European Committee of Social Rights
 Comité européen des Droits sociaux

Confidentiel[1]

Confédération générale du Travail (CGT)

c. France

Réclamation no 55/2009

RAPPORT AU COMITE DES MINISTRES

Strasbourg, 13 septembre 2010


Introduction

1.         En application de l’article 8§2 du Protocole prévoyant un système de réclamations collectives (« le Protocole »), le Comité européen des Droits sociaux, comité d’experts indépendants de la Charte sociale européenne (« le Comité ») transmet au Comité des Ministres son rapport[2] relatif à la réclamation n° 55/2009. Le rapport contient la décision du Comité sur le bien-fondé de la réclamation (adoptée le 23 juin 2010). La décision sur la recevabilité (adoptée le 30 mars 2009) figure en annexe.

2.         Le Protocole est entré en vigueur le 1er juillet 1998. Il a été ratifié par la Belgique, la Croatie, Chypre, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal et la Suède. Par ailleurs, la Bulgarie et la Slovénie sont également liées par cette procédure en application de l’article D de la Charte sociale révisée de 1996.

3.         Le Comité a fondé sa procédure sur les dispositions du Règlement du 29 mars 2004 adopté par le Comité lors de sa 201e session et révisé le 12 mai 2005 lors de sa 207e session et le 20 février 2009 lors de sa 234e session.

4.         Il est rappelé qu’en application de l’article 8§2 du Protocole, le présent rapport ne sera rendu public qu’après l’adoption d’une résolution par le Comité des Ministres ou au plus tard à l’issue d’une période de quatre mois après sa transmission au Comité des Ministres, c’est-à-dire le 14 janvier 2011.



European Committee of Social Rights

Comité européen des Droits sociaux

DÉCISION SUR LE BIEN-FONDÉ

23 juin 2010

Confédération générale du Travail (CGT)

c. France

Réclamation no 55/2009

Le Comité européen des Droits sociaux, comité d’experts indépendant institué en vertu de l’article 25 de la Charte sociale européenne (« le Comité »), au cours de sa 244e session où siégeaient:

Mme   Polonca KonČar, Présidente

MM.     Andrzej Swiatkowski, Vice-Président

            Colm O’CINNEIDE, Vice-Président

Jean-Michel Belorgey, Rapporteur Général

Mmes Csilla KOLLONAY LEHOCZKY

            Monika SCHLACHTER

Birgitta NYSTRÖM

Lyudmilla HARUTYUNYAN

MM. Rüçhan IŞIK

Petros STANGOS

            Alexandru ATHANASIU

Luis JIMENA QUESADA

Mme   Jarna PETMAN

Assisté de M. Régis BRILLAT, Secrétaire exécutif,


Après avoir délibéré le 16 mars et 23 juin 2010,

Sur la base du rapport présenté par Mme Birgitta NYSTRÖM,

Rend la décision suivante adoptée à cette dernière date :

PROCEDURE

1.            La réclamation déposée par la Confédération générale du Travail (« la CGT ») a été enregistrée le 21 janvier 2009. La CGT allègue que la loi sur la réforme du temps de travail n°2008-789 du 20 août 2008 contrevient aux articles 2§§1 et 5, 4§§1 et 2, ainsi qu’à l’article 11§§1 et 3 de la Charte sociale européenne révisée (« la Charte révisée »).

2.          Le Comité européen des droits sociaux (« le Comité ») a déclaré la réclamation recevable le 30 mars 2009.

3.          En application de l’article 7§§1 et 2 du Protocole prévoyant un système de réclamations collectives (« le Protocole ») et de la décision du Comité sur la recevabilité de la réclamation, le Secrétariat exécutif a adressé le 7 avril 2009 le texte de la décision au Gouvernement français (« le Gouvernement »), à la CGT, aux Etats parties au Protocole, aux Etats ayant ratifié la Charte révisée et ayant fait une déclaration en application de son article D§2, ainsi qu’aux organisations visées à l’article 27§2 de la Charte.

4.          En application de l’article 31§1 du Règlement, le Comité a fixé au 12 juin 2009 le délai pour la présentation du mémoire du Gouvernement sur le bien-fondé. Le mémoire a été enregistré le 12 juin 2009.

5.          Conformément à l’article 31§2 du Règlement, la Présidente a fixé au 18 septembre 2009 la date limite à laquelle la CGT pouvait présenter sa réplique au mémoire du Gouvernement. La réplique a été enregistrée le 17 septembre 2009.

CONCLUSIONS DES PARTIES

A – Le syndicat auteur de la réclamation

6.          La CGT, se référant en particulier à la loi no2008-789 du 20 août 2008portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (Journal Officiel de la République française du 21 août 2008), allègue que :

            - le régime relatif à la durée du travail annuel viole le droit à une durée du travail          raisonnable garanti par l’article 2§1 et l’article 4§2 de la Charte révisée;

            - le régime des astreintes viole le droit à une durée du travail raisonnable garanti par l’article 2§1 de la Charte révisée et le droit au repos garanti par l’article 2§5 de la Charte révisée;


            - le régime de la « journée de solidarité » et le régime relatif à la durée du travail annuel violent le droit à une rémunération équitable garanti par l’article 4§2 de la Charte révisée.

7.         La réclamation se réfère également à l'article 11§§1 et 3 ainsi qu’à l'article 4§1 de la Charte révisée mais ne fournit aucun élément pour étayer les griefs relatifs à ces articles.

B. – Le Gouvernement

8.         Le Gouvernement conclut que les griefs tirés de la méconnaissance des articles de la Charte sociale européenne invoqués par l’organisation auteur de la réclamation ne sont pas fondés, et demande au Comité de bien vouloir rejeter la réclamation.

LE DROIT INTERNE  ET DE L’UNION EUROPEENNE PERTINENT

A - Droit interne

Première partie : Forfait en jours sur l’année

9.            La loi no 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail (dite « loi Aubry II ») prévoit la réduction de la durée légale du travail à 35 heures par semaine. Elle a été modifiée principalement par la loi no 2003-47 du 17 janvier 2003 (dite « Loi Fillon II ») et la loi no 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

1. La situation en droit interne avec l’entrée en vigueur de la Loi Fillon II

10.         La Section V (Dispositions relatives aux cadres) du Chapitre II (Durée du travail) du Titre I (Conditions du travail) du Livre II (Réglementation du travail) du code du travail établissait plusieurs régimes spécifiques appliquant la réduction de la durée du travail aux cadres. Ces derniers étaient alors répartis en trois catégories distinctes :

a)            Les cadres dirigeants (ancien article L. 212-15-1 du code du travail)

11.         Il s’agissait de cadres exclus de l’application de l’ensemble de la législation sur la durée du travail :

« Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise ou leur établissement ».


b)            Les cadres intégrés (ancien article L. 212-15-2 du code du travail)

12.         Il s’agissait de cadres soumis au droit commun c’est-à-dire aux mêmes règles relatives aux horaires et à la durée du travail que les salariés non-cadres avec lesquels ils travaillent :

« Art. L. 212-15-2. Les salariés ayant la qualité de cadre au sens des conventions collectives de branche ou du premier alinéa de l’article 4 de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 dont la nature des fonctions les conduit à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés, sont soumis aux dispositions relatives à la durée du travail, au repos et aux congés des chapitres II et III du titre Ier et à celles du titre II du livre II. »

c)            Les cadres intermédiaires (ancien article L. 212-15-3 du code du travail)

13.         Il s’agissait de cadres qui n’entraient pas dans les deux catégories précédentes. Pour leur permettre de bénéficier d’une réduction effective du temps de travail, le code prévoyait notamment la possibilité de conclure des conventions collectives fixant la durée pouvant être travaillée (article L. 212-15-3-I).

