Délégués des Ministres
Documents CM
CM(2016)36 final 13 avril 2016
1253 Réunion, 13 avril 2016
10 Questions juridiques
10.1 Plan d’action du Conseil de l’Europe pour « Renforcer l'indépendance et l'impartialité du pouvoir judiciaire »
Conférence de haut niveau des Ministres de la Justice et des représentants de l’ordre judiciaire (Sofia, Bulgarie, 21-22 avril 2016)
Lors de la 1253e réunion des Délégués des Ministres, le 13 avril 2016, le Comité des Ministres a adopté le Plan d’action exposé ci-après. Ce dernier a pour but d’identifier les moyens par lesquels le Conseil de l’Europe guidera et soutiendra ses Etats membres dans la mise en œuvre de mesures concrètes permettant de renforcer l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire. Le Plan d’action reflète l’engagement du Secrétaire Général et de l’ensemble du Conseil de l’Europe d’œuvrer avec les Etats membres à la poursuite du renforcement de l’indépendance et de l’impartialité du pouvoir judiciaire en Europe, avec le plus haut degré de priorité. L’Annexe au Plan d’action expose les types de mesures correctives qui peuvent être envisagées par les Etats membres pour traiter les défis identifiés.
OBJECTIFS GENERAUX
Seul un pouvoir judiciaire indépendant et impartial peut constituer le socle qui permettra une résolution juste et équitable des différends juridiques, en particulier lorsqu’ils opposent l’individu à l’Etat. Dans ce contexte, il est rappelé que tous les Etats membres se sont engagés, au titre de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à garantir l’accès à des tribunaux indépendants et impartiaux, chaque fois que des droits ou obligations de caractère civil sont en jeu ou qu’il faut décider du bien-fondé d’accusations en matière pénale ; à cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme a dégagé une jurisprudence abondante. Ces principes d’indépendance et d’impartialité ont été rappelés par la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités.
Il est absolument fondamental que l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire existent dans les faits et soient garanties dans le droit, et que la confiance du public dans la justice, lorsqu’elle a été mise en doute, soit restaurée et préservée. Pour ce faire, il est important de propager dans la société en général, mais plus encore au sein des pouvoirs exécutif et législatif, une culture du respect de l’indépendance et de l’impartialité de la justice.
Le Plan d’action reconnaît la diversité des systèmes juridiques, des situations constitutionnelles et des approches en matière de séparation des pouvoirs dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, que la mise en œuvre des actions envisagées dans l’Annexe devrait prendre pleinement en compte. L’urgence de ces actions réside dans la nécessité de consolider l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire lorsque les structures en place se sont révélées insuffisantes pour garantir l’Etat de droit et la sécurité démocratique.
Le Plan d’action et son Annexe indiquent quelles mesures prendre, premièrement pour améliorer, ou instaurer s’il n’en existe pas encore, des garanties légales formelles de l’indépendance et de l’impartialité du pouvoir judiciaire et, deuxièmement, pour mettre en place ou introduire les structures, politiques et pratiques indispensables pour faire en sorte que ces garanties soient effectivement respectées et contribuent au bon fonctionnement du pouvoir judiciaire dans une société démocratique fondée sur les droits de l’homme et l’Etat de droit.
PLAN D’ACTION
Le Conseil de l’Europe soutiendra tous les efforts déployés par ses Etats membres pour atteindre les résultats suivants :
i. garantir l’indépendance et l’efficacité fonctionnelles des conseils de la justice, lorsqu’ils existent, notamment par des mesures visant à dépolitiser le processus d’élection ou de nomination des juges ;
ii. veiller à une participation adéquate du pouvoir judiciaire dans la sélection, la nomination et la promotion des juges tout en limitant une ingérence parlementaire ou exécutive excessive[1] dans ce processus;
iii. limiter l’ingérence excessive des pouvoirs exécutif et législatif dans les actions disciplinaires et la révocation des juges, en particulier pour ce qui concerne les instances disciplinaires des conseils de la justice ou d’autres organes appropriés de gouvernance judiciaire, qui devraient être complètement libres de toute influence politique ou autre et perçus comme tel ;
iv. veiller à ce que les membres des pouvoirs exécutif et législatif respectent l’autorité du pouvoir judiciaire et s’abstiennent de toute critique publique inappropriée, non objective ou uniquement à motivation politique à l’égard des juges, à titre individuel, et de leurs décisions, ainsi qu’à l’égard du pouvoir judiciaire en général ;
v. veiller à ce que l’administration courante de la justice soit conduite de manière effective et responsable sur la base d’une réglementation juridique et sans ingérence indue des pouvoirs exécutif ou législatif.
