DÉLÉGUÉS DES MINISTRES |
Notes sur l'ordre du jour |
CM/Notes/1514/H46-11 |
5 décembre 2024 |
1514e réunion, 3-5 décembre 2024 (DH) Droits de l'homme
H46-11 Groupe L.B. (Requête n° 22831/08) et W.D. (Requête n° 73548/13) c. Belgique Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne Documents de référence |
Requête |
Affaire |
Arrêt du |
Définitif le |
Critère de classification |
22831/08 |
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22283/10 |
LANKESTER |
09/01/2014 |
09/04/2014 |
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49484/11+ |
SMITS |
03/02/2015 |
03/02/2015 |
|
73548/13 |
W.D. |
06/09/2016 |
06/12/2016 |
Arrêt pilote |
46130/14 |
VENKEN ET AUTRES |
06/04/2021 |
06/09/2021 |
Description des affaires
Ce groupe concerne l’internement prolongé des requérants, pénalement irresponsables de leurs actes, dans des ailes psychiatriques[1] de prison, n’offrant pas des soins appropriés à leurs pathologies mentales (violation de l’article 5 § 1 dans toutes les affaires et violation de l’article 3 dans certaines affaires).
La Cour a souligné que cette situation était un problème structurel : l’encadrement des internés dans ces ailes n’était pas suffisant et leur placement à l’extérieur s’avérait souvent impossible du fait d’un manque de places en hôpitaux psychiatriques ou car la loi ne permettait pas aux commissions de défense sociale[2] de l’imposer.
La Cour a aussi constaté, dans plusieurs affaires, l’absence de recours effectif afin de dénoncer l’irrégularité et les conditions de détention (violations des articles 5 § 4 et 13 combiné avec l’article 3). Selon elle, si le recours aux commissions de défense sociale répondait en principe aux exigences de l’article 5 § 4, la limitation de leurs compétences du fait du problème structurel les avait empêchées, de facto, d’effectuer un contrôle assez ample du caractère approprié des lieux de détention et, de jure, de redresser les violations alléguées. La Cour a aussi constaté, dans certaines affaires, l’absence de recours effectif devant le juge des référés.
Dans l’arrêt pilote W.D. (2016), la Cour, au titre de l’article 46, a encouragé l’État à agir pour réduire le nombre de personnes internées, sans encadrement thérapeutique adapté, au sein des ailes psychiatriques des prisons, notamment en redéfinissant les critères justifiant une mesure d’internement. La Cour a donné deux ans aux autorités pour remédier à la situation et elle a ajourné, entretemps, son examen des affaires similaires.
Dans l’arrêt Venken et autres (2021), la Cour a noté une réduction importante du nombre d’internés en prison (537 le 1er décembre 2019), liée principalement à l’ouverture de deux centres de psychiatrie légale où la prise en charge semblait satisfaisante d’après le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).
Toutefois, au vu du nombre d’internés encore en prison dans des conditions inappropriées, la Cour a incité l’État à confirmer cette tendance positive et à continuer ses efforts pour résoudre définitivement le problème. Quant au recours, elle a validé le montant d’indemnité alloué par les juges internes, mais non leur manière d’appliquer le délai de prescription, qui ne couvrait pas toute la période de violation continue. En outre, la Cour a jugé ineffectif le recours auprès des chambres de protection sociale, vu l’interprétation de la notion d’urgence et la durée de l’intervalle entre leurs décisions dans le cadre du contrôle périodique automatique.
En revanche, elle a jugé effectif le recours en référé, vu la création de nombreuses places en centres de psychiatrie légale et l’évolution positive de la jurisprudence, sans préjuger d’un éventuel réexamen (§ 214).
Le 10 octobre 2024, les autorités ont soumis un nouveau plan d’action (DH-DD(2024)1144).
Mesures individuelles
La satisfaction équitable a été réglée à tous les requérants et plus aucun n’est en prison, hormis un requérant placé à la section de défense sociale de Merksplas du fait de la révocation de sa libération à l’essai en février 2024 (De Smedt (affaire Smits et autres)). La situation des autres requérants est la suivante : un a été libéré définitivement (L.B.) ; cinq sont placés en centres de psychiatrie légale (Smits et Van Den Bossche (affaire Smits et autres), W.D., Venken et Neirynck (affaire Venken et autres)) ; cinq sont libérés à l’essai (Krynen et Taelman (affaire Smits et autres), Rogiers, Clauws et Van Zandbergen (affaire Venken et autres)) ; un est en centre psychiatrique long-séjour (Cleys (affaire Smits et autres) ; et un est recherché par la police (Lankester).
