Recommandation CM/Rec(2009)4
du Comité des Ministres aux Etats membres
sur l’éducation des Roms et des Gens du voyage en Europe
(adoptée par le Comité des Ministres le 17 juin 2009,
à la 1061e réunion des Délégués des Ministres)
Le Comité des Ministres, conformément à l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres et que ce but peut être poursuivi notamment par l’adoption d’une action commune dans le domaine de l’éducation ;
Gardant à l’esprit qu’il faut veiller tout particulièrement à assurer la pleine égalité des droits des Roms et des Gens du voyage, tels qu’énoncés dans la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du Conseil de l’Europe (1950) (STE no 5), en particulier dans son article 14 (Interdiction de discrimination), le Protocole additionnel (1952) (STE no 9), en particulier dans son article 2 (Droit à l’instruction), et le Protocole additionnel no 12 (2000) (STE no 177), la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (1995) (STE no 157), la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1992) (STE no148), la Charte sociale européenne (1961) (STE no 35) ainsi que la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (1989) ;
Rappelant sa Recommandation no R (2000) 4 sur l’éducation des enfants Roms/tsiganes en Europe et sa mise en œuvre par le projet du Comité directeur de l’éducation (CDED) sur « L’éducation des enfants Roms en Europe » (2002-2009) ;
Eu égard à sa Recommandation Rec(2001)15 relative à l’enseignement de l’histoire en Europe au 21e siècle ;
Rappelant également sa Recommandation CM/Rec(2008)5 sur les politiques concernant les Roms et/ou les Gens du voyage en Europe ;
Considérant les déclarations figurant dans le Plan d’action adopté par le Troisième Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement du Conseil de l’Europe (Varsovie, 16-17 mai 2005) et dans la Déclaration finale de la 22e session de la Conférence permanente des Ministres européens de l’Education, « Construire une Europe plus humaine et plus inclusive : contribution des politiques éducatives » (Istanbul, 4-5 mai 2007) ;
Rappelant la Recommandation de politique générale n° 3 de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la lutte contre le racisme et l’intolérance envers les Roms/Tsiganes (6 mars 1998), ainsi que les Recommandations de politique générale n° 7 sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale (13 décembre 2002) et n° 10 pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale dans et à travers l’éducation scolaire (15 décembre 2006) ;
Considérant les recommandations et les orientations de principe figurant dans le Livre blanc sur le dialogue interculturel du Conseil de l’Europe « Vivre ensemble dans l’égale dignité » lancé lors de la 118e Session du Comité des Ministres (Strasbourg, 7 mai 2008) ;
Prenant en considération le poids de la discrimination séculaire à l’égard des Roms et des Gens du voyage, le rejet dont ils sont victimes et la persistance d’inégalités et de difficultés importantes dans le domaine de l’éducation qui touchent les enfants Roms et de Gens du voyage en Europe ;
Notant que les problèmes auxquels sont confrontés les Roms et Gens du voyage dans le domaine scolaire sont également dus aux politiques éducatives menées depuis longtemps, qui peuvent conduire soit à l’assimilation, soit à la ségrégation des enfants Roms et de Gens du voyage à l’école au motif qu’ils souffraient d’un « handicap socioculturel » ;
Condamnant l’existence de situations de ségrégation de fait dans le milieu scolaire comme cela a été rappelé par les récents arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme concernant l’éducation des enfants Roms ;
Considérant qu’il ne pourra être remédié à la position défavorisée des Roms et des Gens du voyage dans les sociétés européennes que si l’accès à une éducation de qualité est garantie aux enfants Roms et de Gens du voyage ;
Prenant en considération les nouveaux défis que pose le phénomène récent de migration intra-européenne, qui pousse de nombreux enfants Roms et de Gens du voyage à résider de manière temporaire ou permanente dans d’autres Etats membres, et qui a des effets négatifs sur l’accès à l’éducation et la reconnaissance des compétences acquises ;
