Conseil de l'Europe: Recommandation Rec(2000)15 sur la sécurité de résidence des immigrés de longue durée

CONSEIL DE L'EUROPE
COMITÉ DES MINISTRES

 

Recommandation Rec(2000)15

du Comité des Ministres aux États membres

sur la sécurité de résidence des immigrés de longue durée

 

(adoptée par le Comité des Ministres

le 13 septembre 2000

lors de la 720e réunion des Délégués des Ministres)

 

 

 

Le Comité des Ministres, en vertu de l'article 15.b du Statut du Conseil de l'Europe,

Considérant que le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (CEDH) et, notamment, son article 3, qui interdit la torture et les peines et traitements inhumains et dégradants, ainsi que son article 8, qui garantit la protection de la vie familiale et privée, et la jurisprudence applicable de la Cour européenne des Droits de l'Homme ;

Considérant que la sécurité de résidence des immigrés de longue durée est vitale, non seulement pour leur intégration, mais également pour la stabilité sociale des Etats membres ;

Affirmant l’importance de l’acquisition de la nationalité du pays de résidence par les immigrés de longue durée afin de faciliter leur intégration sociale ;

Considérant qu'aux fins d'assurer le processus d'intégration des principes communs aux Etats membres devraient être définis;

Prenant en considération sa Recommandation n° R (84) 9 sur les migrants de la deuxième génération ;

Prenant en considération la Recommandation 1082 (1988) de l'Assemblée relative au droit de résidence permanente des travailleurs migrants et des membres de leurs familles et la Recommandation 841 (1978) de l'Assemblée relative aux migrants de la deuxième génération ;

Considérant que des droits importants ont été étendus aux migrants et aux membres de leurs familles par le biais de la Convention européenne d'établissement (1955), de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (1977), de la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (1992), de la Charte sociale européenne révisée (1996) de la Convention européenne sur la nationalité (1997) ;

Recommande aux gouvernements des Etats membres d’appliquer les principes suivants dans leurs législation et pratique administrative :

1. Concernant l’acquisition d’un statut de résidence sûr par les immigrés de longue durée

a

. Les Etats membres devraient reconnaître comme « immigré de longue durée » tout étranger qui :

i. réside légalement et habituellement depuis au moins cinq ans et au maximum depuis dix ans sur son territoire, autrement qu'en qualité exclusive d'étudiant pendant toute cette période ; ou

ii. a été autorisé à résider sur son territoire en permanence ou pour une période d’un minimum de cinq ans ; ou

iii. est un membre de famille autorisé à séjourner, depuis un maximum de cinq ans, sur le territoire de l’Etat membre aux fins de regroupement familial avec un ressortissant de l’Etat membre ou un étranger tel que défini aux alinéas i. et ii. ci-dessus.

Chaque Etat membre garde la possibilité de formuler des conditions outre celles retenues à l’alinéa i. ci-dessus. Chaque Etat membre reste également libre d’inclure d’autres catégories d’étrangers dans la définition d'«immigré de longue durée».

b.

Les immigrés de longue durée, tels que définis au paragraphe a ci-dessus, devraient jouir, dans l’Etat membre concerné, d’un statut de résidence sûr et bénéficier, notamment, du renouvellement des documents pertinents.

c

. Les immigrés de longue durée ne devraient pas jouir d'un traitement moins favorable que celui dont jouissent, conformément à la législation de l'Etat membre concerné, les ressortissants dudit Etat membre en matière :

- d'accès à l'emploi et à d'autres activités économiques, à l’exclusion des professions réglementées ;

- de conditions de travail ;

- de droit d’association ;

- d'affiliation et de participation active et passive à un syndicat ;

- d’accès à tous les types de logement ;

- d'assistance et de sécurité sociales ;

- de soins médicaux quels qu’ils soient ;

- d'éducation et de formation professionnelle ;

- de participation active et passive à la vie publique au niveau local ;

- de libre circulation dans le territoire de l’Etat de résidence.

2. Concernant l’acquisition de la nationalité

Chaque Etat membre devrait faciliter l'acquisition de sa nationalité par les immigrés de longue durée conformément à son droit interne.

