DÉLÉGUÉS DES MINISTRES

Notes sur l'ordre du jour

CM/Notes/1475/H46-25

22 septembre 2023

1475e réunion, 19-21 septembre 2023 (DH)

Droits de l'homme

 

H46-25 Groupe Petrescu c. Portugal (Requête n° 23190/17)

Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne

Documents de référence

DH-DD(2023)785, DD(2021)1032, CM/Del/Dec(2021)1398/H46-20

 

Requête

Affaire

Arrêt du

Définitif le

Critère de classification

23190/17

PETRESCU

03/12/2019

03/03/2020

Problème structurel

4581/20+

DA SILVA SANTOS PEREIRA ET DIAMANTINO DA SILVA

09/06/2022

09/06/2022

28688/20+

RIBEIRO DOS SANTOS ET JEVDOKIMOVS

15/09/2022

15/09/2022

53415/21

DOS SANTOS NEVES

02/03/2023

02/03/2023

Description des affaires

Ces affaires concernent le traitement inhumain et dégradant des requérants en raison du surpeuplement et des mauvaises conditions matérielles de détention (violations de l’article 3).

Dans l’affaire Petrescu, la Cour européenne a constaté qu’il existait un problème structurel de surpeuplement au Portugal qui touchait plus de la moitié des établissements pénitentiaires (§ 65). Elle a également estimé qu'il n'était pas possible de conclure avec un degré de certitude suffisant que les voies de recours invoquées par le gouvernement constituaient des recours préventifs et compensatoires effectifs pour se plaindre des conditions de détention inadéquates (§§ 84, 87 et 88).

La Cour européenne a recommandé à l'Etat défendeur d'envisager l'adoption de mesures générales visant à garantir aux détenus des conditions de détention conformes à l'article 3 de la Convention (§ 117). Elle a également déclaré qu’un recours devrait être ouvert aux détenus aux fins d’empêcher la continuation d'une violation alléguée ou de permettre d'obtenir une amélioration des conditions de détention (ibidem).

État d’exécution

A)    Premier examen par le Comité des Ministres

Le premier examen par le Comité des Ministres de l’affaire alors sous sa surveillance (Petrescu) a eu lieu lors de sa 1398e réunion (mars 2021) (DH).

En ce qui concerne les mesures individuelles, le Comité a noté qu’aucune autre mesure individuelle n'était nécessaire, le requérant ayant été libéré et la satisfaction équitable payée.


En ce qui concerne les mesures générales, le Comité a noté avec satisfaction les mesures adoptées par les autorités à partir de 2017 pour faire face au problème de surpeuplement carcéral, lesquelles avaient permis de ramener l’ensemble de la population carcérale à un niveau correspondant à la capacité officielle des prisons. Il a toutefois noté avec préoccupation que, malgré une situation globale positive, un certain nombre de prisons continuaient de fonctionner à 120 % ou plus de leur capacité. Il a donc invité les autorités à réfléchir à des mesures spécifiques pour remédier au surpeuplement dans ces prisons et les a également encouragées à poursuivre leurs efforts en favorisant un recours accru aux mesures alternatives à la détention et en sensibilisant les juges et les procureurs à leur rôle à cet égard. Il a également invité les autorités à fournir des informations actualisées sur la rénovation des prisons existantes, y compris un calendrier pour les travaux envisagés, et sur d'autres mesures et/ou politiques visant à remédier au surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles dans les prisons, qui figurent dans leur stratégie décennale pertinente (voir ci-dessous).

En ce qui concerne les recours effectifs, le Comité s'est félicité des mesures envisagées par les autorités pour introduire de nouveaux recours préventifs et compensatoires et les a invitées à fournir des informations détaillées sur le contenu des modifications législatives proposées et un calendrier pour leur adoption. Il a également encouragé les autorités à coopérer avec le Secrétariat dans la préparation de ces recours.

B)    Développements depuis le premier examen du Comité

Le 8 octobre 2021, les autorités ont fourni des informations mises à jour sur les mesures générales
(DH-DD(2021)1032), suivies d’un plan d’action soumis le 22 juin 2023 (DH-DD(2023)785). Elles ont également fourni des informations sur les mesures individuelles dans les nouveaux arrêts les 24 novembre 2022
(DH-DD(2022)1316), 5 mai 2023 (DH-DD(2023)835) et 6 juillet 2023 (DH-DD(2023)850).

Les informations fournies et celles disponibles dans le domaine public peuvent être résumées comme suit :

Mesures individuelles

Les autorités ont payé la satisfaction équitable octroyée par la Cour dans les nouveaux arrêts.

En ce qui concerne la situation des requérants à la date des dernières informations, dans l’affaire Da Silva Santos Pereira et Diamantino Da Silva, le premier requérant avait été libéré, tandis que le second était détenu à la prison de Coimbra où il occupe une cellule individuelle de 6,2 m². Dans l’affaire Ribeiro Dos Santos et Jevdokimos, les deux requérants étaient toujours détenus : le premier occupait une cellule individuelle de 6,2 m² à la prison de Coimbra, tandis que le second partageait une cellule de 12,6 m² avec deux autres détenus à la prison de Sintra, avec une annexe sanitaire entièrement séparée.

Des informations sur la situation actuelle du requérant Dos Santos Neves sont attendues.

Mesures générales

1) En ce qui concerne le surpeuplement carcéral

Situation actuelle dans le système pénitentiaire : Comme constaté lors du précédent examen, une réduction de la population carcérale a été constatée entre 2017 et 2020[1], grâce aux effets combinés de la loin° 94/2017 (qui prévoit, en termes généraux, le remplacement des peines de moins de deux ans d'emprisonnement par l’assignation à résidence sous surveillance électronique) et de la loi n° 9/2020 (qui a prévu des mesures exceptionnelles de libération dans le contexte de la pandémie de covid-19). De ce fait, en septembre 2020, le taux d'occupation global des prisons avait été ramené à 85,40 %[2].

Cependant, depuis lors, la population carcérale a augmenté. Selon les données publiées par la Direction Générale de la Réinsertion Sociale et des Services Pénitentiaires (« DGRSP »)[3], en juillet 2023, la population carcérale s'élevait à 12 461 personnes pour une capacité totale de 12 637 places dans le système pénitentiaire, ce qui correspond à un taux d'occupation de 98 %.

Selon les mêmes données, en décembre 2022, 25 prisons sur 49 fonctionnaient à plus de 100 % de leur capacité officielle. Les autorités ont expliqué que les situations de surpeuplement sont plus fréquentes dans les prisons servant de points d’entrée dans le système (situées dans les zones métropolitaines de Lisbonne et de Porto et dans la région autonome des Açores), où la population carcérale est très mobile et où le séjour des détenus est de courte durée.

Mesures alternatives à l'emprisonnement : Le dispositif exceptionnel mis en place lors de la pandémie de Covid-19 a désormais cessé de s’appliquer. Toutefois, les autorités indiquent que la réforme législative de 2017 mentionnée ci-dessus continue de produire des effets positifs, puisque le nombre de personnes soumises à des peines et mesures non privatives de liberté, telles que la surveillance électronique, a continué d’augmenter. En conséquence, au 31 décembre 2022, 72,96 % du nombre total de peines et mesures en cours d’exécution n'impliquaient pas d’emprisonnement[4]. Durant la phase précédant le procès, l'utilisation par les autorités judiciaires de la possibilité de suspendre provisoirement la procédure pénale a également augmenté. L’augmentation plus récente de la population carcérale n’est donc pas liée à un recours limité aux alternatives à l’emprisonnement, mais à une augmentation générale du nombre de personnes soumises à des sanctions pénales (pour plus de détails, voir DH-DD(2023)785).

2) En ce qui concerne les conditions matérielles dans les prisons

Depuis 2017, les autorités mettent en œuvre une Stratégie décennale sur le Système d'Exécution des Peines et des Mesures pénales et éducatives[5], qui prévoit notamment la fermeture de huit prisons qui ne sont pas en mesure d’assurer des conditions de détention adéquates, la construction de cinq nouvelles prisons, l'amélioration des conditions matérielles dans les autres prisons et l’augmentation du personnel pénitentiaire.

Dans ce cadre, la DGRSP a procédé à un examen systématique des locaux d’hébergement et a adopté un plan d’action visant à mettre les conditions matérielles des prisons existantes en conformité avec les exigences de la Convention. Conformément à ce plan d’action, des travaux de rénovation ont été réalisés dans 21 prisons en 2021[6], et dans 8 prisons en 2022. Ces travaux visaient principalement à assurer une séparation totale entre les installations sanitaires et le reste de la cellule ; dans certaines prisons, ils ont également permis d’améliorer les conditions d'hygiène des installations sanitaires, d’éliminer les infiltrations ‘'humidité et de moderniser les installations électriques.

En novembre 2022, le Conseil des ministres a alloué environ 19 millions d'euros pour des travaux visant à augmenter la capacité des établissements pénitentiaires existants à proximité de Lisbonne, afin de permettre la fermeture totale de la prison de Lisbonne d’ici 2026.

3) En ce qui concerne les voies de recours internes

a. Recours préventif

En septembre 2021, l’administration pénitentiaire a adopté la circulaire n° 9/2021 (Règlement en matière de plaintes et demandes de la population carcérale), afin de clarifier et de simplifier les procédures internes de plainte auprès des directeurs de prison. Le personnel pénitentiaire doit informer les détenus de ce règlement, qui est également affiché et consultable dans les bibliothèques des prisons. En 2022, 3 253 plaintes ou demandes ont été soumises en vertu de cette circulaire.

Les autorités indiquent en outre qu’elles préparent une réforme de la législation sur l’exécution des peines privatives de liberté, notamment dans le but de renforcer la protection des droits des détenus conformément aux obligations internationales du Portugal. Dans ce contexte, elles envisagent de promulguer des dispositions permettant aux détenus de contester en justice les mesures prises par l'administration et le personnel pénitentiaires qui affectent leurs droits ou leurs intérêts protégés par la loi.

b. Recours compensatoire

Les autorités considèrent que les dispositions générales existantes régissant la responsabilité extracontractuelle de l’État[7]peuvent déjà constituer un recours compensatoire effectif. Elles indiquent qu'il existe au moins un exemple[8]où un tribunal national a établi une violation de l’article 3 en raison de conditions de détention inadéquates et a ordonné à l’État de payer une indemnisation.

Dans le cadre de la réforme mentionnée dans la section précédente, les autorités examineront la possibilité de promulguer des amendements visant à inclure expressément les mauvaises conditions de détention parmi les motifs permettant d’engager la responsabilité civile de l'État et d’obtenir une indemnisation.


Communication de la société civile (règle 9 (2))

Le Comité a reçu une communication du Forum Penal - Associação de Avogados Penalistas et du European Prison Litigation Network (EPLN) le 3 juillet 2023 (pour plus de détails, voir DH-DD(2023)848).

Les ONG considèrent que la résolution des problèmes révélés par ces affaires reste une priorité, étant donné le nombre de requêtes introduites devant la Cour concernant les conditions de détention au Portugal[9]. En ce qui concerne l’inflation de la population carcérale et la surpopulation carcérale, les ONG estiment que les autorités n’ont pas encore proposé de solutions durables. Selon elles, les mesures aux effets temporaires, telles que celles mises en œuvre lors de la pandémie de Covid-19, sont inefficaces, comme le montre l'augmentation de la population carcérale observée plus récemment. Des solutions durables passent plutôt par des réformes des politiques pénales et carcérales visant à s’attaquer aux causes profondes de ces problèmes[10], en activant tous les leviers pour réduire le recours à l’emprisonnement[11] dans le cadre d'une approche intégrée. Ces réformes devraient être élaborées en consultation avec toutes les parties prenantes, y compris les juges, les procureurs, le personnel de probation et le personnel pénitentiaire, ainsi que la société civile. Pour l'instant, aucun dialogue de ce type n'a eu lieu dans le cadre de la réforme envisagée de la législation sur l'exécution des peines privatives de liberté.

