et a décidé en 2018 que si une enquête était prolongée au-delà de neuf mois, l'Office central du comité d'enquête doit être impliqué pour faciliter le travail d'enquête. Toujours en 2018, le Ministère de l'intérieur a renforcé sa coopération avec le Bureau du Représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme afin que la police soit mieux informée des normes de la Convention. Des activités de sensibilisation sont organisées. En janvier 2019, le Procureur général adjoint a tenu une vidéoconférence avec les procureurs régionaux consacrée au problème de la surpopulation dans les centres de détention provisoire et a ordonné un certain nombre de mesures pour y remédier. Des activités interministérielles ont également eu lieu, visant principalement à réduire le nombre de personnes placées en garde à vue.

Statistiquement, le nombre de demandes de détention provisoire initiale présentées par les enquêteurs est passé de 135 000 en 2016 à 114 000 en 2018 (environ 16 %), et le nombre de demandes acceptées est passé de 122 000 en 2016 à 102 000 en 2018. Les demandes de prolongations ont également diminué, passant de 228 000 en 2016 à 217 000 en 2018 (environ 5 %), ainsi que le nombre de demandes de prolongations accordées par les tribunaux (de 223 000 en 2016 à 210 000 en 2018). Le nombre de personnes placées en garde à vue en Russie est à son niveau le plus bas : au 1er janvier 2019, il y avait environ 99 800 (la capacité d'occupation maximale en Russie étant de 129 400) contre 117 000 au 1er janvier 2016 (environ 15 %).

Les mesures de restriction alternatives à la détention provisoire sont largement utilisées : l'assignation à résidence a été utilisée plus de 15 000 fois en 2018 et les injonctions restrictives ont été utilisées dans environ 1 000 affaires la même année.

En ce qui concerne la violation de l'article 18 combiné avec l'article 5 dans l'affaire Gusinskiy, l'article 90 du Code de procédure pénale (CPP) de 1960, qui laissait place à des motifs peu clairs de détention provisoire avant la décision d'inculper officiellement, n'est plus en vigueur. Le Code de procédure pénale de 2001 exige désormais des motifs spécifiques pour une telle détention. En outre, un contrôle juridictionnel effectif de cette détention a été introduit (voir la décision adoptée par le Comité dans ce groupe d'affaires en décembre 2015, § 5).


Analyse du Secrétariat

Mesures individuelles :

La question des mesures individuelles paraît être résolue dans 48 affaires où les requérants ne sont plus en détention provisoire, ni ne semblent subir les conséquences d'autres violations de la Convention (voir pour plus de détails sur les mesures adoptées dans le Statut d'exécution, ci-dessus) qui peuvent être closes (pour la liste des affaires, voir l'annexe à la Résolution finale CM/ResDH(2019)368).

 

En ce qui concerne les questions particulières soulevées dans les deux affaires Pichugin et l’affaire Khodorkovskiy et Lebedev, pour M. Pichugin, qui a toujours plaidé l'innocence, ce qui était et reste en jeu, c'est la justesse du verdict de culpabilité et la justification de sa condamnation à vie, compte tenu des violations du droit à un procès équitable (article 6) ; pour M. Khodorkovskiy, il s'agissait, et il s'agit toujours, de la levée d'une indemnité illégale de plusieurs millions d'euros accordée en violation de son droit de propriété (article 1er du Protocole n° 1). Les autorités n'ont fourni aucune information en réponse aux préoccupations répétées du Comité concernant, en particulier, la réouverture des affaires de M. Pichugin dans lesquelles la Cour suprême, sans motiver sa conclusion de manière adéquate, a estimé que les violations de la Convention n'avaient pas d'influence sur l'issue de l’affaire dans son ensemble (pour une évaluation détaillée, voir les notes concernant les décisions antérieures du Comité à ce sujet, adoptées notamment en septembre 2016 et juin 2018), et l'absence d'information sur la question de savoir si sa deuxième demande de grâce a été accordée. Le Comité peut souhaiter en prendre note avec un profond regret et exhorter à nouveau les autorités à adopter d'urgence les mesures individuelles nécessaires.

 

En ce qui concerne les autres affaires du groupe dans lesquelles les mesures individuelles sont encore en suspens, il convient d'accorder une attention particulière aux affaires relevant de l'article 5 § 3 dans lesquelles les requérants semblaient toujours en détention provisoire au moment de l'adoption des arrêts[4]. Les autorités n'ont souvent fourni aucune information sur le point de savoir si ces requérants sont toujours détenus et, dans l'affirmative, pour quels motifs, malgré les nombreuses plaintes formulées dans les communications des requérants[5] et les demandes du Comité[6].