Mesures générales
Évolution chiffrée : Après une grande diminution entre 2014 (1 088) et 2018 (529), le nombre moyen d’internés en milieu pénitentiaire (annexe, section de défense sociale (SDS) ou établissement de défense sociale (EDS)[3]) a réaugmenté, depuis 2019, de manière continue (595 pour 2020, 688 pour 2021, 784 pour 2022 et 906 pour 2023). En décembre 2023, il y avait 393 internés en annexes et 564 en SDS/EDS sur un nombre total de 4 342 internés[4], soit 22 % d’entre eux qui sont en prison contre 14 % fin 2018.
L’augmentation des internés en détention se situe surtout en Flandre (556 fin août 2024 pour 339 en Wallonie et 95 à Bruxelles), du fait d’une augmentation des nouveaux internements (malgré un renforcement légal des critères), supérieurs aux libérations définitives. De manière plus limitée, il convient de prendre en compte l’impact des suspensions et des révocations de libérations à l’essai[5]. Une étude en cours vise à expliquer cette augmentation pour trouver des solutions et pouvoir surveiller les facteurs influençant le nombre d’internés.
(i) Concernant les violations des articles 3 et 5 § 1 : détention irrégulière
· Loi du 5 mai 2014 concernant l’internement (entrée en vigueur le 1er octobre 2016)
Les buts de l’internement sont la protection de la société et la réinsertion sociale optimale de l’interné. Cette loi redéfinit ses conditions plus strictement[6] ; améliore celles du diagnostic initial ; crée les chambres de protection sociale qui adoptent des décisions en adéquation avec les besoins en soins et sécurité des internés ; précise les lieux possibles de leur placement ; et prévoit que le parquet peut désormais choisir le lieu d’exécution d’une arrestation provisoire (pour plus de détails sur cette loi, voir les précédentes Notes : CM/Notes/1475/H46-8).
· Mesures pour favoriser « le trajet de soins » des internés
Des coordinateurs ont été nommés par cour d’appel, pour développer un réseau d’accueil et de soins au profit des internés. Des équipes mobiles, renforcées en personnel en 2019, puis grâce à un appel à projet en 2022, travaillent en amont et en aval des sorties de prison. Une cellule soutient les initiatives et un comité trimestriel suit la fluidité des trajets de soins, le taux d’occupation et les durées de séjour dans les structures financées. Des initiatives visent à impliquer les internés et leurs proches, dont l’engagement de « pairs-aidants » en 2022.
· Création de places d’accueil[7] ou d’offres de services[8] pour les internés à l’extérieur des prisons
Les Masterplans III de 2016 et IIIbis de 2024 visent à sortir tous les internés de prison et à leur offrir des soins adaptés dans un environnement approprié. Cinq centres de psychiatrie légale sont prévus, un par ressort de cour d’appel : deux (Gand et Anvers – positivement évalués par le CPT lors de sa visite en 2021) sont remplis, deux (Wavre et Paifve de 250 places chacun) sont prévus pour 2028, tandis que le centre psychiatrique de Tournai doit être réorganisé (250 places et 120 places pour longs-séjours).
Un centre de haute sécurité pour longs-séjours est aussi prévu en Flandre (120 places mais 180 possibles). Le personnel de soins du centre de Tournai et des deux centres existants de psychiatrie légale a été renforcé en 2023. Désormais, la norme de soins y est de 22.25 équivalents temps plein pour 30 lits.
Le Service public fédéral de la Santé publique a adopté des plans pour le trajet de soins des internés et a créé 591 places « medium-risk ». Elle suit une trentaine de projets et des mesures sont adoptées, depuis 2016, pour des profils spécifiques (288 places en Flandre et 136 ailleurs[9]). Depuis 2022, l’appel à projet précité a permis d’ouvrir 87 places en circuit régulier de soins et il est prévu d’augmenter les soins ambulatoires. En 2024, face à la surpopulation carcérale (cf. affaire Vasilescu), des actions à court et moyen terme ont été formulées pour les internés, dont le renfort de projets et le financement de nouveaux (37 places en plus et renfort de l’équipe mobile bruxelloise).