Soulignant la nécessité d’une approche holistique, notamment dans les domaines de la santé et du logement, visant à assurer un plein accès aux droits de l’homme, tout en remédiant aux effets des inégalités sociales, en luttant contre le racisme et la discrimination et en promouvant le respect des spécificités culturelles ;
Reconnaissant les progrès accomplis dans ce domaine, aux niveaux national, régional et européen, notamment la mention de l’éducation comme un domaine d’action clé dans les pays qui ont déjà élaboré des stratégies nationales pour améliorer la situation des Roms, et les engagements exprimés par une douzaine d’Etats membres dans le cadre de la Décennie d’intégration des Roms (2005-2015) ;
Notant avec satisfaction l’importante contribution du projet du Comité directeur de l’éducation (CDED) sur « L’éducation des enfants Roms en Europe » (2002-2009), visant à faciliter les échanges au niveau européen entre acteurs clés et à fournir des instruments concrets aux fins de l’élaboration de politiques et de pratiques éducatives,
1. Recommande que les gouvernements des Etats membres, dans le respect de leurs structures constitutionnelles, des situations nationales ou locales et de leur système éducatif :
a. s’inspirent des principes énoncés dans l’annexe à la présente recommandation dans le cadre des réformes éducatives en cours ou à venir ;
b. élaborent, diffusent et mettent en œuvre des politiques éducatives visant à garantir un accès non discriminatoire à un enseignement de qualité pour les enfants Roms et de Gens du voyage, basé sur les orientations énoncées en annexe à la présente recommandation ;
c. portent la présente recommandation à l’attention des instances publiques compétentes dans leurs pays respectifs, par les voies nationales, et dans les langues appropriées ;
d. s’assurent, y compris auprès des autorités locales ou régionales, d’un accueil effectif des enfants Roms et de Gens du voyage en milieu scolaire ;
e. suivent et évaluent la mise en œuvre des dispositions de cette recommandation dans leurs politiques et informent le Comité directeur de l’éducation des mesures prises et des progrès réalisés.
2. Demande au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de porter cette recommandation à la connaissance des Etats parties à la Convention culturelle européenne (1954) (STE no 18) qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe.
Annexe à la Recommandation CM/Rec(2009)4
I. Principes relatifs à la politique à mener
1. Des politiques éducatives visant à assurer un accès non discriminatoire à un enseignement de qualité pour les enfants Roms et de Gens du voyage devraient être élaborées au niveau national. Ces politiques devraient être formulées de manière à garantir l’accès à une éducation de qualité dans la dignité et le respect, fondée sur les principes des droits de l’homme et sur les droits de l’enfant. Les politiques éducatives existantes doivent être revues afin d’identifier les obstacles présents et potentiels empêchant les enfants Roms et de Gens du voyage de jouir de tous leurs droits dans le domaine de l’éducation.
2. En consultation avec les parties prenantes nationales/internationales des Roms et Gens du voyage, les politiques éducatives devraient inclure des références aux Roms et Gens du voyage dans le cadre d’une reconnaissance plus vaste de la diversité culturelle et/ou linguistique et, si besoin est, offrir des possibilités d’éducation aux enfants Roms et de Gens du voyage pour qu’ils bénéficient d’une instruction dans/de leur langue maternelle, en se basant sur les principes énoncés dans la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et dans la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
3. Le cycle intégral d’élaboration des politiques devrait être pris en compte lors de la conception et de l’adaptation des politiques éducatives pour les Roms et les Gens du voyage. Il conviendrait d’accorder toute l’attention requise à l’évaluation des besoins, ainsi qu’à la conception, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques, tout en renforçant la participation effective des Roms et Gens du voyage à tous les niveaux et dans toutes les phases du cycle politique.
4. Les politiques éducatives des enfants Roms et de Gens du voyage devraient s’accompagner de moyens adéquats et de structures souples indispensables pour répondre à la diversité des communautés de Roms et de Gens du voyage en Europe et pour tenir compte, le cas échéant, de l’existence de groupes ayant un mode de vie nomade ou semi-nomade.
