DÉLÉGUÉS DES MINISTRES |
Notes sur l'ordre du jour |
CM/Notes/1362/H46-6 |
5 décembre 2019 |
1362e réunion, 3-5 décembre 2019 (DH) Droits de l'homme
H46-6 S.Z. / Kolevi c. Bulgarie (Requêtes nos 29263/12 et 1108/02) Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne Documents de référence DH-DD(2019)19, DH-DD(2019)156, DH-DD(2019)156-add, DH-DD(2019)1227, CM/Del/Dec(2019)1340/H46-5 |
Requête |
Affaire |
Arrêt du |
Définitif le |
Critère de classification |
S.Z. |
03/03/2015 |
03/06/2015 |
Problème structurel |
|
1108/02 |
KOLEVI |
05/11/2009 |
05/02/2010 |
Problème complexe |
Description des affaires
L'affaire S.Z. concerne des enquêtes ineffectives sur le viol, la séquestration et l'incitation à la prostitution (violations procédurales de l'article 3). La Cour européenne a constaté un « problème systémique » d'ineffectivité des enquêtes pénales en Bulgarie en raison de dysfonctionnements qui affectent les enquêtes[1] et qui sont révélées par un grand nombre d'affaires répétitives concernant l'absence d'enquête effective sur les actes tant d’agents des forces de l’ordre[2] que des particuliers.
L'affaire Kolevi concerne principalement l'ineffectivité de l'enquête sur l'assassinat du premier requérant (un procureur de haut rang) qui a eu lieu en 2002, en raison de l'absence de garanties en droit bulgare quant à l'indépendance des enquêtes pénales concernant le Procureur Général (qui était soupçonné par les deuxième, troisième et quatrième requérants d'être impliqué dans le meurtre) et « des hauts fonctionnaires proches de lui » (violation procédurale de l'article 2)[3].
État d’exécution
Le Comité a examiné ce groupe d’affaires pour la dernière fois en mars 2019 et a exprimé sa préoccupation du fait de l'absence de progrès. Il a invité les autorités à fournir, avant le 1er octobre 2019, des informations sur des propositions de mesures concrètes dans trois domaines essentiels au maintien de l'État de droit : (1) des garanties pour assurer l'ouverture d'enquêtes pénales ; (2) des garanties pour l'indépendance des enquêtes concernant le Procureur Général ; (3) mettre fin à la suspension automatique des juges accusés d'une infraction pénale (pour préserver l'indépendance judiciaire). Le Comité a également décidé de charger le Secrétariat de préparer un projet de résolution intérimaire pour examen à sa présente réunion, dans le cas où il n’y aurait pas de progrès tangible.
Les autorités ont fourni des informations en réponse à la décision du Comité, les 30 septembre, 7 et 24 octobre 2019 (DH-DD(2019)1085-rev et DH-DD(2019)1227).
Mesures individuelles : En décembre 2016 (1273e réunion) (DH), le Comité a estimé qu'aucune autre mesure individuelle n'était possible dans l'affaire S.Z. en raison de la condamnation de certains accusés et de l'expiration du délai de prescription pour les autres. En janvier 2019, la requérante a demandé la reprise d’une enquête contre X. suspendue depuis février 2008.
En réponse, les autorités ont indiqué que le 28 janvier 2019, un procureur avait officiellement mis fin à cette enquête en raison de l'expiration du délai de prescription en 2009. Le recours de la requérante contre cette décision a été rejeté en première instance. Un autre recours est possible devant le tribunal régional.
En ce qui concerne l'affaire Kolevi, l'enquête pénale a été rouverte en 2009, suspendue en décembre 2015, mais rouverte en octobre 2018. En janvier 2019, la seconde requérante a estimé qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour la mise en examen de l'ancien Procureur Général, M. F. En outre, les autorités et la seconde requérante ont précisé que M. F avait été interrogé en 2012 en réponse aux critiques de la Cour européenne concernant l’absence d’interrogatoire dans le cadre de l’enquête pénale initiale. L'enquête est pendante et d'autres mesures d'investigation sont en cours.
Mesures générales :
- Feuilles de route préparées par les autorités : Fin 2016, les autorités ont publié une analyse préparée par une mission de procureurs de pays de l'Union Européenne, révélant un certain nombre de problèmes liés aux enquêtes pénales en Bulgarie et une « réelle nécessité de procédures de contrôle judiciaire plus effectives »,[4] ainsi qu'un rapport contenant des recommandations préparé en parallèle par le Parquet bulgare. Sur la base des documents susmentionnés, elles ont approuvé en 2017 deux feuilles de route pour la réforme du système de justice pénale.