Les entités fédérées ont aussi pris des mesures. La Flandre a créé des places pour les internés présentant un handicap. Trois prestataires de soins soutiennent les personnes handicapées détenues. Un financement direct existe depuis 2019 pour les internés, prêts pour un suivi « low risk » (11 millions d’euros en 2024). À Bruxelles, six places supplémentaires sont financées depuis 2023 et il existe, désormais, un incitant financier annuel, au sein de la Communauté française, qui vise à favoriser l’admission des internés libérés ou libérables à l’essai.
Défis principaux : Un manque de places de haute sécurité (surtout en Wallonie) allonge les délais d’exécution des transferts (en septembre 2024, au maximum, trois ans et 11 mois vers le centre de Tournai, deux ans et trois mois vers Paifve et deux ans et neuf mois vers les centres de psychiatrie légale). De plus, des internés, sans permis de séjour et les longs séjours, bloquent des places de haute sécurité, ralentissant les possibilités de flux de sorties des prisons. L’augmentation des internements exerce aussi une forte pression sur le circuit de soins externe (parfois, des longues listes d’attente).
· Situation des soins dans les prisons (annexes et sections de défense sociale - SDS)
Les autorités rappellent que la Cour a jugé que les détenus ayant des troubles mentaux peuvent être traités en prison, moyennant des règles et moyens spécifiques. En annexes, il y a les détenus ordinaires présentant des problèmes psychiatriques et les internés attendant une décision définitive (courts séjours en principe). En SDS, il n’y a que des internés, placés par les chambres de protection sociale. Du personnel pénitentiaire, dont des équipes multidisciplinaires de soins, travaille dans les annexes et SDS, avec des renforts des autorités fédérales de la Santé publique et/ou des entités fédérées.
Un gestionnaire de programme suit la réforme des soins de santé en prison, relancée depuis 2022. Tous les détenus ont été intégrés dans l’assurance maladie obligatoire pour les soins fournis hors de prison. Des projets de renfort des services de santé mentale de dix prisons ont été lancés en 2023 et 2024 (13 psychologues et orthopédagogues, aide aux toxicomanes et médiation interculturelle bientôt dans six prisons). En juillet 2024, des projets ont été lancés à Lantin et Termonde, dont le choix d’un coordinateur de santé à temps partiel.
Dès 2021, il a été décidé de renforcer les équipes de soins des annexes et SDS pour répondre aux arrêts de la Cour. Une norme (celle du secteur de la santé mentale) a été acquise en 2022 (0,33 équivalent temps plein par interné). Elle doit permettre d’améliorer grandement la situation des internés dans les prisons, en attendant les nouveaux centres de psychiatrie légale, et perdurera au-delà. Cette norme est en cours de réalisation (cadre de personnel rempli à 80 % à la SDS de Merksplas, 75 % aux SDS de Namur et Gand ouvertes en 2023, 50 % à la SDS de Turnhout et 38 % à Haren) et un concept de soins en cours d’élaboration. 203,82 équivalents temps plein étaient en fonction en octobre 2024 (pour 69 en 2020) sur un cadre prévu de 321,5 (pour 93,55 en 2020). Les autorités indiquent miser sur le recrutement de personnel (en cours en Flandre) en vue d’anticiper le flux entrant futur d’internés mais elles soulignent une pénurie sur le marché de l’emploi.
· Formations et autres mesures de sensibilisation
Un budget annuel de 800 000 euros vise depuis 2023 à soutenir les réseaux de soins des internés, notamment pour former les partenaires et accroître la qualité des soins (possibles recherches scientifiques, projets pilotes). En 2024, des réunions avec la magistrature, les maisons de justice et de soins ont visé à accélérer la prise en charge des internés libérables de prison. Le ministre de la Justice a aussi attiré l’attention du Collège des cours et tribunaux sur des internés détenus, n’ayant commis aucun délit. En outre, des consultations avec les experts judiciaires psychiatriques ont visé à freiner la hausse d’internés en détention. Depuis 2022, une formation pour les magistrats en matière d’internement se tient avec des visites (cf. focus sur les places limitées, les longues listes d’attente et les soins précaires en annexes et en SDS). La formation du personnel pénitentiaire aborde la prise en charge des problèmes mentaux. En 2023, une formation de plusieurs jours aux agents des annexes et SDS a débuté. D’autres projets existent, dont une formation pour le nouveau personnel soignant de ces lieux.