5. Les Etats membres devraient veiller à ce que les mesures juridiques interdisant la ségrégation sur une base ethnique ou raciale dans le domaine de l’éducation soient mises en place avec des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives, et assurer la mise en œuvre effective de la législation. Lorsque, de facto, une ségrégation des enfants Roms et de Gens du voyage basée sur leur origine raciale ou ethnique existe, les autorités devraient mettre en œuvre des mesures d’abolition de la ségrégation. Les politiques et les mesures prises pour combattre la ségrégation devraient s’accompagner d’une formation appropriée du personnel éducatif et d’une information pour les parents.
6. Les autorités éducatives devraient mettre en place des procédures d’évaluation afin d’éviter tout risque de placement des enfants dans des institutions spéciales sur la base de différences linguistiques, ethniques, culturelles ou sociales, et de faciliter l’accès à la scolarisation. Les représentants des Roms et des Gens du voyage devraient être impliqués dans la définition et le suivi de ces procédures.
7. Les Etats membres devraient assurer une coordination effective des politiques éducatives avec celles d’autres secteurs, notamment les politiques sociales, ainsi qu’avec des autorités similaires dans d’autres pays.
8. Il convient de veiller tout particulièrement à assurer le plein accès à tous les niveaux d’enseignement des enfants Roms et de Gens du voyage, dont les familles ont un mode de vie nomade, connaissent une migration temporaire ou ont été contraintes de quitter leur emplacement de campement non autorisé, leurs pays ou régions d’origine, ainsi que des personnes déplacées à l’intérieur du pays et les réfugiés.
II. Structures et dispositions d’accès à l’éducation
9. Les Roms et les Gens du voyage devraient bénéficier d’un accès sans entraves à la scolarisation en milieu ordinaire à tous les niveaux suivant les mêmes critères que pour la population majoritaire. Pour atteindre cet objectif, des initiatives inventives et flexibles devraient être prises en termes de politiques et pratiques éducatives. Des mesures appropriées devraient également être adoptées pour assurer l’égalité d’accès à toutes les possibilités éducatives, culturelles, linguistiques et professionnelles offertes à tous les apprenants, et notamment les jeunes filles et femmes de la communauté des Roms et des Gens du voyage.
10. La fréquentation d’établissements préscolaires par les enfants Roms et de Gens du voyage devrait être encouragée dans les mêmes conditions que pour les autres enfants et l’inscription à l’éducation préscolaire devrait être favorisée, si nécessaire en apportant des mesures spécifiques de soutien.
11. L’accès des enfants Roms et de Gens du voyage à l’enseignement obligatoire devrait être facilité et soumis aux mêmes critères applicables à la population majoritaire, en mettant un accent particulier sur la transition de l’éducation préscolaire à l’éducation primaire, et de l’éducation primaire à l’éducation secondaire. Des dispositions particulières devraient être prises pour prévenir l’abandon scolaire et stimuler le retour à l’école des enfants n’ayant pas mené à terme l’enseignement obligatoire.
12. L’accès des Roms et des Gens du voyage à la formation professionnelle devrait être adapté et appuyé par des mesures spécifiques, et des programmes d’éducation pour adultes adaptés aux spécificités culturelles devraient être mis en œuvre. Par ailleurs, en l’absence de diplômes, la validation des acquis de l’expérience devrait être encouragée.
13. L’accès à l’enseignement secondaire supérieur et universitaire devrait être facilité pour les Roms et les Gens du voyage.
14. Les écoles devraient déployer de grands efforts pour engager les parents Roms et Gens du voyage dans des activités parascolaires afin de renforcer la compréhension mutuelle. En association avec les parents, les écoles doivent respecter leurs valeurs et leur culture et reconnaître leur contribution à l’éducation de leurs enfants.
15. Des médiateurs et/ou assistants scolaires, recrutés dans les communautés de Roms et de Gens du voyage, devraient être employés pour faciliter les relations entre les enseignants et les familles de Roms ou Gens du voyage, ainsi qu’entre l’école et la communauté des Roms ou Gens du voyage. Ils devraient bénéficier d’une formation et d’un soutien adéquats et être acceptés, dans la mesure du possible, comme membres à part entière de l’équipe professionnelle scolaire.
