DÉLÉGUÉS DES MINISTRES |
Notes sur l'ordre du jour |
CM/Notes/1362/H46-7 |
5 décembre 2019 |
1362e réunion, 3-5 décembre 2019 (DH) Droits de l'homme
H46-7 Groupe M.A. c. France (Requête n° 9373/15) Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne Documents de référence DH-DD(2019)1154, DH-DD(2019)1155, CM/Del/Dec(2019)1340/H46-6 |
Requête |
Affaire |
Arrêt du |
Définitif le |
Critère de classification |
M.A. |
01/02/2018 |
02/07/2018 |
Problème complexe et mesures individuelles urgentes |
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46240/15 |
A.S. |
19/04/2018 |
19/07/2018 |
Description des affaires
L’affaire M.A. concerne la mise à exécution, le 20 février 2015, d’une mesure d’éloignement du requérant, ressortissant algérien, condamné en 2006 en France à une peine d’emprisonnement de sept ans et à une interdiction définitive du territoire pour des faits liés au terrorisme.
La Cour a conclu, en l’espèce, à une violation de l’article 3. « Eu égard en particulier au profil du requérant qui n’est pas seulement soupçonné de liens avec le terrorisme, mais a fait l’objet, pour des faits graves, d’une condamnation en France dont les autorités algériennes ont eu connaissance », la Cour a estimé qu’au moment de son renvoi en Algérie en février 2015, il existait, au vu de sources d’information fiables, un risque réel et sérieux qu’il soit exposé, en cas de détention, à des traitements contraires à cette disposition (§§ 54, 55 et 58).
En vertu de l’article 46, la Cour a jugé « qu’il incombe au Gouvernement français d’entreprendre toutes les démarches possibles pour obtenir des autorités algériennes l’assurance concrète et précise que le requérant n’a pas été et ne sera pas soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention » (§ 91).
La Cour a également conclu à une violation de son droit de recours individuel (article 34), les autorités ayant, délibérément et irréversiblement, amoindri le niveau de protection de l’article 3, en créant « des conditions dans lesquelles le requérant ne pouvait que très difficilement saisir la Cour » (§ 70). En effet, les modalités de son transport étaient réglées de telle manière que le requérant a pu être renvoyé à peine sept heures après la notification de la décision fixant le pays de destination (§ 69) et 21 minutes après l’indication de la mesure provisoire de la Cour aux autorités (§ 63). À son arrivée, le requérant a été remis aux agents du Département algérien du renseignement et de la sécurité (DRS) et placé en garde à vue dans un lieu non connu (§ 22). Le 3 mars 2015, il a été présenté à un magistrat pour être mis en examen de plusieurs chefs d’inculpation (§ 23) et placé au centre pénitentiaire de Chlef. Il y était toujours détenu lors du prononcé de l’arrêt de la Cour (§ 24).
L’affaire A.S. concerne une violation similaire du droit de recours individuel (article 34) d’un ressortissant marocain, condamné en 2013 en France à une peine également de sept ans de prison pour des faits liés au terrorisme et déchu ensuite de sa nationalité française : son renvoi vers le Maroc, le 22 septembre 2015, n’a eu lieu qu’environ cinq heures après la notification de la décision de l’expulser, édictée plus d’un mois avant (§ 76), tandis que 30 minutes ont séparé l’indication de la mesure provisoire aux autorités et le départ de l’avion (§ 71).
En revanche, la Cour n’a pas conclu à une violation de l’article 3 – la situation du requérant présentant des différences par rapport à l’affaire M.A., dont le pays de destination (§ 62).
État d’exécution
Le 9 octobre 2019, les autorités ont fourni deux plans d’action révisés (DH-DD(2019)1154, DH-DD(2019)1155) pour ce groupe d’affaires. Aucune mesure individuelle n’est requise dans l’affaire A.S. en l’absence de satisfaction équitable allouée quant à la violation de l’article 34 et en l’absence de violation de l’article 3.
