DÉLÉGUÉS DES MINISTRES

Notes sur l'ordre du jour

CM/Notes/1507/H46-35

19 septembre 2024

1507e réunion, 17-19 septembre 2024 (DH)

Droits de l'homme

 

H46-35 Groupe Gurban c. Turquie (Requête n° 4947/04)

Surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour européenne

Documents de référence

DH-DD(2024)804, DH-DD(2022)1088, CM/Del/Dec(2021)1419/H46-37

 

Requête

Affaire

Arrêt du

Définitif le

Critère de classification

4947/04

GURBAN

15/12/2015

15/03/2016

Problème structurel

24069/03

ÖCALAN (2)

18/03/2014

13/10/2014

27422/05

KAYTAN

15/09/2015

15/12/2015

33056/16

BOLTAn

12/02/2019

12/05/2019

Description des affaires

Ce groupe d'affaires concerne des violations de l'interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants en raison de la condamnation des requérants à une peine de réclusion à perpétuité aggravée - une peine de prison à vie sans perspective de libération, régie par une législation qui ne prévoit aucun mécanisme leur permettant de demander le réexamen de la peine après un certain délai minimum (article 3)[1].

La Cour a souligné que ses conclusions ne pouvaient être interprétées comme donnant aux requérants la perspective d’une libération imminente, mais que les autorités nationales étaient tenues de mettre en place un mécanisme de réexamen à la lumière des normes énoncées dans sa jurisprudence[2][3].

État d'exécution

Les informations fournies par les autorités en réponse aux décisions précédentes du Comité sont résumées ci-dessous (DH-DD(2022)1088 et DH-DD(2024)804).

Mesures individuelles :

Les requérants continuent de purger leurs peines de réclusion criminelle à perpétuité aggravée sans disposer d'un mécanisme de réexamen. Lors de sa réunion DH de décembre 2021, le Comité a noté que les mesures individuelles requises en ce qui concerne les violations susmentionnées sont liées à l'adoption de mesures générales dans ce groupe d'affaires.


Mesures générales :

Lors de sa réunion DH de décembre 2021, le Comité a noté que l'exécution de ces arrêts nécessite l'adoption de mesures législatives ou d'autres mesures adéquates visant à mettre en place un mécanisme permettant le réexamen de toute condamnation à la réclusion à perpétuité aggravée après une certaine durée minimale, avec une possibilité de libération à moins que les impératifs de sanction et de dissuasion n'aient pas encore été entièrement satisfaits ou que la personne représente toujours un danger pour la société.

Le Comité s'est en outre déclaré préoccupé par le fait que les autorités n'aient pas fourni d'informations pertinentes sur les mesures envisagées permettant de remédier aux violations constatées dans ces arrêts et les a invitées instamment à adopter sans plus tarder les mesures requises pour mettre le cadre législatif actuel en conformité avec les normes énoncées par la Cour ; il les a également encouragées à s'inspirer à cet égard des bons exemples de réformes adoptées dans d'autres États membres. Il a également demandé des informations sur le nombre de personnes actuellement détenues et condamnées à une peine incompressible d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de révision de leur peine pour des raisons pénologiques.

En réponse, les autorités ont souligné que la législation turque prévoit un mécanisme de révision permettant une libération conditionnelle. L'article 107 de la loi n° 5275 sur l'exécution des peines et des mesures de sûreté prévoit la possibilité d'une libération conditionnelle des condamnés, en fonction de leur bonne conduite, après avoir purgé 30 ans pour une peine de réclusion à perpétuité aggravée ou 24 ans pour une peine de réclusion à perpétuité. Toutefois, cette disposition ne s'applique pas aux personnes condamnées pour avoir commis des crimes contre la sécurité de l'État, contre l'ordre constitutionnel ou contre la défense nationale, au sein d'une organisation terroriste.

Les autorités ont en outre souligné que les peines de réclusion à perpétuité aggravée ne s'appliquent qu'aux infractions les plus graves et peuvent être allégées par les tribunaux en fonction des circonstances atténuantes de chaque affaire. Par conséquent, le champ d'application des peines de réclusion à perpétuité aggravée exclues du mécanisme de révision en vue d’une libération conditionnelle est limité et exceptionnel.

Communications au titre de la Règle 9.1 dans l'affaire Öcalan (n° 2) (DH-DD(2023)114)

Les représentants des requérants ont critiqué le plan d'action présenté par les autorités au motif qu'il n'abordait pas les mesures individuelles nécessaires à l'exécution de l'arrêt. Ils ont souligné que la première affaire de ce groupe est devenue définitive il y a neuf ans. Ils ont demandé que l'affaire soit inscrite régulièrement à l'ordre du jour du Comité.