- Propositions de réformes discutées lors d'une table ronde tenue à Sofia en juin 2019 (« la table ronde de juin 2019 ») : Les principaux résultats des débats, auxquels ont participé le Ministre de la justice et les vice-ministres, des juges et procureurs de haut rang, des professeurs de droit et des experts, ainsi que des représentants du Service de l'exécution des arrêts, sont présentés ci-après, sous les rubriques correspondantes.
1) Mesures visant à résoudre le problème systémique des enquêtes ineffectives
- le contrôle judiciaire des décisions des procureurs : Si l'enquête pénale est close, la victime peut demander un contrôle judiciaire de la légalité de la décision du procureur, mais le tribunal ne peut ordonner la mise en examen ou l’introduction d'un acte d'accusation. Après un certain temps, seul le Procureur Général peut rouvrir « dans des circonstances exceptionnelles » une enquête clôturée par une décision du procureur qui n'a pas été revue par un juge. En outre, le seul recours actuellement disponible contre un refus d'ouvrir une enquête pénale est un recours auprès d'un procureur supérieur. Un groupe de travail au sein du ministère de la Justice a examiné la possibilité d'introduire un contrôle juridictionnel de ces décisions ou de supprimer l'étape de l'enquête préliminaire (pré-enquête) pour rendre l'ouverture des enquêtes pénales plus automatique, mais n'a pas pris de décision.
Lors de la table ronde de juin 2019, une série de mesures ont été discutées, notamment l'abaissement et la clarification du niveau de données requis pour l'ouverture d'une enquête pénale ; l'introduction d'un contrôle judiciaire des refus d'ouvrir une enquête pénale ; la reconnaissance du statut de victime pour un plus large éventail d'infractions (donnant ainsi accès au contrôle judiciaire) ; l'encouragement des juges à examiner si tous les suspects potentiels ont fait l’objet d’une enquête lors du contrôle du classement des enquêtes pénales et la clarification des critères permettant au Procureur Général de rouvrir une enquête.
Le 15 novembre 2019, les autorités ont indiqué qu’en octobre 2019 un groupe de travail de l’Institut National de la Justice a finalisé un document identifiant la nécessité d’une reconsidération stratégique des enquêtes préliminaires, de l’ouverture de l’enquête pénale et la possibilité d’un contrôle judiciaire dans ce contexte. L’analyse sera publiée en temps utile et servira de bases pour des activités de formation pour les procureurs.
- Délais, voies de recours et autres mesures visant à assurer la rapidité des enquêtes et des procès[5] : Le droit interne fixe désormais des délais pour l'achèvement de l'enquête préliminaire et de l'enquête pénale. Depuis juillet 2017, des voies de recours accélératoires sont ouvertes aux victimes et aux accusés au stade de l'enquête pénale après la mise en examen et au stade du procès. Lors de la table ronde de juin 2019, il a été proposé qu'un recours accélératoire soit également disponible pour les victimes avant la mise en examen officielle d’un suspect. Il a également été proposé d'autoriser la séparation des affaires pénales au stade judiciaire, afin de prévenir les retards et la prescription dans les affaires concernant de nombreux coaccusés.
Dans une soumission du 15 novembre 2019, les autorités ont indiqué que le recours accélératoire ne sera pas un moyen effectif pour la victime d’accélérer la procédure avant la mise en examen d’un suspect, parce que l’absence de mise en examen indique en principe l’impossibilité objective d’identifier l’auteur de l’infraction ou le manque objectif de preuves suffisantes pour une mise en examen.
- la limitation des renvois du stade judiciaire au stade de l'instruction : Une réforme de 2017 empêche les parties de demander le renvoi d'une affaire au procureur pour des raisons de procédure après l'audience préliminaire. Lors de la table ronde de juin 2019, des propositions ont été faites pour limiter les renvois aux situations où la violation procédurale ne peut être corrigée ou compensée lors du procès.
- modification de l’acte d’accusation : Les autorités examinent actuellement la nécessité d'une réforme législative pour permettre la prise en compte de faits nouveaux après l'examen en première instance. La discussion lors de la table ronde de juin 2019 a mis en évidence le niveau de détail actuellement requis dans les actes d'accusation comme l'une des raisons des problèmes liés à la procédure actuelle de modification de ceux-ci.
