Motifs

A. Partie générale

I. Besoin d’agir et contenu du projet

Le droit à indemnisation à l’encontre de l’État prévu dans le présent projet vise – quant à la protection juridique – à combler une lacune contraire tant aux exigences de la Loi fondamentale qu’à celles de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention). