CCPE-GT(2011)3REV5

Strasbourg, 31 mai 2011

GROUPE DE TRAVAIL

DU CONSEIL CONSULTATIF DE PROCUREURS EUROPEENS

(CCPE-GT)

Avis N°6 du CCPE

sur les relations entre procureurs et administrations pénitentiaires

PROJET

Contributions des membres du Groupe de travail


I.          Introduction

1.            Philosophie de l’Avis

1.            Le Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE) a été créé en 2005 par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui lui a fixé pour tâche la formulation d’avis sur les questions relatives au fonctionnement des services du procureur et la promotion de la mise en œuvre effective de la Recommandation Rec(2000)19 du Comité des Ministres aux Etats membres relative au rôle du ministère public dans le système de justice pénale.

2.            Pour 2011, le Comité des Ministres a chargé le CCPE[1] d’adopter un avis à son attention sur les relations entre les procureurs et l’administration pénitentiaire, à la lumière de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes.

3.            Le CCPE a rédigé le présent avis sur la base de 25 réponses reçues des Etats membres à un questionnaire, qui démontrent clairement que la relation entre le Ministère public et les autorités pénitentiaires varient grandement dans leurs objectifs, contenu ou structure, allant de l’absence ou d’une très faible interaction, à une interaction détaillée et structurée, et /ou contrôlée par le Ministère public, y compris via des pouvoirs spécifiques.

4.            Les systèmes varient en fonction, d’une part, de la position et des tâches, des pouvoirs consentis au Ministère Public ou au procureur général prévus par la loi nationale des différents Etats Membres et, d’autre part, de la façon (externe et objective) dont est mis en place le système de surveillance et de contrôle de la légalité et de l’exécution de la détention, ainsi que des l’administration pénitentiaire dans ses divers aspects. L’histoire juridique, la culture nationale et les développements dans les différentes institutions de la Justice et des affaires intérieures au sein des différents Etats membres et dans l’Etat de droit lui-même par le passé, explique la diversité actuelle.

5.            Cela va de soi que dans n’importe quel Etat de droit, un système bien équilibré d’exécution et de contrôle doit être instauré notamment lorsque cela concerne la privation de liberté exécutée par l’Etat. Cela implique également que, dans le cadre de l’exécution de la détention, des mécanismes de surveillance et de contrôle appropriés doivent être mis en place. Le ministère Public doit toujours s’assurer que la peine privative de liberté est exécutée conformément aux exigences des Droits de l’Homme. Cette question est réglée au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe de différentes manières.

6.            De ce fait, une importance particulière doit être accordée aux fonctions du Ministère public concernant le contrôle de la légalité de l’application des peines, aux critères imposés aux procureurs concernant les prisonniers, aux questions relatives au respect des droits et des libertés fondamentaux des personnes qui purgent leur peines ou qui sont en garde à vue ou en détention ainsi qu’aux objectifs et aux devoirs des institutions pénales.

7.            Le rôle du procureur et l’étendue de ses compétences en matière de coopération avec les institutions pénales sont fixés par la loi nationale et varient donc en fonction des Etats membres du Conseil de l’Europe.

8.            La coopération entre les procureurs et les administrations des établissements pénitentiaires est objectivement conditionnée par la nécessité, pour un Etat démocratique, de disposer d'un système de normes juridiques et d'institutions du pouvoir qui garantisse le respect des droits civils et des libertés, et veille ainsi sur les intérêts de la collectivité et de l'Etat dans le domaine de l'application des peines.

9.            C'est ce qui explique le regain d'importance des ministères publics modernes d'Europe. Les ministères publics occupent une place particulière parmi les autres organes de contrôle en raison de leur indépendance et du fait qu'ils ne sont soumis qu'à la loi dans leurs activités

10.          Les activités du procureur sont régies par le principe de l'égalité de toutes les personnes détenues et condamnées; il accomplit son travail indépendamment de considérations telles que le sexe, la race, la couleur de la peau, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, le milieu social ou toute autre considération.

11.          Dans le cadre de leur coopération avec les établissements pénitentiaires, les procureurs doivent principalement veiller à la légalité de l'enfermement des personnes dans les lieux de privation de liberté ou de détention provisoire. Conscients de leur pouvoir en matière de protection des droits des personnes qui purgent une peine, les procureurs doivent veiller à ce que la privation de liberté se déroule uniquement dans des conditions et une ambiance morale conformes aux normes correspondantes de respect de la dignité humaine.

12.          Le procureur, qu’il ordonne ou demande une détention basée sur une détention légale rendue par toute autorité judiciaire compétente ou tout autre autorité impliquée dans la privation de liberté, est toujours dans une position de représentant ou de gardien de l’intérêt public et de la justice et est autorisé sinon obligé par les principes de l’équité, d’assurer d’une part, des contrôles, des garanties, des régulateurs et des provisions qui respectent non seulement les conditions de détention mais aussi le détenu conformément aux standards des droits de l’Homme et d’autre part, que ces règles soient mises en œuvre et respectées de la meilleure façon possible au quotidien.

13.          A cet égard, il est alors d’importance cruciale que tous les Etats membres, par une autorité impartiale, objective et professionnelle    (par exemple, en dehors de l’Administration pénitentiaire), mettent en place, de manière structurée et contrôlée périodiquement, un organe de surveillance ou un mécanisme de contrôle de l’exécution des peines privatives de liberté. Ce suivi et  contrôle peuvent être confiés à l’autorité de poursuites ou aux procureurs,  en leur conférant tous les pouvoirs dont ils auront besoin pour exécuter ces tâches de manière effective ;  S’ il n’y a pas d’indépendance, ils peuvent également être confiés à une instance extérieure à l’Administration pénitentiaire, qui détiendrait un véritable pouvoir de décision tout en possédant des prérogatives suffisantes et adéquates pour s’acquitter de ses obligations.

14.          L'objectif du présent avis est d'évaluer le statut, la pratique et la vaste expérience des ministères publics de la plupart des Etats membres du Conseil de l'Europe dans leurs activités de coopération avec les établissements pénitentiaires, d'élaborer les principes qui doivent régir la tâche des procureurs quand ils contrôlent la légalité de l'exécution des peines et de la détention, et de formuler des propositions en vue de développer et d'améliorer ces activités.