3. Concernant les conditions de perte du statut de résidence sûr

a.

Un immigré de longue durée peut être privé du permis de résidence seulement :

i. si l’acquisition frauduleuse de ce permis, la communication de faux renseignements ou la dissimulation de toute information pertinente le concernant est prouvée ;

ii. lorsqu’il a résidé effectivement plus de six mois hors de l’Etat membre sans avoir sollicité la prolongation de ce délai ;

iii. s'il a été condamné pour de graves délits ;

iv. s'il constitue une menace grave pour la sécurité nationale de l'Etat membre.

b.

Si un permis de séjour a été accordé à un immigré de longue durée aux fins de regroupement familial lors de l’admission sur le territoire de l’Etat membre, ce statut peut être retiré, outre pour les motifs énumérés au paragraphe ci-dessus, notamment à la suite d'un divorce, d'un décès ou d'un abandon de foyer, si le membre de la famille réside dans le pays d'accueil depuis une période de moins de trois ans.

c.

Le renouvellement du permis de résidence d’un immigré de longue durée ne peut pas être refusé à cause d’un court dépassement du délai prévu pour l’introduction de la demande des papiers de résidence.

4. Concernant la protection contre l’expulsion

a.

Toute décision d'expulsion d'un immigré de longue durée devrait prendre en compte, eu égard au principe de proportionnalité et à la lumière de la jurisprudence applicable de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, les critères suivants :

- le comportement personnel de l'intéressé ;

- la durée de résidence ;

- les conséquences tant pour l'immigré que pour sa famille ;

- les liens existant entre l'immigré et sa famille et le pays d'origine.

b

. En application du principe de proportionnalité établi au paragraphe 4 a., les Etats membres devraient prendre dûment en considération la durée ou la nature de la résidence ainsi que la gravité du crime commis par l'immigré de longue durée. Les Etats membres peuvent notamment prévoir qu'un immigré de longue durée ne devrait pas être expulsé :

- après cinq ans de résidence, sauf s'il a été condamné pour un délit pénal à une peine dépassant deux ans de détention sans sursis ;

- après dix ans de résidence, sauf s'il a été condamné pour un délit pénal à une peine dépassant cinq ans de détention sans sursis.

Après vingt ans de résidence, un immigré de longue durée ne devrait plus être expulsable.

c

. Les immigrés de longue durée, qui sont nés sur le territoire d'un Etat membre ou qui y ont été admis avant l'âge de dix ans et qui y résident de manière légale et habituelle, ne devraient pas être expulsables après avoir atteint l'âge de dix-huit ans.

Les immigrés de longue durée mineurs ne peuvent faire, en principe, l'objet d'une mesure d'expulsion.

d.

Dans tous les cas, chaque Etat membre devrait pouvoir prévoir, dans sa législation interne, la possibilité d'expulser un immigré de longue durée, si celui-ci constitue une menace grave pour la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.

5. Concernant les garanties administratives et judiciaires

a

. Toute décision de retrait du permis de résidence d'un immigré de longue durée devrait prendre en compte, eu égard au principe de proportionnalité et à la lumière de la jurisprudence applicable de la Cour européenne des Droits de l’Homme concernant l’Article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, les critères suivants :

- le comportement personnel de l'immigré ;

- la durée de résidence ;

- les conséquences tant pour l'immigré que pour sa famille ;

- les liens existant entre l'immigré et sa famille et son pays d'origine.

b

. Avant de prendre la décision d'expulser un immigré de longue durée, l'autorité compétente devrait envisager des mesures alternatives (remplacement du permis de séjour permanent par un permis non permanent, par exemple).

c

. Lorsqu’une décision est prise de retirer le permis de résidence ou de ne pas renouveler un document de résidence d’un immigré de longue durée ou d’expulser un immigré de longue durée, ce dernier devrait avoir droit à la même protection juridique que celle qui est normalement accordée par la législation de l’Etat membre à ses ressortissants dans des procédures administratives.

d

. Lorsqu’une décision d’expulsion est envisagée, les garanties procédurales devraient englober, pour un immigré de longue durée, notamment le droit d’être entendu et d’obtenir une décision motivée. Elles devraient également inclure le droit de présenter un recours à cet effet et de se faire représenter devant une autorité administrative indépendante ou une cour y compétente pour juger du bien-fondé de la décision ou de sa conformité à la loi. Si la législation nationale n'accorde pas d'effet suspensif au recours, une demande de suspendre l'exécution d'une décision d’expulsion devrait être dûment examinée eu égard aux nécessités de la sécurité nationale.

