DÉLÉGUÉS DES MINISTRES |
Notes sur l'ordre du jour |
CM/Notes/1451/H46-11 |
8 décembre 2022 |
1451e réunion, 6-8 décembre 2022 (DH) Droits de l'homme
H46-11 J.M.B. et autres c. France (Requête n° 9671/15) Surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne Documents de référence |
Requête |
Affaire |
Arrêt du |
Définitif le |
Critère de classification |
Description de l’affaire
Cette affaire concerne les traitements dégradants subis par 27 des requérants, en raison de la surpopulation carcérale et des mauvaises conditions de leur détention (espace personnel inférieur à 3m2 dans la majorité des établissements et manque d’intimité dans l’utilisation des toilettes, d’aération, d’hygiène et d’activités hors cellule) dans les centres pénitentiaires (CP) de Ducos (Martinique), de Baie-Mahault (Guadeloupe) et de Faa’a Nuutania (Polynésie française) et dans les maisons d’arrêt (MA) de Nîmes, de Nice et de Fresnes (région de Paris), pendant des périodes différentes (2006 à nos jours) (violation de l’article 3).
Cette affaire concerne aussi l’absence de recours interne préventif effectif pour 31 des requérants (violation des articles 13 et 3 combinés). Les référés administratifs sont ineffectifs en pratique (§ 221), du fait de la portée limitée des injonctions du juge (§§ 217 et 218) et des difficultés d’exécution des mesures prononcées (§ 219). « La surpopulation des prisons et leur vétusté, a fortiori sur des territoires où n’existent que peu de prisons et où les transferts s’avèrent illusoires, font obstacle à (…) la possibilité en pratique de faire cesser pleinement et immédiatement les atteintes graves (..) à l’article 3 (…) ou d’y apporter une amélioration substantielle » (§ 220).
Relevant un problème structurel de surpopulation (§ 315), la Cour a recommandé à l’État, au titre de l’article 46, d’adopter des mesures générales, devant comporter sa résorption définitive. Elles pourraient concerner la refonte du mode de calcul de la capacité d’accueil des établissements pénitentiaires (§§ 124 à 126 et 205) et l’amélioration de son respect, ainsi que la loi de programmation 2018-2022 (LPJ) qui comporte des dispositions de politique pénale et pénitentiaire qui pourraient avoir un impact positif sur la réduction du nombre de détenus. Un recours préventif effectif devrait également être établi pour leur permettre, avec le recours indemnitaire[1], de redresser la situation dont ils sont victimes et d’empêcher la continuation d’une violation alléguée (§ 316).
État d’exécution
Un nouveau plan d’action a été soumis (DH-DD(2022)1089). Des nouvelles communications ont été transmises par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) (DH-DD(2022)1233), l’Observatoire international des prisons (DH-DD(2022)1267), le Syndicat de la magistrature (SM) (DH-DD(2022)1234), le Conseil national des barreaux (DH-DD(2022)1253) et l’Association nationale des Juges de l’Application des peines (DH-DD(2022)1276).
Mesures individuelles
Les satisfactions équitables (un total de 526 250 euros) ont été payées à 18 des 32 requérants. Les 14 autres n’ont pas fourni les pièces nécessaires à leur versement, malgré des relances des autorités. La consignation des sommes encore dues (disponibilité légale durant 30 ans) peut être faite afin de les libérer de leur obligation de paiement. Une saisie d’une partie des 25 000 euros alloués au requérant R.I. est prévue en faveur du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Elle n’est pas liée à la violation constatée par la Cour et les créanciers sont privés car le FGTI agit par subrogation légale. Enfin, concernant la situation des requérants, 26 ont été libérés (dont six depuis novembre 2021) et six sont encore détenus (cellule individuelle).
Mesures générales
Les autorités soulignent qu’une part importante des mesures d’exécution ne sera pleinement opérationnelle qu’à moyen terme (en particulier, les nouvelles places de détention, le plein recours aux mesures alternatives à la détention et le nouveau recours préventif judiciaire en cours d’appropriation par les acteurs compétents).