(ii) Concernant les violations de l’article 5 § 4 et des articles 3 et 13 combinés : recours effectif
Les juges des référés estiment illégale la détention d’internés en annexes, faute de places dans les lieux désignés par les chambres de protection sociale, et condamne l’État à prendre des mesures pour y mettre fin (56 condamnations au total au 7 août 2024, exécutées sauf dans 14 dossiers). En Flandre, d’autres recours (35 au total jusqu’en septembre 2024) visent à sortir des internés de sections de défense sociale (SDS), désignées comme lieu de placement par les chambres de protection sociale. Sur base de l’arrêt de la Cour de cassation du 27 janvier 2017[10], le juge des référés de Turnhout a, le 4 avril 2023, condamné l’État à transférer des internés vers un lieu adapté à leurs besoins (décisions similaires en juillet 2023, janvier et mai 2024). Le 19 avril 2023, le juge des référés de Bruxelles a pris une décision similaire, confirmée le 24 juin 2024 par la Cour d’appel de Bruxelles qui estime que la SDS de Turnhout n’est pas un lieu approprié et que le fait de ne pas trouver de place à l’extérieur est dû à un manque de places. L’Etat est donc condamné à chercher une place dans un lieu résidentiel approprié, sous peine d’astreintes (décision inexécutée au 24 septembre 2024).
Un contentieux mixte civil existe dans lequel une indemnité et un transfert sont demandés. Depuis 2012, il y a aussi plus de 500 recours indemnitaires d’internés. Des indemnités sont toujours accordées pour les périodes en prison non prescrites. Le 7 novembre 2022, la Cour de cassation a estimé qu’exiger d’un interné d’introduire son recours avant la fin de sa détention est une charge procédurale excessive. Les juges nationaux appliquent cette jurisprudence et exige, pour juger une période de détention prescrite, que l’interné ait cumulé depuis sa fin plus de cinq ans de libération à l’essai ou de placement hors de prison. Le 8 juillet 2024, la Cour d’appel de Bruxelles a rendu trois arrêts, octroyant à des internés 2 500 euros par année en prison (cf. 1 250 euros avant).
- Nouvelle communication de trois INDH (DH-DD(2024)1276)
L’Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits humains (IFDH), le Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP) et UNIA (égalité des chances) dénoncent la hausse constante d’internés en prison (1 009 au 23 septembre 2024). Les perspectives de réduction s’éloignent, vu la construction sans cesse reportée des centres de psychiatrie légale, dont les capacités seront insuffisantes. Les sections de défense sociale (SDS) sont en réalité souvent des cellules dans les annexes, sans réelle distinction avec le reste de la prison, et leur extension n’a pas toujours lieu avec plus de personnel ou moyens. Des internés sont maintenus dans des sections ordinaires, faute de places en annexes. Le cadre des équipes de soins sous-estime le nombre des internés ou détenus requérant des soins et les prestations des psychiatres sont donc très limitées. Il ressort de visites récentes d’annexes une hostilité carcérale et une difficulté de fournir des soins de qualité aux internés, en raison notamment d’un manque de personnel formé, des infrastructures inadéquates, de la surpopulation et de l’application d’un régime disciplinaire. Des longues listes d’attente et des critères d’exclusion et de refus, dont les étrangers sans permis de séjour (10 %), constituent des obstacles aux sorties de prison des internés.
Selon une étude mise en avant par les trois institutions, les décisions d’internement seraient souvent quasi-automatiques si un trouble mental est relevé par les experts psychiatriques, réduisant l’importance de la gravité des faits et des liens entre eux et le trouble mental à établir légalement dans les décisions d’interner. Or, leurs rapports sont peu contestés (manque de formation des avocats et des magistrats) et le nombre d’experts et le temps dédié aux rapports sont insuffisants. Par ailleurs, des nouvelles peines risquent de se confondre avec l’internement qui aurait dû être restreint aux personnes dont les facultés mentales sont abolies. L’effectivité du recours préventif est limitée par la hausse du nombre des internés en prison, le faible flux sortant des centres de psychiatrie légale et un manque de places dans le circuit régulier de soins. Enfin, accélérer le transfert d’un interné va souvent ralentir celui d’autres internés.
Analyse du Secrétariat
Mesures individuelles
Concernant le requérant placé à nouveau en prison (De Smedt dans l’affaire Smits et autres), les autorités devraient lui fournir au maximum les soins requis par son état de santé, dans l’attente de son transfert vers un établissement extérieur de soins adapté (voir les mesures générales). Les autorités devraient aussi tenir le Comité informé de la situation des requérants pour lesquels un nouveau placement en prison resterait possible.