14.         Le régime applicable à cette troisième catégorie de cadres était le système du forfait sur l’année soit en jours (article L. 215-15-3), objet de plusieurs réclamations (CFE-CGC c. France, réclamation no 9/2000, décision sur le bien-fondé du 16 novembre 2001 ; CFE-CGC c. France, réclamation no 16/2003, décision sur le bien-fondé du 12 octobre 2004 ; Confédération Générale du Travail (CGT) c. France, réclamation no 22/2003, décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2004), soit en heures (article L. 212-15-4). Le code précisait que le nombre de jours pouvant être travaillés ne pouvait excéder 217 jours.

15.         L’article L. 212-15-3 et l’article L. 212-15-4 du Code du travail étaient ainsi rédigés :

« Art. L. 212-15-3. - I. Les salariés ayant la qualité de cadre au sens des conventions collectives de branche ou du premier alinéa de l'article 4 de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et qui ne relèvent pas des dispositions des articles L. 212-15-1 et L. 212-15-2 doivent bénéficier d'une réduction effective de leur durée de travail. Leur durée de travail peut être fixée par des conventions individuelles de forfait qui peuvent être établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. La conclusion de ces conventions de forfait doit être prévue par une convention ou un accord collectif étendu ou par une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement qui détermine les catégories de cadres susceptibles de bénéficier de ces conventions individuelles de forfait ainsi que les modalités et les caractéristiques principales des conventions de forfait susceptibles d'être conclues. A défaut de convention ou d'accord collectif étendu ou de convention ou d'accord d'entreprise ou d'établissement, des conventions de forfait en heures ne peuvent être établies que sur une base hebdomadaire ou mensuelle.

II. Lorsque la convention ou l'accord prévoit la conclusion de conventions de forfait en heures sur l'année, l'accord collectif doit fixer la durée annuelle de travail sur la base de laquelle le forfait est établi, sans préjudice du respect des dispositions des articles L. 212-1-1 et L. 611-9 relatives aux documents permettant de comptabiliser les heures de travail effectuées par chaque salarié. La convention ou l'accord, sous réserve du respect des dispositions des articles L. 220-1, L. 221-2 et L. 221-4, peut déterminer des limites journalières et hebdomadaires se substituant à celles prévues au deuxième alinéa des articles L. 212-1 et L. 212-7, à condition de prévoir des modalités de contrôle de l'application de ces nouveaux maxima conventionnels et de déterminer les conditions de suivi de l'organisation du travail et de la charge de travail des salariés concernés et sous réserve que cette convention ou cet accord n'ait pas fait l'objet d'une opposition en application de l'article L. 132-26.

La convention ou l'accord peut également préciser que les conventions de forfait en heures sur l'année sont applicables aux salariés itinérants non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.

III. La convention ou l'accord collectif prévoyant la conclusion de conventions de forfait en jours ne doit pas avoir fait l'objet d'une opposition en application de l'article L. 132-26. Cette convention ou cet accord doit fixer le nombre de jours travaillés. Ce nombre ne peut dépasser le plafond de deux cent dix-sept jours. La convention ou l’accord définit, au regard de leur autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps, les catégories de cadres concernées. La convention ou l'accord précise en outre les modalités de décompte des journées et des demi-journées travaillées et de prise des journées ou demi-journées de repos. Il détermine les conditions de contrôle de son application et prévoit des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte. L'accord peut en outre prévoir que des jours de repos peuvent être affectés sur un compte épargne-temps dans les conditions définies par l'article L. 227-1.

Les salariés concernés ne sont pas soumis aux dispositions de l'article L. 212-1 et du deuxième alinéa de l'article L. 212-7. Les dispositions des articles L. 220-1, L. 221-2 et L. 221-4 leur sont applicables. La convention ou l'accord doit déterminer les modalités concrètes d'application de ces dernières dispositions.

L'employeur doit tenir à la disposition de l'inspecteur du travail, pendant une durée de trois ans, le ou les documents existant dans l'entreprise ou l'établissement permettant de comptabiliser le nombre de jours de travail effectués par les salariés concernés par ces conventions de forfait. Lorsque le nombre de jours travaillés dépasse le plafond annuel fixé par la convention ou l'accord, après déduction, le cas échéant, du nombre de jours affectés sur un compte épargne-temps et des congés payés reportés dans les conditions prévues à l'article L. 223‑9, le salarié doit bénéficier, au cours des trois premiers mois de l'année suivante, d'un nombre de jours égal à ce dépassement. Ce nombre de jours réduit le plafond annuel de l'année durant laquelle ils sont pris. »

« Art. L. 212-15-4. - Lorsqu'une convention de forfait en heures a été conclue avec un salarié relevant des dispositions des articles L. 212-15-2 ou L. 212-15-3, la rémunération afférente au forfait doit être au moins égale à la rémunération que le salarié recevrait compte tenu du salaire minimum conventionnel applicable dans l'entreprise et des bonifications ou majorations prévues à l'article L. 212-5.

Lorsque le salarié ayant conclu une convention de forfait en jours en application des dispositions du III de l'article L. 212-15-3 ne bénéficie pas d'une réduction effective de sa durée de travail ou perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, ce dernier peut, nonobstant toute clause contraire, conventionnelle ou contractuelle, saisir le tribunal afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi eu égard notamment au niveau du salaire minimum conventionnel applicable ou, à défaut, de celui pratiqué dans l'entreprise, et correspondant à sa qualification. »

16.         Les articles L. 220-1, L. 221-2 et L. 221-4 du code du travail étaient ainsi rédigés :

« Art. L. 220-1 - Tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives.

Une convention ou un accord collectif étendu peut déroger aux dispositions de l’alinéa précédent, dans des conditions fixées par décret, notamment pour des activités caractérisées par la nécessité d’assurer une continuité du service ou par des périodes d’intervention fractionnées.

Ce décret prévoit également les conditions dans lesquelles il peut être dérogé aux dispositions du premier alinéa à défaut de convention ou d’accord collectif étendu, et en cas de travaux urgents en raison d’un accident ou d’une menace d’accident ou de surcroît exceptionnel d’activité. »

« Art. L. 221-2 - Il est interdit d’occuper plus de six jours par semaine un même salarié. »

« Art. L 221-4 - Le repos hebdomadaire doit avoir une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives auxquelles s’ajoutent les heures consécutives de repos quotidien prévu à l’article L. 220-1.

Les jeunes travailleurs de moins de dix-huit ans ainsi que les jeunes de moins de dix-huit ans qui accomplissent des stages d’initiation ou d’application en milieu professionnel dans le cadre d’un enseignement alterné ou d’un cursus scolaire bénéficient de deux jours de repos consécutifs.

Lorsque les caractéristiques particulières de l’activité le justifient, une convention ou un accord collectif étendu peut définir les conditions dans lesquelles il peut être dérogé aux dispositions du précédent alinéa pour les jeunes libérés de l’obligation scolaire, sous réserve qu’ils bénéficient d’une période minimale de repos de trente-six heures consécutives. A défaut d’accord, un décret en Conseil d’Etat définit les conditions dans lesquelles cette dérogation peut être accordée par l’inspecteur du travail. »

17.         L’article L. 132-26 du code du travail était ainsi rédigé :

« Dans un délai de huit jours à compter de la signature d’une convention ou d’un accord d’entreprise ou d’établissement, ou d’un avenant ou d’une annexe, comportant des clauses qui dérogent soit à des dispositions législatives ou réglementaires, lorsque lesdites dispositions l’autorisent, soit, conformément à l’article L. 132-24, à des dispositions salariales conclues au niveau professionnel ou interprofessionnel, la ou les organisations syndicales qui n’ont pas signé l’un des textes en question peuvent s’opposer à son entrée en vigueur, à condition d’avoir recueilli les voix de plus de la moitié des électeurs inscrits lors des dernières élections au comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Lorsque le texte en cause ne concerne qu’une catégorie professionnelle déterminée, relevant d’un collège électoral défini à l’article L. 433-2, les organisations susceptibles de s’opposer à son entrée en vigueur sont celles qui ont obtenu les voix de plus de la moitié des électeurs inscrits dans ledit collège.