(i) Concernant les mauvaises conditions de détention : violation de l’article 3
· Derniers chiffres pénitentiaires
Le 1er janvier 2019 (date prise en compte par la Cour), le taux moyen d’occupation était de 116,5 % (140 % en MA ; 90 % en centre de détention – CD) et il y avait 70 059 détenus. La crise du Covid 19 a eu pour effet une baisse sans précédent : 58 720 détenus le 11 mai 2020 (taux de 96 %). Le 1er août 2022, il y avait, à nouveau, 71 819 détenus (21 945 en détention provisoire) et un taux moyen carcéral de 118,3 % (140,3 % en MA ; 93,6 % en CD). En particulier, les taux étaient de : 211 % à la MA de Nîmes ; 157 % à la MA de Nice ; 127 % au CP de Fresnes ; 123 % au CP de Ducos ; 138 % au CP de Baie-Mahault et ; 119 % au CP de Faa’a Nuutania.
· Mode de calcul de la capacité d’accueil des prisons
Le taux d’occupation carcéral est calculé sur base de la capacité opérationnelle (nombre de places par rapport à la surface du plancher et selon un barème national ; cf. § 124) et non pas la capacité de couchage. Selon les autorités, si une refonte du mode de calcul modifiait le nombre de places par établissement pénitentiaire, elle n’aurait aucun effet sur le nombre de personnes effectivement incarcérées et leurs conditions de détention. En outre, aucun pays européen n’inclurait des éléments subjectifs et qualitatifs dans le calcul de la capacité carcérale (annexe 4 de DH-DD(2022)1089) et, selon les autorités, en exclure l’espace sanitaire n’aurait qu’un effet très limité, voire nul. Enfin, le mode de calcul actuel permettrait d’avoir une vision précise et stable dans le temps du taux d’occupation carcéral, permettant la politique précitée d’orientation de détenus.
· Aménagements des peines d’emprisonnement et mesures alternatives à la détention
La LPJ, entrée en vigueur entre mars 2019 et 2020, concerne surtout les courtes peines de prison pour tenter de réduire la surpopulation, présente surtout dans les MA où elles sont exécutées : 1) les peines inférieures ou égales à un mois sont interdites ; 2) les peines inférieures ou égales à un an doivent être aménagées ab initio (dès leur prononcé) (détention à domicile sous surveillance électronique – DDSE, semi-liberté ou placement extérieur) ; les aménagements ab initio ont augmenté de 3 % en 2019, 11 % en 2020 et 20 % en 2021 ; 3) les juges doivent motiver l’impossibilité d’aménager ces peines ; 4) l’absence de sursis à une peine de prison, quel que soit le seuil, n’est justifiée qu’en dernier recours. La LPJ a aussi modifié la libération sous contrainte (LSC), par l’exécution en milieu ouvert des peines inférieures ou égales à cinq ans de prison, à partir de leur deux tiers (590 LSC en 2018 pour 1 598 au 1er juin 2022). A partir du 1er janvier 2023, la LSC sera obligatoire (avec des exceptions) pour les peines inférieures ou égales à deux ans, dont le reste à exécuter est inférieur ou égal à trois mois (loi du 22 décembre 2021). Enfin, les détenus peuvent, désormais, bénéficier d’un aménagement de peine lorsque le reste de peine à exécuter est inférieur ou égal à deux ans (cf. un an avant en cas de récidive).
La LPJ vise aussi à favoriser les alternatives à la détention par : 1) les nouvelles peines autonomes de DDSE, de stage et de « sursis probatoire » ; 2) le développement du travail d’intérêt général (porté à 400 heures max. avec une stratégie nationale prévue) ; 3) la simplification de l’ARSE (assignation à résidence sous surveillance électronique de la détention provisoire) ; 4) la motivation renforcée de la nécessité des détentions provisoires.
Impact : La LPJ aurait permis, entre 2019 et 2021, une diminution de 5 % des peines de prison, compensée par une augmentation des autres peines alternatives à la détention (la DDSE, l’amende, les jours-amende, le travail d’intérêt général et les stages). Quant à la détention provisoire, il y aurait eu une légère augmentation de l’ARSE (446 personnes jugées après une ARSE en 2021 pour 323 en 2020 ; 373 en 2019 et 345 en 2018).