Mesures générales
Lors de son dernier examen en septembre 2023, face à la hausse importante d’internés en prison, le Comité a prié instamment les autorités d’intensifier leurs efforts pour résoudre définitivement et au plus vite le problème structurel. Il les a aussi priées d’améliorer immédiatement les soins de santé des internés en prison pour que leur norme d’encadrement devienne effective, d’étudier les motifs de cette hausse et d’y remédier au plus vite. De plus, le Comité a invité instamment les autorités à accélérer la création des centres de psychiatrie légale et à accroître le nombre de places dans le circuit régulier de soins, pour garantir la fluidité du trajet de soins des internés. Enfin, à défaut de progrès tangible d’ici décembre 2024, il a chargé le Secrétariat de préparer un projet de résolution intérimaire.
· Concernant les violations des articles 3 et 5 § 1 : détention irrégulière
Comme décrit ci-dessus, il est évident que les autorités ont réalisé des efforts depuis le dernier examen de ce groupe (en particulier, étude lancée pour expliquer la hausse continue d’internés et recrutement de personnel pour renforcer les équipes de soins des annexes et SDS). Malgré ces mesures, il est très préoccupant que, 12 ans après le premier arrêt de la Cour (L.B.), le problème structurel des internés en prison sans encadrement thérapeutique suffisant et adapté persiste, à cause surtout d’un manque persistant de places à l’extérieur.
Alors que la Cour avait noté dans l’arrêt Venken une réduction importante du nombre d’internés en prison (537 fin 2019) et incité l’État à confirmer cette tendance positive en vue de résoudre définitivement le problème, les derniers chiffres (1 009 au 23 septembre 2024) sont presque ceux d’il y a dix ans (1 088 internés en moyenne en 2014). Or, bien que les autorités ne prévoient plus de reporter l’échéance (2028 contre 2022 au départ) des centres de psychiatrie légale de Wavre et de Paifve (290 places en plus : 500 moins les 210 de l’établissement de défense sociale de Paifve), ils ne suffiront pas à absorber ce nombre croissant, ni la création prévue, mais sans calendrier, d’un centre de longs-séjours de 120 places en Flandre. Ainsi, on s’éloigne encore plus du constat du Secrétariat de 2018 selon lequel les places à créer devaient, d’ici 2022, suffire à accueillir les internés en prison et anticiper la population future des internés.
Vu la hausse constante des internés en prison et l’insuffisance manifeste des mesures prises (peu de places récentes créées hors de prison) et envisagées pour étendre le circuit externe de soins, les autorités devraient rapidement finaliser leur étude des motifs du recours croissant à l’internement et sans tarder adopter toutes les mesures pertinentes pour y remédier (telles qu’un renfort des expertises, de la sensibilisation et formation des magistrats, experts psychiatriques et avocats sur l’internement, et d’éventuelles modifications législatives). En parallèle, les autorités devraient être invitées instamment à accélérer la création de places pour les internés à l’extérieur des prisons (centres de psychiatrie légale, centres pour longs-séjours, hôpitaux et maisons de soins psychiatriques et initiatives d’habitation protégées) et renforcer l’offre de soins ambulatoires pour améliorer la fluidité du trajet de soins de tous les internés (faute de places, des structures sont saturées et ne permettent pas des sorties de prison).
Des efforts importants semblent avoir été réalisés pour les soins de santé en prison. En particulier, le cadre des équipes de soins des SDS et annexes et le personnel effectif auraient triplé depuis 2020. Toutefois, ils ne sont pas suffisants à rendre effective la norme d’encadrement de ces soins, décidée par les autorités elles-mêmes en 2022 (par exemple, cadre rempli à 38% à Haren et à 50 % à Turnhout, pour environ 200 internés). Il importe également de relever que : le renfort du personnel en annexes ne bénéficie pas qu’aux internés ; les cadres du personnel soignant apparaissent déjà dépassés, vu la hausse d’internés en prison ; et comme confirmé par les juridictions internes, les prisons ne sont pas des lieux adaptés pour soigner les internés. Il est donc crucial que les autorités continuent, au plus vite, de renforcer les soins des internés dans les prisons, dans l’attente de leur transfert vers des structures adaptées.
