DÉLÉGUÉS DES MINISTRES

Notes sur l'ordre du jour

CM/Notes/1362/H46-18

5 décembre 2019

1362e réunion, 3-5 décembre 2019 (DH)

Droits de l'homme

 

H46-18 Parascineti et groupe Cristian Teodorescu c. Roumanie (Requêtes nos 32060/05 et 22883/05)

Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne

Documents de référence

DH-DD(2016)829, CM/Del/Dec(2016)1265/H46-22

 

 

Requête

Affaire

Arrêt du

Définitif le

Critère de classification

32060/05

PARASCINETI

13/03/2012

13/06/2012

Problème complexe

GROUPE CRISTIAN TEODORESCU

22883/05

CRISTIAN TEODORESCU

19/06/2012

19/09/2012

Problème structurel

50131/08

ATUDOREI

16/09/2014

16/12/2014

16270/12

COMORAŞU

31/05/2016

31/08/2016

60113/12

ULISEI GROSU

22/03/2016

12/09/2016

Description des affaires

L’affaire Parascineti concerne les mauvais traitements subis par le requérant lors de son placement non volontaire au service de psychiatrie de l’hôpital Sighetu Marmaţiei entre les 5 et 13 juillet 2005, en raison du surpeuplement, des conditions sanitaires et d’hygiène précaires, y compris l’absence de lit individuel, et de l’impossibilité de passer du temps en plein air par manque de personnel (violation de l’article 3).

Les affaires du groupe Cristian Teodorescu concernent le placement irrégulier des requérants dans des hôpitaux psychiatriques ou dans une affaire l’arrestation d’un requérant par la police en vue de soumettre à un tel placement (Ulisei Grosu), en méconnaissance de la procédure prévue par la loi relative à la santé mentale et en l’absence de toute justification tenant à leur état de santé mentale (violations de l'article 5 § 1 e). L’affaire Atudorei concerne en outre le non-respect par les médecins psychiatres des exigences légales qui leur imposaient d’obtenir le consentement de la requérante pour le traitement médical dispensé lors de son placement ou, faute de consentement, de soumettre ce traitement à la validation d’une commission médicale (violation de l’article 8).

La Cour européenne a estimé que ces violations se sont produites dans le contexte des lacunes du cadre législatif régissant la procédure et les garanties en matière de placement psychiatrique d’office au moment des faits (2004-2008) ainsi que des problèmes à plus ample échelle qui affectaient l’application de ce cadre. Elle a souligné que l’absence de désignation par le ministère de la Santé des hôpitaux habilités à procéder à des placements non volontaires, ajoutée à la connaissance précaire des procédures prévues par la loi relative à la santé mentale par le personnel médical avaient rendu son application difficile et incohérente (Cristian Teodorescu § 65 ; Atudorei, §§ 85-87 et 149).

Dans l’affaire Comoraşu, la Cour européenne a également jugé que l’enquête pénale menée entre 2009 et 2011 sur les allégations du requérant selon lesquelles les circonstances de son appréhension par la police et de son placement non volontaire ultérieur constituaient des mauvais traitements n’avait pas été effective (violation procédurale de l’article 3)[1].


État d’exécution

Mesures individuelles : 

Les placements hospitaliers des requérants avaient pris fin à la date des arrêts et la satisfaction équitable octroyée par la Cour européenne a été payée.

Aucune information n’a été communiquée sur la réouverture de l’enquête pénale concernant les allégations de mauvais traitements formulées par le requérant dans l’affaire Comoraşu.

Mesures générales :

A. Dernier examen par le Comité des Ministres

Le dernier examen par le Comité des affaires alors sous sa surveillance (Parascineti, Cristian Teodorescu et Atudorei) a eu lieu en septembre 2016 (voir CM/Notes/1265/H46-22).

En ce qui concerne les conditions de vie et de traitement des patients dans les hôpitaux de psychiatrie et les unités de psychiatrie des hôpitaux généraux, le Comité a noté que les problèmes mis en évidence dans l’affaire Parascineti semblaient persister dans certains établissements de ce type et a invité les autorités à l’informer des mesures concrètes envisagées pour y remédier.