2.            Documents de référence

15.          Pour élaborer le présent Avis, le CCJE a tout particulièrement pris en compte la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes, qui énumère les règles à appliquer lorsqu’un Etat membre décide de placer un individu en détention (Principes fondamentaux, conditions de détention, santé, bon ordre, direction et personnel, inspection et contrôle, prévenus, détenus condamnés)[2].

16.          Le CCPE s'est également inspiré de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH). Le CCPE souligne notamment l’importance de rester l’article 3 de la CEDH énonçant l’interdiction de la torture[3] et l’interdiction des traitements inhumains et dégradants[4], l’article 8 (respect de la vie privée et familiale)[5] et l’article 13 (droit à un recours effectif)[6].

 

3.            Buts de l’Avis

17.          L’enfermement des personnes détenues, soit provisoirement, soit en raison d’une condamnation, contiendra toujours le risque, dans une entité fermée, que ne soient pas respectés les droits de l’homme les plus élémentaires.

18.          Les procureurs des pays membres du Conseil de l’Europe sont concernés à des degrés divers par l’enfermement des personnes qui sont soupçonnées d’avoir commis des infractions ou qui sont condamnées pour les avoir commises.

19.          Le CCPE, en traitant des relations entre les procureurs et l’administration pénitentiaire, vise les objectifs suivants :

·                sensibiliser tous les membres du ministère public au sort des personnes détenues afin qu’ils remplissent pleinement le rôle que les lois nationales leur assignent en la matière ;

·                faire l’état du lieu des différentes interventions des procureurs à l’égard des personnes détenues grâce à l’envoi d’un questionnaire précis sur la question ;

·                évaluer les interventions des procureurs afin de déterminer la plus value apportée par rapport à l’intervention d’autre corps ou services ;

·                déterminer les domaines d’action permettant de contrôler la vie dans les prisons et le respect de la loi et des droits de l’homme, de favoriser l’amendement des condamnés et leur réinsertion dans les meilleures conditions possibles dans la société ;

·                mettre en lumière les principes fondamentaux et les mesures concrètes définies dans la Recommandation Rec(2006)2 afin d’en améliorer la connaissance et d’en assurer un plus grand respect par toute autorité concernée et en particulier par les procureurs.

4.        Champ d’application de l’Avis

20.          Le CCPE a décidé d’utiliser pour le présent Avis le même champ d’application que celui de la Recommandation Rec(2006)2 sur les Règles pénitentiaires européennes, à savoir qu’il s’applique « aux personnes placées en détention provisoire par une autorité judiciaire ou privées de liberté à la suite d’une condamnation ». Ces personnes sont, de manière générale détenues dans une prison, mais pas systématiquement. Les autres catégories de personnes détenues dans une prison sont également concernées par le présent Avis.

21.          Les autres formes de détention s’appliquant à d’autres catégories de personnes, non mentionnées ci-dessus, ne sont pas concernées par le présent Avis mais mériteraient à elles seules un autre Avis ultérieur.

II.        Description des différents systèmes juridiques et des diverses compétences des procureurs en matière pénitentiaire (Analyse des réponses au questionnaire)

22.          Dans près de la moitié des 25 Etats membres qui ont répondu au questionnaire, le contrôle sur les établissements pénitentiaires fait partie des missions du ministère public. Par contre, les procureurs de la plupart des Etats n'ont que des pouvoirs limités pour veiller à la protection des droits des personnes séjournant dans les lieux de privation de liberté ou de détention provisoire.

23.          Les compétences des procureurs varient fortement d'un État à l'autre: elles vont d'un contrôle général sur les établissements pénitentiaires à des pouvoirs de contrôle individuels en matière de privation de liberté ou de détention provisoire. De ce point de vue, les Etats membres peuvent être répartis en trois grands groupes: (1) ceux où le ministère public contrôle les établissements pénitentiaires; (2) ceux où les procureurs disposent d'un pouvoir de contrôle limité sur les lieux de privation de liberté et de détention provisoire; (3) ceux où le procureur n'a aucun pouvoir dans les domaines susmentionnés.

24.          Dans les pays où les procureurs ont tout pouvoir en matière de contrôle de l'application des lois par les administrations qui gèrent les établissements pénitentiaires et de sûreté, les centres de détention préventive et les autres lieux de privation de liberté et par les autres instances chargées de l'application des peines et des mesures de sûreté, ils veillent également au respect des droits et obligations des détenus et des personnes condamnées ou soumises à des mesures de sûreté ou de contraintes.

25.          Pour déceler et corriger rapidement les violations de la loi à l'égard des personnes qui purgent leur peine ou ont été arrêtées, le procureur dispose de pouvoirs relativement étendus: il peut procéder à des contrôles indépendants dans les établissements pénitentiaires; demander aux administrations de créer des conditions propices au respect des droits des détenus et des personnes arrêtées, condamnées ou soumises à des mesures de sûreté; vérifier la conformité des ordres, règlements et résolutions des administrations des établissements pénitentiaires avec le droit national.

26.          La législation de certains Etats membres exige que les procureurs effectuent des contrôles réguliers dans les établissements pénitentiaires. La fréquence de ces contrôles varie d'un pays à l'autre, et va de visites journalières à un contrôle tous les trois mois. Certains pays ne réglementent pas le nombre de contrôles, et se limitent à recommander au procureur de procéder à une éventuelle inspection. Les contrôles peuvent donner lieu à un rapport, un rapport officiel de synthèse (déclaration) ou à une action en justice sur les violations constatées, qui doivent être adressés au directeur de l'établissement contrôlé et à l'administration compétente, le cas échéant.

27.          Dans nombre de pays, le principal moyen de garantir la légalité est de conférer à un procureur le droit de visiter à tout moment les lieux de privation de liberté et de sûreté. Ces visites offrent au procureur l'occasion de se familiariser avec les documents, de vérifier les conditions de détention des personnes et d'avoir des entretiens libres et confidentiels avec les personnes condamnées.

28.          Dans certains pays, la fréquence des rencontres des procureurs avec les personnes détenues dans les établissements pénitentiaires est fixée par la loi; dans d'autres, les procureurs ont l'obligation de rencontrer individuellement les détenus à intervalles réguliers; dans un troisième groupe de pays, les visites sont motivées par une réclamation ou une déclaration des personnes condamnées. Les requêtes des condamnés au procureur peuvent être motivées par une violation alléguée de leurs droits de personne détenue ou arrêtée, mais il peut aussi s'agir de demandes d'une autre nature, comme le transfert d'un condamné dans une autre prison pour garantir sa sécurité.