L’opposition est exprimée par écrit et motivée. Elle est notifiée aux signataires. Les textes frappés d’opposition sont réputés non écrits. »

18.          Par ailleurs, l'article 16 de la loi Fillon II se lit ainsi :

           

« Sont réputées signées sur le fondement de la présente loi les stipulations des conventions ou accords collectifs de branche étendus ou des accords d'entreprise ou d'établissement conclus en application des lois du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail et du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail. »

19.         Enfin, l’article L. 212-4-bis du Code du travail se lisait ainsi :

           

« Une période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, a l’obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d’être en mesure d’intervenir pour effectuer un travail au service de l’entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif. Exception faite de la durée d’intervention, la période d’astreinte est décomptée dans les durées minimales visées aux articles L. 220-1 et L. 221‑4. »

2.   La situation en droit interne depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail

20.         La loi du 20 août 2008 ne remet pas en cause le système de forfait en jours sur l’année qui fut déjà l’objet principal de plusieurs réclamations (Confédération française de l’Encadrement CFE-CGC c. France, réclamation no 9/2000, décision sur le bien-fondé du 16 novembre 2001 ; Confédération française de l’Encadrement CFE-CGC c. France, réclamation no 16/2003, décision sur le bien-fondé du 12 octobre 2004 ; Confédération générale du Travail (CGT) c. France, réclamation no 22/2003, décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2004). Dans la lignée de certains ajustements intervenus depuis la Loi Fillon II, la loi du 20 août 2008 vise à aménager l’application dudit système. Les modifications intervenues depuis la Loi Fillon II sont reflétées dans le Code du travail, dont la recodification, entrée en vigueur au 1er mai 2008, a par ailleurs entraîné une nouvelle numérotation des dispositions pertinentes.

21.         L’une des principales modifications intervenue depuis la loi Fillon II, et reprise par la loi du 20 août 2008, tient au fait que la distinction établie auparavant entre les différentes catégories de cadres (dirigeants, intégrés et intermédiaires), qui servait à définir les cadres auxquels le système de forfait en jours pouvait s’appliquer, a été modifiée par la loi du loi n° 2005-882 du 2 août.

22.         Le Code du travail prévoit en son article L. 3111-2 que les cadres dirigeants, définis de manière identique à l’ancien article L. 212-15-1, sont exclus de l’application des titres II (durée du travail, répartition et aménagement des horaires) et III (repos et jours fériés), Livre Ier, Troisième partie dudit code. En cela, leur situation demeure inchangée.


23.         En revanche, les deux autres catégories (cadres intégrés et intermédiaires) ont été abolies, et seuls les critères prévus à l’article L. 3121-43 entrent désormais en compte pour définir s’il est possible de recourir à une convention de forfait en jours sur l’année non plus seulement pour les cadres mais aussi pour d’autres catégories de salariés. L’article L. 3121-43 est ainsi libellé :

« Peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 :

les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;

Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées. ».

24.         Selon l’article L. 3121-44 le nombre de jours travaillés ne peut, en principe, excéder 218 jours par an, soit un jour de plus qu’en vertu de la loi Fillon II. En revanche, la loi no 2008-789 prévoit qu’une convention individuelle peut déroger à cette limite en contrepartie d’une majoration de salaire. Si aucune durée n’est prévue par l’accord collectif, la durée annuelle ne doit pas dépasser 235 jours travaillés. L’article L. 3121-45 du Code du travail est ainsi rédigé :

« Article L. 3121-45 - Le salarié qui le souhaite peut, en accord avec son employeur, renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d'une majoration de son salaire. L'accord entre le salarié et l'employeur est établi par écrit. Le nombre de jours travaillés dans l'année ne peut excéder un nombre maximal fixé par l'accord prévu à l'article L. 3121-39. A défaut d'accord, ce nombre maximal est de deux cent trente-cinq jours.

Le nombre maximal annuel de jours travaillés doit être compatible avec les dispositions du titre III relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise, et du titre IV relatives aux congés payés.

Un avenant à la convention de forfait conclue entre le salarié et l'employeur détermine le taux de la majoration applicable à la rémunération de ce temps de travail supplémentaire, sans qu'il puisse être inférieur à 10 %. »

25.         Les modalités de fonctionnement des conventions relatives au forfait en jours, qui sont différentes de celles prévues par la Loi Fillon II, sont également traitées dans les articles suivants :

« Article L. 3121-39 - La conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions. »


« Article L. 3121-40 - La conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié. La convention est établie par écrit. »

« Article L. 3121-46 - Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié. »

« Article L. 3121-47 - Lorsqu'un salarié ayant conclu une convention de forfait en jours perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, il peut, nonobstant toute clause contraire, conventionnelle ou contractuelle, saisir le juge judiciaire afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l'entreprise, et correspondant à sa qualification. »

« Article L. 3121-48 - Les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours ne sont pas soumis aux dispositions relatives :

1° A la durée légale hebdomadaire prévue à l'article L. 3121-10 ;

2° A la durée quotidienne maximale de travail prévue à l'article L. 3121-34 ;

3° Aux durées hebdomadaires maximales de travail prévues au premier alinéa de l'article L. 3121-35 et aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 3121-36. »

« Article L. 3121-49 - Lorsque le nombre de jours travaillés dépasse le plafond annuel fixé par la convention ou l'accord, le salarié bénéficie, au cours des trois premiers mois de l'année suivante, d'un nombre de jours égal à ce dépassement. Ce nombre de jours est calculé après déduction :

1° Du nombre de jours affectés sur un compte épargne-temps ou auxquels le salarié a renoncé dans les conditions prévues à l'article L. 3121-46 ;

2° Des congés payés reportés dans les conditions prévues à l'article L. 3141-21.

Ce nombre de jours réduit le plafond annuel de l'année durant laquelle ils sont pris. »

« Article L. 3121-51 - Une convention ou un accord collectif de travail, une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement, conclu pour les cadres en application de l'article L. 3121-40, peut préciser que les conventions de forfait en heures sur l'année sont applicables aux salariés itinérants non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée ou qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées. Dans ce cas, la convention ou l'accord comporte l'ensemble des précisions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 3121-40 et à l'article L. 3121-42.

Il peut également préciser que les conventions de forfait en jours sont applicables aux salariés non cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées, sous réserve qu'ils aient individuellement donné leur accord par écrit. Dans ce cas, la convention ou l'accord comporte les précisions prévues à l'article L. 3121-45. »

« Article L. 3171-3 - L'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire. »

26.         L’ancien article L. 220-1 sur le repos quotidien a été amendé par la loi no 2008-789, la durée minimale restant toutefois identique, et scindé en deux articles distincts, articles L. 3131-1 et L. 3131-2.