En ce qui concerne les conditions matérielles dans les prisons, les ONG notent positivement les travaux de rénovation effectués depuis 2020, tout en soulignant que ces travaux ne répondent que partiellement aux besoins du système pénitentiaire, tels qu'identifiés par le Mécanisme national de prévention (« MNP »), et qu'une utilisation intensive des installations pénitentiaires en raison de la surpopulation ne peut qu'en accélérer l’usure.

Les ONG considèrent en outre qu'une action globale est nécessaire pour garantir l’accessibilité et l’effectivité des recours internes. Il s'agit notamment de créer des recours judiciaires préventif et compensatoire spécifiques et de prendre des mesures pour veiller à ce que les détenus aient un accès pratique et effectif à ces recours. Les ONG notent l’adoption de la circulaire n° 9/2021 mais soulignent qu’elles ne peuvent pas commenter les changements qu'elle a introduits dans les procédures de plaintes internes, car son texte n'est pas disponible en ligne.

Autres informations pertinentes

Conclusions et recommandations du MNP : Dans son rapport annuel pour 2022[12], le MNP a signalé que les données disponibles sur le taux d'occupation global du système pénitentiaire devaient être lues en liaison avec d’autres indicateurs. Il a ainsi observé qu'au 31 décembre 2022, bien que le taux d'occupation global soit inférieur à 100 %, le taux moyen d’occupation dans les prisons était de 100,83 % ; 25 prisons sur 49 étaient surpeuplées, avec des niveaux supérieurs à 120 % dans dix prisons ; et 5 422 détenus (44,5 % de la population carcérale) étaient hébergés dans des établissements surpeuplés.

Le MNP a fait référence aux recommandations du Sous-Comité des Nations Unies pour la Prévention de la Torture et a appelé les autorités à élargir l’utilisation des mesures alternatives à la détention, y compris la libération conditionnelle et le travail d’intérêt général, et, si nécessaire, à poursuivre les changements législatifs afin de réduire la surpopulation, par exemple en abolissant les peines d’emprisonnement pour certaines infractions. Il a également attiré l’attention sur la nécessité de mettre à jour la capacité officielle des prisons, afin d’assurer une plus grande précision statistique et d’éviter que des situations de surpopulation ne restent non détectées.

Dans le même rapport, le MNP a observé que les travaux visant à séparer l’annexe sanitaire de l'espace de vie dans les cellules avaient été achevés dans presque toutes les prisons qu’il avait visitées, mais il a exprimé des préoccupations concernant d’autres aspects des conditions de vie dans certaines d'entre elles[13]. Il a également constaté que la structure de certains établissements n'était pas adaptée à des détentions de longue durée. Dans son rapport annuel pour 2021, le MNP a noté que les travaux visant à améliorer les conditions matérielles avaient été suspendus dans certaines des prisons dont la fermeture était prévue. Il a demandé aux autorités de préciser le calendrier prévu à cet effet et a recommandé la fermeture immédiate d'autres établissements.

Dans le rapport pour 2022, le MNP a également relevé le manque de personnel dans différentes catégories (surveillance, rééducation, juridique, soins de santé).

Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») : Le CPT a effectué une visite périodique au Portugal en 2022 ; au moment de la rédaction de ces Notes, le rapport sur cette visite n'avait pas encore été publié.

Analyse du Secrétariat

Mesures individuelles

Aucune autre mesure individuelle n’est requise en ce qui concerne le requérant M. Da Silva Santos Pereira, car la satisfaction équitable a été payée et il a été libéré.

Les autorités pourraient être invitées à fournir rapidement des informations sur la situation actuelle de M. Dos Santos Neves.

En ce qui concerne les trois requérants qui sont toujours détenus, les informations fournies montrent que leur situation s'est améliorée depuis la période considérée dans les arrêts, notamment parce que l’espace vital individuel dont ils disposent répond aux normes minimales. Des améliorations plus durables de leur situation, tant qu’ils restent en détention, semblent être étroitement liées à l’adoption des mesures générales, y compris la mise en place d’un recours préventif effectif.