6. Clauses finales

a.

La présente recommandation laisse chaque Etat membre libre de décider d'accorder un statut juridique plus favorable aux immigrés de longue durée.

b

. Les droits des réfugiés, au sens de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés du 28 juillet 1951, qui résident légalement sur le territoire d’un Etat membre, ne sont pas concernés par la présente recommandation.

c.

Les Etats membres qui n'ont pas encore ratifié la Convention européenne d'établissement (1955), la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (1977), la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (1992), la Charte sociale européenne révisée (1996) et la Convention européenne sur la nationalité (1997) sont encouragés à le faire.

 

Annexe à la Recommandation Rec(2000)15

Exposé des motifs

Concernant la section 1

(Acquisition du statut de résidence sûr par les immigrés de longue durée)

Le paragraphe c contient des dispositions faisant partie de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (articles 13, 14, 16, 18, 19 et 28), de la Convention européenne d’établissement (articles 1, 10, 17, 18 et 20), de la Charte Sociale européenne (révisée) (articles 18 et 19), de la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (articles 3 et 6) et du Protocole n° 4 de la Convention européenne des droits de l’homme (article 2).

Cependant, le paragraphe c devrait s’appliquer à tous les immigrés résidant légalement et habituellement pour une longue période de temps dans un Etat membre, tels que définis dans le paragraphe 1, au lieu de s’appliquer seulement aux personnes qualifiées de «travailleurs migrants» au sens de l’article premier de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant ou à celles qualifiées de ressortissants des Parties contractantes de la Convention européenne d’établissement résidant légalement sur le territoire des autres Parties, ou à des ressortissants des Parties contractantes à la Charte Sociale européenne (révisée) ou aux personnes qualifiées de «résidents étrangers» au sens de l’article 2 de la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local.

Le droit à la libre circulation dans le territoire de l’Etat de résidence, comme inclus au paragraphe c, doit être interprété au sens de l’article 2 du Protocole n° 4 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En ce qui concerne le paragraphe I.1. la Grèce se réserve d'appliquer son droit national L'autorisation de séjour visée au paragraphe I.1.ii) correspond en Belgique à l'autorisation d'établissement. Concernant ce même paragraphe, le Royaume-Uni se réserve d'appliquer le droit interne. L'Espagne se réserve d'appliquer le droit national en ce qui concerne l'intégralité de la section 1. De même, la République de Saint-Marin se réserve d'appliquer dans toute cette matière, son droit et ses pratiques internes.

Au paragraphe I.c., en ce qui concerne la participation active et passive à la vie publique au niveau local ainsi que la libre circulation dans le territoire de l'Etat de résidence, la Suisse se réserve d'appliquer le droit interne de l'Etat fédéral.

Conformément au droit national, l’Allemagne ne considère que les personnes qui disposent d’un permis de séjour valable comme des étrangers résidant légalement sur le territoire.

Concernant la section 2

(Acquisition de la nationalité)

Outre les dispositions des paragraphes 3 et 4 de l’article 6 de la Convention européenne sur la nationalité, chaque Etat membre devrait faciliter l’acquisition de sa nationalité pour tous les immigrés résidant légalement et habituellement pour une longue période de temps dans un Etat membre, tels que définis dans le paragraphe a de la section 1.

Des exemples de mesures adoptées en vue de faciliter l’acquisition de la nationalité figurent dans le Rapport explicatif concernant le paragraphe 4 de l’article 6 de la Convention européenne sur la nationalité.

La République de Saint-Marin se réserve d'appliquer, dans toute cette matière, son droit et ses pratiques internes.

Concernant la section 3

(Les conditions de perte du statut de résidence sûr)

Outre les dispositions du paragraphe 5 de l’article 9 de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant, la section 3 de la recommandation spécifie davantage les conditions justifiant le retrait d’un permis de résidence.