27.         S’agissant du repos hebdomadaire, le contenu de l’ancien article L. 221-2 est repris dans l’article L. 3132-1, et celui de l’ancien article L. 221-4 est repris dans les articles L. 3132-2 et L. 3164-2.

28.         Le contenu de l’ancien article L. 212-4bis sur les périodes d’astreinte est repris dans les articles L. 3121-5 et L. 3121-6.

 

29.         L’ancien article L 132-6 portant sur les conditions d’opposition à une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement a été remplacé par les articles suivants :

- Dans les entreprises pourvues de délégués syndicaux :

« Articles L 2232-12 - La validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, et à l'absence d'opposition d'une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants.

L'opposition est exprimée dans un délai de huit jours à compter de la date de notification de cet accord, dans les conditions prévues à l'article L. 2231-8. »

« Articles L 2232-13 - La représentativité reconnue à une organisation syndicale catégorielle affiliée à une confédération syndicale catégorielle au titre des salariés qu'elle a statutairement vocation à représenter lui confère le droit de négocier toute disposition applicable à cette catégorie de salariés.

Lorsque la convention ou l'accord ne concerne qu'une catégorie professionnelle déterminée relevant d'un collège électoral, sa validité est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés dans ce collège au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, et à l'absence d'opposition d'une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés dans ce collège à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants. »

- Dans les entreprises sans délégués syndicaux, il est prévu qu’un ou plusieurs salariés peuvent être mandatés par des syndicats représentatifs au niveau national, à raison d’un salarié par syndicat (Article L 2232-25). S’agissant de l’approbation de l’accord, l’article L 2232-27 prévoit :

« L'accord signé par un salarié mandaté doit avoir été approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés, dans des conditions déterminées par décret et dans le respect des principes généraux du droit électoral.

Faute d'approbation, l'accord est réputé non écrit. »

Deuxième partie : Astreintes

« Article L3121-6 : Exception faite de la durée d'intervention, la période d'astreinte est prise en compte pour le calcul de la durée minimale de repos quotidien prévue à l'article L. 3131-1 et des durées de repos hebdomadaire prévues aux articles L. 3132-2 et L. 3164-2. »

Troisième partie : Journée de solidarité

« Article L212-16 : Une journée de solidarité est instituée en vue d'assurer le financement des actions en faveur de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées. Elle prend la forme d'une journée supplémentaire de travail non rémunéré pour les salariés et de la contribution prévue au 1º de l'article 11 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées pour les employeurs. »

B - Droit de l’Union européenne

30.         La référence principale en droit de l’Union européenne demeure à ce jour la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (Journal officiel de l’Union européenne, L299/9, 18 novembre 2003).

EN DROIT

OBSERVATION LIMINAIRE SUR LE LIEN ENTRE LE DROIT DE L’UNION EUROPENNE ET LA CHARTE SOCIALE EUROPEENNE

31.         Le Gouvernement considère que la situation interne est conforme au droit de l’Union européenne et il en déduit qu’elle serait, de ce fait, conforme à la Charte.

32.         En réponse, le Comité rappelle que la circonstance que les dispositions en question s'inspirent d’une directive de l’Union européenne ne les soustraient pas à l'empire de la Charte (CFE-CGC c. France, réclamation n°16/2003, décision sur le bien-fondé du 12 octobre 2004, §30 ; voir aussi, mutatis mutandis, Cantoni c. France, arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme du 15 novembre 1996, §30).

33.         A ce sujet, le Comité confirme qu'il ne lui appartient ni d'apprécier la conformité des situations nationales avec une directive de l'Union européenne ni d'apprécier la conformité d’une telle directive à la Charte. Cependant, lorsque les Etats membres de l'Union européenne décident de mesures contraignantes qu'ils s'appliquent à eux-mêmes par le moyen d'une directive qui influence la manière dont ils mettent en œuvre les droits énoncés dans la Charte, il leur appartient, tant lors de l'élaboration dudit texte que de sa transposition dans leur droit interne, de tenir compte des engagements qu'ils ont souscrits par la ratification de la Charte sociale européenne. C’est au Comité qu’il revient, en dernier lieu, d’apprécier si la situation nationale est conforme à la Charte, et ce y compris en cas de transposition d’une directive de l’Union européenne en droit interne.

34.         Le Comité note que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà eu l’occasion de considérer qu’il pouvait y avoir, dans certains cas, une présomption de conformité du droit de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention ») en raison d’un certain nombre d’indices tenant à la place faite, dans le droit de l’Union européenne, aux droits civils et politiques garantis par la Convention.

35.         Le Comité considère qu'il ne résulte ni de la place des droits sociaux dans l'ordre juridique de l'Union européenne ni des procédures d'élaboration du droit dérivé à leur égard, qu’une présomption de même nature puisse être retenue, même de manière refragable, s’agissant de la conformité des textes juridiques de l’Union européenne à la Charte sociale européenne.

36.         Il est conforté dans cette idée par l'absence, à ce stade, d’une volonté politique de l'Union européenne et de ses Etats membres d'envisager l'adhésion de l'Union à la Charte sociale européenne en même temps que l'adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme.

37.         Le Comité observera avec attention les évolutions qui résulteront de la mise en œuvre progressive des réformes du fonctionnement de l’Union européenne résultant de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, y compris la Charte des droits fondamentaux, et se déclare prêt à modifier son opinion dès que seront présents les indices que la Cour a pu voir lorsqu’elle s’est prononcée sur une présomption de compatibilité du droit de l’Union européenne avec la Convention, indices que le Comité estime absents aujourd'hui en ce qui concerne la Charte sociale européenne.

38.         Entretemps, chaque fois qu'il sera confronté à la situation où les Etats tiennent compte de ou sont contraints par des textes de droit de l'Union européenne, le Comité examinera au cas par cas la mise en œuvre par les Etats parties des droits garantis par la Charte dans le droit interne.

39.         Dans le cas d'espèce, le Comité doit d’abord indiquer comment il apprécie la conformité, au regard de la Charte révisée, de la situation d'un État lié par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail

40.         D'emblée, le Comité constate que les considérants figurant en tête de la directive ne se réfèrent en aucune manière à la Charte sociale européenne alors même que ce traité est ratifié par l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne et que le Traité sur l'Union européenne s’y réfère expressément à plusieurs reprises.


41.         Nonobstant cet oubli, le Comité, à l'examen du texte de la directive, constate que les préoccupations qui sous-tendent ce texte indiquent implicitement l’intention des auteurs de mettre correctement en œuvre les droits énoncés par la Charte. Il considère, en effet, que les modalités pratiques convenues entre les Etats membres de l'Union européenne, si elles sont correctement appliquées, permettent, en particulier, un exercice concret et effectif des droits figurant dans les articles 2§1 et 4§2 de la Charte révisée.

42.         Cependant, le Comité note que la directive prévoit de nombreuses exceptions et dérogations qui seraient susceptibles de compromettre le respect de la Charte  par les Etats dans la pratique. Aussi estime-t-il que, selon la manière dont les Etats membres de l'Union européenne reprennent en droit interne lesdites exceptions et dérogations de la directive en question ou les combinent entre elles, la situation peut être conforme ou non à la Charte.

I.          VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 2§1 DE LA CHARTE REVISEE

Article 2 – Droit à des conditions de travail équitables

Partie I : « Tous les travailleurs ont droit à des conditions de travail équitables. »

Partie II : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties contractantess'engagent :

1.                 à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail

devant être progressivement réduite pour autant que l’augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent ;

(…) »

43.         L'argumentation présentée par la CGT concerne la conformité à la Charte révisée, d’une part, du système du forfait en jours s’agissant du caractère raisonnable de la durée journalière ou hebdomadaire de travail et, d’autre part, du régime des astreintes.