Communications au titre de la Règle 9.2 de l'association Life Memory Freedom (DH-DD(2021)1278), de l'association du barreau de Diyarbakır (DH-DD(2022)882) et de l'association Human Rights Agenda (DH-DD(2022)1194) et communication jointe de six ONG (DH-DD(2024)891)

Dans leur communication jointe, les ONG ont informé que le requérant dans l'affaire Öcalan (n°2) a déposé une requête individuelle devant la Cour constitutionnelle le 6 décembre 2021 et les requérants dans les affaires Kaytan et Gurban le 27 août 2018. La Cour constitutionnelle n'a pas encore statué sur ces requêtes. Les ONG ont déclaré que la Cour constitutionnelle n'a toujours pas rendu d'arrêt sur le droit à l'espoir. Néanmoins, elle a pris une mesure concrète en demandant un avis au ministère de la Justice dans le cadre d'une requête individuelle en ce qui concerne la peine de réclusion à perpétuité aggravée.

Les ONG ont déclaré que la législation actuelle en Türkiye ne permet pas aux personnes qui purgent une peine de réclusion à perpétuité aggravée pour des condamnations liées à des crimes contre l'État de bénéficier d'une libération conditionnelle. Pour remédier à cette situation, un amendement législatif est nécessaire à l'article 107 de la loi n° 5275 concernant l'exécution. Les ONG estiment qu'il y a plus de 4 000 condamnés à une peine de réclusion à perpétuité aggravée en Türkiye. Elles se plaignent que les données concernant le nombre de personnes condamnées à la prison à vie ne soient pas disponibles publiquement ni partagées avec les ONG malgré de nombreuses requêtes auprès des autorités.

Elles ont fourni une décision de l'Institut du Médiateur de Türkiye, soulignant l'intérêt pour le public de publier de telles statistiques et conseillant au ministère de la Justice de publier ces données sur une base régulière.  


Une proposition de loi déposée par un député visant à abolir les peines de réclusion à perpétuité aggravées n'a pas été inscrite à l'ordre du jour du Parlement. Deux propositions de loi déposées par trois députés et visant à abroger la loi qui privant de libération conditionnelle les condamnés à des peines de réclusion à perpétuité aggravée pour certaines infractions sont toujours pendantes devant la Commission de la justice. Les ONG ont fait valoir que ces propositions démontraient l'absence de tentatives de la part des autorités de remédier aux violations constatées dans ce groupe d'affaires.

Analyse du Secrétariat

Mesures individuelles :

Comme l'a déjà relevé le Comité, les mesures individuelles requises pour les requérants sont liées à l'adoption des mesures générales.

Mesures générales :

-       Mécanisme de révision des peines d'emprisonnement à perpétuité incompressibles

Comme décrit ci-dessus, le cadre législatif actuel prévoit une révision de la peine après 30 ans et la possibilité d'une libération conditionnelle pour tous les condamnés à une peine de réclusion à perpétuité aggravée, à l'exception de ceux condamnés pour des crimes contre l'État commis au sein d'une organisation terroriste. Il apparaît donc que, pour combler la lacune législative dont la Cour a estimé qu'elle donnait lieu à une peine inhumaine ou dégradante, une modification législative ou autre mesure adéquate est nécessaire afin qu'un mécanisme de révision soit disponible pour toute personne purgeant une peine de réclusion à perpétuité aggravée.

À cet égard, il convient de noter que si l'article 46 de la Convention permet à l'État défendeur de choisir les moyens par lesquels il se conforme aux arrêts de la Cour, et que la Cour a noté que les États disposent d'une marge d'appréciation en matière de justice pénale et de condamnation[4], ce qui se reflète dans les différentes pratiques des États membres, en particulier en ce qui concerne la disponibilité d’une révision par le pouvoir judiciaire ou exécutif ou le délai pour une telle réexamen des peines d'emprisonnement à perpétuité[5], la tendance en droit international est que de tels mécanismes prévoient un contrôle au plus tard 25 ans après l'emprisonnement à vie, comme l'a également noté la Cour[6]. Les autorités pourraient envisager de s'inspirer des mesures mises en place par certains autres États membres du Conseil de l'Europe6.