Cependant, la section 3, paragraphes a à c, devrait s’appliquer à tous les immigrés résidant légalement et habituellement pour une longue période de temps dans un Etat membre, tels que définis dans la section 1 paragraphe a, au lieu de s’appliquer seulement aux personnes qualifiées de «travailleurs migrants» au sens de l’article premier de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant.

Certains Etats membres, dans leur législation ou pratique nationale, prévoient des périodes de résidence passée à l’étranger d’au-delà d’un an (alinéa ii du paragraphe a), afin de faciliter la réintégration des immigrés de longue durée après leur retour volontaire au pays d’origine.

En ce qui concerne le paragraphe 3.a.iii., la Suisse se réserve de faire application de motifs supplémentaires de privation du permis de résidence. Concernant le paragraphe 3.a.iv., la Suisse se réserve d'appliquer cette disposition également en cas d'atteinte à la sécurité nationale.

En ce qui concerne le paragraphe 3.b., le Royaume-Uni se réserve le droit d'appliquer son droit interne, qui prévoit que divorce, décès ou désertion peut affecter le statut d'immigration des membres de famille qui résident au Royaume-Uni à des fins uniquement de réunification familiale, si ces personnes sont des résidents à titre temporaire. La Suisse considère que le statut de résidence permanent correspond au permis d'établissement.

Concernant la section 4

(Protection contre l’expulsion)

Outre l’article 4 du Protocole n°. 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, les paragraphes 1 et 3 de l’article 3 de la Convention européenne d’établissement et le paragraphe 8 de l’article 19 de la Charte Sociale européenne révisée, la section 4 de la recommandation spécifie des motifs d’expulsion additionnels.

Cependant, la section 4, paragraphes a à d, devrait s’appliquer à tous les immigrés résidant légalement et habituellement pour une longue période de temps dans un Etat membre, tels que définis dans la section I paragraphe a, au lieu de s’appliquer seulement aux ressortissants des Parties contractantes à la Convention européenne d’établissement résidant légalement sur le territoire des autres Parties ou des ressortissants des Parties contractantes à la Charte Sociale européenne révisée.

Les dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant sont également à prendre en considération.

Concernant la section 4, l'Espagne se réserve le droit d'appliquer le droit national. Le Danemark se réserve le droit d’appliquer la législation nationale en ce qui concerne les paragraphes 2 et 3.

Concernant la section 4b, la Suisse se réserve le droit d’appliquer le droit national.

En ce qui concerne la possibilité d'une expulsion après vingt ans de résidence (paragraphe 4.b. 2e alinéa), le Royaume-Uni se réserve le droit d'appliquer le droit national.

Pour ce qui est du paragraphe 4.c. 2e alinéa qui vise la protection d'immigrés de longue durée mineurs : Tout en tenant particulièrement compte des intérêts des mineurs et des immigrés de deuxième génération, la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni se réservent d'appliquer le droit national.

Concernant la section 5

(Garanties administratives et judiciaires)

Outre les dispositions des articles 1 et 2 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, du paragraphe 2 de l’article 3 et de l’article 7 de la Convention européenne d’établissement, du paragraphe 7 de l’article 19 de la Charte Sociale européenne révisée, la section V de la recommandation spécifie des garanties procédurales additionnelles.

Cependant, la section 5, paragraphes a à d, devrait s’appliquer à tous les immigrés résidant légalement et habituellement pour une longue période de temps dans un Etat membre, tels que définis dans la section I paragraphe a, au lieu de s’appliquer seulement aux ressortissants des Parties contractantes à la Convention européenne d’établissement résident légalement sur le territoire des autres Parties ou aux ressortissant des Parties contractantes à la Charte sociale européenne révisée.

L'Espagne se réserve le droit d'appliquer le droit national par rapport à l'intégralité de la section 5.

La Grèce se réserve le droit d'appliquer le droit national par rapport au paragraphe c.

En ce qui concerne la possibilité de suspendre l'exécution d'une décision d'expulsion mentionnée au paragraphe 5.d. dernière phrase, la

France, la Grèce et la Belgique se réservent d'appliquer de droit national.