Dans ce contexte, le Comité devrait demander aux autorités de l'informer lorsque la détention provisoire de tout requérants de ce groupe est prolongée et de fournir des détails sur les motifs de cette prolongation. De telles informations permettraient non seulement au Comité de continuer à clore les affaires pour lesquelles aucune autre mesure individuelle n'est requise, mais aussi de savoir si les mesures générales prises sont efficaces pour améliorer le respect par les juridictions nationales des dispositions de l'article 5 § 3.  

Dans de telles affaires, lorsque les requérants sont toujours en détention provisoire au moment de l'adoption de l'arrêt par la Cour européenne, il est essentiel que les autorités veillent à ce que les arrêts soient traduits et diffusés rapidement, afin de permettre aux juges nationaux de tenir compte des critiques formulées par la Cour lorsqu'ils statuent sur des demandes de prolongation supplémentaires. Dans ce contexte, la prolongation de la détention provisoire après l'arrêt de la Cour dans l'affaire Kuznetsov (arrêt Ogly et autres, no 49998/17), avec le refus du juge de prendre en compte une traduction non certifiée conforme d'une copie de l'arrêt de la Cour européenne (voir ci-dessus) est préoccupante, d'autant plus que les autorités ont informé le Comité il y a quelque temps que les juges ont accès aux traductions des arrêts de la Cour sur le site Internet interne de la Cour suprême et qu'en 2013, la Cour suprême a invité des juges, par une de ses décisions de référence, à les utiliser[7]

En conséquence, compte tenu de la Recommandation Rec(2002)13 du Comité, confirmée récemment par la Recommandation CM/Rec(2019)5, il serait utile de clarifier davantage si les juges nationaux reçoivent rapidement des traductions, des résumés ou des extraits des arrêts pertinents de la Cour européenne rendus en application de l'article 5 § 3 et si le statut juridique de ces traductions (cf. l'état des traductions des traités internationaux) permet de les utiliser comme base de décision pour la poursuite de la détention provisoire des requérants.

Il conviendrait également de savoir si les juges sont informés, par exemple au cours de leurs sessions régulières de formation, de l'importance d'utiliser ces traductions et si elles sont également à la disposition des parties à la procédure.


Mesures générales :

Les mesures générales signalées par les autorités dans leur dernier plan d'action visaient essentiellement à résoudre le problème de l'incapacité des tribunaux nationaux à invoquer des motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention, lequel demeure un problème majeur, comme en témoigne l'afflux continu de nouvelles affaires.

Les mesures adoptées jusqu'à présent se sont traduites par une diminution significative du nombre de prévenus (de l'ordre de 14 % en 2016-2018), notamment parce que les enquêteurs présentent moins de demandes de détention provisoire initiale (diminution d'environ 16 % sur la même période) et sa prolongation (5 %). Ces progrès sont à saluer.

Dans le même temps, le taux de demandes des enquêteurs acceptées par les juges reste très élevé (environ 98 % en 2016 et 97 % en 2018 pour les prolongations de détention provisoire). Le Comité pourrait demander aux autorités d'expliquer ce taux d'approbation élevé.

Le Comité pourrait également réitérer sa demande aux autorités d'améliorer encore le cadre législatif, en reflétant les exigences découlant de l'article 5, directement dans le CPP (comme indiqué dans l'arrêt pilote Ananyev et autres, § 202), et en l’accompagnant de nouvelles améliorations dans la pratique et de la poursuite des activités de sensibilisation (voir la décision précédente en la matière, adoptée par le Comité en juin 2018, § 7, et les notes y relatives).

Dans ce contexte, l'attention des autorités peut être appelée sur l'article 110 du CPP. En effet, la Cour suprême a de façon répétée souligné la nécessité de se conformer aux exigences de la Convention, y compris en indiquant que les motifs de la détention provisoire initiale ne peuvent pas permettre sa prolongation (voir la décision plénière de la Cour suprême du 19 décembre 2013, n° 41, § 21). Ceci a déjà été noté avec satisfaction par le Comité dans sa décision adoptée en décembre 2015 (§ 5). Toutefois, malgré cela, jusqu'à présent, interprétation littérale de l'article 110 est que le juge devrait prolonger la détention provisoire si les circonstances servant de motif à la détention provisoire initiale n'ont pas changé avec le temps. Ce raisonnement est contraire à la jurisprudence de la Cour au titre de l'article 5 § 3 de la Convention et a été critiqué à plusieurs reprises par la Cour[8]. En conséquence, les autorités pourraient être invitées à modifier l'article 110 du Code de procédure pénale et à y inclure une exigence, fondée sur la jurisprudence de la Cour européenne, selon laquelle plus une personne reste longtemps en détention provisoire, plus les motifs nécessaires pour la prolonger doivent être circonstanciés.