29.          Dans les pays qui confèrent au ministère public des pouvoirs limités de contrôle sur les établissements pénitentiaires, il n'est pas exclu que les condamnés puissent coopérer avec le procureur. En outre, dans ces pays, l'initiative d'une telle demande est souvent prise par le condamné ou la personne arrêtée, qui affirme être victime de traitements cruels ou d'autres violations des droits de l'homme. En règle générale, l'absence de loi régissant ces rencontres n'exclut pas le droit pour le procureur d'avoir, si nécessaire, un entretien confidentiel avec un détenu.

30.          Dans pratiquement tous les Etats où le ministère public dispose d'un pouvoir de contrôle sur les lieux de privation de liberté et de détention, le procureur peut, s'il constate des violations des droits de l'homme, exiger que les fonctionnaires fournissent des explications, suspendre l'exécution des ordres et décisions illégaux de l'administration des établissements et annuler les sanctions infligées en violation de la loi. S'il constate qu'une mesure ou une instruction des administrations des institutions d'application des peines et des autres mesures de sûreté, le procureur est autorisé à demander le réexamen ou même, en toute indépendance, à suspendre la validité de la disposition illégale. Dans de nombreux pays qui confèrent de larges pouvoirs au ministère public, le procureur peut immédiatement faire libérer toute personne détenue sans motif légal dans les établissements d'application des peines, ou dont l'arrestation ou la détention provisoire n'est pas conforme à la loi.

31.          Une violation des droits de l'homme pendant une peine de privation de liberté ou une mesure de sûreté justifie une intervention du procureur pour la faire cesser. L'efficacité et la nature de l'intervention du procureur face aux agissements des administrations d'établissements pénitentiaires varient d'un Etat membre à l'autre. Dans plusieurs pays, le procureur qui constate une violation des droits de l'homme dans un lieu de privation de liberté ou de détention provisoire lance une enquête indépendante qui conduit, le cas échéant, à engager la responsabilité disciplinaire, administrative ou pénale des fonctionnaires mis en cause. Il convient de noter que les procureurs sont habilités à réagir aux violations de droits de l'homme dans les établissements pénitentiaires, même dans les pays qui ne lui accordent pas un pouvoir de contrôle étendu sur les lieux de privation de liberté et de détention provisoire.

32.          Dans la plupart des Etats membres, les procureurs ne disposent pas de pouvoirs indépendants pour prendre des mesures disciplinaires contre les fonctionnaires coupables. S'ils constatent une violation disciplinaire lors d'un contrôle, ils peuvent saisir l'organisme national compétent pour sanctionner, le cas échéant, le personnel des lieux de privation de liberté et de détention provisoire. Seuls quelques pays donnent au procureur le droit de prendre des mesures à l'encontre des personnels dont ils constatent les fautes disciplinaires.

33.          Le procureur a des pouvoirs nettement plus étendus en cas d'infraction pénale constatée dans un établissement pénitentiaire. Face à une telle situation, la plupart des pays donnent au procureur le droit d'engager des poursuites pénales et de mener une enquête indépendante. Dans pratiquement tous les Etats membres, le procureur est habilité à enquêter sur les atteintes à la personne humaine commises dans les établissements pénitentiaires. Si l'on signale le décès inopiné d'un détenu ou des crimes commis à l'encontre d'un détenu, ou par un détenu à l'encontre d'une autre personne purgeant une peine ou du personnel pénitentiaire, le procureur doit intervenir. En outre, la législation de la plupart des pays confère au procureur le droit de mener une enquête indépendante ou de confier l'affaire criminelle aux organismes d'enquête tout en conservant un droit de contrôle sur l'enquête.

34.          Certains pays prévoient que si une violation des droits de l'homme de détenus ou de personnes placées en détention provisoire par l'administration d'un établissement est avérée, le procureur est fondé à engager des poursuites et à demander réparation des dommages dans le cadre d'un procès au civil.

35.          Dans les pays qui confèrent au ministère public un droit de contrôle sur les établissements pénitentiaires, les parquets jouent un rôle important dans la surveillance de la conformité des conditions de détention aux normes du droits international et aux recommandations du Conseil de l'Europe. Dans la plupart des pays, la fréquence des contrôles à réaliser sur les conditions de détention est fixée par la loi et va de contrôles hebdomadaires dans certains pays, à des visites programmées quatre fois par an dans d'autres. De même, la plupart des Etats prévoient un contrôle ad hoc de l'établissement pénitentiaire en cas de plainte formulée par un condamné ou un prisonnier sur ses conditions de détention.

36.          Même s'il peut dénoncer des irrégularités dans le traitement d'un condamné, le procureur n'a, dans la plupart des Etats membres, aucun pouvoir sur le budget des établissements pénitentiaires.

37.          Dans certains pays, le procureur a des pouvoirs supplémentaires. Il peut ainsi décider du calcul de la durée d'une peine; il participe aux discussions sur le transfert des condamnés; il peut imposer des restrictions sur les conditions de vie d'un condamné pour assurer la sécurité; il rend les décisions autorisant, le cas échéant, les détenus à quitter les établissements pénitentiaires en cas d'urgence; il invite les médecins des diverses spécialités à examiner, si nécessaire, les personnes privées de liberté ou placées en détention. Dans divers pays qui donnent au procureur des pouvoirs limités en matière de contrôle sur les établissements pénitentiaires, le procureur dispose d'un droit d'examen des faits pour définir les conditions de traitement des personnes placées en détention, y compris leur degré d'isolement et les limites à fixer à leurs contacts et à leur utilisation des moyens de communication.

38.          Dans quelques Etats, les pouvoirs du procureur en matière de contrôle sur les établissements pénitentiaires ne couvrent que les lieux où les détenus et les gardés à vue résident. En outre, le procureur est compétent pour vérifier les documents qui confirment la légalité de la détention provisoire, pour visiter ces établissements à tout moment et pour communiquer librement avec les personnes détenues. De plus, certains Etats confèrent également au procureur un droit de rendre des décisions sur l'arrestation et la mise en détention provisoire et de participer aux décisions sur la nécessité de prendre des mesures spéciales pour protéger pendant leur détention provisoire les personnes qui sont en danger en raison de leur appartenance à des organisations criminelles.