· Mesures de sensibilisation pour réguler la surpopulation carcérale
Le ministre de la Justice a adressé plusieurs circulaires aux parquets. Une circulaire de mai 2020 les invite à établir « une politique volontariste de régulation carcérale », privilégiant les alternatives à la détention, les LSC et les aménagements de peines de prison. Une circulaire de septembre 2022 rappelle qu’il s’agit d’une priorité du Gouvernement et les incite à favoriser ces mesures. En matière de surveillance électronique, une circulaire de mars 2020 invite à considérer la DDSE comme alternative aux peines de prison de moins de six mois et des outils ont été créés, dont un guide pratique. Une circulaire de mai 2019 invite aussi à privilégier plus souvent l’ARSE au lieu de la détention provisoire et la circulaire de septembre 2022 rappelle que celle-ci doit rester exceptionnelle et réalisée dans des conditions de dignité (à surveiller par les magistrats).
De plus, la magistrature est sensibilisée aux alternatives à la détention. L’Ecole nationale de la magistrature a organisé une formation (mai 2022) à ce sujet quant à la détention provisoire (renouvellement prévu en 2023) et des formations sont données sur le choix des peines. Par ailleurs, les juridictions ont été invitées à intensifier le dialogue avec la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) pour adapter la politique pénale à l’évolution de la population carcérale. Ce dialogue est piloté dans des réunions mensuelles par cour d’appel et s’appuie sur plusieurs outils (un observatoire mensuel des peines de prison, un document de soutien au prononcé des peines et un appui de 17 ressorts judiciaires dans la mise en œuvre de la LPJ). Les prisons peuvent aussi fournir régulièrement les chiffres des conditions de détention et les juridictions de l’application des peines doivent en tenir compte dans les aménagements de peine. La DAP a envoyé en décembre 2021 un courrier à toutes les juridictions pour les « alerter » sur le contexte général de surpopulation et sensibiliser les juges, à nouveau, sur les dernières réformes pénales. Enfin, un dialogue étroit est mené à propos de certaines prisons.
Depuis juillet 2022, la DAP, la Direction des Affaires criminelles et des grâces et la Direction des Services Judiciaires font des visites de terrain pour évaluer l’impact des réformes et l’efficience des outils précités de pilotage et pour identifier les mesures et les outils les plus utiles à la régulation carcérale.
· Développement des capacités carcérales et entretien des structures existantes
La LPJ fixe la ligne budgétaire du « programme 15 000 », portant le nombre de places de prison à 75 000 d’ici 2027. L’objectif est un taux d’encellulement individuel de 80 %. Il est prévu de créer des lieux diversifiés, dont surtout des MA et 14 structures d’accompagnement vers la sortie, d’agrandir des structures et d’en fermer 13 vétustes. 15 000 nouvelles places de prison seront construites (2 081 déjà livrées et environ 2 320 d’ici fin 2023). De plus, l’entretien des structures et l’amélioration des conditions de détention restent prioritaires (plus de 140 millions en 2021, pour 60 à 80 jusqu’en 2016). Des projets du « programme 15 000 » concernent les prisons visées par l’arrêt (annexe 3, DH-DD(2022)1089) qui auraient reçu d’importants budgets et où des travaux auraient été faits en 2020. Quant aux difficultés notées par la Cour (manque de luminosité et d’hygiène et d’intimité des blocs sanitaires, présence de nuisibles, cellules vétustes), il y aurait déjà eu des améliorations.
· Répartition des détenus entre les établissements
La DAP a accru ses efforts pour orienter des condamnés en MA très surpeuplées vers des CD ou MA moins occupées. Par MA ou quartier de MA (QMA), un référent est choisi pour dynamiser cette procédure, qui a déjà permis de diminuer la surpopulation de plusieurs MA et une meilleure occupation des CD. Les détenus qui sont en appel ou cassation de leur condamnation peuvent être en CD si cela leur octroie de meilleures conditions de détention (loi du 21 décembre 2021). La DAP veille aussi à une meilleure répartition des détenus par le biais de transferts entre régions, donnant lieu à des améliorations (comme au CP de Toulouse). Enfin, des changements peuvent survenir en fonction des besoins du territoire (par ex., la transformation du quartier CD de Nancy a permis de doter le quartier MA de nouvelles places et ainsi de diminuer son taux d’occupation).
