GROUPE DE RAPPORTEURS

Questions sociales
et de santé

GR-SOC(2021)13

13 octobre 2021[1]

Charte sociale européenne –
Suivi des décisions du Comité européen des Droits sociaux (CEDS) dans le cadre du système de réclamations collectives – Confédération générale du travail (CGT) et Confédération française de l’encadrement-CGC (CFE-CGC) c. France, réclamation n°149/2017

 

Point pour examen par le GR-SOC lors de sa réunion du 4 novembre 2021

 

Action


Examiner le suivi du rapport du Comité européen des Droits sociaux (CEDS) dans – Confédération générale du travail (CGT) et Confédération française de l’encadrement-CGC (CFE-CGC) c. France, réclamation n° 149/2017

1.            La réclamation a été enregistrée le 4 avril 2017.

2.            Le Comité européen des Droits sociaux (CEDS) a adopté sa décision sur la recevabilité le 12 septembre 2017 et sa décision sur le bien-fondé le 19 mai 2021. Il a transmis son rapport contenant la décision sur le bien-fondé de la réclamation aux parties et au Comité des Ministres le 9 juillet 2021. La décision sera rendue publique au plus tard le 10 novembre 2021.

3.            Le CEDS a observé que la Confédération générale du travail (CGT) et la Confédération française de l’encadrement-CGC (CFE-CGC) sont des organisations syndicales représentatives au sens de l’article 1§c du Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations collectives.

4.            La CGT et la CFE-CGC, se référant en particulier à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (Journal Officiel de la République française du 9 août 2016), dite loi « Travail », alléguaient que :

-       les périodes d’astreinte n’ayant pas donné lieu à un travail effectif continuent à être assimilées à un temps de repos, en violation de l’article 2§§1 et 5 de la Charte ;

-       la législation française sur le régime de forfait en jours ne permet toujours pas d’assurer le respect des articles 2§1 et 4§2 de la Charte ; de surcroit, la nouvelle législation a rendu encore plus aléatoire la gestion de ce système et a amoindri la protection des salariés concernés.

 A)        Résumé de la décision sur le bien-fondé

5.            Dans sa décision, le CEDS a conclu :

-       à l’unanimité, qu’il y a violation de l’article 2§1 de la Charte aux motifs suivants :

a.     l'assimilation d'une période d'astreinte, dans son intégralité, à une période de repos;

6.            Le CEDS a considéré que selon l’article 2§1 de la Charte, les périodes d’astreinte pendant lesquelles le salarié n’a pas été amené à intervenir au service de l’employeur, si elles ne constituent pas un temps de travail effectif, ne peuvent néanmoins être, sans limitation, assimilées à un temps de repos au sens de l’article 2 de la Charte, sauf dans le cadre de professions déterminées ou dans des circonstances particulières et selon des mécanismes appropriés.

7.            Les périodes d’astreinte sont en effet des périodes au cours desquelles le salarié est tenu de rester à la disposition de son employeur pour accomplir, si ce dernier le requiert, une prestation de travail. Or cette obligation, alors même que la réalisation de la prestation présente un caractère purement éventuel, empêche incontestablement le salarié de se consacrer à des activités relevant de son libre choix, programmées dans les limites du temps disponible avant la reprise du travail à un terme certain, et ne souffrant d’aucun aléa lié à l’exercice de l’activité salariée ou à la situation de dépendance qui en découle.

8.            Le CEDS a rappellé avoir conclu dans ses décisions adoptées dans CGT c. France, réclamation no 22/2003, décision sur le bien-fondé du 8 décembre 2004 (paragraphes 35 à 37), et CGT c. France, réclamation no 55/2009, décision sur le bien-fondé du 23 juin 2010 (paragraphes 64-65), à la violation de l’article 2§1 de la Charte au motif que les astreintes durant lesquelles aucun travail effectif n’était réalisé étaient assimilées à des périodes de repos.

9.            Le CEDS a considéré que l’absence de travail effectif, constatée a posteriori pour une période de temps dont le salarié n’a pas eu a priori la libre disposition, ne constitue pas un critère suffisant d’assimilation de cette période à une période de repos. Il estime que le fait d’assimiler, en tout, la part inactive de l’astreinte à un temps de repos constitue une violation du droit à une durée raisonnable de travail, qu’il s’agisse d’un temps de garde sur le lieu de travail ou d’une période d’astreinte à domicile.