En ce qui concerne le système du forfait en jours

A – Argumentation des parties

1. Le syndicat auteur de la réclamation

44.         L’organisation réclamante soutient que le système de calcul du temps de travail pour les salariés soumis au régime de forfait en jours sur l’année demeure, avec la loi du 20 août 2008, sans référence horaire et sans durée maximale hebdomadaire du travail. Elle estime que la loi en question non seulement maintient les aspects qui avaient précédemment amené le Comité à conclure à la violation de la Charte révisée mais encore aggrave cette situation. Depuis la Loi Fillon II, le champ d’application du régime de forfait en jours a été étendu à certains salariés non-cadres, et la durée de travail annuelle allongée au-delà de 218 jours, dans certains cas jusqu’à 282 jours. Elle avance que selon des études du ministère du Travail datant de 2008, le forfait en jours concerne un tiers des cadres et 10,2% des salariés à plein temps. En outre, s’agissant des garanties collectives, la CGT soutient que les garanties qui existaient avec les précédentes lois ont été supprimées et remplacées par un entretien individuel annuel avec l’employeur et une simple consultation annuelle du Comité du personnel. La CGT considère que la législation interne continue d’être en violation du paragraphe 1 de l’article 2.

2. Le Gouvernement défendeur

45.         Le Gouvernement avance que la garantie des repos quotidiens et hebdomadaires permet, malgré tout, d’assurer une durée raisonnable de travail et de limiter l’amplitude de la journée et la semaine de travail.

46.         Il indique par ailleurs en avant la garantie supplémentaire apportée par la loi du 20 août 2008 avec le plafond de 235 jours encadrant le dépassement de la durée annuelle de travail, lorsqu’aucune durée maximale n’est prévue dans l’accord (article L 3121-45). Il fait valoir comme autre garantie pour le salarié que le comité d’entreprise doit désormais être consulté chaque année sur le recours aux conventions de forfait ainsi que sur les modalités de suivi (article L 2323-29).

47.         S’agissant de l’élargissement du champ d’application du forfait en jours, le Gouvernement avance, qu’avant l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, le code du travail prévoyait déjà que le régime de forfait en jours sur l’année pouvait s’appliquer aux salariés non-cadres « dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées » (ancien article L 3121-51). En outre, il souligne que cela s’inscrit dans le respect de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

B – Appréciation du Comité

48.         Le Comité rappelle l’appréciation qu’il a faite du système de forfait en jours sur l’année, tel qu’il résultait de législations antérieures et qui l’a conduit à dire que la situation était contraire à l’article 2§1 (CFE-CGC c. France, réclamation n°9/2000, décision sur le bien-fondé du 16 novembre 2001, §§28 à 38, et CFE-CGC c. France, réclamation n° 16/2003, décision sur le bien-fondé du 12 octobre 2004, §§ 31 à 41). Il lui revient d’examiner si les modifications découlant de la loi du 20 août 2008 affectent ses précédentes appréciations du système de forfait en jours sur l’année.

49.         Le Comité rappelle que les mesures de flexibilité du temps de travail ne sont pas, en tant que telles, contraires à la Charte révisée (voir en particulier l’Introduction générale des Conclusions XIV-2, p. 33). Pour être jugées conformes à la Charte révisée, ces législations ou réglementations doivent répondre à trois critères :

i.              empêcher que la durée de travail journalière ou hebdomadaire ne soit déraisonnable ;

ii.            être établies par un cadre juridique prévoyant des garanties suffisantes ;

iii.           prévoir des périodes de référence d’une durée raisonnable pour le calcul de la durée moyenne de travail.


i.          Durée de travail journalière et hebdomadaire

50.         Le Comité observe que le système du forfait en jours ne fixe aucune limite à la durée journalière de travail des salariés concernés. Par conséquent, c’est l’application du droit à un repos journalier de 11 heures, prévu par l’article L 3131-1 du code du travail qui s’applique en l’espèce. Aucune dérogation n’est prévue à cette limite. Par conséquent, quelles que soient les circonstances, pour aucune des journées travaillées dans l’année, les salariés concernés ne seront amenés à travailler plus de 13 heures par jour. La limite journalière ainsi fixée est conforme à l’article 2 paragraphe 1 de la Charte révisée.

51.         Aucune limite spécifique n’est non plus prévue pour la durée hebdomadaire du travail dans le système du forfait en jours. C’est, par conséquent, là encore, la règle du repos minimum prévue par l’article L 3132-2 du code du travail qui entraîne une limitation de la durée hebdomadaire du travail. Ce repos hebdomadaire doit être de 35 heures consécutives, à savoir 24 heures de repos hebdomadaire prévues à l’article L 3132-2 auxquelles s’ajoutent 11 heures de repos quotidien en vertu de l’article L 3131-1. Cela implique que, quelles que soient les circonstances, les salariés concernés ne seront amenés à travailler plus de 78 heures par semaine. Le Comité estime toutefois qu’une telle durée est manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable au sens de l’article 2§1 de la Charte révisée.

ii.         Un cadre juridique prévoyant des garanties suffisantes

52.         Pour être jugé conforme à la Charte révisée, le système de flexibilité du temps de travail doit par ailleurs fonctionner dans un cadre juridique précis qui délimite clairement la marge de manœuvre laissée aux employeurs et aux salariés pour modifier, par accord collectif, la durée du travail.

53.         En l’espèce, le système du forfait en jours ne peut être mis en place sans la conclusion de conventions collectives. En outre, la loi exige que de telles conventions fixent la durée annuelle du travail et les caractéristiques principales du forfait en jours.

54.         Le Comité constate cependant que la loi n’impose pas que les conventions collectives prévoient une durée maximale, journalière et hebdomadaire. Il note que, même si les partenaires sociaux ont en pratique la possibilité de le faire, il n’est plus prévu que lesdites conventions collectives fixent les modalités de suivi et notamment la durée de travail quotidienne et la charge de travail. Ceci est désormais essentiellement traité à l’occasion d’un entretien annuel d’un travailleur avec son employeur (article L. 3121-46) et d’une consultation annuelle du comité du personnel (article L. 2323-29). Le Comité considère que, de ce fait, la procédure de négociation collective n’offre pas de garanties suffisantes pour que l’article 2§1 soit respecté.

55.         De plus, le Comité relève que les conventions collectives peuvent être conclues au sein de l’entreprise. Or, il estime qu’une telle possibilité, en ce qui concerne la durée du travail, n’est conforme à l’article 2§1 que si des garanties spécifiques sont prévues. Il relève à cet égard que la procédure d’opposition prévue aux articles L 2232-12, L 2232-13 et L 2232-27 du code du travail ne constitue pas une telle garantie, car sa mise en œuvre continue à présenter un caractère trop aléatoire. Par conséquent, le Comité conclut que la situation n’est pas conforme à l’article 2§1 de la Charte révisée.


iii.        Une période raisonnable pour le calcul de la durée moyenne

56.         Au vu des constats faits ci-dessus sur les deux premiers critères, le Comité estime qu’en l’espèce, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur le troisième critère.

57.         En conséquence, le Comité dit que la situation des salariés avec forfait en jours sur l’année constitue une violation de l’article 2§1 de la Charte révisée en raison de la durée excessive du travail hebdomadaire autorisée, ainsi que de l’absence de garanties suffisantes.

En ce qui concerne l’imputation du temps d’astreinte sur le temps de repos

A – Argumentation des parties

1. Le syndicat auteur de la réclamation

58.         La CGT considère que la loi n°789-2008 du 20 août 2008 ne met pas en conformité avec la Charte le régime des astreintes que le Comité a considéré comme contraire à l’article 2§1.