Dans le même temps, les récentes modifications apportées à l'article 109 du CPP doivent être saluées. Ces amendements, en particulier, ont clarifié des questions spécifiques concernant les prolongations répétées de la détention provisoire aux fins de l'examen d'un dossier, permettant ainsi de remédier à un manque de clarté ayant entraîné un certain nombre de violations de l'article 5 § 1. Par ailleurs, ces modifications s'adressent principalement aux enquêteurs, ce qui les oblige à justifier les demandes de détention provisoire à l'aide de critères détaillés et spécifiquement énumérés. Il serait utile d'obtenir des informations supplémentaires sur la question de savoir si d'autres modifications législatives à l’intention des juges sont également nécessaires, compte tenu du fait que la racine du problème est l'absence de décisions bien étayées de la part des juges.

La nouvelle injonction restrictive introduite le 18 avril 2018 peut être notée avec intérêt. Le Comité pourrait exprimer l'espoir qu'elle sera largement utilisée dans la pratique comme alternative à la détention provisoire.

La modification de l'article 72 du Code pénal, augmentant les ratios entre la période de détention provisoire et les peines d'emprisonnement prononcées à l'issue d'une condamnation – dont on peut se féliciter- concerne cependant exclusivement les détenus condamnés et n'est donc pas pertinente pour les questions soulevées par le présent groupe.

Les activités continues de sensibilisation, y compris avec la participation du Conseil de l'Europe, peuvent aussi être saluées. Le Comité pourrait souhaiter inviter les autorités à poursuivre ces mesures, en tirant davantage parti des programmes de coopération du Conseil de l'Europe.

En ce qui concerne les autres problèmes en suspens concernant les violations des articles 5 §§ 1, 4 et 5 (y compris les prolongations répétées de la détention aux fins de l'examen du dossier, la longueur des procédures de recours et l'absence d'un droit exécutoire à indemnisation pour les violations de l'article 5), le Comité pourrait souhaiter réitérer son appel à fournir des informations sur les mesures prévues.


En particulier, le fait que l'article 109, tel que modifié, oblige désormais les juges à spécifier une date de fin de la prolongation de la détention aux fins de l'examen du dossier ne résout pas le problème de la possibilité de continuer à demander des prolongations pour ce motif, comme le Comité l'a déjà souligné.

Dans l’affaire Gusinskiy, les mesures générales adoptées (voir ci-dessus) signifient que le type d'abus de pouvoir qui a conduit à la violation de l'article 18 serait aujourd'hui proscrit par un cadre législatif clair et soumis à un contrôle judiciaire effectif. Cette affaire peut donc être close.

Financement assuré : OUI



[1] Voir, en particulier, les arrêts rendus dans les affaires Ananchev et autres (huitrequérants étaient encore en détention provisoire au moment de la rédaction de l'arrêt), Arsentyev et autres (un), Asonov et autres (trois), Belkov et autres (un), Belousov et autres (trois), Bibik et autres (un), Lastochkin et autres (deux), Ogly et autres (un), Rubtsov et Balayan (un), Sinyushkin et autres (un), Tseboyev et autres (quatre), Utimishev et autres (six requérants). Il arrive parfois que l'on ne sache pas si le requérant est toujours en détention provisoire, même dans des affaires très anciennes, ce qui empêche leur clôture (par exemple, Shkilev, n° 13541/06, arrêt du 19/03/2009).

[2] Voir, en particulier, les plaintes de M. Meleshin, arrêt Sarbakhtin et autres, 611/15, communication du 24 mars 2017
DH-DD(2017)351 ; de M. Rastopchin, arrêt Khasanov et autres, 77153/13, communication du 11 juillet 2017 DH-DD(2017)799 ; de M. Arzamasov, arrêt Chernova et autres, n° 20443/06, communication du 16 avril 2019 ; de M. Abramov, arrêt Bekuzarov et autres, n° 44786/11 ; de M. Kuznetsov, arrêt Ogly et autres, n° 49998/17 ; de M. Popov, arrêt Chernova et autres, n° 20443/06 ; de Mme Maslova, arrêt Bibik et autres, n° 10602/17 ; de Mme Fedorova et de M. Maslov, arrêt Tseboyev et autres, n° 32041/17 ; de M. Armyakov, arrêt Ananchev et autres, n° 7026/10. Certaines de ces communications n'ont pas été diffusées parce qu'elles ont été soumises en russe.

[3] M. Kuznetsov (arrêt Ogly et autres, n° 49998/17).

[4] Voir note 3, supra.

[5] Voir note 4, supra.

[6] Voir l'enquête du Comité dans sa décision de juin 2018, § 2, concernant M. Moskvitin (arrêt adopté dans l'affaire Klepikov), M. Popov (Chernova et autres) ; M. Ionov (Poltoratskiy et autres). Une réponse n'a été reçue que pour M. Moskvitin.

[7] Pour la traduction anglaise, voir l'annexe au Plan d'action du groupe Klyakhin de novembre 2015, DH-DD(2015)1171, p. 31.

[8] Voir, par exemple, Fedorenko c. Russie, no 39602/05, arrêt du 20/09/2011, § 69.