· Concernant les violations de l’article 5 § 4 et des articles 3 et 13 combinés : recours effectif
Lors de son dernier examen, le Comité a noté avec intérêt que des juridictions ont allégé la charge procédurale des internés en matière de prescription, leur permettant d’obtenir une réparation de toute la période de violation continue de l’article 5 § 1. Le Comité s’est inquiété de l’effectivité du recours en référé, vu l’augmentation des internés en prison et le retard accumulé dans la création de places à l’extérieur depuis l’arrêt Venken et autres, et il a invité les autorités à tout mettre en œuvre pour régler au plus vite le problème structurel de fond, tout en envisageant le renfort du contrôle par les chambres de protection sociale de la situation des internés en prison.
Il est positif que le recours indemnitaire paraisse désormais appliqué de manière uniforme et conforme à l’arrêt Venken et autres. Les autorités devraient être encouragées à tenir le Comité informé des montants alloués (cf. nouvelle jurisprudence semblant résulter de l’arrêt du 8 juillet 2024 de la Cour d’appel de Bruxelles).
Quant aux recours devant les chambres de protection sociale, alors qu’une modification avait été annoncée pour combler la période entre leurs décisions et leur exécution effective, avec un contrôle des internés en annexes tous les trois mois (DH-DD(2021)758), le nouveau plan d’action n’indique rien pour renforcer ces recours. Il semblerait donc approprié d’encourager à nouveau les autorités en ce sens. Quant au recours en référé, son utilisation accrue dans tout le pays, aboutissant à des décisions ordonnant le transfert d’internés vers un lieu adapté à leurs besoins, est positif. Toutefois, vu la hausse ininterrompue des internés en prison et les délais allongés des listes d’attente[11], pouvant résulter dans l’impossibilité d’exécuter rapidement des décisions, il paraît encore plus difficile que lors du dernier examen du Comité de conclure à l’effectivité du recours. Il conviendrait, ainsi, de prier instamment les autorités de tout mettre en œuvre afin de régler, dans les meilleurs délais, le problème structurel de fond.
Conclusion
La Cour a identifié le problème structurel en question il y a douze ans, et le délai fixé dans l’arrêt-pilote W.D, pour le résoudre, a expiré il y a six ans. Malgré les efforts indéniables des autorités, l’augmentation constante depuis 2019 du nombre des internés en prison, toujours sans encadrement thérapeutique suffisant et adapté, ne permet pas de conclure qu’un « progrès tangible » a été réalisé dans la résolution du problème structurel. Dès lors et conformément à ses précédentes décisions dans ce groupe d’affaires, le Comité pourrait souhaiter adopter une résolution intérimaire.
Financement assuré : OUI |
[1] Dans le présent groupe d’affaires, ce terme englobe les annexes psychiatriques et les sections de défense sociale (SDS).
[2] La loi de 2016 sur l’internement a remplacé les « commissions de défense sociale » par les « chambres de protection sociale ».
[3] Il y a un seul EDS dans la région liégeoise (Paifve avec 210 places) et six SDS (Namur, Bruges, Merksplas, Turnhout, Gand et Anvers).
[4] 3 536 en 2019, 3 632 en 2020, 3 866 en 2021 et 4 113 en 2022.
[5] Suspensions : 108 en 2019 pour 167 en 2023. Révocations : 179 en 2019 pour 203 en 2023.
[6] L’internement n’est plus autorisé que pour les faits les plus graves, sous certaines conditions, dont une expertise psychiatrique préalable.
[7] 2 254 places existantes en octobre 2024 (446 dans les centres de psychiatrie légale, 400 dans deux hôpitaux sécurisés en Wallonie, 20 places sécurisées pour des femmes et 30 pour des longs séjours en Flandre ainsi que 1 358 places dans des hôpitaux, maisons de soins et initiatives d’habitations protégées).
[8] Les équipes mobiles (105 équivalents temps plein et heures de psychiatres) et les services ambulatoires (31 équivalents temps plein et heures de psychiatres) facilitent les trajets de soins des internés (en annexes, EDS/SDS ou en institutions de soins sécurisées) et leur flux vers le circuit de soins réguliers.
[9] 56 places supplémentaires depuis le précédent plan d’action des autorités (DH-DD(2023)756).
[10] Les chambres de protection sociale ont une compétence spécifique et exclusive pour décider du placement ou transfert d’internés, mais ne sont pas compétentes pour juger d’un éventuel manquement de l’État à son obligation de transfert dans un délai raisonnable, ni pour lui ordonner d’y procéder.
[11] Le précédent plan d’action (DH-DD(2023)756) indiquait des délais d’attente plus courts : 3 ans vers Tournai et un an et demi vers Paifve.