· Développement des activités hors cellule
Les autorités font état d’une augmentation des budgets pour la réinsertion et le travail en prison. L’organisation d’activités hors-cellule est une obligation légale pour les condamnés. Le but est toutefois de fournir un nombre croissant d’activités de qualité à tous les détenus. Les partenariats et budgets à cet effet sont en augmentation et 121 postes de coordonnateurs d’activités sont prévus sur tout le territoire pour développer l’offre d’activités.
(ii) Concernant l’absence d’un recours préventif effectif : violation des articles 13 et 3 combinés
En septembre 2021, le Comité a noté « avec grand intérêt la réactivité de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel qui ont donné très rapidement suite à l’arrêt de la Cour, suivies le 8 avril 2021 par le législateur qui a créé un recours judiciaire pour permettre à tous les détenus de se plaindre de conditions indignes de détention et dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er octobre 2021 » (pour plus de détails à propos de ces évolutions jurisprudentielles et les modalités du nouveau recours légal, cf. CM/Notes/1411/H46-12).
Un décret, entré en vigueur le 1er octobre 2021, précise les modalités du recours. Une campagne est menée en prison pour informer les détenus de leur droit au recours (mention également prévue dans le guide du détenu arrivant) et des formulaires ont été établis afin de faciliter l’introduction du recours par les personnes détenues. Un suivi mensuel des recours introduits via les greffes pénitentiaires a été mis en place fin 2021. Le site du ministère de la justice ne relaye pas de difficultés particulières sur le recours. Par ailleurs, il est expliqué aux juges dans leur formation initiale et continue et il est abordé dans le kit de formation interprofessionnel sur les peines. Enfin, un webinaire en janvier 2022 a donné lieu à un vade-mecum pour les avocats sur le recours.
(iii) Rapport sur les Etats généraux (EG) de la justice du 8 juillet 2022[2]
Commandé par le Président de la République, ce rapport souligne que le nombre élevé des détenus s’explique par le recours très important aux courtes peines de prison. Si, depuis la LPJ, celles d’un mois sont interdites et celles entre un mois et six mois sont moins fréquentes, la part des peines entre six mois et un an a augmenté, allongeant ainsi la durée moyenne des courtes peines de prison (de sept mois en 2012 à 9,5 mois en 2020). Le 1er octobre 2021, les peines de moins d’un an représentaient encore 26,1 % des détenus. Le délai moyen pour l’aménagement d’une peine serait de 5,5 mois, limitant son utilité pour les peines les plus courtes. Nonobstant la LPJ, les peines donnent, ainsi, encore lieu le plus souvent à une détention, bien qu’aménageables dans leur quasi-totalité. Enfin, les statistiques démontreraient une augmentation du recours à la détention provisoire.
Face à ces constats, le rapport préconise de remédier à la surpopulation par une réduction des courtes peines de prison (renforcement nécessaire des capacités d’accueil en milieu ouvert) et la création d’un mécanisme de régulation, qui consisterait en un « seuil de criticité » (suroccupation majeure) par prison, qui entraînerait, en cas de dépassement, la réunion des acteurs compétents, qui pourraient envisager des mesures de régulation[3].
(iv) Résumé des nouvelles communications reçues d’INDH’s et de la société civile
Pour l’essentiel, le contenu des précédentes communications (cf. CM/Notes/1411/H46-12) est repris dans les nouvelles communications transmises au Comité. La CNCDH et le CGLPL font part de leur inquiétude, toutes leurs positions et recommandations restant d’actualité, dont leurs critiques face à la constance des politiques à privilégier le développement du parc pénitentiaire. Ils indiquent, à nouveau, que la loi doit définir un système de régulation carcérale obligatoire, vu qu’elle ne peut pas reposer que sur des recommandations adressées aux acteurs judiciaires. Similairement, le SM considère que la sensibilisation des magistrats doit être accompagnée d’un discours politique courageux et cohérent, d’un développement de moyens suffisants pour les alternatives à la détention et d’un mécanisme législatif de régulation contraignant, vu l’urgence de la situation.