39.          Dans la plupart des pays, le procureur est indépendant des autres instances de l'Etat dans ses activités de contrôle de la légalité des incarcérations. Cependant, dans pratiquement tous les Etats où le ministère public appartient à un système centralisé et unique, les procureurs sont soumis à l'autorité du procureur général dans l'exercice de leurs fonctions.

40.          Certains parquets interviennent dans les décisions relatives à une grâce. Dans le cadre de telles procédures, les procureurs sont très souvent appelés à exprimer leur avis sur le bien-fondé d'une telle grâce à l'égard d'une personne condamnée. Les procureurs de plusieurs Etats ont également le pouvoir de contrôler la légalité de l'exécution des décisions d'amnistie et de grâce.

41.          Une grande importance est accordée aux activités des parquets dans le domaine de la libération conditionnelle anticipée de détenus. En la matière, le rôle du procureur ne se limite généralement pas à introduire une demande de libération conditionnelle anticipée et à l'élaboration, à l'attention du tribunal, de la déclaration suggérant la possibilité d'accorder une libération conditionnelle anticipée: certains pays lui permettent de participer aux réunions de la commission compétente et aux audiences sur la libération conditionnelle anticipée, ainsi que de contrôler la légalité de la libération.

42.          Dans de nombreux Etats membres, le ministère public est habilité à faire appel des décisions des tribunaux relatives à l'application des peines (condamnation). Au cours de l'examen de telles affaires, les procureurs peuvent participer aux audiences avec une possibilité d'y soumettre des documents, de déposer des motions, etc.

43.          Les lois de plusieurs pays réglementent la coopération des représentants du ministère public avec le médiateur (pour les droits de l'homme). Dans la plupart des Etats, cette coopération comporte deux volets: d'une part les informations présentées dans les rapports du médiateur, qui peuvent servir de base aux contrôles réalisés par les procureurs et, d'autre part, les conclusions des procureurs concernant leurs efforts pour faire éliminer les violations des droits de l'homme dans les lieux de détention, qui sont soumises au médiateur. Dans certains pays, le parquet est en contact avec des organismes publics qui surveillent et contrôlent le respect des droits de l'homme dans les lieux de privation de liberté.

44.          Force est de constater que le fait de confier au ministère public des pouvoirs en matière de contrôle de la légalité dans les établissements pénitentiaires constitue une solution plus avantageuse et plus bénéfique que les autres types de contrôle. Pour protéger les droits de l'homme dans les lieux de privation de liberté, le procureur dispose d'un large éventail de possibilités et de moyens d'action face aux violations de la loi. Dans ses activités, le procureur est généralement indépendant d'autres organes de l'État, ce qui lui laisse une grande marge de manœuvre dans ses décisions. En outre, dans la définition du rôle du ministère public en matière de protection des droits de l'homme, il convient de prendre en compte les traditions et l'expérience de cette institution dans le domaine du contrôle de la légalité.

45.          Les représentants du ministère public de plusieurs Etats regrettent ce manque de pouvoirs de contrôle sur les établissements pénitentiaires, et se sont déclarés prêts à examiner les propositions visant à étendre les compétences des procureurs.

III.           Le rôle du procureur  

A.           L’emprisonnement des personnes et l’exécution des peines

46.          L’exécution d’une peine d’emprisonnement, qu’elle soit le fait d’une autorité judiciaire ou administrative, aboutit à la privation d’un droit fondamental de l’individu : celui de la liberté.

47.          Cette grave conséquence justifie que soient prises les plus grandes précautions pour que cette peine :

·                     soit exécutée en temps non prescrit en raison soit d’une condamnation définitive soit d’une décision provisoire rendue par une autorité judiciaire légale et indépendante ;

·                     soit fixée avec précision quant à sa nature et/ou sa durée conformément à la décision rendue ;

·                     ait été portée à la connaissance de la personne incarcérée tant dans son fondement que dans ses modalités.

48.          Au cours de l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de la détention provisoire, il importe qu’à tout moment, une autorité indépendante de la direction de l’établissement pénitentiaire concerné, soit garante de la légalité de la peine.

49.          Toute autorité compétente pour exécuter la peine, en particulier dans les Etats où la compétence de mettre les peines à exécution est confiée au procureur :

·                     doit veiller particulièrement, non seulement à vérifier que toutes les conditions légales sont remplies pour mettre la peine à exécution, mais aussi que la peine soit exécutée dans le respect de la dignité humaine. Sauf circonstance particulière justifiée par l’urgence (risque de fuite ou motif de sécurité), elle veillera notamment à ce que le condamné dispose du temps nécessaire à organiser son séjour en prison ;

·                     sera attentive à disposer d’un service d’exécution des peines performant et suivant attentivement la situation de chaque détenu de manière à ce que celui-ci ne puisse à aucun moment demeurer privé de liberté sans être couvert par une décision judiciaire ;

·               veillera aussi à répondre avec célérité à toute interrogation du détenu lui-même ou de ses avocats ou de l’administration pénitentiaire quant à l’exécution de la peine et à produire tout document ou pièce utile à justifier sa position ;

·         traitera et transmettra sans délai à l’autorité compétente toute demande pouvant affecter l’exécution de la peine (recours en grâce, demande de libération…).

B.           La détention provisoire

50.          La détention préventive préalablement au procès dans les affaires pénales doit respecter les exigences de la CEDH et doit être justifiée par la nécessité de présenter la personne concernée devant les instances compétentes sur la base de raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis une infraction, ou par des motifs raisonnables de supposer qu'il est nécessaire d'empêcher cette personne de commettre une infraction ou de l'empêcher de se soustraire à la justice après l'infraction.

51.          Lors de l'arrestation d'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction, le procureur doit avoir le pouvoir de contrôler la légalité de la décision prise ainsi que le respect de la loi lors de l'arrestation.

52.          Quand des mesures préventives d'incarcération sont prises conformément à une décision de tribunal, le procureur doit disposer d'une possibilité de vérifier la légalité de la demande présentée au tribunal par les services chargés des enquêtes préliminaires, et de contester toute décision qui lui semblerait illégale ou infondée, de contrôler l'exécution de ces mesures et de veiller au respect des conditions de détention.

53.          Le procureur devrait également être compétent pour contrôler le respect, par les services chargés des enquêtes, des droits des détenus tels qu'ils sont protégés par la CEDH et par le droit national (tels que le droit de connaître le motif de sa détention, le droit de prévenir ses proches de sa détention, le droit à la défense, y compris d'être défendu par un avocat, etc.), et avoir le pouvoir de faire cesser les violations constatées et de faire rendre des comptes aux personnes coupables de les avoir commises.