10.          En ce qui concerne la situation des travailleurs en période d'astreinte, le CEDS a observé que les dispositions modifiées du code du travail n'ont pas non plus changé la situation à cet égard, si ce n'est qu'elles ont supprimé l'obligation pour le travailleur de rester à son domicile pendant la période d'astreinte (article L.3121-9). En outre, la France n'a trouvé aucune solution pour remédier à la violation, permettant que la période d'astreinte, lorsqu'aucun travail effectif n'est effectué, ne soit plus considérée comme une période de repos dans son intégralité, dans le souci de trouver un meilleur équilibre entre temps de travail et temps de repos. En l'absence d'éléments nouveaux concernant les solutions innovantes que le Gouvernement a indiqué rechercher, comme, par exemple, l’établissement d’une corrélation entre les heures d'inactivité pendant l’astreinte et les heures de travail, le CEDS a considéré qu’il y a violation de l'article 2§1 de la Charte.

11.          Le CEDS a dit qu'en vertu de l'article 2§1 de la Charte, l'assimilation d'une période d'astreinte à une période de repos, dans son intégralité, constitue une violation du droit à une durée de travail raisonnable.

b.    en ce qui concerne le régime de forfait en jours :

-       l'absence de limitations légales de la durée hebdomadaire maximale autorisée de travail ;

12.          Le CEDS a constaté que dans le nouveau libellé du code du travail relatif au régime de forfait en jours, les dispositions applicables à la durée maximale quotidienne et hebdomadaire de travail n’ont pas été modifiées. L’article L.3121-62 (disposition d’ordre public) précise toujours que les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours ne sont pas soumis aux dispositions relatives aux durées quotidiennes et hebdomadaires maximales de travail (L.3121-18, -20 et -22). Dès lors, le seuil théorique de 78 heures de travail hebdomadaire, auquel le CEDS s’est référé dans ses précédentes décisions, reste applicable, même si le Gouvernement précise que ce seuil est très supérieur à la moyenne de la durée effective de travail. Les salariés relevant d’un régime de forfait en jours demeurent exclus de la protection offerte par les articles L.3121-18, -20, -22, -27 du code du travail.

13.          Le Gouvernement fait valoir à cet égard que même s'il n'y a pas de protection légale contre une durée de travail hebdomadaire déraisonnable, une convention individuelle de forfait en jours qui ne satisfait pas aux exigences de l'article L.2131-64, y compris l'exigence d'une charge de travail raisonnable, peut être contestée devant le juge qui la jugera nulle et non avenue, et imposera un décompte horaire du temps de travail. En d'autres termes, tel que soutenu le Gouvernement, un accord insuffisamment protecteur de la santé et de la sécurité des salariés est susceptible d'être considéré comme nul et non avenu, et toutes les conventions individuelles signées sur sa base seront annulées par un juge en cas de litige.

14.          Le CEDS a noté que les parties invoquent les notions de durée de travail et de charge de travail. Le Gouvernement, d’une part, affirme que l’obligation de surveiller régulièrement la charge de travail, en tant que condition préalable à la protection de la santé des salariés, représente une garantie importante d’une durée raisonnable de travail. Par conséquent, le respect des périodes de repos journalier et hebdomadaire, combiné aux dispositions relatives au suivi et à l'évaluation réguliers par l'employeur de la charge de travail du salarié, garantissent une durée raisonnable de travail. Cependant, les organisations réclamantes, quant à elles, allèguent que charge de travail et durée du temps de travail ne sont que des concepts complémentaires mais qu'il n'y a pas de lien automatique entre eux. Un même temps de travail peut correspondre à des intensités d'activité différentes et par conséquent, le suivi de la charge de travail par l'employeur ne garantit pas une durée raisonnable de travail.