i. limiter l’ingérence de la hiérarchie judiciaire à l’égard de la prise de décision individuelle par le juge dans la procédure judiciaire, et définir les pouvoirs du ministère public afin que les juges soient protégés de toute pression indue et en mesure de suivre ou rejeter librement les requêtes des procureurs ;
ii. veiller à ce que les règles relatives à la responsabilité judiciaire et à l’examen des décisions rendues par les tribunaux respectent pleinement les principes de l’indépendance et de l’impartialité de la justice ;
iii. prévoir le cas échéant des voies de recours effectives pour les juges qui estiment que leur indépendance et impartialité est menacée ;
iv. lutter contre la corruption dans l’ordre judiciaire et protéger les juges contre la tentation de la corruption. A cet égard, les Etats membres devraient veiller à ce que la rémunération et les conditions de travail des juges soient adéquates et à ce que les normes de conduite professionnelle et d’éthique judiciaire soient renforcées ;
v. combattre l’influence préjudiciable des stéréotypes dans la prise de décision judiciaire ;
vi. veiller à ce que les membres de l’ordre judiciaire soient formés pleinement et effectivement aux compétences et à l’éthique judiciaires ;
vii. veiller à ce que les juges soient protégés des atteintes à leur intégrité physique ou leur santé mentale, à leur liberté personnelle et à leur sécurité par une réglementation juridique et des mesures adéquates.
i. prévoir des garanties juridiques appropriées pour le recrutement, l’évolution de carrière et la sécurité de l’emploi ou l’inamovibilité des procureurs ;
ii. veiller à ce que les procureurs, à titre individuel, ne soient pas soumis à des pressions indues ou illégales à l’intérieur ou en dehors du ministère public, et que, de manière plus générale, le ministère public soit assujetti à l’Etat de droit ;
iii. prendre des mesures actives pour prévenir et lutter contre la corruption au sein du ministère public et pour instaurer la confiance du public dans la manière dont le ministère public fonctionne.
MESURES DE SOUTIEN DU CONSEIL DE L’EUROPE
Le Conseil de l’Europe recourra à tout son arsenal d’outils et de mécanismes pour aider ses Etats membres à mettre en œuvre les réformes nécessaires par l’intermédiaire de ses divers organes et instances, comme décrit ci-après. Ces mesures prendront la forme d’initiatives impliquant l’ensemble de l’Organisation, y compris, des contributions émanant des instances compétentes, ainsi qu’un soutien et une assistance apportés aux Etats membres qui le demanderont sur des problématiques spécifiques et des programmes de réformes au niveau national.
i. La Commission de Venise fournira à ses Etats membres, sur demande, des conseils juridiques relevant de son champ de compétences, pour les aider à mettre leurs structures juridiques et institutionnelles en conformité avec les normes européennes en matière d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire, notamment pour ce qui concerne l’adoption de garanties légales et constitutionnelles appropriées eu égard, en particulier, à ses divers avis et rapports dans ce domaine et, plus généralement, l’évaluation du respect de l’Etat de droit ;
ii. Le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) fournira, sur demande ou s’il est saisi d’une question relevant de son mandat, des conseils spécifiques aux Etats membres[2] ;
iii. De la même manière, le Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE) fournira aux Etats membres, sur demande ou s’il est saisi d’une question relevant de son mandat, des conseils spécifiques[3] ;
iv. Le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) continuera, dans le cadre de ses activités statutaires de suivi et de ses conclusions spécifiques par pays, de conseiller les Etats membres sur les mesures à prendre pour renforcer leur capacité à promouvoir l’intégrité et à lutter contre la corruption au sein du pouvoir judiciaire et du ministère public, et continuera d’évaluer leur capacité à mettre en œuvre ces conseils ;
v. Le Conseil de l’Europe aidera les Etats membres, sur demande, à mettre en œuvre les recommandations pertinentes du Comité des Ministres dans le domaine de la lutte contre la corruption au sein du pouvoir judiciaire et les résolutions pertinentes de l’Assemblée parlementaire (Résolution 1703 (2010) sur la corruption judiciaire, Résolution 1943 (2013) sur la corruption : une menace à la prééminence du droit et Résolution 2098 (2016) sur la corruption judiciaire : nécessité de mettre en œuvre d’urgence les propositions de l’Assemblée) ;