Le SM souligne aussi les effets limités de la LSC de plein droit (nombreuses exceptions et non liée directement à l’occupation carcérale), qui entrera en vigueur en janvier 2023. De plus, le fait qu’il ne soit pas impossible de prononcer une peine de prison pour certaines infractions n’aurait pas permis à la DDSE de remplacer celle-ci. Les nouvelles alternatives à la détention remplaceraient des peines de sursis simple ou probatoire mais pas de prison (augmentation des aménagements de peine d’emprisonnement – voir ci-dessus - mais aussi augmentation du nombre de détenus). Aucune évaluation du « bloc peine » de la LPJ n’ayant été effectuée, ni prévue (cf. rapport des EG), il ne pourrait être affirmé qu’il peut réduire le nombre des détenus. A contrario, l’ineffectivité de la LPJ ressortirait du courrier de la DAP, « alertant » fin décembre 2021 toutes les juridictions sur le contexte général de surpopulation.
Concernant la modification du mode de calcul de la capacité des prisons, elle devrait permettre de réduire les incarcérations, car l’autorité judiciaire est censée tenir compte de leur capacité réelle. A ce sujet, la CNCDH et le CGLPL soulignent que la circulaire de 1988 impose effectivement le calcul selon la surface au sol disponible par détenu et non la capacité de couchage, mais son application conduirait à une appréciation souvent erronée de la situation de prisons. Ils critiquent aussi le fait que les autorités ne précisent pas comment la DAP a évalué le dispositif de calcul recommandé par la Cour, pour conclure à son rejet, et qu’elles minimisent l’impact positif, pour les détenus, qu’aurait l’exclusion des sanitaires du calcul de la capacité d’accueil carcérale.
A propos du nouveau recours, la CNCDH et le CGLPL, le SM et le Conseil national des barreaux réitèrent leurs critiques et regrettent l’absence de données chiffrées sur son utilisation. Outre des délais trop longs (jusqu’à un mois et 30 jours pour une décision judiciaire et trois mois et 10 jours en cas d’appel), ils critiquent la place centrale, dans le recours, des transferts de détenus entre prisons, impliquant « un nouveau choc carcéral » et ne faisant l’objet d’aucun contrôle a posteriori. Or, la DAP pouvant décider elle-même du transfert de détenus, il faudrait que le juge puisse vérifier les nouvelles conditions de détention, pour garantir l’effectivité du recours. La pratique confirmerait d’ailleurs les inquiétudes du SM : peu de requêtes ont été déposées (selon le SM, 70 jusqu’en juillet 2022 pour la région de Paris), les détenus étant dissuadés d’utiliser le nouveau recours, vu que les transferts en sont le résultat principal et prévisible. Enfin, vu la complexité du recours, le Conseil national des barreaux a sollicité, à plusieurs reprises mais en vain, que les détenus puissent bénéficier de l’aide juridictionnelle.
Analyse du Secrétariat
Mesures individuelles
La satisfaction équitable semble réglée pour tous les requérants, y compris pour R.I. car la saisie envisagée semble conforme à la pratique du Comité. Le Comité pourrait souhaiter, à nouveau, noter avec intérêt qu’aucun des 32 requérants n’est détenu dans des conditions non conformes à l’article 3, tout en invitant les autorités à le tenir informé d’une éventuelle remise en détention des requérants, non encore libérés à titre définitif[4].
Mesures générales
Dans son rapport relatif à sa visite périodique en décembre 2019 et publié en juin 2021[5], le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a appelé les autorités à « tirer les leçons de l’inefficacité des mesures prises depuis trente ans », dès lors que « malgré l’augmentation constante de la capacité pénitentiaire et l’adoption de nombreuses mesures et législations, la population carcérale n’a cessé de croître (…) ». Il les a aussi invitées à « prendre des mesures urgentes (…) pour désencombrer les établissements les plus affectés » et à lui fournir « dans les six mois, une stratégie globale (…) afin de réduire drastiquement le taux d’occupation des prisons ». Selon le CPT, augmenter les places de prison n’est pas une solution durable ; l’accent devrait être mis sur toutes les mesures non privatives de liberté et une concertation est nécessaire, surtout avec la magistrature.