54.          Le contrôle assuré par le procureur couvre notamment le respect des conditions de détention pendant la garde à vue. S'il constate que la garde à vue d'une personne excède la durée normale, le procureur a le droit de la faire libérer et de prendre des mesures pour faire répondre de leurs actes les personnels responsables de cette violation des exigences de la loi.

C.           Le régime de détention et la resocialisation des personnes condamnées

1.            Regime de Détention

55.          La mise en détention ne peut avoir lieu que si elle respecte la dignité des personnes privées de leur liberté et que si elle limite les effets nocifs de l'emprisonnement, tout en ne mettant pas en péril la protection nécessaire de la société.

56.          La loi doit garantir les droits des personnes privées de liberté et doit respecter les  Règles pénitentiaires européennes et d'autres documents internationaux pertinents. Les conditions de détention, contenues dans les Règles pénitentiaires européennes (telles que les règles de répartition, d'hébergement, d'hygiène, de nutrition, de soins de santé, d'habillement, de travail, de formation, de liberté de pensée, de loisir), doivent être garanties par les lois pertinentes nationales.

57.          En règle générale, les hommes devraient toujours être séparés des femmes, les détenus mineurs[7] des détenus adultes, les détenus souffrant de troubles mentaux ou du comportement devant également être détenus séparément, tout comme certains autres groupes de détenus nécessitant un traitement spécial. Les capacités d'hébergement devraient d'autre part être respectés.

58.          Les détenues doivent pouvoir garder leurs enfants afin qu'ils puissent s'occuper d'eux pendant qu'ils purgent leur peine.

59.          Le recours à la force, à des armes, à des instruments de contrainte, à des mesures spéciales doit être utilisé en dernier recours dans les cas prévus par la loi pertinente.

60.          Les principes énoncés ci-dessus devraient également être appliqués pour les accusés qui n'ont pas encore été condamnés et qui sont soumis à un régime de détention provisoire. Ainsi, durant la détention, l'accusé ne peut être soumis à ces restrictions que si elles sont nécessaires pour atteindre l'objectif de la détention, pour le respect des règles pénitentiaires et de sécurité. La dignité humaine doit être respectée et l'accusé ne peut être soumis à des pressions physiques ou mentales.

61.          Les Règles pénitentiaires européennes énoncent, en tant que principe, que toutes les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme et que toutes les prisons doivent faire l'objet d'une inspection gouvernementale régulière et d’un contrôle indépendant. Mais elles ne mentionnent pas le rôle et la position du ministère public dans le cadre du régime de la détention (ni sur la position et la compétence du ministère public dans les prisons ou dans d’autres lieux de détention).

62.          La protection des droits de l'homme des personnes privées de liberté doit être la base commune de l'activité du ministère public, indépendamment du fait que les Règles susmentionnées ne réglementent pas la capacité et la compétence du ministère public dans le domaine pénitentiaire. ???

63.          Même si dans la majeure partie des Etats membres, l'administration pénitentiaire est chargée de l'exécution des peines de prison, le rôle du ministère public est important pour la surveillance de la conformité à la réglementation au sein des « centres ou lieux de détention »[8]  et le respect des droits de l'homme des personnes privées de leur liberté.

64.          Si le ministère public a la capacité de contrôler le respect de la réglementation au sein des  "centres et lieux de détention", il doit pouvoir:

a)            inspecter régulièrement les installations de détention à tout moment de la journée,

b)            examiner les documents, les dossiers, les ordres écrits et les résolutions,

c)            discuter avec les personnes privées de liberté sans la présence d'autres personnes,

d)            demander des explications pertinentes aux employés des lieux de détention,

e)            vérifier la légalité des procédures et résolutions émises par les instances éducatives concernant les soins et la protection, ainsi que des ordonnances et des résolutions de l'administration pénitentiaire concernant la détention préventive ou la sentence,

f)              s’assurer du respect de la législation applicable dans les divers lieux de détention,

g)             libérer une personne dont la détention st contraire à la loi.

65.          En cas de violation grave des dispositions légales lors de la détention, un procureur public peut réagir en exigeant le respect strict de la réglementation applicable, indépendamment des coûts supplémentaires que cela pourrait entraîner. La demande doit être adressée à l’instance pénitentiaire concernée (généralement le directeur de la prison).

66.          Il convient de souligner que les procureurs ne sont pas responsables de l'organisation de la prison et des autres lieux de détention et que le pouvoir de contrôle du ministère public ne vient pas empiéter sur l’obligation de contrôle qui appartient à l'administration pénitentiaire ou à d’autres autorités compétentes.

67.          La protection pleine et effective des droits des personnes qui relève des compétences du ministère public en matière non pénale permet un maintien cohérent des droits de l'homme et des libertés.

2.            Re-socialisation des délinquants

68.          D'après Aristote, l'homme est par nature un être politique. Une société se compose d'individus. Ainsi, comme un être vivant qui souhaite se maintenir en vie, elle attend des diverses personnes qui constituent ses cellules qu'elles s'améliorent, s'adaptent à leur environnement et tirent parti des opportunités et des libertés qu'il offre.

69.          Les statistiques sur la criminalité et les criminels vont inévitablement augmenter si les personnes qui forment la société ne parviennent pas à s'adapter à la société existante et à mener leur vie sans causer du tort aux autres, et ne comprennent pas qu'elles profitent des moyens de la société et qu'elles doivent respecter la propriété d'autrui.

70.          Un crime est un acte personnel de rébellion contre les règles définies par la société. Ces règles sont établies par la société pour être respectées, et doivent être acceptées au seul motif qu'elles existent. Elles intègrent un impératif moral. Par conséquent, une longue tradition de définition de règles existe au sein de toutes les sociétés. Ces dernières disposent des moyens et des pouvoirs nécessaires pour les faire appliquer.

71.          L'obéissance aux règles rationnelles fixées par la société s'apparente, par son caractère impératif, à une obligation à laquelle toute personne doit se soumettre si elle souhaite bénéficier des services de cette société.

72.          Il est exceptionnel que l'on puisse bénéficier des services d'une société sans travailler en échange, et cette possibilité n'est prévue que pour les personnes souffrant d'une faiblesse ou d'une incapacité. Le fait de profiter des services d'une société sans apporter sa contribution en échange est généralement considéré comme un crime.