2. Le Gouvernement défendeur

59.         Le Gouvernement considère que l’astreinte, hors périodes d’intervention, ne peut être assimilée à du temps de travail effectif, le salarié pouvant vaquer librement à ses occupations personnelles.

60.         D’ailleurs, selon le Gouvernement, la Cour de justice des communautés européennes a considéré, dans sa décision Sindicato de Médicos de Asistencia Pública (Simap) c. Conselleria de Sanidad y Consumo de la Generalidad Valenciana du 3 octobre 2000, que les médecins qui effectuent des gardes au cours desquelles ils sont accessibles en permanence, sans pour autant être obligés d’être présents dans l’établissement de santé, sont certes à la disposition de leur employeur, dans la mesure où ils doivent pouvoir être joints, mais peuvent néanmoins gérer leur temps avec moins de contraintes et se consacrer à leurs propres intérêts. En l’espèce, la Cour a donc jugé que seul le temps lié à la prestation effective de services doit être considéré comme du temps de travail au sens de la directive 2003/88/CE 93/104/CE du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (modifiée en 2000 et codifiée par la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003).

61.         Par conséquent, n’étant pas assimilée à du temps de travail effectif, l’astreinte ne peut être prise en compte pour l’appréciation des repos quotidiens et hebdomadaires de travail.

62.         Toutefois, le ministère du Travail a encadré ce dispositif :

- dans la circulaire DRT 2000-03 du 3 mars 2000, le ministère du Travail a rappelé que l’imputation des périodes d’astreinte sur les périodes de repos ne devait pas conduire à ce qu’un même salarié soit systématiquement placé en situation d’astreinte durant des périodes de repos obligatoires et que, si le développement de telles pratiques venait à être constaté, il appartiendrait aux services de contrôle de les signaler à l’administration centrale.

- pour les salariés qui y sont soumis, l’astreinte permet de continuer à se livrer à des occupations personnelles dans leur sphère privée, tout en bénéficiant de compensations pour l’atteinte, réduite, portée à leur liberté de mouvement. Ces compensations, prévues à l’article L. 3121-7 du code du travail, prennent la forme d’une contrepartie financière, ou en repos, définie par accord collectif ou, à défaut, par l’employeur.

- la circulaire DRT 06 du 14 avril 2003 a précisé que, lorsqu’une intervention a lieu pendant la période d’astreinte, et que le salarié n’a pas encore bénéficié des périodes de repos minimales prévues par le Code du travail (11 heures consécutives pour le repos quotidien, 35 heures consécutives pour le repos hebdomadaire), celles-ci doivent être entièrement données à l’issue de l’intervention. Dans la plupart des cas, l’intervention ayant lieu avant que le salarié ait bénéficié de la totalité de la période minimale de repos quotidien ou hebdomadaire prévue par le code du travail, le régime de l’astreinte s’avère particulièrement favorable au travailleur.

63.         Pour ces raisons, le Gouvernement considère que l’assimilation des périodes d’astreinte au temps de repos ne constitue pas une violation du droit à une durée raisonnable du travail prévu par l’article 2§1 de la Charte révisée.

B – Appréciation du Comité

64.         Dans sa décision du 7 décembre 2004 sur le bien-fondé de la réclamation CGT c. France n°22/2003, le Comité a indiqué :

« 35 Les périodes d’astreinte pendant lesquelles le salarié n’a pas été amené à intervenir au service de l’employeur, si elles ne constituent pas un temps de travail effectif, ne peuvent néanmoins être, sans  limitation, assimilées à un temps de repos au sens de l’article 2 de la Charte révisée, sauf dans le cadre de professions déterminées ou dans des circonstances particulières et selon des mécanismes appropriés.

36. Les périodes d’astreinte sont en effet des périodes au cours desquelles le salarié est tenu de rester à la disposition de son employeur pour accomplir, si ce dernier le requiert, une prestation de travail. Or cette obligation, alors même que la réalisation de la prestation présente un caractère purement éventuel, empêche incontestablement le salarié de se consacrer à des activités relevant de son libre choix, programmées dans les limites du temps disponible avant la reprise du travail à un terme certain, et ne souffrant d’aucun aléa lié à l’exercice de l’activité salariée ou à la situation de dépendance qui en découle.

37. L’absence de travail effectif, constatée a posteriori, pour une période de temps dont le salarié n’a pas eu a priori la libre disposition, ne constitue dès lors pas un critère suffisant d’assimilation de cette période à une période de repos. »


65.         Le Comité dit, par conséquent, que l’assimilation des périodes d’astreinte au temps de repos constitue une violation du droit à une durée raisonnable du travail prévue par l’article 2§1 de la Charte révisée.

II.         VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 2§5 DE LA CHARTE REVISEE

Article 2 – Droit à des conditions de travail équitables

Partie I : « Tous les travailleurs ont droit à des conditions de travail équitables. »

Partie II : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties contractantess'engagent :

(…)

5.          à assurer un repos hebdomadaire qui coïncide autant que possible avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région. »

66.         Dans sa réclamation, la CGT affirme que le régime des astreintes serait contraire à l’article 2§5. Bien qu’elle ne détaille pas ses griefs à ce sujet, le Comité comprend que c’est parce que les périodes d’astreintes, à tort assimilées à des périodes de repos, peuvent avoir lieu le dimanche qu’elles seraient contraires à l’article 2§5. Il fait sienne cette analyse. (CGT c. France, réclamation 22/2003, décision sur le bien-fondé du 7 décembre 2004, §39)

67.         Le Comité dit que la situation est contraire à l’article 2§5 de la Charte révisée.

III.        VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 4§2 DE LA CHARTE REVISEE

Article 4 – Droit à une rémunération équitable

Partie I : « Tous les travailleurs ont droit à une rémunération équitable leur assurant, ainsi qu’à leurs familles, un niveau de vie satisfaisant»

Partie II : «En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties contractantess'engagent :

(…)

2.      à reconnaître le droit des travailleurs à un taux de rémunération majoré pour les heures de travail supplémentaires, exception faite de certains cas particuliers ;

(…) »

68.         L’argumentation de la CGT sur la rémunération des heures supplémentaires concerne, d’une part, le régime de forfait en jour et, d’autre part, le régime de la « journée de solidarité ».


En ce qui concerne le système du forfait en jours et de la rémunération des heures supplémentaires

A – Argumentation des parties

1. Le syndicat auteur de la réclamation

69.         La CGT souligne d’abord que les salariés soumis au régime de forfait en jours continuent à ne pas bénéficier des règles attachées à la durée légale et notamment au paiement à un taux majoré des heures supplémentaires. Elle indique que la loi du 20 août 2008 n’a pas modifié cette situation.

2. Le Gouvernement défendeur

70.         Le Gouvernement pour sa part soutient que, depuis la loi du 31 mars 2005 sur l’organisation du travail dans l’entreprise, il est prévu qu’un salarié soumis au forfait en jours qui, aux termes d’une convention individuelle, travaille au-delà de 218 jours, parce qu’il renonce à des jours de congés, perçoit un salaire majoré en contrepartie de ce temps de travail supplémentaire. La loi du 20 août 2008 prévoit que la majoration doit être au moins égale à 10%. En outre, le recours juridictionnel prévu à l’article L 3121-47 garantit le respect du droit à bénéficier d’une rémunération équitable.