En ce qui concerne les placements psychiatriques non volontaires, le Comité s’est félicité du fait que des modifications apportées à la loi relative à la santé mentale en 2012 avaient soumis les décisions de placement non volontaire à un contrôle judiciaire d’office, remédiant ainsi aux lacunes législatives constatées dans les arrêts pertinents. Toutefois, il a invité les autorités à introduire un tel contrôle également en ce qui concerne les décisions de reconduire des placements non volontaires, afin de garantir le respect des exigences de l’article 5 § 4. Il a en outre invité les autorités à fournir des informations sur la manière dont elles envisageaient d’assurer l’application rigoureuse et uniforme de la procédure et des garanties légales en matière de placement non volontaire dans tous les établissements habilités à procéder à de telles mesures, vu que les problèmes mis en évidence par la Cour à cet égard persistaient.

Le Comité a également demandé des informations sur les mesures prises ou envisagées pour assurer le respect des dispositions légales régissant le consentement au traitement psychiatrique, en réponse à la violation de l’article 8 constatée dans l’affaire Atudorei.

B. Développements depuis le dernier examen par le Comité

Au moment de la rédaction des présentes notes, aucune information n’avait été reçue des autorités en réponse à la décision adoptée lors de son examen de septembre 2016.

L’institution de l’Avocat du Peuple a récemment[2] annoncé qu’elle préparait un rapport spécial contenant des recommandations, sur la base des conclusions des visites qu’elle a effectuées dans plusieurs hôpitaux psychiatriques. Le rapport sera soumis au Parlement et au gouvernement et publié.

Les rapports de suivi publiés par l’Avocat du Peuple[3], y compris en sa qualité de mécanisme national de prévention, fournissent des informations sur la situation actuelle dans certains hôpitaux psychiatriques, comme suit :

1) Conditions de vie et de traitement des patients dans les hôpitaux de psychiatrie

En septembre 2019, l’Avocat du Peuple a effectué une enquête sur place à l’unité psychiatrique de l’hôpital de Sighetu Marmaţiei. Il a constaté une situation de surpeuplement et des mauvaises conditions matérielles et hygiéniques dans plusieurs sections, dont une située au sous-sol qui offrait des conditions totalement inadéquates.

Il a également constaté que l’unité continuait de faire face à des pénuries dans toutes les catégories de personnel, y compris le personnel médical spécialisé. Il a conclu que les conditions dans cette unité affectaient la dignité des patients et constituaient un traitement dégradant.


En 2018 et 2019, l’Avocat du Peuple, en sa qualité de mécanisme national de prévention, s’est rendu dans 11 autres hôpitaux psychiatriques et a signalé que si les conditions matérielles et hygiéniques étaient généralement appropriées, la surpopulation et l’insuffisance de l’espace vital et d'installations sanitaires restaient un problème dans certains hôpitaux, certains patients étant même contraints de partager leurs lits. La situation était extrêmement grave à l’hôpital psychiatrique avec mesures de sûreté de Pădureni-Grajduri, qui comptait 384 patients pour une capacité de 240 lits, malgré les précédentes demandes de mesures correctives formulées par l’Avocat du Peuple. Comme les années précédentes[4], l’Avocat du Peuple a continué de rencontrer des patients handicapés mentaux qui n’avaient pas besoin d’un traitement psychiatrique mais ne pouvaient quitter l’hôpital car ils n’avaient ni famille ni logement approprié dans des établissements de soins sociaux.

En ce qui concerne les effectifs, sur les 11 hôpitaux visités, sept étaient confrontés à des pénuries dans toutes les catégories (médecins, psychologues, thérapeutes, infirmières, aides-soignants, personnel de surveillance etc.) en dépit des mesures prises pour pourvoir les postes vacants. Cela affectait non seulement le traitement psychiatrique reçu par les patients, mais aussi leur sécurité et celle du personnel. Dans un rapport, il a été noté que l’hôpital avait demandé à deux reprises aux autorités locales d’offrir des mesures incitatives pour attirer du personnel qualifié dans la région.[5]

2) Placements non volontaires

La procédure et les garanties pertinentes en vertu de la loi sur la santé mentale sont décrites dans les notes pour la 1265e réunion du Comité (septembre 2016) (DH) (CM/Notes/1265/H46-22).