Mesures générales

1) En ce qui concerne le surpeuplement carcéral

Après une diminution constante de la population carcérale et du taux d’occupation global entre 2017 et 2020, la situation a empiré depuis le précédent examen du Comité. Les données disponibles montrent qu'à la fin de 2022, 25 des 49 prisons fonctionnaient au-delà de leur capacité officielle et que dans dix d’entre elles, les niveaux de surpopulation avaient atteint ou dépassé 120 %. Bien que nettement plus importante dans les établissements qui servent de points d'entrée dans le système pénitentiaire, la surpopulation ne semblait pas se limiter à ceux-ci. Depuis lors, la population carcérale a augmenté et le taux d'occupation global du système pénitentiaire est désormais proche de 100 %.

Ainsi, malgré un recours accru aux alternatives à l’emprisonnement au cours de la même période, ce qui constitue évidemment un élément positif, l’inflation de la population carcérale et la surpopulation qui en découle sont redevenues une source de préoccupation majeure, et des mesures supplémentaires paraissent nécessaires pour résoudre durablement ces problèmes. Ceci a également été souligné par le MNP et par la société civile.

Pour ce faire, les autorités pourraient être invitées instamment à entreprendre rapidement une analyse approfondie et complète des facteurs qui alimentent ces problèmes, en s’appuyant sur les travaux pertinents du Conseil de l'Europe[14] et sur les conclusions et recommandations du MNP, afin d'élaborer des solutions durables. Dans ce processus, la consultation de toutes les parties prenantes apporte une valeur ajoutée évidente, comme le montre la communication au titre de la règle 9 (2) reçue de la part des acteurs de la société civile concernés, qui fournit des indications solides sur les causes profondes des problèmes et sur le type d'action qui peut y remédier.

Dans l’intervalle, les autorités pourraient être appelées à poursuivre leurs efforts pour consolider et éventuellement renforcer davantage l’utilisation de tous les moyens disponibles en vertu de la législation en vigueur pour limiter les entrées dans le système pénitentiaire. Elles pourraient également envisager de promouvoir une plus grande utilisation des moyens, tels que la libération conditionnelle, qui permettent de réduire la durée de l’emprisonnement.

Compte tenu de la situation actuelle, les autorités devraient en outre examiner les mesures qui peuvent être rapidement mises en œuvre pour réduire la surpopulation dans les prisons qui fonctionnent au-delà de leur capacité officielle. Elles pourraient, par exemple, déterminer s’il est possible de procéder à une répartition plus équilibrée des détenus dans le système pénitentiaire, en tenant compte de toutes les considérations pertinentes, y compris le bénéfice que les détenus tirent d’un placement à proximité de leur famille.

Dans le même ordre d'idées, et également dans le cadre d'une stratégie à plus long terme visant à régler durablement ces problèmes, les autorités pourraient envisager d’introduire un système juridique contraignant de régulation carcérale, à activer en cas de suroccupation (par exemple en introduisant une limite maximale absolue pour le nombre de détenus dans chaque prison, comme le recommande le CPT dans son Rapport annuel général pour l’année 2021).

Il semble également souhaitable de recevoir les commentaires des autorités concernant la nécessité, identifiée plus récemment par le MNP, de mettre à jour la capacité officielle des prisons, ainsi que des informations sur la manière dont cette capacité est actuellement calculée.

2) En ce qui concerne les conditions matérielles dans le système pénitentiaire

Dans leur dernier plan d’action, les autorités ont mis l’accent sur les travaux de rénovation réalisés à partir de 2020 dans 29 prisons (sur 49) et en cours dans d'autres établissements, principalement pour séparer complètement les installations sanitaires de l'espace de vie dans les cellules.

Bien que ces mesures répondent à l’un des aspects problématiques identifiés par la Cour européenne et doivent être notées positivement, des informations supplémentaires sont nécessaires pour permettre une évaluation concluante de l'action des autorités visant à assurer des conditions matérielles adéquates dans le système pénitentiaire.