vi. La Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) analysera le fonctionnement des systèmes judiciaires, fournira dans le cadre de la préparation des rapports d’évaluation biennaux de la CEPEJ sur l’efficacité et la qualité de la justice des données comparatives et des analyses sur l’état judiciaire et du ministère public dans les Etats membres. Parmi ses actions, elle conseillera également, sur demande, les Etats membres sur les modalités pour optimiser les délais légaux et la gestion du temps judiciaire dans le cadre du groupe SATURN au sein de la CEPEJ et promouvoir la qualité du service public de la justice, des enquêtes de satisfaction des usagers des tribunaux et pour agir en fonction des résultats de ces enquêtes ;
vii. Le Comité européen de coopération juridique (CDCJ), le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) et le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH) dispenseront au Comité des Ministres les conseils de politique juridique nécessaires pour soutenir les Etats membres dans la mise en œuvre de réformes juridiques pertinentes, en particulier dans le domaine de la responsabilité judiciaire et du réexamen des décisions des tribunaux ;
viii. Lorsque le Protocole n° 16 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ses Protocoles sera entré en vigueur, la Cour européenne des droits de l’homme rendra, sur demande et conformément au Protocole n° 16, des avis consultatifs sur des questions de principe liées à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés consacrés par la Convention, par exemple le droit à un procès équitable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi (article 6) ;
ix. Un soutien ciblé, défini d’un commun accord avec les pays bénéficiaires et leurs institutions, sera apporté dans le cadre des projets de coopération du Conseil de l’Europe avec des Etats membres, dans le but de répondre à des besoins concrets. Ce soutien sera financé par des contributions volontaires d’Etats membres, des Programmes conjoints avec l’Union européenne et d’autres sources appropriées. Il inclura une expertise juridique ad hoc sur le droit, les politiques et les pratiques nationales en matière d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire, y compris des propositions de réforme du droit dans ce domaine ;
x. Sous l’égide et dans le cadre du Programme européen de formation aux droits de l’homme pour les professionnels du droit (HELP) et d’autres projets de coopération, le Conseil de l’Europe soutiendra l’élaboration de programmes de formation pertinents pour les Etats membres et d’un cadre pour leur diffusion, avec notamment des programmes de formation ciblant les pouvoirs exécutif et législatif et portant sur l’importance de l’indépendance et de l’impartialité du pouvoir judiciaire.
CALENDRIER ET MODALITES DE MISE EN ŒUVRE DU PLAN D’ACTION
Le Plan d’action devrait être mis en œuvre dans un délai de 5 ans. Le Comité des Ministres procédera à un examen régulier de l’avancée de sa mise en œuvre, sur la base des informations des Etats membres, des demandes de soutien et de conseils dont le Conseil de l’Europe aura été saisi, ainsi que des conclusions et analyses de ses organes de suivi et consultatifs. Les bonnes pratiques, une fois identifiées et compilées, seront mises à disposition des Etats membres.
ANNEXE
NOTE EXPLICATIVE
Cette note explicative présente en détail les mesures que doivent prendre les Etats membres dans le cadre du Plan d’action pour le renforcement de l’indépendance et de l’impartialité du pouvoir judiciaire, adopté par le Comité des Ministres lors de la 1253e réunion des Délégués des Ministres, le 13 avril 2016.
Les différentes actions présentées ci-dessous sont basées sur des normes agrées au niveau international et reflétées dans les traités du Conseil de l’Europe, notamment la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et dans d’autres instruments et textes comme des recommandations du Comité des Ministres et des avis du Conseil consultatif de juges européens, du Conseil consultatif de procureurs européens et de la Commission de Venise.
Trois lignes d’action regroupent les mesures correctives que les Etats membres doivent mettre en œuvre en tant que de besoin. Ces lignes d’action devraient être étayées par plusieurs mesures transversales, présentées dans le quatrième axe d’intervention.