15.          Toutefois, le CEDS a pris note d’une nouveauté, dont font état les deux parties, à savoir l’obligation imposée à l’employeur de contrôler régulièrement la charge de travail d’un salarié soumis au régime de forfait en jours. Cette obligation figure dans plusieurs dispositions révisées du code du travail, telles que l’article L.3121-60 (disposition d’ordre public), L.3121-64 (disposition relevant du champ de la négociation collective) et L.3121-65 (disposition supplétive). Selon le Gouvernement, grâce à ce cadre juridique, l’employeur demeure garant d’une charge de travail raisonnable et bien répartie dans le temps.

16.          De plus, le CEDS a constaté que la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, expressément indiqué que les accords collectifs qui ne respectent pas la durée raisonnable de travail devaient être frappés de nullité et que toute convention individuelle de forfait en jours devait prévoir des garanties de respect des durées maximales de travail ainsi que de repos journaliers et hebdomadaires. La Cour a également censuré une convention dont les dispositions n’étaient pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé (voir par exemple : Cour de Cassation, Chambre sociale, arrêt du 7 juillet 2015, no 13-26.444). La Cour a également censuré les stipulations d’un accord collectif au motif qu’elles étaient insuffisantes à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés. Par ailleurs, la Cour de cassation a indiqué que l’accord collectif doit prévoir des outils de suivi régulier de la charge de travail des salariés sous convention de forfait en jours.

17.          Le CEDS a considéré qu'en l'absence de limitations légales à la durée maximale autorisée de travail hebdomadaire dans le régime de forfait en jours et indépendamment de l'obligation légale de l'employeur de surveiller la charge de travail, un contrôle a posteriori par un juge d'une convention de forfait en jours n'est pas suffisant pour garantir une durée raisonnable de travail.

18.          Par conséquent, le CEDS a dit qu’il y a violation de l'article 2§1 de la Charte en ce qui concerne la durée raisonnable de travail des salariés relevant d’un régime de forfait en jours.

-       l'absence de garanties adéquates pour garantir une durée raisonnable de travail ;

19.          Le CEDS a considéré que le nouveau cadre juridique introduit par la loi n° 2016-1088 n'a pas renforcé les garanties offertes aux salariés soumis à un régime de forfait en jours. Ce cadre juridique n'est pas suffisamment précis pour encadrer le pouvoir discrétionnaire laissé à l'employeur de modifier la durée de travail et, par conséquent, ne peut être jugé respectueux de l'obligation de garantir des conditions de travail équitables et notamment d'assurer une durée journalière et hebdomadaire raisonnable de travail en vue de réduire progressivement la durée hebdomadaire de travail.

20.          Par ailleurs, en l'absence de clauses dans l’accord collectif concernant le suivi et la communication régulière de la charge de travail du salarié par l'employeur, le dispositif supplétif (article L.3121-65) ne permet encore la conclusion de conventions de forfait en jours que sur la base de l'établissement par l'employeur d'un document de suivi, de la vérification de la compatibilité de la charge de travail avec les périodes de repos et de l'organisation d'un entretien sur cette charge de travail. Le CEDS considère que les obligations pour l'employeur contenues dans le système supplétif affaiblissent la position des salariés concernés.

21.          Le CEDS a considéré que l'objectif final de prévention contre une durée déraisonnable de travail est d'offrir au travailleur un temps suffisant pour se reposer et se distraire afin de protéger la santé et la sécurité des travailleurs au travail (mutatis mutandis Conclusions XIV-2, Observation interprétative de l’article 2§1).

22.          Le CEDS s’est référé également aux décisions de la Cour de cassation, notamment les plus récentes dans lesquelles la Cour a constamment rappelé que l'aménagement du temps de travail annuel doit garantir la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs concernés.

23.          Le CEDS a considéré qu'il y a violation de l'article 2§1 au motif que les dispositions relatives à la flexibilité du temps de travail, tel que le régime de forfait en jours, ne s'inscrivent pas dans un cadre juridique précis offrant des garanties adéquates pour assurer une durée raisonnable de travail.