A cet égard, il est nécessaire de connaître le calendrier précis fixé pour la fermeture des établissements, autres que la prison de Lisbonne, que les autorités ont jugés irréparables et ce qui sera fait pour ceux que le MNP a également jugés comme tel. Des informations plus précises sur les projets de construction de cinq nouvelles prisons, y compris sur le calendrier et sur l'affectation des ressources financières, sont également nécessaires, d’autant plus qu'il semble que ces deux aspects de la stratégie des autorités soient liés.

En ce qui concerne les établissements qui continueront à fonctionner, il est observé que les arrêts de la Cour européenne et les rapports du MNP attestent de diverses autres lacunes[15] dans les conditions matérielles de détention au moins dans certaines prisons ou section des prisons. Il importe de savoir si, dans le cadre de l’examen systématique qu’elles ont effectué, les autorités ont identifié les interventions nécessaires dans le système pénitentiaire pour remédier à ces lacunes et d'obtenir des informations sur ces interventions, l'affectation des ressources financières et le calendrier envisagé pour les réaliser.

3) Voies de recours internes

Il est rappelé que lorsque les conditions de détention sont en cause, des recours préventifs et compensatoires effectifs doivent coexister pour que le système juridique national réponde aux exigences de l'article 13 dans ce domaine. Ces recours doivent permettre de porter devant un tribunal ou un autre organe indépendant des griefs défendables liés à des conditions de détention inadéquates, afin d'obtenir la cessation de telles situations ou une réparation, lorsqu’elles ont cessé. Ils jouent un rôle essentiel dans la prévention et la réparation au niveau national des violations de l’interdiction absolue de traitements inhumains ou dégradants, et dans la sauvegarde de l’effectivité du système de la Convention.

En ce qui concerne l’aspect préventif, il apparaît que les autorités visent à établir une combinaison de recours administratifs et judiciaires. En ce qui concerne le recours administratif, tout en notant que des changements ont été apportés au système de plaintes internes (auprès des directeurs de prison), des informations plus détaillées sont nécessaires sur le fonctionnement du nouveau système et les actions correctives auxquelles il peut donner lieu, afin de permettre son évaluation.

En tout état de cause, il appartient aux autorités de mettre en place un recours judiciaire préventif répondant aux exigences de la Convention énoncées dans la jurisprudence de la Cour (voir, entre autres, Petrescu, §§ 76-78). Compte tenu de son rôle dans la prévention de violations telles que celles constatées dans ces affaires, les autorités pourraient être invitées instamment à intensifier leurs efforts afin d'élaborer et de promulguer sans plus tarder les modifications législatives requises. Elles pourraient être appelées à fournir des informations sur les solutions concrètes envisagées et un calendrier indicatif pour leur adoption.

En ce qui concerne l'aspect compensatoire, il convient de rappeler que dans l'affaire Petrescu, la Cour a indiqué, en l'absence d’exemples pertinents, qu’elle n’était pas en mesure de conclure qu’une action visant à établir la responsabilité civile extracontractuelle de l’État constituait un recours effectif en ce qui concerne les conditions de détention inadéquates.

Cette conclusion reste valable pour le moment. L’exemple avancé par les autorités constitue une évolution positive, mais insuffisante pour conclure qu’il fait partie d’une pratique judiciaire émergente ou établie, conforme à tous égards aux exigences de la Convention dans ce domaine, énoncées dans la jurisprudence de la Cour (voir, entre autres, Neshkov et autres c. Bulgarie, requête n° 36925/10, §§ 184-190).

Les autorités devraient rapidement vérifier si d’autres développements jurisprudentiels, y compris dans la pratique des juridictions administratives supérieures, pourraient permettre au Comité de parvenir à une conclusion différente, et fournir leur évaluation étayée sur ce point. Si tel n'est pas le cas, elles devraient prendre sans plus tarder des mesures adéquates et suffisantes pour mettre en place un recours compensatoire effectif en ce qui concerne les conditions de détention inadéquates.