LIGNE D’ACTION 1
PROTEGER ET RENFORCER LA JUSTICE DANS SES RELATIONS AVEC LES POUVOIRS EXECUTIF ET LEGISLATIF
Ø Action 1.1
Garantir l’indépendance et l’efficacité fonctionnelles des conseils de la justice ou d’autres organes appropriés de gouvernance judiciaire
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Des mesures devraient être prises pour dépolitiser le processus d’élection ou de nomination des membres des conseils de la justice, lorsqu’ils existent, ou d’autres organes appropriés de gouvernance judiciaire. Ces membres ne devraient pas représenter de factions politiques, ni adopter des positions politiquement partisanes dans l’exercice de leurs fonctions. Ils ne devraient pas non plus être soumis, ou susceptibles de l’être, à une influence politique, que ce soit du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif.
Ces mesures pourraient prendre la forme de règles régissant le seuil de membres des organes judiciaires et les procédures d’élection par les pairs (au moins la moitié d’entre eux, les membres ex officio n’étant pas pris en compte pour l’établissement de ce seuil), ou le plafond de membres non-judiciaires (et la manière dont ceux-ci sont élus ou choisis) tout en assurant une majorité de membres judiciaires, ou au moins la moitié d’entre eux, qui représente de surcroît tous les niveaux du système judiciaire ; de règles sur la durée minimum d’expérience judiciaire requise au préalable ; de règles prévoyant l’égalité des sexes et la représentation de la société dans son ensemble et de règles relatives aux qualités personnelles et à la probité.
Les membres n’ayant pas été nommés ou élus par l’ordre judiciaire ne devraient pas représenter les pouvoirs exécutif ou législatif mais être nommés intuitu personae et de plein droit. Il est souhaitable que la participation à un conseil de la justice ne soit pas ouverte à des personnes dont la fonction découle de facto d’une fonction ou position au sein du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif.
Les règles régissant la composition des conseils de la justice ou d’autres organes appropriés de gouvernance judiciaire et la conduite des activités de ces derniers devraient être transparentes et prévisibles. Il en va de même pour le processus de sélection, de nomination et de promotion des juges. A cet égard, les règles visant à éviter une ingérence inadéquate du pouvoir exécutif ou législatif sont d’une importance particulière.
Les changements intervenant dans le cadre juridique régissant le fonctionnement des conseils de la justice ne devraient pas aboutir à la cessation anticipée des mandats de personnes élues en vertu des dispositions précédentes, sauf dans le cas où le changement du cadre juridique porte sur le renforcement de l’indépendance dans la composition du conseil.
Ø Action 1.2
Veiller à une participation adéquate du judiciaire dans la sélection, la nomination et la promotion des juges tout en limitant une ingérence parlementaire ou exécutive excessive dans ce processus
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Des mesures devraient être prises pour instaurer, si tel n’est pas encore le cas, des procédures de sélection, de nomination et de promotion des juges qui soient transparentes, fondées sur des critères objectifs liés à l’exercice d’une fonction judiciaire et privilégiant avant tout les capacités et l’expérience, et qui soient à l’abri de toute ingérence politique excessive.
Dans la composition de l’ordre judiciaire, la parité hommes/femmes devrait être promue à tous les niveaux, y compris au plus haut niveau, et, plus généralement, la représentation de la société dans son ensemble devrait y être reflétée.
Ø Action 1.3
Limiter l’ingérence excessive des pouvoirs exécutif et législatif dans les actions disciplinaires et la révocation des juges
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Aucune action disciplinaire ne devrait être prise à l’encontre d’un juge sans une enquête en bonne et due forme et sans qu’une procédure disciplinaire n’ait d’abord été menée à son terme. Les agissements passibles d’une sanction disciplinaire doivent être définis clairement et précisément. Une échelle de sanctions possibles devrait être mise en place et utilisée dans la pratique.
Lorsque la manière dont un juge s’acquitte de sa fonction professionnelle donne lieu à une procédure disciplinaire ou à une enquête pénale pour malveillance ou négligence grossière, il est impératif que cette procédure soit intentée dans le plein respect des garanties procédurales devant un organe indépendant, apolitique. Les sanctions doivent être proportionnées et ne doivent pas être infligées arbitrairement, pour des motifs politiques ou pour toute raison qui n’est pas liée à l’aptitude du juge à exercer une fonction judiciaire.
Lorsqu’il existe des mécanismes d’évaluation du travail des juges, il convient de veiller à ce qu’une évaluation insatisfaisante n’aboutisse à un renvoi ou à d’autres sanctions de nature punitive que dans des cas exceptionnels clairement définis. La durée d’exercice de la fonction des juges doit être garantie de manière adéquate par la loi.