2) Mesures visant à garantir l'indépendance de l’enquête pénale concernant le Procureur Général et à préserver l'indépendance des juges
- Cadre juridique actuel régissant les enquêtes concernant un Procureur Général : En droit bulgare, tout procureur peut ouvrir une enquête pénale concernant le Procureur général. Depuis 2016, les instructions d'un procureur supérieur à un procureur subordonné doivent être données par écrit, afin d'éviter des abus. Toutefois, le Procureur Général ou ses adjoints peuvent annuler toute décision prise par un autre procureur (si elle n'est pas examinée par un juge) et peuvent accomplir des actes relevant de la compétence des procureurs inférieurs. Il n'y a pas de règles spécifiques pour la suspension du Procureur Général s'il est accusé d'une infraction (voir ci-dessous).
- Pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature (« CSM ») : à la suite d'une réforme constitutionnelle de 2015, qui a créé une Chambre des Juges[6] et une Chambre des Procureurs au sein du CSM, la Chambre des Procureurs (composée de quatre procureurs et d'un magistrat instructeur élus par leurs pairs, de cinq membres élus par le Parlement et du Procureur général)[7] est compétente pour prendre des décisions sur la carrière des procureurs et des magistrats instructeurs et pour nommer les chefs des bureaux des procureurs. La plénière du CSM (composée des membres des deux chambres) est compétente, si 17 des 25 membres votent ainsi, pour proposer au Président de la Bulgarie de révoquer le Procureur général.
- Les règles actuelles et les réformes proposées concernant la suspension des juges et des procureurs : Si un juge ou un procureur est accusé d'une infraction intentionnelle relative à son travail pouvant faire l'objet de poursuites publiques et qu'il existe un risque de compromettre l’enquête pénale, la décision de suspendre temporairement l'accusé de ses fonctions est prise par un tribunal à la demande du procureur, après une audience publique, et peut être portée en appel devant le tribunal de deuxième instance (article 69 du Code de procédure pénale : « CPP »).
Si l'article 69 du Code de procédure pénale n'est pas applicable, mais que la suspension est nécessaire pour « protéger l'autorité judiciaire », le Procureur général a compétence exclusive pour engager la procédure prévue à l'article 230 de la loi de 2007 sur le système judiciaire (« loi de 2007 ») et la Chambre compétente du CSM est tenue de suspendre le juge/procureur si celui-ci est poursuivi pour une infraction pénale pouvant faire l'objet de poursuites publiques. En réponse à un arrêt de la Cour constitutionnelle déclarant partiellement inconstitutionnel l'article 230 de la loi de 2007 et aux décisions du Comité de mars 2019, un projet de loi proposant d'abroger cette disposition a été adopté en première lecture. Si la réforme est adoptée, il serait possible de suspendre les juges et les procureurs uniquement en vertu de l'article 69 du CCP.
- Projet de loi du 14 juin 2019 sur l'enquête pénale concernant les présidents de la Cour administrative suprême, de la Cour suprême de cassation et le Procureur Général (« projet de loi du 14 juin 2019 ») : Le projet de loi propose d'exiger l'autorisation de la plénière du CSM, par 17 voix sur 25, avant qu'une enquête pénale ne puisse être ouverte pour une infraction intentionnelle passible de poursuites publiques contre le Président de la Cour suprême de cassation, le Président de la Cour administrative suprême ou le Procureur général. La demande d'autorisation ne peut être faite que par le Ministre de la Justice ou trois membres de la Chambre des Procureurs ou de la Chambre des Juges du CSM. La décision de la plénière du CSM pourra faire l'objet d'un recours devant la Cour administrative suprême.
Si l'ouverture d'une enquête pénale est autorisée, la personne faisant l'objet de l'enquête (Président de la Cour administrative suprême, de la Cour suprême de cassation ou Procureur général) sera automatiquement suspendue de ses fonctions. Les procureurs du parquet de la ville de Sofia ou du bureau des procureurs spécialisés seront directement responsables de la conduite de l'enquête et pourront décider d'ouvrir ou de refuser d'ouvrir une enquête pénale, de procéder à la mise en examen, d’introduire un acte d'accusation ou de clore l'enquête pénale.
En cas de suspension ou de clôture de l'enquête, la décision du procureur sera automatiquement examinée par un procureur supérieur et par un tribunal (quant à sa légalité et son bien-fondé).