(i) Mesures individuelles urgentes (affaire M.A.)
Dès l’arrêt définitif, le Secrétariat a contacté les autorités pour se renseigner sur les mesures individuelles entreprises et/ou envisagées. Le 31 août 2018, elles ont fourni des informations (DH-DD(2018)804) qui ont été actualisées le 9 novembre 2018 (DH-DD(2018)1109), le 2 janvier 2019 (DH-DD(2019)31), le 19 mars 2019 (DH-DD(2019)327), le 21 juin 2019 (DH-DD(2019)718) et le 9 octobre 2019 (DH-DD(2019)1155).
Selon les autorités, l’ensemble de leurs démarches (envoi de plusieurs notes verbales et rencontres à haut-niveau), entreprises en accord avec les exigences de l’arrêt, « ont permis d’obtenir des autorités algériennes des informations officielles en vertu desquelles le requérant n’était pas soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Toutefois, dans l’attente du résultat du pourvoi en cassation formé par M.A. contre le jugement du 24 décembre 2018, le Gouvernement présente uniquement une actualisation de son plan d’action et non encore un bilan d’action dans cette affaire » (DH-DD(2019)1155).
Pour rappel, le 28 novembre 2018, les autorités algériennes ont indiqué que le requérant avait été, le 23 février 2015, mis à la disposition des services de sécurité de la Wilaya de Chlef pour des faits allégués de terrorisme dans les années 1990. Le 3 mars 2015, il a été présenté à un juge et placé en détention provisoire. À l’issue de son procès, il a été condamné, le 30 octobre 2018, à quatre ans d’emprisonnement pour appartenance à un groupe terroriste mais acquitté des autres infractions. Le 10 mars 2019, les autorités algériennes ont informé les autorités françaises du jugement du 24 décembre 2018 du tribunal d’appel de Chlef (pourvoi en cassation précité pendant) qui confirme cette décision, tout en portant la condamnation du requérant à six ans de prison.
À la suite de la dernière décision du Comité (réunion (DH) de mars 2019), les autorités françaises ont envoyé, le 4 juin 2019, une quatrième note verbale aux autorités algériennes, leur demandant toute information sur les conditions de détention du requérant et les droits appliqués depuis son renvoi en février 2015 et sur l’état de la procédure engagée à son encontre. Cette note verbale s’est accompagnée d’une démarche de la magistrate de liaison de l’ambassade de France en Algérie.
Le 22 septembre 2019, les autorités algériennes ont répondu aux autorités françaises que le requérant « se trouve, actuellement, détenu dans une cellule qu’il partage avec trois autres prévenus, dans l’établissement pénitentiaire de Chlef ; il bénéficie, à ce titre, de tous les droits prévus par la règlementation en vigueur dont le suivi médical ; Sa sortie de prison est prévue pour le 03.03.2021 » (annexe 7, DH-DD(2019)1155).
Les autorités françaises précisent que les droits des détenus en Algérie sont énoncés aux articles 57 à 79 du Code de l’organisation pénitentiaire et de la réinsertion sociale des détenus – dont notamment les droits à une prise en charge médicale, aux visites de leur famille, de leur avocat, voire d’associations humanitaires et les droits d’entretenir une correspondance ou de porter plainte auprès du directeur de la prison en cas d’atteinte à leurs droits. En outre, elles indiquent que selon des rapports d’organisations de droits de l’homme (annexés à l’arrêt A.M. c. France du 29 avril 2019, requête n°12148/18, voir infra), les détenus condamnés pour des faits de terrorisme disposent des mêmes droits que les autres et qu’il y a, depuis 2016, un renforcement de la protection légale accordée à tous les détenus – en particulier de l’accès à un avocat et à un suivi médical – au regard notamment de visites effectuées dans les prisons par le Comité International de la Croix-Rouge.
(ii) Mesures générales (affaires M.A. et A.S.)
· Sous l’angle de la violation de l’article 3 (affaire M.A.)