Afin de respecter les conditions exigées pour un tribunal indépendant et impartial, les instances disciplinaires des conseils de la justice, investies d’un pouvoir décisionnel concernant la révocation d’un juge ou d’autres sanctions, doivent être complètement libres de toute influence politique et être perçues comme tel.
Ø Action 1.4
Veiller à ce que toute critique publique de la justice par les pouvoirs exécutif et législatif respecte l’autorité du pouvoir judiciaire
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Des mesures devraient être prises pour que les membres des pouvoirs exécutif et législatif soient respectueux des décisions de justice et que, dans leur comportement, ils donnent au public l’image de leur respect de ces décisions ainsi que de la dignité des juges à titre individuel. Ils devraient s’abstenir de critiquer publiquement des décisions de justice individuelles, ainsi que de toute critique indûment sévère ou politiquement motivée de la justice en général ou d’un juge en particulier. Les Etats devraient se doter de codes d’éthique pour le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et de toutes autres mesures nécessaires – juridiques et pratiques – pour limiter ce type d’intervention et protéger l’intégrité du processus décisionnel judiciaire de toute pression politique, intimidation et attaques indues.
Il conviendrait de mettre en place des mesures destinées à éviter que les pouvoirs exécutif ou législatif utilisent les médias de manière inappropriée en vue de discréditer le pouvoir judiciaire, ainsi qu’à protéger la réputation et les droits des juges et à maintenir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire en gardant à l’esprit les arrêts et décisions pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme.
L’ordre judiciaire devrait adopter à l’égard des médias, et plus généralement du grand public, une approche plus proactive pour accroître la confiance de ce dernier dans la justice, en évitant ou dissipant tout malentendu concernant le système judiciaire dans son ensemble et des affaires spécifiques dans la mesure où ces communications sont respectueuses des droits de la défense et de la dignité des victimes. Il pourrait être envisagé d’établir des services de communication ou de désigner des porte‑paroles qui pourraient répondre aux critiques au nom de la justice et donner des explications générales concernant le système judiciaire.
Ø Action 1.5
Veiller à ce que l’administration courante des tribunaux soit assurée de manière effective et responsable sur la base d’une réglementation juridique et sans ingérence indue des pouvoirs exécutif ou législatif
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
La justice devrait pouvoir administrer les tribunaux et leurs activités au quotidien sans ingérence indue de la part du pouvoir exécutif. Le rôle des pouvoirs exécutif et législatif est d’établir les objectifs stratégiques à long terme pour le système judiciaire et de déterminer et allouer les ressources nécessaires, notamment pour renforcer son efficacité et contribuer au fonctionnement adéquat des tribunaux.
Les inspections de tribunaux, lorsqu’elles sont menées par le pouvoir exécutif ou autrement, ne devraient pas prévoir des évaluations du bien-fondé des décisions judiciaires ou de leur forme. Elles ne devraient en aucune circonstance servir à pousser les juges à faire prévaloir la productivité sur la bonne exécution de leur fonction.
Les présidents de tribunaux ne devraient pas être tenus de rendre compte au Parlement et devraient être à même de représenter les intérêts de leurs tribunaux et de la justice dans son ensemble, sans ingérence de la part des pouvoirs exécutif ou législatif. Lorsqu’ils sont tenus de rendre des comptes, ils ne devraient le faire que pour ce qui est du fonctionnement général du tribunal ou de l’ordre judiciaire et de la gestion des moyens. Cela ne peut concerner le traitement d’affaires particulières.
LIGNE D’ACTION 2
PROTEGER L’INDEPENDANCE DES JUGES A TITRE INDIVIDUEL ET VEILLER A LEUR IMPARTIALITE
Ø Action 2.1
Limiter l’ingérence de la hiérarchie judiciaire à l’égard de la prise de décision individuelle par le juge dans la procédure judiciaire
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Des mesures doivent être prises pour veiller à ce que les présidents de tribunaux et les juridictions supérieures respectent l’indépendance des juges à titre individuel. A cette fin, les pouvoirs des présidents de tribunaux et des juridictions supérieures devraient être clairement définis de manière à protéger le pouvoir du juge de statuer à titre individuel et ne permette pas aux présidents de tribunaux de prendre des décisions compromettant l’indépendance des juges, afin d’éviter que des avantages deviennent des instruments potentiels de pressions indues.