B – Appréciation du Comité

71.         Le Comité note qu’en substance la législation en vigueur n’a pas modifié la situation des salariés soumis au régime de forfait en jours sur l’année quant à la rémunération des heures supplémentaires. Il rappelle donc les constats qu’il a faits dans le cadre de précédentes réclamations soulevant cette question et qui l’ont conduit à conclure que la situation était contraire à l’article 4§2 (CFE-CGC c. France, réclamation no 9/2000, décision sur le bien-fondé du 16 novembre 2001, §45 ; CFE-CGC c. France, réclamation no 16/2003, décision sur le bien-fondé du 12 octobre 2004, §§57-59). Il lui revient d’examiner si les modifications résultant de la loi du 20 août 2008 sont de nature à conduire à une modification de son appréciation de la situation.

72.         L’article 4§2 admet des exceptions au droit à une rémunération majorée pour les heures supplémentaires effectuées. Le Comité a précisé que ces exceptions peuvent concerner certaines catégories de fonctionnaires ou de cadres et qu’elles doivent être peu nombreuses (Conclusions IX-2 p 38).

73.         Le Comité constate que, par leur nombre et la nature des fonctions qu’ils exercent, les cadres et autres salariés assimilés n’entrent manifestement pas dans les exceptions visées par l’article 4§2. Dès lors, ils doivent bénéficier du droit prévu par cet article.

74.         Or, le Comité estime que les heures de travail effectuées par les salariés soumis au système de forfait en jours qui ne bénéficient, au titre de la flexibilité de la durée du travail, d’aucune majoration de rémunération, sont anormalement élevées. Le fait qu’une majoration de la rémunération soit désormais prévue pour les jours travaillés correspondant aux jours de congés auxquels le salarié soumis au système de forfait en jours a renoncé, n’apparaît pas comme suffisant au regard du paragraphe 2 de l’article 4. Dans ces conditions, une période de référence d’un an est excessive.

75.         Par conséquent, le Comité dit que la situation est contraire à l’article 4§2 de la Charte révisée.

En ce qui concerne le régime de « journée de solidarité »

A – Argumentation des parties

1. Le syndicat auteur de la réclamation

76.         La CGT considère que cette loi impose un travail non rémunéré. En effet, en contrepartie de ce « travail » supplémentaire (équivalent à une journée ou à sept heures), le salarié ne perçoit aucune rémunération.

77.         Selon la CGT, cette loi va au-delà de l’exception, admise par la Charte révisée, « de certains cas particuliers ». En effet, cette loi a pour champ d’application tous les salariés.

78.         Par ailleurs, la loi n°2008-351 du 16 avril 2008, qui a modifié les modalités concernant ce « travail supplémentaire non rémunéré », ne modifie pas la règle litigieuse : le salarié doit effectuer un « travail supplémentaire non rémunéré ».

79.         Le code du travail, recodifié au 1er mai 2008, a modifié le texte initial et prévoit désormais (article L.3133-7-1°) : « une journée de travail supplémentaire non rémunérée ». Cette nouvelle rédaction introduit une confusion : quand le « travail non rémunéré » est imposé un jour férié (par exemple, le lundi de Pentecôte), le salarié, en application des textes internes sur la mensualisation (loi n° 78-49 du 19 janvier 1978 et accord national interprofessionnel du 10 décembre 1977), est rémunéré pour cette journée comme s’il n’avait pas travaillé. Mais en application de la loi précitée du 30 juin 2004, il n’est pas rémunéré pour les « heures de travail supplémentaires » qu’il a dû effectuer.

80.         Pour toutes ces raisons, la CGT considère que la législation interne sur la « journée de solidarité », en imposant un travail non rémunéré, constitue une violation de la Charte révisée. »

2. Le Gouvernement défendeur

81.         Le Gouvernement rappelle que le principe d’une journée de solidarité a été introduit par l’article 2 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 et a été codifié à l’article L. 3133-7 du code du travail, lequel dispose que « la journée de solidarité, instituée en vue d'assurer le financement des actions en faveur de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées, prend la forme […] d'une journée supplémentaire de travail non rémunérée pour les salariés.


82.         En premier lieu, comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans sa décision du 6 septembre 2006, eu égard à la nature et au degré de charge supplémentaire de travail prévue par la loi du 30 juin 2004, les dispositions de l’article 4 de la Charte sociale européenne, en vertu desquelles les Etats parties s’engagent à « reconnaître le droit des travailleurs à une rémunération suffisante pour leur assurer, ainsi qu’à leur famille, un niveau de vie décent » ne sont pas méconnues.

83.         Il revient au Comité de vérifier le caractère disproportionné ou non des restrictions à ces droits (Conseil Quaker pour les affaires européennes c. Grèce, réclamation n° 8/2000, décision sur le bien-fondé du 25 avril 2001, §23). En l’espèce, il n’apparaît pas que la non-rémunération de 7 heures de travail supplémentaires (sur 1600 heures annuelles), au titre d’une obligation civique de solidarité envers les personnes âgées et les personnes handicapées, puisse constituer une restriction disproportionnée au droit du travailleur à une rémunération suffisante.

84.         En second lieu, aux termes de l’article L. 3133-10 du code du travail : «  Le travail accompli, dans la limite de sept heures, durant la journée de solidarité ne donne pas lieu à rémunération :

1° Pour les salariés mensualisés dans cette limite de sept heures ;

2° Pour les salariés dont la rémunération est calculée par référence à un nombre annuel de jours de travail conformément à l’article L. 3121-45, dans la limite de la valeur d’une journée de travail. » Il découle de cet article que les salariés non mensualisés sont rémunérés normalement pour le travail effectué cette journée, et le cas échéant en tenant compte des majorations pour heures supplémentaires.

85.         S’agissant des salariés mensualisés, leur rémunération n’est en rien modifiée par la création d’une journée de travail supplémentaire par rapport aux années précédentes. Ils ne subissent aucune perte de salaire en travaillant une journée supplémentaire puisqu’en vertu de l’article 3 de l’accord national interprofessionnel du 10 décembre 1977 annexé à la loi de mensualisation, ils percevaient déjà une rémunération intégrant le paiement du jour férié chômé. »

B – Appréciation du Comité

86.         Le Comité rappelle que, dans la décision sur la recevabilité, il n’a pas considéré que les allégations de la CGT au titre de l’article 4§1 étaient motivées. Par conséquent, la seule question posée relative à la journée de solidarité est celle de la conformité à l’article 4§2.

87.         Le Comité considère que l’instauration d’une journée de solidarité s’analyse en l’obligation faite aux salariés d’une journée de travail sans rémunération spécifique ce qui signifie, dans le cadre d’une rémunération mensualisée, des heures de travail additionnelles sans majoration de rémunération.

88.         Le Comité estime que cette restriction à l’article 4§2 est prévue par la loi, poursuit le but légitime de protéger la santé publique d’une partie vulnérable de la population, et est proportionnée au but recherché.

89.         Par conséquent, le Comité dit qu’il n’y a pas de violation de l’article 4§2 de la Charte révisée.


CONCLUSION

90.         Par ces motifs, le Comité conclut :

-        à l’unanimité, qu’il y a violation de l’article 2§1 de la Charte révisée :

         - au titre du système de  forfait en jours sur l’année,

         - au titre des astreintes ;

-        à l’unanimité, qu’il y a violation de l’article 2§5 de la Charte révisée, eu égard aux conséquences en matière de jour de repos hebdomadaire de l’assimilation des périodes d’astreinte à des périodes de repos ;

-        à l’unanimité, qu’il y a violation de l’article 4§2 de la Charte révisée au titre du système de forfait en jours sur l’année ;

-        à l’unanimité, qu’il n’y a pas violation de l’article 4§2 de la Charte révisée du fait de l’instauration de la journée de solidarité non rémunérée.