Compte tenu des préoccupations exprimées lors de la table ronde de juin 2019, notamment que le projet de loi ne répond pas aux préoccupations soulevées par l'affaire Kolevi et pourrait compromettre l'indépendance du pouvoir judiciaire, les autorités ont demandé l'avis de la Commission de Venise le 24 septembre 2019.
- Communication de dix organisations non gouvernementales bulgares présentée le 18 juin 2019 : les ONG ont fait part de leurs préoccupations concernant le projet de loi susmentionné (DH-DD(2019)766).
Analyse du Secrétariat
Mesures individuelles
Aucune mesure individuelle supplémentaire ne semble possible dans l'affaire S.Z. En ce qui concerne l'affaire Kolevi, le Comité pourrait souligner qu'il importe de déployer tous les efforts possibles pour atteindre rapidement des résultats dans l'enquête qui est en cours.
Mesures générales
Des progrès ont été réalisés dans l'identification des causes de l'ineffectivité des enquêtes et certaines réformes visant à accélérer les enquêtes ont été adoptées, mais les autorités n’ont pas réalisé de progrès tangible dans les trois domaines cruciaux identifiés dans la dernière décision du Comité (mars 2019), qui sont essentiels pour préserver l'État de droit.
- Problème systémique d'ineffectivité des enquêtes
Il est particulièrement préoccupant de constater que, malgré les réserves de la Cour européenne quant à l'effectivité des enquêtes préliminaires dans certaines situations[8] et la décision du Comité de mars 2019, les autorités n'ont pas encore élaboré de propositions suffisamment concrètes visant à renforcer les garanties pour l'ouverture des enquêtes pénales. Le Comité pourrait donc les inviter instamment à introduire un contrôle judiciaire des refus du parquet d’ouvrir une enquête pénale, assorti de dispositions visant à éviter une charge de travail excessive pour les tribunaux et les procureurs, afin de donner aux victimes une garantie crédible contre les refus injustifiés[9] et le risque d'impunité[10]. Il pourrait également les inviter instamment à fournir en temps utile leur évaluation détaillée de l’étendue et des modalités d’un tel contrôle judiciaire.
En outre, la table ronde de juin 2019 a confirmé la nécessité de prendre des mesures supplémentaires pour prévenir les retards injustifiés, les refus d’entamer des poursuites pénales ou les obstacles à l'examen approprié des actes d'accusation, en particulier en ce qui concerne :
i) le renforcement du contrôle juridictionnel et des garanties concernant la mise en examen[11] ;
ii) des règles plus détaillées pour la réouverture des enquêtes pénales par le Procureur Général ;
iii) la possibilité de limiter le renvoi d'une affaire du stade judiciaire à celui de l'enquête pénale aux situations dans lesquelles une violation de la procédure ne peut être réparée ou compensée par le tribunal ; il est également nécessaire de savoir si les violations de la procédure qui justifient le renvoi peuvent être établies d'office en appel ou en cassation ;
iv) la possibilité d'autoriser la disjonction d'une affaire contre de nombreux accusés au stade judiciaire, afin d'éviter de longs ajournements dus à l'absence d'un ou plusieurs coaccusés causant des retards ou une prescription ;
v) la possibilité d'autoriser la modification des chefs d'accusation après l'examen en première instance ou d'améliorer les pratiques concernant le contenu et l'examen de l'acte d'accusation pour réduire le besoin de modification.
Quant à la possibilité de mettre le recours accélératoire à la disposition des victimes avant toute mise en examen d’un suspect, le 15 novembre 2019 les autorités ont indiqué qu’une telle réforme n’est pas nécessaire. Une évaluation de cette nouvelle information sera préparée pour le prochain examen de ce groupe d’affaires par le Comité.
- Absence de garanties quant à l'indépendance d'une enquête concernant le Procureur Général
Il est rappelé que les principales dispositions qui, prises ensemble, garantissent que le Procureur Général est « essentiellement à l'abri de poursuites »[12] sont les suivantes :
- le fait que les décisions des procureurs de ne pas ouvrir d'enquête ou de ne pas engager de poursuites ne sont pas soumises à un contrôle judiciaire ;
- le fait que le Procureur Général et ses adjoints peuvent annuler la décision d'un subordonné d'ouvrir une enquête ou d'engager des poursuites contre le Procureur Général ;
- la possibilité pour le Procureur Général d'influencer ou de contrôler les décisions de la Chambre des Procureurs du CSM concernant la carrière des procureurs et la nomination des procureurs hauts gradés (qui pourraient être impliqués dans une enquête le concernant ou intervenir en tant que supérieurs hiérarchiques) ainsi que les décisions de la plénière du CSM (qui est seule compétente pour démettre le Procureur Général de ses fonctions) ;
- l'impossibilité (en droit ou en pratique) de suspendre le Procureur général de ses fonctions sans son accord.