-       la période de référence de 12 mois ;

24.          Le CEDS a constaté que la période de référence d'un an ne s'applique pas partout sur le marché du travail mais s'applique au régime de forfait en jours. Le CEDS considère à cet égard que la nature du travail et l'objectif de l'organisation du travail pour cette catégorie particulière de travailleurs peuvent justifier l'extension de la période de référence à un an. Toutefois, il n'a pas été démontré que la durée hebdomadaire de travail des travailleurs ainsi que le nombre de longues semaines de travail ne sont pas excessives (supérieures à 60 heures). Faute de limites légales à cet effet, le CEDS a considéré qu'une période de référence de 12 mois n'est pas compatible avec la Charte. Par conséquent, il a dit qu’il y a violation de l'article 2§1 de la Charte.

-       à l'unanimité, qu'il y a violation de l'article 2§5 de la Charte car les périodes d'astreinte, assimilées à des périodes de repos, peuvent avoir lieu le dimanche ;

25.          Le CEDS a rappellé avoir conclu, dans sa décision sur le bien-fondé adoptée dans CGT c. France, réclamation no 55/2009, op. cit., à une violation de l’article 2§5 de la Charte résultant du fait que les périodes d’astreinte, à tort assimilées à des périodes de repos, pouvaient avoir lieu le dimanche.

26.          Dans sa conclusion au titre de l’article 2§5 (Conclusions 2014, France), le CEDS a considéré qu’il y avait violation de l’article 2§5 en raison de l’assimilation des périodes d’astreinte à des périodes de repos et des conséquences que cela pouvait avoir sur le repos hebdomadaire.

27.          Notant que le cadre législatif qu’il avait précédemment considéré non conforme à la Charte (articles L.3121-5 et L.3121-6 du code du travail, réglementant le régime des astreintes) n’avait pas évolué, il a maintenu son constat de non-conformité sur ce point.

28.          Le CEDS a considéré que la situation reste pour l’essentiel inchangée et a dit par conséquent qu’il y a violation de l’article 2§5 de la Charte au motif que les périodes d’astreinte, assimilées à des périodes de repos, peuvent avoir lieu le dimanche.

-       à l'unanimité, qu'il y a violation de l'article 4§2 de la Charte car les travailleurs soumis à un régime de forfait en jours ne peuvent prétendre à la rémunération d’heures supplémentaires.

29.          Le CEDS a souligné que l'article 4§2 de la Charte est inextricablement lié à l'article 2§1 de la Charte qui garantit le droit à une durée de travail journalière et hebdomadaire raisonnable. Les travailleurs effectuant des heures supplémentaires doivent être rémunérés à un taux supérieur au taux de salaire normal (Conclusions XIV-2, Observation interprétative de l'article 4§2).

30.          Dans sa décision adoptée dans CFE-CGC c. France, réclamation no 16/2003, décision sur le bien-fondé du 12 octobre 2004, le CEDS a considéré que le nombre d’heures de travail effectuées par les cadres soumis au régime de forfait en jours qui ne bénéficiaient, au titre de la flexibilité de la durée du temps de travail, d’aucune majoration de rémunération, était anormalement élevé. Dans ces conditions, une période de référence d’un an était excessive. La situation était, par conséquent, contraire à l’article 4§2 de la Charte.

31.          Le CEDS a considéré que le nouveau cadre juridique introduit par la loi n° 2016-1088 ne change pas fondamentalement lasituation pour laquelle le CEDS a déjà considéré qu’il y avait violation de l'article 4§2 de la Charte.

32.          Dans ce contexte, le CEDS a considéré que la violation constatée au titre de l'article 2§1 de la Charte, au motif que le nouveau cadre juridique ne prévoit pas les protections permettant de garantir une durée raisonnable de travail aux travailleurs soumis au régime de forfait en jours, entraîne également une violation de l'article 4§2 pour ces travailleurs, puisqu'ils ne peuvent prétendre à des heures supplémentaires qui exigent une rémunération majorée. A cet égard, le CEDS a observé également que dans ses décisions concernant le régime de forfait en jours, la Cour de cassation a, à de nombreuses reprises, fait référence à la rémunération des heures supplémentaires qui aurait pu être réclamée par le travailleur concerné. 

33.          Par conséquent, le CEDS a dit qu'il y a violation de l'article 4§2 de la Charte.

B)         Informations présentées par la délégation concernée

34.          Au moment de la rédaction du présent document, aucune information n'a été communiquée.



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