73.          Le crime est une forme d'exploitation des êtres humains, de l'environnement ou de la société.

74.          Si les sociétés ne peuvent éviter les dérives criminelles, prennent des formes qui les accentuent ou ne peuvent dissuader les individus de commettre des crimes, elles en seront à la fois les victimes et les causes.

75.          La hausse de la criminalité révèle que la vie sociale se dégrade et que la société est en déclin, c'est-à-dire malade.

76.          Depuis l'abandon des traitements injustes, les sociétés modernes considèrent que le fait de punir par une incarcération constitue un traitement contre cette maladie.

77.          Les sociétés ne peuvent réagir aux agissements des criminels par la vengeance parce que cette dernière est un de leurs fruits. Elles se trouvent donc dans l'obligation de les corriger, d'apporter des remèdes par le biais du système judiciaire.

 

78.          La réinsertion dans la société constitue le principal objectif des sanctions, y compris de l'incarcération.

79.          Les sanctions visent à faire prendre conscience aux criminels que leurs agissements sont incompatibles avec la société et qu'il ne faut pas récidiver.

80.          La prise de conscience n'est pas un processus involontaire; elle doit s'appuyer sur les conditions et les moyens prévus à cet effet.

81.          La réinsertion des criminels dans la société nécessite l'intervention de personnels expérimentés.

82.          Dans la mesure où le procureur s'intéresse à un criminel dès sa première infraction et continue de le suivre pendant les différentes phases de la procédure pénale et, généralement, même pendant l'exécution de la peine, il est bien placé pour jouer un rôle équilibré en vue de sa réinsertion dans la société.

83.          La protection de la sécurité et de l'existence pacifique des membres de la société est une nécessité. Cela suppose un suivi des criminels non seulement pendant les phases judiciaires de la procédure pénale, mais également après celle-ci, afin qu'ils ne récidivent pas.

84.          Cela suppose de mettre en place suffisamment d'établissements, de moyens et d'organisations pour assurer la réinsertion des criminels.

85.          Si le criminel comprend que le suivi de la société se poursuit après son incarcération, cela peut dissuader de commettre de nouvelles infractions.

86.          Il est nécessaire d'élaborer de nouvelles lois, plus efficaces, afin de persuader les criminels que les sanctions ne constituent pas une vengeance de la société, mais un moyen de les éduquer, un traitement individuel visant à effacer les conséquences de leurs méfaits pour eux-mêmes et pour autrui.

87.          Les sociétés doivent réformer leurs institutions judiciaires de manière à concentrer les efforts sur la réinsertion des criminels et sur la prévention de la criminalité, au lieu de se limiter à arrêter les délinquants. L'ensemble des institutions concernées au niveau des Etats, des communes et de la société civile doivent être repensées du point de vue de cet objectif.

88.          La réinsertion des criminels a également des implications pour le respect de la dignité humaine et du principe de l'État social.

89.          Il convient d'offrir aux criminels la perspective de mener une vie responsable, et de les soutenir dans leurs efforts pour transformer leur mode de comportement grâce à leur volonté personnelle.

90.          Les conditions de détention doivent être repensées pour les rendre conformes à l'objectif de réinsertion des personnes condamnées. Les lieux de détention ne doivent pas être envisagés comme des lieux sombres et isolés dans lesquelles seuls les besoins vitaux sont satisfaits. Des centres éducatifs conçus pour modifier les comportements doivent être mis en place.

91.          Les sanctions disciplinaires prises au sein de ces installations devraient uniquement viser à rendre plus sociables les personnes condamnées. Le refus de participer à des programmes thérapeutiques en vue d'une réinsertion ne devrait pas être sanctionné par des mesures disciplinaires, mais la participation à ces programmes devrait être récompensée.

92.          Pour que les personnes condamnées puissent croire qu'une vie sans criminalité est possible et que l'État agit dans leur intérêt elles doivent constater, avant la fin de leur peine, que les instances judiciaires leur préparent de meilleures conditions de vie sur le plan économique et matériel.

93.          Les personnes condamnées doivent avoir l'assurance qu'après leur libération, la société les acceptera comme des personnes dotées d'une bonne formation, possédant un vrai métier et capables de faire preuve de maîtrise de soi et de critiquer leurs propres mauvais comportements à l'issue de leur processus de réinsertion. Il ne suffit donc pas d'éduquer les personnes condamnées. Il faut également sensibiliser les autres citoyens, à l'extérieur des prisons, à l'utilisation de nouveaux moyens judiciaires de réinsertion dans la société.

94.          Le droit pénal, la procédure pénale et les lois relatives à l'application des peines devraient être envisagés par les autorités judiciaires comme une nouvelle “procédure de socialisation” et non comme un simple moyen d'appliquer des sanctions.

95.          Il faut parer autant que possible aux éventuelles sous-cultures parallèles qui peuvent compromettre la réinsertion sociale.

96.          La réinsertion des détenus doit inspirer tous les aspects de leur traitement. Les efforts pour assurer la réinsertion sociale ne sont pas incompatibles avec la nécessité de protéger la sécurité de la société; au contraire, ils y contribuent.

97.          La nouvelle conception des détenus, qui les envisage comme des individus socialement faibles qu'il convient d'accompagner grâce à une thérapie personnalisée, peut donner à la société l'espoir d'accueillir une nouvelle personne après de sa libération.

98.          L'amélioration des nouveaux systèmes de prisons ouvertes, y compris l'application des peines dans des maisons, est une des possibilités.

99.          Les thérapies individuelles ou de groupe, les thérapies d'agression, la résolution des conflits interpersonnels, les programmes éducatifs et les changements de rôle sont autant de formes de soutien psychologique permettant de remodeler la personnalité des condamnés.

100.       L'univers des prisons ne doit pas être dominé par les agents de sécurité; le personnel thérapeutique qui prépare la voie de la réinsertion sociale doit y jouer un rôle de premier ordre.

101.       Tout en veillant à ne pas engendrer un processus d'oppression, une certaine autonomie doit être autorisée dans l'organisation des détenus afin qu'ils puissent continuer de ressentir qu’ils sont une personne humaine.

102.       Les revenus des détenus qui travaillent dans des ateliers des services pénitentiaires ne doivent pas être maintenus à un niveau trop faible afin que ces personnes aient la perspective de réunir les conditions économiques nécessaires pour se construire un nouvel avenir.