En réponse aux décisions du Comité de mars 2019 demandant des informations sur les propositions de mesures concrètes, les autorités ont préparé un projet de loi du 14 juin 2019, qui révèle toutefois de graves déficiences.
Les modifications proposées rendraient en fait plus difficile l'ouverture d'une enquête pénale concernant le Procureur général, en raison de l'introduction de l'obligation d'autorisation par la Plénière du CSM. Aucune exception n'est prévue, même pour les enquêtes pénales urgentes, et seul un nombre très limité de parties prenantes est habilité à demander une autorisation. En outre, le régime proposé ne prévoit pas d'enquête préalable indépendante permettant de recueillir des éléments de preuve pour convaincre le CSM de donner son autorisation. Ces restrictions ne sont pas suffisamment compensées par la possibilité d'un recours devant la Cour administrative suprême en cas de refus d'autorisation par le CSM.
Le projet de loi ne prévoit pas non plus de garanties suffisantes pour garantir que l'enquête pénale, si elle est autorisée, sera indépendante, parce qu'il n’élimine pas de manière adéquate les risques liés aux liens professionnels : même si un Procureur Général est suspendu, son équipe d’adjoints et d’autres procureurs hauts gradés peuvent intervenir dans une enquête (y compris lorsque l'enquête pourrait porter sur leurs propres actes).
Compte tenu de ce qui précède, le Comité pourrait exprimer sa profonde préoccupation et inviter instamment les autorités à réexaminer ce projet de loi, en tenant compte desexigences de la jurisprudence de la Cour européenne.
Le mécanisme d'enquête indépendante concernant le Procureur général devrait garantir une indépendance institutionnelle, hiérarchique et pratique suffisante de tous les organes chargés de surveiller ou de conduire l'enquête, dans toutes les situations (avec des exceptions pour les actes d'enquête urgents) et à toutes les étapes de la procédure, y compris l'enquête préliminaire. Il devrait également garantir l'effectivité, y compris la promptitude, la rigueur et le contrôle du public, et préserver l'indépendance du Procureur Général. Les nouvelles dispositions devraient être conçues pour résister aux risques causés par la position très influente du Procureur Général et devraient, entre autres, rendre impossible pour un Procureur Général d'influencer la nomination ou la carrière des personnes chargées d'enquêter sur lui. Étant donné que les adjoints du Procureur Général exercent certaines des compétences du Procureur Général à l'égard des procureurs inférieurs, il serait utile d'étendre les nouvelles procédures aux enquêtes les concernant.
Dans la mesure où les participants à la table ronde de juin 2019 ont exprimé des doutes quant à la possibilité de mettre en place un système effectif d'enquête et de poursuites contre le Procureur Général dans le cadre constitutionnel actuel[13], le Comité pourrait en outre souligner l'importance d'interpréter la Constitution d'une manière qui permette de résoudre des problèmes d'État de droit et apporte des solutions pour l'exécution de l'arrêt Kolevi. Ces interprétations pourraient inclure, entre autres, la possibilité pour des personnalités judiciaires extérieures au parquet d'exercer certaines compétences habituellement exercées par les procureurs ou de prévoir un contrôle judiciaire d'un plus large éventail de décisions prises par un procureur, ainsi que des exceptions à la compétence du Procureur Général d'intervenir dans les décisions des procureurs inférieurs.
Si des obstacles constitutionnels insurmontables devaient se dresser, le Comité pourrait encourager les autorités à proposer des amendements constitutionnels requis qui seraient adoptés par une Assemblée nationale ordinaire.
Garanties pour l'indépendance des juges exerçant le contrôle juridictionnel
En droit bulgare (article 230 de la loi de 2007), lorsque le Procureur Général demande à la Chambre des Juges du CSM de suspendre un juge au motif que le parquet a décidé sa mise en examen, la Chambre des Juges est contrainte d'accéder à cette demande et de suspendre le juge, même en l'absence de preuves convaincantes[14]. Dans sa décision de mars 2019, le Comité a invité les autorités à donner à la Chambre des Juges du CSM la compétence d'apprécier le bien-fondé de telles demandes de suspension. En réponse, les autorités proposent d'abroger complètement la possibilité pour le CSM de suspendre un juge, ce qui signifie que seul un tribunal pénal sera compétent pour ordonner la suspension lorsqu'il y aurait autrement un risque pour la procédure pénale. Le Comité pourrait prendre note avec intérêt de ce projet de loi, car il semble suffisant pour supprimer les risques liés à la suspension automatique.