Les affaires devraient être réparties dans les tribunaux en fonction de critères objectifs préétablis. Un juge ne devrait pas être dessaisi d’une affaire sans raison valable. Les décisions de dessaisissement ne devraient être prises que sur la base de critères préétablis et selon une procédure transparente. Seuls les juges devraient décider s’ils sont compétents ou non pour une affaire et doivent disposer de la faculté d’influencer la programmation de leurs propres audiences.
Les pouvoirs des services de poursuite doivent être définis et délimités pour faire en sorte que les juges soient protégés de toute pression indue et soient libres de suivre ou de rejeter les requêtes des procureurs.
Des mesures devraient être prises pour soutenir le fonctionnement des associations professionnelles de juges afin qu’elles puissent représenter effectivement les intérêts des juges à titre individuel et contribuer à l’ouverture et à la transparence de la justice.
Ø Action 2.2
Veiller à ce que les règles relatives à la responsabilité judiciaire et à l’examen des décisions rendues par les tribunaux respectent pleinement les principes de l’indépendance et l’impartialité de la justice
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
L’unique recours en cas d’erreur judiciaire qui n’est pas due à une malveillance ou une faute grave doit être le procès en appel. L’interprétation du droit, l’évaluation des preuves ou l’appréciation des faits par un juge ne doit pas pouvoir entraîner l’engagement de sa responsabilité au pénal, au civil ou par voie disciplinaire sauf en cas de malveillance ou de faute grave. Les Etats doiventprendre des mesures pour veiller à ce que les mécanismes destinés à demander des comptes à la justice ne soient pas utilisés comme armes de rétorsion ou de pression à l’encontre des juges dans leur prise de décision. Ils doivent mettre au point des mécanismes qui garantissent le respect de l’indépendance des juges et ne compromettent pas leur impartialité.
Des voies de recours effectives devraient être prévues, le cas échéant, pour les juges qui estiment que leur indépendance est menacée.
Ø Action 2.3
Prévenir et lutter contre la corruption et promouvoir l’intégrité dans l’ordre judiciaire
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Des mesures doivent être prises pour prévenir et lutter contre la corruption en veillant à ce que toutes les allégations de corruption fassent l’objet d’une enquête approfondie et à ce que les mis en cause soient poursuivis et se voient infliger des sanctions pénales proportionnées. Tout juge impliqué dans un délit de corruption devrait faire l’objet d’une décision rendue par un organe indépendant concernant sa suspension dans l’attente d’une enquête et d’un procès et, s’il est reconnu coupable, de sa révocation.
Pour protéger les juges de la tentation de la corruption, les Etats membres doivent veiller à ce que leurs conditions de rémunération et de travail soient appropriées et à ce que des normes de conduite professionnelle et d’éthique judiciaire soient clairement définies et rendues publiques.
Ø Action 2.4
Combattre l’influence préjudiciable des stéréotypes dans la prise de décision judiciaire
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Des mesures devraient être prises pour lutter contre les répercussions préjudiciables des stéréotypes dans la prise de décision judiciaire. L’instruction et la formation des juges devraient être organisées de manière à veiller à ce que les stéréotypes judiciaires ne compromettent pas les droits des groupes vulnérables à être entendus par un tribunal impartial. Il importerait également de rechercher la parité hommes/femmes au sein de l’ordre judiciaire et de tout faire pour lutter contre les stéréotypes fondés sur le sexe à l’intérieur même de l’ordre judiciaire.
Ø Action 2.5
Veiller à ce que les membres de l’ordre judiciaire soient formés pleinement et effectivement aux compétences et à l’éthique judiciaires
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Une formation approfondie, détaillée et diversifiée devrait être dispensée aux juges pour leur permettre de s’acquitter de leurs fonctions de manière satisfaisante. La qualité de leur formation initiale et continue devrait être renforcée par l’allocation de ressources suffisantes pour garantir que les programmes de formation répondent aux exigences de compétences, d’ouverture et d’impartialité inhérentes aux fonctions judiciaires. Les programmes de formation devraient faire l’objet d’évaluations fréquentes par les organes responsables de la formation judiciaire.
Les candidats à une fonction judiciaire devraient recevoir une formation appropriée, y compris sous forme d’exercices pratiques en assistant des juges du siège.
Ø Action 2.6
Veiller à ce que les juges soient protégés contre les atteintes à leur intégrité physique ou leur santé mentale, à leur liberté personnelle et à leur sécurité par une réglementation juridique et des mesures adéquates
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Les Etats membres devraient prendre des mesures adéquates pour protéger effectivement les juges contre les atteintes à leur intégrité physique ou leur santé mentale, à leur liberté personnelle et à leur sécurité.