103.       L'éducation, le traitement ou la thérapie doivent être, autant que possible, personnalisés et non superficiels, parce qu'ils sont potentiellement capables de transformer bien plus facilement l'esprit des détenus.

104.       Un détenu doit être encouragé s'il consent personnellement des efforts en vue de sa réinsertion.

105.       Etant donné l'expérience pénale que les procureurs acquièrent au fil de leur carrière, ils pourraient en faire profiter les enseignants, les thérapeutes, les formateurs, et les professionnels, etc. qui participent à la reconversion du détenu en un nouvelle personne et contribuent ainsi à la prévention de la criminalité future.

106.       Là où la possibilité existe, les procureurs pourraient assumer le rôle de coordinateurs du processus de réinsertion sociale, car les réponses au questionnaire du CCPE indiquent que, dans de nombreux pays, ceux-ci disposent d'un grand pouvoir pour intervenir dans l'intérêt des condamnés pendant l'application des peines.

107.       Il est communément admis que les traitements correctifs permettent de diminuer le taux de récidive. Le contrôle et l'assistance ne sont donc pas incompatibles avec un système carcéral orienté sur la réinsertion.

108.       Le processus de réinsertion peut être facilité par des programmes d'intervention spéciaux et personnalisés visant à supprimer les agissements criminels.

109.       Les Règles minima des Nations Unies pour l'élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) déclarent: “Les autorités compétentes ont à leur disposition une vaste gamme de mesures de substitution concernant l'application des peines en vue d'éviter l'incarcération et d'aider le délinquant à se réinsérer rapidement dans la société.”

 

110.       Les programmes existants de réinsertion sociale qui ont une approche générale ne parviennent pas induire des changements positifs dans le comportement des personnes condamnées, ni à faciliter leur réinsertion. Chaque détenu devrait faire l'objet d'une démarche personnalisée.

111.       L'incarcération ne devrait pas constituer le début d'un processus d'isolement et d'aliénation des personnes condamnées.

112.       L'application des peines doit être ouverte sur le monde extérieur afin de pouvoir contribuer au processus de réinsertion sociale. Il existe de nombreuses possibilités à cet effet: augmenter les contacts avec des membres de la famille, permettre aux détenus d'utiliser les nouvelles technologies de communication et d'accéder aux services et installations de réinsertion sociale des collectivités locales, augmenter le nombre de travailleurs sociaux et de psychologues en milieu carcéral, etc.

113.       L'aménagement des installations carcérales d'un même secteur de manière à ce que, en fin de peine, les règles de la prison puissent être aussi proches que possible de celle du monde extérieur constitue une autre option adoptée par certains pays.

114.       Une autre méthode utile en vue de la réinsertion sociale consiste à permettre aux détenus de travailler dans des ateliers extérieurs à la prison pendant la journée.

115.       L'on peut également envisager que les détenus qui font des progrès grâce aux programmes thérapeutiques puissent, après leur libération, bénéficier d'un crédit leur permettant de s'adapter à la vie à l'extérieur de la prison.

116.       Une autre option consiste à désigner au moins un agent de liaison pour chaque détenu libéré, chargé de surveiller le processus de réinsertion et d'intervenir le cas échéant.

117.       Certains détenus n'ont aucun logement qui les attend à leur sortie de prison; la mise en place de refuges pour ces personnes peut faciliter leur réinsertion sociale.

118.       La réinsertion des détenus peut également être facilitée si les agences pour l'emploi accordent une priorité aux personnes condamnées.

D.           Reactions to offenses/breaches of law in prisons (criminal and disciplinary matters) (H. RANGE)

1.                    Offenses committed by prisoners

-           Instruments/means available to prosecutors in order to prevent such offences

2.                    Offences committed against prisoners

E.            L’administration pénitentiaire

119.       Le procureur devrait vérifier annuellement si les recommandations du Conseil de l’Europe, et en particulier celles du Comité européen de prévention de la torture (CPT), sont respectées en matière de conditions de détention[9].

120.       Lorsque le procureur constate une violation de ces recommandations, il la signale aux autorités compétentes. Si la réponse, après une nouvelle inspection, est que l’on ne peut remédier aux carences par manque de ressources, le procureur doit, en raison des moyens que la loi lui fournit/principe d’opportunité, prendre des mesures à l’encontre de ceux qui ont le pouvoir décisionnel, en vue de garantir ces ressources. Dans de nombreux Etats, le Procureur général, à l’occasion du Rapport annuel présenté au Parlement, doit souligner cet état de fait aux membres du Parlement responsables du budget. Le Rapport annuel du Procureur général, y compris les points critiques, est publié, ce qui va mettre en évidence l’importance des carences qui ont été constatées.

121.       Conformément aux points 71 et 72 de la Recommandation, les prisons doivent être placées sous la responsabilité des autorités publiques qui doivent traiter tous les détenus avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à tout être humain. Le personnel doit exercer son travail en respectant des normes professionnelles et personnelles élevées pour exercer une influence positive sur les détenus et susciter leur respect. Si la direction ou un membre du personnel ne respecte pas pleinement les dispositions des règles pénitentiaires européennes, le procureur est obligé de prendre des mesures proportionnelles à la gravité de la situation. Afin de mettre rapidement un terme à la violation de la règlementation, le procureur dispose d’un pouvoir d’injonction (instruction) lorsqu’il constate la violation de droits de l’homme ou d’une loi spécifique. Le procureur est obligé de relâcher toute personne détenue sans décision légale ou pour une période plus longue que celle prévue dans la décision.

122.       Outre ces mesures, dans plusieurs Etats, le procureur peut, en fonction de la gravité du manquement constaté, initier une procédure disciplinaire, administrative ou pénale ou une action en dommages et intérêts contre des fonctionnaires ayant appliqués la peine privative de liberté, reconnus responsables d’un comportement illégal et contraire aux règles pénitentiaires européennes ou d’une négligence ou suspectés d’une telle responsabilité.

123.       Pour les cas dans lesquels les droits fondamentaux font l’objet de restrictions, même par la loi ou suite à une décision, la plus grande protection possible doit être apportée aux abus de pouvoir ou à la violation des droits de l’homme. Si l’Etat applique une restriction des droits, la légalité de son application doit être contrôlée par le procureur.