En revanche, les règles proposées pour la suspension des présidents de la Cour suprême de cassation et de la Cour administrative suprême dans le projet de loi du 14 juin 2019 sont préoccupantes, car elles n'exigent pas clairement que la suspension soit fondée sur des preuves convaincantes et excluent un examen substantiel de la nécessité de recourir à la suspension, si une nécessité d’enquêter est constatée. Le Comité pourrait donc inviter instamment les autorités à reconsidérer ces propositions et rappeler que l'exécution de l'arrêt Kolevi n'exige pas de modifier les règles d'enquête concernant les juges suprêmes.
- Proposition d'adoption d'une résolution intérimaire
Si les amendements proposés concernant la suspension des juges, à l'exception des deux plus hauts juges, sont positifs, il est clair qu'aucun progrès tangible n'a été réalisé sur la plupart des questions cruciales en suspens. Par ailleurs, les propositions contenues dans le projet de loi du 14 juin 2019 sont préoccupantes car elles risquent de rendre plus difficile l'ouverture d'une enquête pénale concernant un Procureur Général et pourraient également menacer l'indépendance des deux juges les plus haut-gradés. L’absence persistante de progrès adéquat sur ces questions pourrait rendre les enquêtes sur des infractions pénales ineffectives et entrainer des risques pour l’État de droit et l’équilibre des pouvoirs au sein du système judiciaire.
Dans ces circonstances, et conformément à ses décisions de mars 2019, il est proposé au Comité d'adopter le projet de résolution intérimaire préparé par le Secrétariat pour fournir des orientations et exprimer son soutien à la mise en œuvre rapide et rigoureuse de ces arrêts.
Financement assuré : OUI |
[1] Tels que les retards, l'absence d'enquête approfondie et objective, l'omission de faire la lumière sur le rôle d'une personne particulière dans l'infraction, le refus d'un procureur de se conformer à une décision judiciaire annulant sa décision de clore l'enquête.
[2] Les mesures spécifiques relatives aux enquêtes contre les agents des forces de l’ordre (concernant l'indépendance de l'enquête préliminaire et les garanties contre les mauvais traitements) sont examinées par le groupeVelikova.
[3] Les mesures relatives aux violations de l'article 5 §§ 1, 3 et 4 ont été examinées dans les affaires Svetoslav Hristov et Evgeni Ivanov.
[5] Voir la question en suspens identifiée dans la Résolution finale CM/ResDH(2017)57.
[6] La Chambre judiciaire est composée de six juges élus par les juges, de six membres élus par l'Assemblée nationale et des présidents de la Cour suprême de cassation et de la Cour administrative suprême.
[7] Dans l'actuelle Chambre des Procureurs, les membres élus par le Parlement sont également procureurs ou magistrats instructeurs.
[8] Voir, par exemple, les arrêts Sashov et autres (14383/03), § 64 et Anzhelo Georgiev et autres (51284/09), § 72. Il est actuellement impossible de rassembler des éléments de preuve dans le cadre d'enquêtes préliminaires qui peuvent être utilisés dans le cadre de la procédure pénale.
[9] Voir, par exemple, les arrêts Abdu (26827/08), Boris Kostadinov (61701/11), Krastanov (50222/99), Petkov et Parnarov (59273/10), Stoykov (38152/11), etc.
[10] Voir § 34 de la Recommandation Rec(2000)19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale.
[11] Voir, entre autres, les arrêts S.Z. et Dimitrova et autres (44862/04) concernant l'omission d'élucider la participation d'une personne à une infraction pénale.
[12] Voir "Avis sur la loi bulgare sur le système judiciaire", CDL-AD(2017)018, adopté par la Commission de Venise lors de sa 1112e session plénière, 6 et 7 octobre 2017, §§ 17, 33 - 35 et § 37.
[13] Les participants ont cité, entre autres, l'interprétation très rigide de la notion de "forme de gouvernement d'État" dans la décision 3/2003 de la Cour constitutionnelle.
[14] Voir "Avis sur la loi bulgare sur le système judiciaire", de la Commission de Venise, CDL-AD(2017)018, précité, §§ 44 - 47.