- Appréciation par les instances de l’asile du risque encouru
L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) applique les critères de qualité des lignes directrices européennes sur la recherche d’informations sur le pays d’origine et a établi un « contrôle qualité » du traitement des demandes d’asile avec le Haut-Commissariat aux Réfugiés. Un support sur la jurisprudence de la Cour sur l’asile est actualisé et diffusé régulièrement au sein de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
Une fois la décision de l’OFPRA rendue, le demandeur d’asile dispose d’un recours dans un délai d’un mois devant la CNDA – qui n’est pas systématiquement suspensif (article actuel L. 743-2 du CESEDA – Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).
- Examen du grief tiré de l’article 3 avant l’exécution d’une mesure d’éloignement
Selon l’article L. 513-2 du CESEDA : « Un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l’article 3 de la Convention (…) ».
À ce titre, l’étranger, débouté du droit d’asile et faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, peut la contester, notamment via une procédure d’urgence permettant, le cas échéant, d’en suspendre l’exécution, sur base des dispositions du point III de l’article L. 512-1 du CESEDA (avis du Conseil d’État, 29 octobre 2012, n° 360584). Ce recours peut être formé dans les 48 heures de l’assignation à résidence ou du placement en rétention et, ensuite, le tribunal administratif statue dans un délai de 72 heures.
En outre, le recours devant le juge des référés de droit commun est recevable dans les cas où l’exécution d’une mesure d’éloignement forcé emporterait des effets anormaux au vu de changements de droit ou de fait survenus depuis son intervention et après que le juge administratif a statué dans les 72 heures ou l’expiration du délai prévu pour le saisir[1]. Cette jurisprudence s’applique également face à un risque de violation de l’article 3[2]. Le respect du droit au recours effectif implique que l’exécution des mesures d’éloignement forcé soit suspendue jusqu’à ce que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou non d’une audience ou qu’il ait statué en cas d’audience (arrêt du Conseil d’État, 22 juillet 2015, n° 381550).
Enfin, selon l’article L. 571-4 du CESEDA (entré en vigueur le 1er janvier 2019), le demandeur d’asile, faisant notamment l’objet d’une peine ou d’une interdiction administrative du territoire, peut être assigné à résidence ou placé en rétention le temps nécessaire à l’OFPRA pour examiner sa demande. En cas de rejet, la mesure d’éloignement peut être exécutée mais il existe un recours ad hoc devant le juge administratif – dans les 48 heures – pour demander la suspension de son exécution, le temps de l’examen devant la CNDA. La mesure d’éloignement ne peut être exécutée pendant ces 48 heures ou jusqu’à la décision du juge administratif dans les 96 heures – qui « fait droit à la demande de l’étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d’asile, son maintien sur le territoire durant l’examen de son recours par la cour (CNDA) », y compris un risque de violation de l’article 3 dans son pays d’origine.
- Evolutions quant au risque encouru en Algérie par des profils similaires à celui du requérant
Dans l’arrêt récent précité A.M. c. France, la Cour a considéré que la situation générale en Algérie concernant le traitement des personnes liées au terrorisme n’empêche pas en soi l’éloignement du requérant, avant de rechercher si sa situation personnelle est telle qu’il s’y trouverait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 en cas de renvoi (§ 126). Ainsi, la Cour a constaté une évolution depuis février 2015 (moment pris en compte dans l’arrêt M.A.), tout en relevant que les rapports sur l’Algérie ne sont pas parfaitement unanimes (§ 120). La Cour a, toutefois, noté que la plupart d’entre eux ne font plus état – pour 2017 et 2018 – d’allégations de tortures à l’égard de ces personnes (§ 122). La Cour a également observé de nombreuses évolutions institutionnelles et normatives – en particulier en 2016 la révision de la Constitution (renforcement de plusieurs droits et libertés fondamentaux) et la dissolution du DRS (moment coïncidant avec la disparition précitée des allégations de mauvais traitements dans la plupart des rapports, § 122) – ainsi que l’organisation régulière de formations sur les droits de l’homme pour les officiers de police depuis 2016 (§ 121).