124.       Le procureur chargé du contrôle de la légalité de l’exécution des sanctions, contrairement à d’autres organes de contrôle, doit effectuer les tâches découlant de l’Etat de droit sous deux aspects. D’une part, il doit assurer les droits des détenus afin qu’ils ne soient pas, dans leur situation spécifique, moins bien traités que comme la loi le prévoit; d’autre part, il doit protéger le reste de la société en assurant que la sanction est exécutée conformément à la loi.

125.       Le contrôle de légalité par le procureur, par le biais d’inspections au moins deux fois par mois, établissant les faits, les dispositifs de poursuite spécifiques, les enquêtes et autres autorisations de contrôle, vise à assurer la protection de la situation juridique des détenus (protection des droits, réaffirmation ou respect des obligations), tout en garantissant le cadre constitutionnel de l’autorité de sanction de l’Etat. Ceci diffère d’une inspection interne conduite par des personnes impliquées et éventuellement impliquées dans la suppression de la violation de la loi, ou d’une inspection par une ONG externe qui, n’ayant d’expérience ni dans la conduite d’affaires pénales, ni dans l’application quotidienne de la justice pénale, d’instruments statutaires d’exécution de sanctions ou de recommandations européennes, n’est donc pas en position de résoudre immédiatement des difficultés juridiques en cours.

126.       Les tribunaux, quant à eux, ne peuvent traiter que d’affaires qui lui sont soumises. Le procureur qui contrôle la légalité, au contraire, est proche du lieu de détention, visite régulièrement les locaux, peut agir immédiatement et bénéficie d’une grande tradition, expérience et de moyens appropriés. Il s’agit d’une réelle protection juridique, bien meilleure qu’une inspection réalisée par des non-professionnels (que ce soit par des agences internes ou étrangères), sans grande responsabilité.

127.       La garantie d’une procédure adéquate constitue une caractéristique importante des droits fondamentaux et, étant l’un de ses principaux éléments, il est justifié que le procureur puisse agir comme protecteur des droits fondamentaux, notamment dans le domaine des poursuite et de l’exécution des sanctions. L’action du procureur englobe le processus complet des poursuites pénales : du début de la procédure à l’assistance post-détention de l’ex-prisonnier. L’action du procureur est également importante pour veiller à ce que l’efficacité des étapes précoces ne soient pas mises en cause par ce qui se fait aux stades ultérieurs de la procédure pénale.

F.            La remise en liberté des détenus

128.       L’objectif de la réhabilitation et de la réintégration sociale des détenus, généralement assurées par le droit pénal et les systèmes pénitentiaires modernes, établissent les devoirs des autorités publiques (ou de l’Etat) d’attribuer les punitions et les mesures pénales nécessaires menant à la rééducation du détenu pour que celui-ci ait la capacité et la volonté de respecter le droit pénal.

129.       Dans cette optique, une fois que la sanction pénale imposée a été purgée par le criminel, les autorités pénitentiaires ou l’Etat ne peuvent pas l’ignorer ; au contraire, ils doivent faciliter son accès, lorsque c’est nécessaire, aux ressources de la communauté et aux avantages, de manière à ce qu’il/elle puisse reconstruire une vie en liberté dans des conditions qui décourageront toute reprise d’activités criminelles.

130.       Cela pose le problème des criminels devant être relâchés, mais qui, suite à une étude faite par une équipe technique multidisciplinaire, démontre que le criminel présente une grande chance de récidive, notamment lorsqu’il/elle a été responsable d’infractions sexuelles, de crimes de terrorisme ou qu’il/elle est lié à des groupes criminels organisés. Dans de tels cas , il est souhaitable d’instaurer des mécanismes institutionnels, à la demande du Ministère public, et de fournir une réponse qui soit conforme et compatible avec la CEDH.

3.                Conclusions



[1] 1099ème réunion des Délégués des Ministres (23 novembre 2010).

[2] Voir également les Recommandations N° R(89) 12 sur l'éducation en prison, N° R(93)6 concernant les aspects pénitentiaires et criminologiques du contrôle des maladies transmissibles et notamment du SIDA, et les problèmes connexes de santé en prison, N° R(97)12 sur le personnel chargé de l'application des sanctions et mesures, N° R(98)7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, N° R(99)22 concernant le surpeuplement des prisons et l'inflation carcérale, Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle et Rec(2003)23 concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée.

[3] Voir notamment Selmouni c. France (n°25803/94), Aksoy c. Turquie (18 décembre 1996) et Aydın c. Turquie (25 septembre 1997).

4 Voir notamment Jalloh c. Allemagne (n°54810/00), Olswewski c. Pologne (13 novembre 2003), Labita c. Italie (n°26772/95), Kantyrev c. Russie (21 juin 2007), Orchowski c. Pologne (n°17885/04) et Nazarento c. (29 Avril 2003).

[5]Voir notamment Vlasov c. Russie (12 juin 2008),Ostrovar c. Moldova (13 septembre 2005) et Enea c. Italie (n°74912/01).

[6]Voir notamment Kaya c. Turquie (19 février 1998) et Melnik c. Ukraine (28 mars 2006).

[7] Cf. Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures – Recommendation CM/Rec(2008)11 du Comités des ministres aux Etats Membres.

[8] Détention provisoire (lieux où sont détenus les personnes accusées, à condition que leur détention provisoire soit ordonnée) par,

·         Une peine (les prisonniers sont détenus en prison),

·         Une détention préventive (Institut de détention préventive où les prisonniers dangereux, qui ont été diagnostiqués d’une maladie mentale, sont détenus),

·         Une mesure d’éducation ordonnée par le tribunal – une éducation préventive (lieux d’éducation pour les délinquants mineurs ou pour les enfants qui ont commis un acte considéré comme un crime en temps normal qui poursuit l’acte de la justice sur les mineurs),

·          Un placement institutionnel ordonné par un tribunal (centre d’éducation, conforme au “ Family Act”, qui accueille des enfants dont l’éducation est menacée ou, pour qui aucune autre mesure n’a été effective, ou dont les parents ne peuvent pas subvenir aux besoins de l’éducation de leurs enfants pour des raisons matérielles).

[9] En vertu de la Recommandation Rec(2006)2 (point 4), “Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme.” Conformément aux politiques et pratiques issues de la Recommandation, le fait de déroger gravement à la loi n’est pas acceptable. Si de telles violations de la loi ont lieu, conformément aux points 92 et 93 de la Recommandation, il convient d’agir pour y remédier (y compris par le biais d’inspections par les procureurs).