Le Comité pourrait exprimer sa profonde préoccupation quant au fait qu'aucun progrès n'a encore été réalisé pour remédier aux violations constatées dans ces arrêts, malgré ses décisions antérieures. Il pourrait donc demander instamment aux autorités d'adopter sans plus tarder les amendements législatifs nécessaires pour mettre en place un mécanisme de révision conforme à la Convention, en s'inspirant de l'expérience d'autres États membres qui ont mis en place de tels mécanismes.

Le Comité pourrait en outre encourager les autorités d’étendre le champ d'application du nouveau Plan d'action pour les droits de l'homme et du nouveau Document de stratégie de réforme judiciaire de manière à tenir compte des conclusions de la Cour dans le présent groupe d’affaires, y compris la révision du cadre juridique pertinent.

Comme l'a déjà souligné la Cour dans ses arrêts et le Secrétariat dans sa précédente analyse en 2021, le fait d'offrir une possibilité procédurale de demander une révision de l'éligibilité à la libération conditionnelle ne peut être compris comme signifiant que la mise en liberté doit automatiquement être accordée à ceux qui en font la demande, y compris les requérants.


-       Informations statistiques concernant le nombre de personnes condamnées à une peine d'emprisonnement à perpétuité incompressible

Les autorités n'ont pas fourni à ce jour les informations demandées par le Comité concernant le nombre de personnes détenues et purgeant des peines irréductibles à perpétuité sans possibilité de réexamen pour des raisons pénologiques, et ces informations ne semblent pas non plus être accessibles au public. Les ONG font état d’une situation préoccupante en ce qui concerne le nombre de condamnés purgeant des peines irréductibles à perpétuité. Dans ce contexte, ces données statistiques pourraient permettre au Comité d’avoir une meilleure compréhension de la situation, en démontrant l’ampleur de l’exonération et son applicabilité. Le Comité pourrait donc inviter à nouveau les autorités à fournir des informations sur le nombre de personnes actuellement détenues et condamnées à purger une peine d'emprisonnement à perpétuité incompressible sans possibilité de révision pour des raisons pénologiques.

- Proposition de préparation d'un projet de résolution intérimaire lors du prochain examen

Compte tenude l'ancienneté des questions examinées dans ce groupe et de l'absence de progrès révélée par les informations disponibles, le Comité pourrait charger le Secrétariatde préparer un projet de résolution intérimaire pour examen lors de sa réunion de septembre 2025 au plus tard, si aucune information concrète permettant une évaluation positive n'est présentée d'ici là.

Financement assuré: OUI

 



[1] Dans l'affaire Gurban, la Cour a également conclu à la violation des articles 6 § 1 et 13 en raison de la durée de la procédure pénale contre le requérant et de l'absence de recours effectif à cet égard. Les mesures générales concernant ces questions ont été examinées dans le cadre du groupe d'affaires Ormanci et autres c. Turquie (43647/98) (voir la Résolution finale CM/ResDH(2014)298).

[2] Gurban § 35 ; Öcalan (n° 2) § 207 ; Kaytan § 68 ; Boltan § 43.

[3] Dans l'affaire Öcalan (n° 2), la Cour a également conclu à la violation de l'article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant avant le 17 novembre 2009. Lors de sa réunion DH de décembre 2021, le Comité a rappelé que la Cour européenne, dans l'affaire Öcalan (n° 2), n'a pas conclu à la violation de l'article 3 concernant les conditions de détention du requérant pour la période postérieure au 17 novembre 2009, et a noté également que la Cour était actuellement saisie d'une requête concernant les conditions de détention actuelles du requérant ; a décidé dans ces circonstances qu'aucune autre mesure individuelle n'est requise concernant les conditions de détention du requérant, dans le cadre de cet arrêt. Les mesures générales concernant les conditions de détention en Türkiye sont examinées par le Comité dans le cadre de l'affaire İlerde et autres c. Türkiye (35614/19).

[4] Vinter et autres, § 120.

[5] Matiosaitis et autres c. Lituanie (22662/13), voir Résolution finale CM/ResDH(2019)142 ; Vinter et autres c. Royaume-Uni (66069/09), voir Résolution finale CM/ResDH(2017)178 ; Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie (15018/11) §§ 243-268 ; Čacko c. Slovaquie (49905/08) pas de violation de l'article 3, voir §§ 76-81 ; Bodein c. France (40014/10) pas de violation de l'article 3, voir §§ 53-62, Marcello Viola c. Italie (n° 2) (77633/16) ; Petukhov c. Ukraine (n° 2) (41216/13).

[6] Vinter et autres, § 120.