En ce qui concerne l’application de ces dispositions, les rapports susmentionnés de l’Avocat du Peuple indiquent que cinq des hôpitaux visités étaient prêts à admettre des patients non volontaires et que seuls deux d’entre eux[6] avaient admis de tels patients au cours des deux années précédant la visite. Bien que le nombre de placements non volontaires formels soit faible, l’Avocat du Peuple a noté que des patients volontaires étaient parfois placés sous surveillance stricte, avec une liberté de mouvement limitée et dépourvus du droit de quitter l’hôpital sans autorisation. Certains de ces patients n’avaient pas signé de formulaire de consentement. De l’avis de l’Avocat du Peuple, cela indiquait que ces patients étaient en fait détenus contre leur gré, sans avoir bénéficié des garanties juridiques pertinentes[7].

L’Avocat du Peuple a noté que la composition des commissions hospitalières compétentes pour décider ou valider les placements non volontaires n’était pas conforme aux prescriptions légales. Il a également constaté que les patients d’un hôpital n’avaient pas été suffisamment informés de leurs droits, y compris le droit de contester devant les tribunaux la décision initiale de placement et de demander une réévaluation de leur état de santé en vue de quitter l’hôpital. Dans un autre hôpital, l’Avocat du Peuple n’a trouvé aucune trace de notification des décisions de placement aux patients. Des préoccupations ont également été exprimées au sujet du contrôle judiciaire de ces décisions, dans un cas parce que le tribunal avait refusé la demande du patient d’obtenir l’avis d’un psychiatre indépendant de l’hôpital et, dans un autre, parce que la procédure de validation de la décision de la commission compétente de mettre fin au placement avait duré plus de trois mois.

L’Avocat du Peuple a recommandé que la loi relative à la santé mentale soit modifiée pour que les patients soumis à des placements non volontaires bénéficient d’une assistance juridique gratuite et que les tribunaux soient tenus de demander l’avis d’un expert indépendant dans les procédures de contrôle judiciaire. 

3) Consentement au traitement psychiatrique

L’Avocat du Peuple a mis en évidence certaines situations dans lesquelles les formulaires de consentement n’étaient pas signés par les patients et a trouvé des indications que, dans certains hôpitaux, les patients n’étaient pas suffisamment informés sur le traitement et les procédures proposés.

Analyse du Secrétariat

Mesures individuelles :

Aucune mesure individuelle n’est requise en ce qui concerne les violations des articles 3, 5 et 8 en ce qui concerne les placements non volontaires des requérants.


En ce qui concerne la violation procédurale de l’article 3 constatée dans l’affaire Comoraşu, il est regrettable que le Comité n’ait reçu aucune information sur la réouverture de l’enquête pénale. Les autorités devraient rapidement préciser si elle a été rouverte et, dans l’affirmative, quel en a été le résultat. Si elle n’a pas été rouverte, les autorités devraient rapidement évaluer s’il est toujours possible de la rouvrir et informer le Comité de leurs conclusions et de toute mesure prise et prévue en conséquence.

Mesures générales :

Ces arrêts portent sur des problèmes à grande échelle, mis en évidence dans la plupart des rapports de visite publiés par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (le « CPT ») depuis 1998[8]. Si ces rapports font état de certaines améliorations au fil du temps, les conclusions plus récentes de l’Avocat du Peuple montrent qu’il reste beaucoup à faire pour garantir des conditions de vie et de traitement appropriées aux patients dans les établissements de santé mentale et pour prévenir les privations irrégulières de liberté. L’évaluation du Comité des Ministres selon laquelle des efforts supplémentaires sont nécessaires à ces égards reste donc pleinement valable.

En ce qui concerne les conditions de vie et de traitement des patients, il a été noté lors du dernier examen du Comité que la stratégie des autorités consistant à s’appuyer sur les initiatives prises par chaque hôpital en réponse aux recommandations des mécanismes nationaux de prévention et de contrôle ne semblait pas pouvoir mener à une solution globale à une échéance prévisible.

