RENCONTRE 2013 DU CONSEIL DE L’EUROPE
SUR LA DIMENSION RELIGIEUSE DU DIALOGUE INTERCULTUREL
« LIBERTE DE RELIGION DANS LE MONDE D’AUJOURD’HUI : DEFIS ET GARANTIES »
(Erevan, 2-3 septembre 2013)
Discours de S. Mohammed MOUSSAOUI,
Président d’honneur du Conseil Français du Culte Musulman
Tout d’abord, je tiens à exprimer au nom des musulmans de France toute notre reconnaissance et notre gratitude aux autorités civiles et religieuses arméniennes ainsi qu’au peuple arménien pour l’accueil chaleureux réservé à notre rencontre. Mes remerciements vont également aux organisateurs, au sein du Conseil de l’Europe, de cette rencontre à laquelle je souhaite une grande réussite.
Le Conseil de l’Europe dans sa session du 16 novembre 2009 avait réaffirmé dans ses conclusions l’attachement de l’Union Européenne à la promotion et à la protection de la liberté de religion ou de conviction et son application de façon égale à toutes les personnes et a rappelé le devoir des Etats à offrir via leurs systèmes législatif à tous des garanties suffisantes et effectives de liberté de pensée, de conscience , de religion ou de conviction.
L’assemblée générale des nations unies dans sa résolution 179 de sa 67e session du 20 décembre 2012 après avoir rappelé les textes internationaux et réaffirmé les principes fondamentaux ainsi que les orientations fournies par son comité des Droits de l’Homme en ce qui concerne la portée de la liberté de religion et de conviction, a exprimé sa profonde préoccupation par la persistance des manifestations d’intolérance et des violences fondées sur la religion et la conviction visant les minorités religieuses dans le monde entier et le peu de progrès réalisés pour ce qui est de l’élimination de cette intolérance. Cette intolérance se trouve parfois, malheureusement tolérée voire encouragée par les autorités de certains pays.
Qu’il me soit permis, à cette occasion, de réaffirmer notre condamnation ferme et sans réserve de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, notamment celles qui instrumentalisent la religion musulmane pour perpétrer des attentats et des violences et bafouer ainsi les principes et les valeurs fondamentales de l’islam.
Qu’il me soit permis de rappeler par la même occasion que plus de 90% des victimes du terrorisme international, sont de confession musulmane. Dès lors, l’usage abusif des termes « islamiste » ou « islamisme » qui nourrit l’amalgame entre le terrorisme et l’islam porte atteinte à l’image de la foi musulmane.
Qu’il me soit permis également de souligner que le droit à la liberté de pensée ,de conscience et de religion ou de conviction doit s’appliquer partout, notamment dans le monde dit musulman. Les textes fondamentaux et les principes de la religion musulmane reconnaissent la diversité religieuse et imposent le respect de la dignité humaine, en toute égalité, notamment entre les femmes et les hommes.
Les trois Panels prévus dans le programme de cette rencontre 2013 du Conseil de l’Europe sur la dimension religieuse du dialogue interculturel doivent nous permettre de recouvrir l’essentiel des questions relatives à la liberté de religion ou de conviction et en particulier les éléments suivants :
- le droit d’avoir la religion ou la conviction de son choix, de ne pas en avoir, d’en changer ou d’y renoncer ;
- l’interdiction de toute discrimination fondée sur la religion ou la conviction ;
- la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, « individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé », par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ;
- La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la Loi, sont nécessaires à la garantie de l’ordre public, de la sécurité publique, de la santé publique ou de la morale publique, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui ;
- l’interdiction de toute contrainte contre une personne pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix ;
- l’interdiction de tout appel à la haine religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence.
La liberté de religion est intimement liée au principe de Laïcité, qui d’une façon général correspond, à un aménagement du politique où la liberté de conscience se trouve, conformément à une volonté d’égale justice pour tous, garantie par un Etat neutre à l’égard des différentes conceptions de la vie bonne qui coexistent dans la société» (Micheline Milot, 2002). La laïcité vise donc à garantir deux finalités : la liberté de conscience et de religion et son prolongement nécessaire dans l’égalité. Pour concrétiser ces deux finalités (la liberté et l’égalité), l’Etat déploie deux moyens que sont la neutralité religieuse de la puissance publique et la séparation et l’autonomie du politique et du religieux.
L’exigence de neutralité, pèse sur les fonctionnaires qui incarnent l’État et la puissance publique dans l’exercice de leurs fonctions et non sur les personnes privées. L’État doit agir dans le respect de la neutralité pour garantir aux citoyens de convictions différentes d'être traités à égalité. Mais les personnes privées ne peuvent pas être soumises à cette obligation de neutralité, car, en leur refusant de manifester leur conviction, on leur interdirait de fait l’exercice de leur liberté d’expression et leur liberté de conscience.
En France, la Loi du 9 décembre 1905 sert aujourd’hui de clef de voûte à l’édifice juridique de la laïcité française. Il suffit de voir comment s’y réfèrent toutes sortes de textes et dispositions législatives ou réglementaires.
La discussion autour de la rédaction de l’article 4 de la loi 1905, consacré à l’organisation des Eglises a donné l’occasion à Aristide Briand rapporteur de la loi d’en préciser la philosophie et les objectifs en qualifiant d’ « état de fait » la pluralité religieuse de la société française et le devoir premier du législateur de ne rien faire qui soit contraire au respect de cette pluralité.
Jaurès dira dans un compte rendu à ses électeurs : « La loi que la chambre a votée laisse la liberté à tous les cultes…, La liberté de conscience sera garantie complète, absolue ; la loi de séparation, telle qu’elle est, est libérale, juste et sage ».
Ainsi lors des débats autour du projet d’interdiction de porter la soutane dans l’espace public en 1905, Aristide Briand a opposé qu’il serait contradictoire d’interdire le port de la soutane quand on instaure, par la séparation, « un régime de liberté » et qu’avec la laïcité, la soutane devient « un vêtement comme les autres ».
Pour conclure, permettez-moi de rappeler que la promotion et la protection de la liberté de religion ou de conviction doit reposer sur plusieurs leviers dont :
1. L’inscription de cette liberté fondamentale dans les systèmes constitutionnels et législatifs des Etats.
2. Le renforcement des mesures nécessaires et appropriés pour combattre l’incitation à la haine, la discrimination, l’intolérance et les actes de violence.
3. Promouvoir dans le cadre de l’enseignement et par d’autres moyens, notamment les médias, la compréhension et le respect mutuels en encourageant l’ensemble de la société à acquérir une meilleure connaissance des différentes religions et convictions, et lutter contre les différents préjugés et stéréotypes.
4. Renforcer le dialogue entre les religions ou les convictions en l’ouvrant plus largement à tous, notamment aux jeunes, afin de promouvoir le respect et la compréhension mutuelle
.
5. Assurer par tous les moyens possibles, les différents textes et déclarations sur le respect de la liberté de religion ou de conviction et la lutte contre toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction.
Je vous remercie.
Enfin, je tiens à remercier à nouveau les autorités et le peuple arméniens ainsi que les organisateurs de cette rencontre à laquelle je souhaite un grand succès.