III. Programme, matériels pédagogiques et formation des enseignants
16. L’apprentissage culturel et la lutte contre le racisme et la discrimination devraient être explicitement reconnus comme priorités du processus éducatif et éléments clés de l’éthique scolaire. Les programmes, manuels scolaires et autres supports devraient promouvoir le dialogue interculturel et sensibiliser aux stéréotypes, préjugés et à la discrimination d’une manière générale, y compris envers les Roms et les Gens du voyage.
17. L’histoire et la culture rom devraient être prises en compte de façon appropriée dans le programme général y compris l’enseignement relatif au génocide des Roms lors de l’Holocauste/génocide des Roms.
18. En accord avec les principes énoncés dans la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (1995) (STE n° 157) et dans ceux de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1992) (STE n° 148), les programmes scolaires et les matériels pédagogiques devraient être, le cas échéant, mis à disposition des enfants Roms et de Gens du voyage (et d’autres enfants par choix) afin qu’ils puissent apprendre leur langue, leur histoire et leur culture.
19. Les autorités éducatives devraient veiller à ce que tous les enseignants, et en particulier ceux qui travaillent dans des classes à composition ethnique mixte, reçoivent une formation spécialisée en éducation interculturelle, avec une attention particulière sur les Roms et les Gens du voyage. Cette formation devrait être incluse dans les programmes reconnus officiellement et disponible sous diverses formes, notamment au travers de formations à distance et en ligne, d’universités d’été, etc.
20. Les enseignants qui travaillent directement avec des enfants Roms et de Gens du voyage devraient bénéficier d’un soutien adéquat de la part des médiateurs ou assistants des Roms ou des Gens du voyage, et être sensibilisés au fait qu’il faut faire participer davantage les enfants Roms et de Gens du voyage à toutes les activités éducatives, éviter de les démotiver en se montrant moins exigeants à leur égard et les encourager à développer tout leur potentiel.
21. Des bonnes pratiques basées sur une approche intégrale de l’école devraient servir de références et être élargies. Elles incluent la formation des directeurs d’écoles, des enseignants, des médiateurs et assistants, des activités destinées aux parents, des mesures pour stimuler la participation scolaire à tous les niveaux, prévenir et combattre la ségrégation et la discrimination en général, et pour promouvoir un dialogue interculturel effectif dans la communauté locale.
IV. Echanges européens, partage d’expériences et bonnes pratiques
22. Toutes les parties prenantes à la conception et à la mise en œuvre des politiques éducatives visant à offrir un accès non discriminatoire à un enseignement de qualité pour les enfants Roms et de Gens du voyage, y compris les décideurs, les auteurs de programmes et de manuels scolaires, les inspecteurs, les enseignants, les médiateurs et assistants, devraient avoir la possibilité de participer à des échanges nationaux et européens.
23. Des bourses devraient être attribuées à des étudiants Roms, ainsi qu’à des enseignants et assistants d’enseignants qui enseigneraient dans la langue romani.
24. Des possibilités d’échanges de bonnes pratiques et de documents dans le domaine de l’éducation des enfants Roms et de Gens du voyage devraient être offertes aux professionnels de l’éducation et aux représentants d’organisations Roms et de Gens du voyage concernées.
25. Les documents élaborés dans le cadre du projet du Conseil de l’Europe « L’éducation des enfants Roms en Europe » (2002-2009) tels que la collection de fiches dans le domaine de l’histoire des Roms, la mallette pédagogique, le guide du médiateur/assistant scolaire rom, et le cadre de référence pour les politiques éducatives en faveur des Roms, Sintis et Gens du voyage, ainsi que d’autres outils développés par d’autres secteurs du Conseil de l’Europe tels que le cadre curriculaire pour le romani ou le kit pour lutter contre les préjugés et les stéréotypes produit dans le cadre de la campagne de sensibilisation Dosta ! devraient être largement diffusés et utilisés lors de la mise en œuvre des dispositions susmentionnées.
26. Les autorités éducatives dans les Etats membres devraient soutenir le développement d’approches coordonnées et intégrées dans ce domaine au niveau européen, ainsi qu’une synergie accrue entre les différentes organisations internationales et européennes.