Suivi des affaires

Compte tenu de l'importance d'obtenir rapidement une image complète et claire de la stratégie des autorités pour résoudre les problèmes de fond révélés par ces arrêts et de progresser de manière décisive sur la question des recours internes, il est suggéré que le Comité reprenne l’examen de ces affaires lors d’une de ses réunions Droits de l'Homme en 2024, à la lumière des informations qui seront à fournir par les autorités d’ici la mi-mars 2024.

Il convient également de noter qu’en juillet 2023, les autorités portugaises ont participé à un échange entre pairs avec six autres Etats membres, qui ont été ou sont actuellement confrontés à des problèmes similaires, sur les recours préventifs effectifs en cas de conditions de détention inadéquates, organisé par le Service de l’Exécution des arrêts. Le Service reste à la disposition des autorités pour fournir une assistance technique et une coopération supplémentaires à l’appui de leurs efforts d’exécution.

 

Financement assuré: OUI

 



[1] Le nombre de détenus était respectivement de 13 440 en 2017, 12 867 en 2018, 12 793 en 2019 et 11 412 en 2020.

[2] Il y avait 11 037 détenus pour une capacité totale de 12 588 places dans le système pénitentiaire.

[4] Le nombre de peines et de mesures alternatives à la détention appliquées s'élève à 30 681, contre 29 125 au 31 décembre 2021.

[5] Disponible en portugais sur le site https://www.portugal.gov.pt.

[6] Les travaux ont visé 1 037 places hébergeant environ 1 854 détenus.

[7] Celles-ci sont énoncées dans la loi n° 67 du 31 décembre 2007 sur le régime de la responsabilité civile de l'État.

[8] Affaire n° 1173/17, jugement du 20 mars 2021 du tribunal administratif et fiscal de première instance de Sintra.

[9] Elles font également référence aux affaires que la Cour a rayées de son rôle sur la base de règlements amiables, avant (9 décisions) et après Petrescu (19 décisions). Elles indiquent que ces requêtes représentent environ 80 % des affaires portées devant la Cour concernant le Portugal.

[10] Les ONG s'appuient sur les données et les principales conclusions des rapports Space I et II 2021 du Conseil de l'Europe et sur une étude comparative de 2021 pour mettre en évidence des facteurs tels que les peines d'emprisonnement relativement longues imposées et purgées par les détenus condamnés, qui sont supérieures à la moyenne européenne ; le fait que les peines de courte et moyenne durée ne sont pas remplacées par une mesure alternative non privative de liberté ; et le nombre élevé de demandes de libération conditionnelle qui sont refusées (jusqu'en 2019, plus de 40 % des peines d'emprisonnement ont été purgées dans leur intégralité). 

[11] C’est-à-dire agissant à la fois sur les flux d'entrée et de sortie et sur la durée de la détention.

[12] Les rapports du MNP sont disponibles en portugais à l'adresse suivante : https://www.provedor-jus.pt.

[13] Par exemple, état de délabrement des cellules et manque d’isolation, absence de toilettes fonctionnelles, détérioration du système de plomberie dans les installations sanitaires, mauvaises conditions d'hygiène dans les cuisines.

[14] La Recommandation Rec(99)22 du Comité des Ministres concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale et d'autres instruments similaires dans les domaines du droit pénal et de la procédure pénale, de la criminologie et de la pénologie ; les recommandations générales et spécifiques pertinentes du CPT ; et le Livre blanc sur le surpeuplement carcéral publié en 2016 par le Comité européen pour les problèmes criminels.

[15] Il s'agit notamment du manque de chauffage, d'installations sanitaires insuffisantes ou inadéquates, de cellules avec moisissures, humides ou sales, infestées par des insectes ou des rongeurs, d'un manque ou d'une insuffisance de lumière électrique et naturelle, d'une nourriture de mauvaise qualité ou en quantité insuffisante, du partage de cellules avec des détenus atteints de maladies contagieuses, d'une literie de mauvaise qualité, d'un manque ou d'une insuffisance d'accès à du temps hors cellule et à des activités ayant du sens.