(i) Concernant les mauvaises conditions de détention : violation de l’article 3
Les recommandations du CPT restent d’actualité, à la lumière des derniers éléments d’information disponibles, comme le rapport des EG sur la justice et les nouvelles communications transmises au Comité. Malgré la mise en place par les autorités de très nombreuses mesures variées, dont des outils de pilotage dans le cadre d’un dialogue renforcé entre les juridictions et la DAP et une politique de transfèrement de détenus vers des prisons moins surpeuplées, des résultats tangibles de réduction de la surpopulation carcérale restent attendus. Or, au vu des derniers chiffres transmis par les autorités, il apparaît à l’inverse qu’elle s’est aggravée, notamment à la MA de Nîmes (cf. taux d’occupation de 211 % au 27 juillet 2022), établissement spécifiquement visé par l’arrêt.
La situation est même encore plus préoccupante, au vu des derniers chiffres publics[6]. Au 1er octobre 2022, le taux moyen d’occupation était de 119,2 % (141,5 % en MA/QMA ; 94,3 % en CD/QCD) et un record était atteint de 72 350 détenus, dont 14 690 en surnombre en MA/QMA et 241 en CD ; 2 053 dormant sur des matelas au sol (augmentation de 39,2 % en un an) et 41 652 dans des lieux à densité carcérale de plus de 120 % (dont 41 113 en MA/QMA). Plus positivement, on peut noter, depuis le 1er octobre 2021, une légère diminution des places inoccupées (de 3 857 à 3 296) ; une augmentation de 6,1 % de DDSE (13 273 condamnés) et de 9,7 % de LSC et ; une légère diminution du pourcentage des détenus en détention provisoire (de 27,7 % à 26,8 %).
Ces quelques progrès restent toutefois insuffisants pour réguler la population carcérale, qui continue de croître. Il ressort des chiffres que c’est dans les MA et QMA que la situation reste la plus préoccupante. C’est, donc, le recours aux courtes peines de prison (entre un mois et trois ans) et à la détention provisoire qu’il faudrait vite réduire.
Or, selon des statistiques[7], à part les peines égales ou inférieures à six mois, en légère diminution en un an, les autres courtes peines de prison sont toutes en augmentation[8], semblant attester de plus de sévérité des juridictions. Celle-ci s’appliquerait également aux peines plus élevées[9], contribuant à la suroccupation des places carcérales dans la durée. Enfin, il y avait encore 19 372 détenus provisoires au 1er octobre 2022[10] et les chiffres d’ARSE en 2021 restaient très faibles.
Ainsi, à la lumière des recommandations notamment du CPT, le Comité pourrait souhaiter inviter, à nouveau, les autorités à adopter, rapidement, une stratégie globale et cohérente pour réduire, sur le long terme, le taux d’occupation carcéral et continuer à adopter un maximum de mesures pour mieux répartir les détenus (3 296 places encore libres au 1er octobre 2022). Il pourrait aussi les inviter à mettre l’accent sur toutes les alternatives à la détention et à renforcer les moyens nécessaires pour leur développement et application par les juridictions, plutôt que de continuer à augmenter les places de prison.
En matière de sensibilisation des juridictions aux alternatives à la détention, tout en soulignant les efforts déjà réalisés (outils de pilotage, circulaires et formations), le Comité pourrait souhaiter encourager les autorités à les augmenter encore davantage afin de parvenir à des résultats de réduction carcérale s’inscrivant dans la durée. Au vu de recommandations concordantes notamment de la CNCDH et du CGLPL, du rapport de 2022 des EG de la justice et de l’urgence de la situation, le Comité pourrait aussi vouloir, en parallèle, inviter les autorités à instaurer le plus vite possible un système légal contraignant de régulation carcérale en cas de suroccupation. Il peut être rappelé, à cet égard, que la Cour ne s’est pas limitée à recommander la refonte du mode de calcul de la capacité d’accueil des prisons, mais a aussi recommandé « l’amélioration de son respect » (§ 316 de l’arrêt). Quant à ce mode de calcul, le Comité pourrait vouloir, conformément à l’indication de la Cour au titre de l’article 46 et de la recommandation du CPT[11], appeler les autorités à en exclure l’espace occupé par les sanitaires. D’autres mesures pourraient aussi être envisagées, comme encadrer plus strictement le recours à la détention provisoire ou rétablir la possibilité d’aménager ab initio les peines entre un an et deux ans d’emprisonnement.