ANNEXE

Décision sur la recevabilité



European Committee of Social Rights

Comité européen des Droits sociaux

DECISION SUR LA RECEVABILITE

30 mars 2009

Confédération générale du travail (CGT)

c. France

Réclamation n° 55/2009

Le Comité européen des Droits sociaux, comité d’experts indépendants institué en vertu de l’article 25 de la Charte sociale européenne (« le Comité »), au cours de sa 235e session où siégeaient :

Mme   Polonca Končar, Présidente

MM.      Andrzej SWIATKOWSKI, Vice-Président

Colm O’CINNEIDE, Vice-Président

            Jean-Michel BELORGEY, Rapporteur Général

Mme   Csilla KOLLONAY LEHOCZKY

M.        Lauri LEPPIK

Mmes Monika SCHLACHTER

            Birgitta NYSTRÖM     

Lyudmilla HARUTYUNYAN

MM.      Alexandru ATHANASIU

Luis JIMENA QUESADA

Rüçhan IŞIK

Petros STANGOS

Mme   Jarna PETMAN

                       

Assisté de M. Régis BRILLAT, Secrétaire exécutif


Vu la réclamation datée du 14 janvier 2009, enregistrée le 21 janvier 2009 sous le n° 55/2008, présentée par la Confédération générale du travail (« la CGT » ) et signée par son Secrétaire Général, M. Bernard THIBAULT, tendant à ce que le Comité déclare que la situation de la France n’est pas conforme aux articles 2§§1 et 5, 4§§1 et 2, ainsi qu’à l’article 11§§1 et 3 de la Charte sociale européenne révisée (« la Charte révisée »);

Vu les documents annexés à la réclamation ;

Vu la Charte révisée, et notamment l’article 2§1 et §5 et l’article 4§2 ainsi libellés :

Article 2  –  Droit à des conditions de travail équitables

                        Partie I : « Tous les travailleurs ont droit à des conditions de travail équitables».

Partie II : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties s'engagent :

1.                     à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l’augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent ; (…) »

5.                à assurer un repos hebdomadaire qui coïncide autant que possible avec le jour               de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du                    pays ou de la région;

(…) »

Article 4  –  Droit à une rémunération équitable

Partie I : « Tous les travailleurs ont droit à une rémunération équitable leur assurant, ainsi qu’à leurs familles, un niveau de vie satisfaisant ».

Partie II : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à une rémunération équitable, les Parties s'engagent :

2.                     à reconnaître le droit des travailleurs à un taux de rémunération majoré pour les heures de travail supplémentaires, exception faite de certains cas particuliers ;

(…) »

Vu le Protocole additionnel à la Charte prévoyant un système de réclamations collectives  (« le Protocole ») ;

Vu le Règlement du Comité adopté le 29 mars 2004 lors de la 201ème session et modifié le 12 mai 2005 lors de la 207ème session et le 20 février 2009 lors de la 234ème session (« le Règlement ») ;

Après avoir délibéré le 30 mars 2009 ;

Rend la décision suivante, adoptée à cette date :


1.            La CGT, se référant en particulier à la loi sur la réforme du temps de travail n° 2008-789 du 20 août 2008 (Journal Officiel de la République française du 21 août 2008), allègue que :

         -le régime relatif à la durée du travail annuel viole le droit à une durée du travail          raisonnable garanti par l’article 2§1 et l’article 4§2 de la Charte révisée;

         - le régime des astreintes viole le droit à une durée du travail raisonnable garanti   par l’article 2§1 de la Charte révisée raisonnable et le droit au repos garanti par            l’article 2§5 de la Charte révisée;

         -le régime de la « journée de solidarité » et le régime relatif à la durée du travail      annuel viole le droit  à une rémunération équitable garanti par l’article 4§2 de la    Charte révisée.

2.         La réclamation contient également des allégations relatives à l'article 11§§1 et 3 et à l'article 4§1 de la Charte révisée.

EN DROIT

3.         Le Comité observe que, conformément à l’article 4 du Protocole, texte que la France a ratifié le 7 mai 1999 et qui a pris effet pour cet Etat le 1er juillet 1999, la réclamation a été déposée sous forme écrite et concerne les articles 2§1 et 4§2 de la Charte révisée, dispositions acceptées par la France lors de la ratification de ce traité le 7 mai 1999 et à laquelle elle est liée depuis l’entrée en vigueur de ce traité en ce qui la concerne le 1er juillet 1999.

4.         En outre, la réclamation est motivée en ce qui concerne l'article 2§§1 et 5 et l'article 4§2. En revanche, aucune motivation n’est présentée en ce qui concerne les allégations de violation des articles 11§§1 et 3 et 4§1.

5.         Exerçant ses activités en France, la CGT est une organisation syndicale qui relève de la juridiction de cet Etat conformément à l’article 1 c) du Protocole.

6.         Le Comité a déjà considéré que la CGT est une confédération représentative des syndicats dans le cadre de la procédure de réclamations collectives (CGT c. France, réclamation n ° 22/2003, décision sur la recevabilité du 9 février 2004, §5). Il confirme cette décision puisqu'aucun changement significatif n'a eu lieu depuis.

7.         En outre, la réclamation déposée au nom de la CGT est signé par M. Bernard THIBAULT, habilité à la représenter, conformément à l'article 38 des statuts de la CGT, devant les tribunaux, tant nationaux qu’internationaux. Le Comité considère, par conséquent, que la réclamation satisfait à l’article 23 de son Règlement.  

8.         Par ces motifs, sans qu’il soit nécessaire d’inviter le Gouvernement défendeur à présenter des observations sur la recevabilité (article 6 du Protocole et article 29§3 du Règlement) le Comité, sur la base du rapport présenté par Mme Birgitta NYSTRÖM et sans préjuger de sa décision sur le bien-fondé de la réclamation,

DECLARE LA RECLAMATION RECEVABLE EN CE QUI CONCERNE L’ARTICLE 2§§1 ET 5 ET L’ARTICLE 4§1 ET IRRECEVABLE POUR LE SURPLUS

En application de l’article 7§1 du Protocole, charge le Secrétaire exécutif d’informer de la présente décision l’organisation auteur de la réclamation et l’Etat défendeur, de la communiquer aux Parties au Protocole et aux Etats ayant fait une déclaration au titre de l’article D du paragraphe 2 de la Charte révisée, et de la rendre publique.

Invite le Gouvernement à lui soumettre par écrit avant le 12 juin 2009 un mémoire sur le bien-fondé de la réclamation.

Invite la CGT à lui soumettre dans un délai qu’il fixera une réplique au mémoire du Gouvernement.

Invite les Parties au Protocole et les Etats ayant fait une déclaration au titre de l’article D du paragraphe 2 de la Charte révisée à lui transmettre avant le 12 juin 2009 les observations qu’ils souhaiteraient présenter.

En application de l’article 7§2 du Protocole, charge le Secrétaire exécutif d’informer les organisations internationales d’employeurs ou de travailleurs visées à l’article 27§2 de la Charte en les invitant à formuler des observations avant le 12 juin 2009.



[1] Il est rappelé qu’en application de l’article 8§2 du Protocole, le présent rapport ne sera rendu public qu’après l’adoption d’une résolution par le Comité des Ministres ou au plus tard à l’issue d’une période de quatre mois après sa transmission au Comité des Ministres, c’est-à-dire le 14 janvier 2011.

[2] Ce rapport peut subir des retouches de forme.