Les constats les plus récents de l’Avocat du Peuple confirment cette évaluation et appuient également l’opinion du CPT[9], selon laquelle le surpeuplement persistant peut être lié à des facteurs indépendants de la volonté de chaque hôpital, tels que l’absence de services alternatifs et communautaires de santé mentale et de soins sociaux. De même, les autorités ont informé le Comité en 2016 que la Roumanie connaît généralement un problème de pénurie de personnel médical en raison de l’émigration[10]. Comme l’illustrent les constats de l’Avocat du Peuple[11], le problème pourrait être aggravé pour les hôpitaux psychiatriques dans les régions rurales.

En ce qui concerne les placements psychiatriques non volontaires, il apparaît également que les questions soulevées précédemment par le Comité n’ont pas été réglées. La loi relative à la santé mentale n’a toujours pas été modifiée pour prévoir un contrôle judiciaire lorsqu’un placement non volontaire est reconduit. L’Avocat du Peuple a constaté des lacunes dans l’application de la procédure et des garanties légales par les professionnels de la santé mentale et, plus inquiétant encore, des situations dans lesquelles les dispositions légales pertinentes semblent avoir été contournées et les patients soumis de facto à un placement non volontaire. Plus récemment, des problèmes ont été mis en lumière dans les procédures de contrôle judiciaire, ce qui a incité l’Avocat du Peuple à recommander d’autres amendements à la loi relative à la santé mentale, tout en se déclarant préoccupé par le fait que les autorités compétentes pour décider, valider et contrôler les placements non volontaires ne semblaient pas pleinement comprendre que ces placements constituaient des privations de liberté[12].

Enfin, en ce qui concerne le consentement au traitement psychiatrique, il apparaît que les exigences légales ne sont pas toujours respectées dans la pratique.

Compte tenu de ce qui précède, il est profondément préoccupant de constater que les autorités n’ont pas encore répondu à l’appel lancé par le Comité pour que des mesures adéquates soient prises pour régler les problèmes qui subsistent. Il est par ailleurs fort regrettable que certaines des déficiences les plus graves dans les conditions de vie des patients, récemment constatées par l’Avocat du Peuple, concernent précisément l’hôpital en question dans l’affaire Parascineti.

Il est donc maintenant urgent que toutes les autorités nationales compétentes, y compris les principaux décideurs, fassent preuve d’un engagement ferme et durable afin d’élaborer rapidement des mesures adéquates pour résoudre les causes profondes des violations, telles que révélées par les constats et les recommandations de l’Avocat du Peuple et du CPT, et d’en garantir la mise en œuvre effective et rapide.

Les autorités et le Service de l’exécution des arrêts envisagent de tenir des consultations à Bucarest avant la fin de cette année sur les problèmes révélés par ces affaires et les mesures nécessaires pour y remédier.

Financement assuré : OUI



[1] La question des mesures générales requises pour remédier à cette violation a été examinée et close par le Comité des Ministres dans le cadre du groupe d’affaires Barbu Anghelescu (n° 1) c. Roumanie (CM/ResDH(2016)150).

[2] Informations disponibles sur le site Internet de l’Avocat du Peuple à l'adresse www.avp.ro.  

[3] Disponible à l'adresse suivante : www.avp.ro.

[5] Rapport de l’Avocat du Peuple à la suite à d’une visite effectuée à l’hôpital de psychiatrie de Murgeni, daté du 3 octobre 2018.

[6] Les hôpitaux psychiatriques Voila et « Sfânta Maria » Vedea.

[9] Rapport sur sa visite en Roumanie du 5 au 17 juin 2014 publié le 24 septembre 2015 (CPT/Inf(2015) 31).

[10] Voir le plan d'action présenté en 2016 dans deux affaires concernant la gestion inadéquate des pathologies psychiatriques en prison (groupe Ţicu c. Roumanie) (DH-DD(2016)1143).

[11] Rapport daté du 19 septembre 2019 précité.

[12] Rapport daté du 3 octobre 2018 précité.