(ii) Concernant l’absence d’un recours préventif effectif[12] : violation des articles 13 et 3 combinés
Notant « avec grand intérêt la réactivité de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel (…), suivies le 8 avril 2021 par le législateur (…) », le Comité a invité, en septembre 2021, les autorités à se prononcer sur les préoccupations exprimées à propos du nouveau recours, « en particulier sur les délais d’examen[13] en pratique (…) et la place conférée à l’administration et aux « transferts » qu’elle pourrait décider, sans vérification par le juge des nouvelles conditions de détention et, de surcroît, dans un contexte structurel de surpopulation ».
Or, les autorités n’ont pas répondu à ces préoccupations, qui sont réitérées dans les nouvelles communications transmises au Comité. Le rôle crucial du juge mérite à nouveau d’être rappelé, étant le seul à pouvoir ordonner des libérations ou des aménagements de peine et ainsi agir sur les « sources » de violation de l’article 3. Aussi, privilégier les transferts de détenus semble peu réaliste dans le contexte actuel de surpopulation (cf. §§ 220 et 315). Il y avait au 1er octobre 2022, d’après les chiffres précités, 14 931 détenus en trop et 3 296 places libres. Enfin, les autorités n’ont fourni aucune donnée chiffrée sur l’utilisation du nouveau recours, ni aucun exemple concret de son application, en dépit de la mise en place indiquée fin 2021 d’un suivi mensuel à ce sujet. Ainsi, en l’état actuel des informations, le Comité ne peut pas examiner concrètement son effectivité.
Le Comité pourrait donc souhaiter réitérer avec insistance sa demande aux autorités de se prononcer sur les préoccupations exprimées à propos du nouveau recours, notamment par le Conseil national des barreaux, le Syndicat de la magistrature, la CNCDH et le CGLPL. Il pourrait aussi inviter les autorités à lui faire parvenir un maximum d’exemples concrets de son utilisation, en précisant les délais et les résultats obtenus en pratique.
(iii) Conclusion
Au regard du caractère structurel et ancien des problèmes en question, le Comité pourrait souhaiter inviter les autorités à lui fournir des informations actualisées d’ici la fin du mois de septembre 2023.
Financement assuré: OUI |
[1] Ce recours revêt, dans son principe, un caractère effectif (Barbotin c. France, n° 25338/16, arrêt définitif le 19 février 2021, § 55).
[2] Rapport du Comité des États généraux de la justice (octobre 2021-avril 2022), voir les pp. 57 et suivantes et les pp. 204 et 205.
[3] Comme le recensement des possibilités de libération anticipée, de placement sous ARSE, de contrôle judiciaire ou de remise en liberté, etc. Un tel dispositif a déjà été expérimenté dans certains ressorts judiciaires à l’occasion de la crise du covid-19.
[4] A priori, seulement deux requérants : C.N. et A.T. (E.R. aurait été libéré le 28/02/2022 et G.T. serait arrivé en fin de peine le 03/08/2022).
[5] CPT/Inf(2021)14, en particulier les §§ 41 à 43.
[8] Entre le 30 septembre 2021 et 2022, les peines entre six mois et un an ont augmenté de 8 187 à 8 337 ; celles entre un an et deux ans de 10 636 à 11 567 (or, la LPJ a supprimé la possibilité de les aménager ab initio) et ; celles entre deux et cinq ans de 10 947 à 12 309.
[9] Les peines entre cinq et dix ans ont augmenté de 5 739 à 5 808 ; celles entre dix et 20 ans de 6 261 à 6 498 ; celles entre 20 et 30 ans de 1 783 à 1 873 et ; les peines de réclusion à perpétuité sont passées de 467 à 471.
[10] Rapport SPACE I 2021 du Conseil de l’Europe (6 avril 2022) : le 31 janvier 2021, la France était parmi les Etats membres à avoir un taux élevé de prisonniers en détention provisoire (28,5 %). En revanche, son taux d’incarcération (92,9 %) restait dans la moyenne européenne.
[11] Voir CPT/Inf(2021)14, page 32 et « Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires : Normes du CPT », CPT/Inf(2015)44.
[12] Pour rappel, une violation de l’article 13 avait déjà été constatée dans l’arrêt Yengo c. France, n° 5049/12, définitif le 21 août 2015.
[13] Il convient de souligner que le délai initial de 10 jours a été ramené à sept jours par la loi précitée du 22 décembre 2021.