LIGNE D’ACTION 3
RENFORCER L’INDEPENDANCE DU MINISTERE PUBLIC
Ø Action 3.1
Prévoir des garanties juridiques et des mesures appropriées pour le recrutement, l’évolution de carrière et la sécurité de l’emploi ou l’inamovibilité des procureurs
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Dans le processus de nomination des responsables des services de poursuite, des garanties juridiques devraient être mises en place et des mesures prises pour protéger leur indépendance et liberté d’action de toute influence indue dans un cadre approprié respectant le devoir démocratique de rendre des comptes.
Les procédures de recrutement de tous les procureurs à tous les niveaux devraient être fondées sur des critères de meilleures aptitudes.
Les procureurs faisant l’objet d’une procédure et d’une action disciplinaires devraient bénéficier des garanties juridiques appropriées pour leur protection.
Ø Action 3.2
Veiller à ce que les procureurs, à titre individuel, ne soient pas soumis à des pressions indues ou illégales à l’intérieur ou en dehors du ministère public, et que, de manière plus générale, le ministère public soit assujetti à la prééminence du droit
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Des règles formelles internes devraient être adoptées pour exiger que, lorsqu’un procureur hiérarchiquement supérieur exerce un contrôle sur les décisions d’un autre procureur, toute instruction, ordre ou directive respecte les dispositions légales.
Des mesures devraient être en place pour garantir que le déclenchement et la conduite d’enquêtes ou de poursuites ne soient soumises à aucune influence politique, en particulier lorsque le ministère public relève de l’exécutif ou dépend de l’autorité d’un ministre.
Des garde-fous devraient être mis en place pour éviter des conflits d’intérêt ou le recours abusif à des pouvoirs de poursuite, notamment, s’il n’en n’existe pas, par l’introduction de codes de conduite professionnelle appropriés pour les procureurs.
Des mesures devraient être prises pour instaurer une culture de l’ouverture et de la transparence respectueuse toutefois de la confidentialité des affaires pour lesquelles une enquête ou des poursuites sont en cours.
Ø Action 3.3
Prévenir et lutter contre la corruption au sein du ministère public et renforcer la confiance du public dans son fonctionnement
- Mesures correctives à prendre par les Etats membres
Il conviendrait de prendre des mesures actives pour prévenir et lutter contre la corruption au sein du ministère public et protéger les procureurs de la corruption, par exemple en veillant à ce que leurs conditions de rémunération et de travail soient adéquates et à ce que leurs normes de conduite professionnelle et d’éthique soient clairement définies et rendues publiques. Les enquêtes pour faits de corruption au sein du ministère public devraient être menées avec diligence et transparence, et de manière approfondie et impartiale. Les procureurs reconnus coupables de corruption devraient encourir des sanctions pénales proportionnées, y compris le cas échéant la révocation.
ACTIONS TRANSVERSALES A PRENDRE PAR LES ETATS MEMBRES
[1] Le terme « excessive » se réfère à toute action au-delà du cadre juridique existant qui s’ingère dans les processus cités, au point qu’elle porte atteinte de manière significative à l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
[2] Les textes pertinents pour assister les Etats membres à cette fin sont en particulier : la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités, ainsi que les avis du CCJE, notamment l’Avis n° 1 (2001) sur les normes relatives à l’indépendance et l’inamovibilité des juges, l’Avis n° 3 (2003) sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l’impartialité, l’Avis
n° 10 (2007) sur le Conseil de la Justice au service de la société, l’Avis n° 17 (2014) sur l’évaluation du travail des juges, la qualité de la justice et le respect de l’indépendance judiciaire, et l’Avis n° 18 (2015) sur la place du système judiciaire et ses relations avec les autres pouvoirs de l’Etat dans une démocratie moderne, ainsi que sa Charte européenne sur le statut des juges.
[3] Les textes pertinents pour assister les Etats membres à cette fin sont en particulier : la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale, la Recommandation Rec(2012)11 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le rôle du ministère public en dehors du système de justice pénale ainsi que l’Avis n° 4 (2009) du CCPE sur les relations entre les juges et les procureurs dans une société démocratique, comprenant la « Déclaration de Bordeaux » et l’Avis n° 9 (2014) sur les normes et principes européens concernant les procureurs, comprenant la « Charte de Rome ».