La Cour a également pris note du tableau du gouvernement faisant état des ressortissants algériens éloignés de 2013 à janvier 2019 (audience dans l’affaire A.M.) en raison de leurs liens avec une mouvance islamiste radicale ou terroriste. Aucun d’entre eux n’a allégué avoir subi de mauvais traitements aux mains des autorités algériennes, ce qui a contribué à l’appréciation de la Cour de la situation générale en Algérie (§ 123). Les autorités françaises indiquent que ce tableau (annexé au plan d’action) montre également que sur les 24 intéressés, seuls six – dont M.A. – ont invoqué en France des risques en cas de retour en Algérie. Enfin, elles soulignent le cas médiatisé de D. Beghal (peine de dix ans d’emprisonnement) qui a été expulsé, le 16 juillet 2018, à sa propre demande.
- Conclusion des autorités
Les autorités considèrent que la violation de l’article 3 est liée aux circonstances de l’espèce et qu’aucune autre mesure générale que la publication et la large diffusion de l’arrêt n’apparaît nécessaire pour que les instances compétentes en matière d’asile et d’éloignement évitent qu’une telle violation ne se reproduise.
· Sous l’angle des violations de l’article 34 (affaires M.A. et A.S.)
Selon les autorités, les affaires M.A. et A.S. constituent des cas spécifiques, justifiés par des circonstances particulières et notamment le très bref délai qu’elles ont eu afin d’exécuter la mesure provisoire, qui ne sont pas appelés à se reproduire. Elles indiquent d’ailleurs qu’aucune nouvelle affaire d’éloignement d’un étranger après le prononcé d’une mesure provisoire, en violation de l’article 34, ne leur a été communiquée depuis lors par la Cour.
Enfin, les autorités mentionnent la jurisprudence du Conseil d’État – « Le gouvernement (…) est donc tenu de respecter ces mesures, sauf exigence impérieuse d’ordre public ou tout autre obstacle objectif l’empêchant de s’y conformer » (voir l’arrêt du 9 novembre 2016, n° 392593) – tout en indiquant qu’il n’existe pas, à ce jour, de cas de mise en œuvre de la première exception, ce alors même que la question a déjà été évoquée, plusieurs fois, devant le tribunal administratif de Paris et devant le Conseil d’État (voir notamment l’arrêt du 30 juin 2009, n° 328879, affaire précitée D. Beghal).
En réponse au Comité, les autorités ont précisé que les « exigences impérieuses d’ordre public » désignent « des hypothèses très particulières liées à la protection contre des menaces envers les intérêts fondamentaux de l’Etat et la sécurité nationale » – visant généralement l’éloignement d’étrangers représentant une menace grave. L’« urgence absolue », permettant de déroger à des règles pour prononcer une expulsion, « répond à la nécessité de pouvoir, en cas de menace immédiate, éloigner (…) un étranger au nom d’exigences impérieuses de l’ordre public » (Conseil constitutionnel, arrêt du 5 octobre 2016, n° 2016-580 QPC). Le juge administratif retient une définition similaire, les décisions dans ce cadre portant sur l’éloignement d’étrangers particulièrement dangereux. Enfin, en l’absence de définition de la notion de « raisons impérieuses liées à la sécurité », la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que le soutien à une association terroriste pouvait justifier la révocation du titre de séjour d’un réfugié (arrêt du 24 juin 2015, H.T., affaire C-373/17).
· Publication et diffusion des deux arrêts
Les arrêts ont été communiqués au Conseil d’État, aux ministères de l’intérieur et de la justice, à l’OFPRA et à la CNDA. Le Conseil d’Etat et les ministères concernés en ont assuré une large diffusion – tandis que les deux arrêts sont disponibles sur le site Légifrance et ont été commentés dans des revues spécialisées.
Analyse du Secrétariat
(i) Mesures individuelles urgentes (affaire M.A.)
Les autorités françaises ont continué de suivre la situation du requérant auprès des autorités algériennes. C’est ainsi que ces dernières leur ont finalement transmis des informations récentes sur ses conditions de détention, laissant suggérer qu’il bénéficie, en principe, d’une prévention effective contre d’éventuels mauvais traitements.
En effet, le requérant serait en contact avec d’autres détenus, pourrait s’entretenir avec d’autres personnes (cf. les articles 57, 58, 66, 67 et 73 du Code précité : suivi médical ; avocat ; famille ou toutes autres personnes ou associations si semblant contribuer à sa réinsertion sociale ; ainsi que droit de correspondre avec l’extérieur) et pourrait, en cas d’atteinte à ses droits, porter plainte (article 79 du même Code : consignation dans un registre spécial de la prison et ; possibilité également de saisine du juge de l’application des peines et des magistrats et fonctionnaires chargés d’inspecter périodiquement les prisons).
Au regard de ces nouvelles informations, le Comité pourrait souhaiter décider de lever le caractère urgent des mesures individuelles requises. La situation du requérant apparaît, en effet, désormais moins préoccupante, ce qui est conforté par le constat dans l’arrêt A.M. de l’évolution, depuis son renvoi en février 2015, de la situation générale en Algérie (cf. §§ 28, 29, 31, 32, 33, 38, 39, 121 et 122 et annexes).
Toutefois, la situation du requérant devrait continuer de bénéficier de l’attention du Comité, compte tenu de l’absence d’unanimité des rapports sur l’Algérie (arrêt A.M., § 120) et d’informations plus concrètes sur la situation du requérant en prison. À cet égard, il serait particulièrement pertinent d’obtenir la confirmation qu’il bénéficie d’un permis de visite de son avocat et de sa famille ainsi que d’un permis de communiquer avec son avocat (prévus aux articles 68 et 70 du Code précité).
Le Comité pourrait donc souhaiter inviter, à nouveau, les autorités à recourir, concrètement, à toutes les voies possibles pour tenter d’obtenir rapidement des informations concrètes sur la situation du requérant en prison.
(ii) Mesures générales sous l’angle de la violation de l’article 3 (affaire M.A.)
Pour rappel, à sa réunion (DH) de mars 2019, le Comité a pris « note des informations générales soumises (…) selon lesquelles les risques de violation sont examinés en substance par les instances compétentes en matière d’asile et d’éloignement ». Il a invité « toutefois les autorités à fournir des informations plus concrètes en ce qui concerne la situation des étrangers présentant un profil similaire à celui du requérant M.A. ».
On peut relever que tandis que la Cour a, dans l’arrêt M.A., critiqué la décision de l’OFPRA de 2015 (§ 56), elle a validé, dans l’arrêt A.M., la conclusion des autorités relative à l’absence d’un risque réel au titre de l’article 3 (décisions de 2018 de l’OFPRA, la CNDA et des tribunaux administratifs), « dont l’appréciation est adéquate et suffisamment étayée par les données internes et par (…) d’autres sources fiables et objectives » (§ 132).
Toutefois, pour illustrer davantage le fait qu’un examen individualisé et substantiel du risque encouru au titre de l’article 3 est également effectué pour les étrangers présentant un profil similaire à celui du requérant, il serait utile de recevoir plus d’informations, en particulier des décisions, le cas échéant rendues anonymes, autorisant ou empêchant leur éloignement.
(iii) Mesures générales sous l’angle des violations de l’article 34 (affaires M.A. et A.S.)
À sa réunion (DH) de mars 2019, le Comité a pris note de « la position des autorités selon laquelle les deux cas d’espèce ne sont pas appelés à se reproduire » – tout en souhaitant « obtenir des informations sur les mesures concrètes adoptées et/ou envisagées pour permettre aux étrangers, sur le point d’être éloignés, de saisir utilement la Cour et ainsi, éviter à l’avenir des violations similaires »[3].
Les autorités n’ont pas fourni d’élément de réponse en lien avec la source des violations – à savoir la notification des décisions d’éloignement fixant le pays de destination quelques heures avant leur exécution (M.A., §§ 69 et 70 et A.S., § 76).
Le Comité pourrait donc prier instamment les autorités de les informer concernant les mesures concrètes adoptées et/ou envisagées pour permettre aux étrangers, sur le point d’être éloignés, de saisir utilement la Cour (délai suffisant à cet effet et accès à des moyens de communication avec l’extérieur) et, ainsi, éviter à l’avenir des violations similaires.
Enfin, les autorités ont répondu à la demande du Comité, en mars 2019, d’obtenir « des clarifications relatives aux exceptions semblant admises par le Conseil d’État à l’obligation de se conformer aux mesures provisoires de la Cour » – en confirmant que des exceptions seraient autorisées en cas « d’exigences impérieuses d’ordre public » (éloignement d’étrangers constituant une menace grave contre les intérêts fondamentaux de l’État et la sécurité nationale) ou tout autre obstacle objectif empêchant de respecter les mesures provisoires de la Cour.
Si cette dernière hypothèse est admise par la Cour (M.A., § 65 et A.S., § 73[4]), l’exception qui serait justifiée par des « exigences impérieuses d’ordre public » n’est en revanche pas acceptable, compte tenu de « l’importance cruciale et le rôle vital des mesures provisoires dans le système de la Convention » (Savriddin Dzhurayev c. Russie, n° 71386/10, §§ 211 à 213) mais surtout de l’article 3 de la Convention – une disposition indérogeable qui consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques – en prohibant en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants – même dans les circonstances les plus difficiles, telles la lutte contre le terrorisme et le crime organisé (A.M., § 112 et Chahal c. Royaume-Uni, n° 22414/93, § 79). Enfin, les deux exemples soulignés par les autorités (justifications du non-respect de certaines règles en cas d’urgence absolue et révocation du titre de séjour de réfugié en cas de soutien à une association terroriste) n’apparaissent pas transposables à l’obligation impérative de respecter les mesures provisoires de la Cour.
Dès lors, même si la jurisprudence administrative précitée est restée théorique à ce jour (aucun cas de mise en œuvre), le Comité pourrait souhaiter demander aux autorités d’adopter des mesures de sensibilisation visant à rappeler l’obligation impérative des États de respecter les mesures provisoires de la Cour comme par exemple, la diffusion d’une note en ce sens aux autorités et juridictions compétentes en matière d’éloignement (voir à cet égard, l’arrêt précité du Conseil d’État dans l’affaire Beghal).
Financement assuré : OUI |
[1] Voir arrêt du Conseil d’État, 11 juin 2015, n° 390704.
[2] Voir arrêts du Conseil d’État, 9 juillet 2018, n° 421466 et 12 octobre 2017, n° 414816.
[3] Il peut être noté que le non-respect de la mesure provisoire dans l’affaire A.S. est survenu, en septembre 2015, à peine sept mois après celui dans l’affaire M.A. En outre, la Cour a été saisie, à tout le moins, de deux autres affaires dans lesquelles des décisions d’éloignement d’individus radicalisés avaient été notifiées très tardivement – le jour même de leur exécution (M.F. c. France, décision de radiation, 21 mai 2019, n° 15794/17 ; D. c. France, affaire rayée du rôle, Communiqué de presse, 19 avril 2018, CEDH 155(2018)). En revanche, dans A.M. (n° 12148/18), la décision de reconduite fixant l’Algérie comme pays de destination a été notifiée au requérant le 23 février 2018, alors que sa sortie de prison devait intervenir le 14 mars 2018 – ce qui lui laissa la possibilité/le temps de saisir utilement la Cour, le 12 mars 2018.
[4] Cas exceptionnels dans lesquels il y a eu un obstacle objectif ayant empêché le Gouvernement de se conformer à une mesure provisoire, moyennant d’avoir entrepris toutes les démarches raisonnablement envisageables pour supprimer l’obstacle et tenue la Cour informée.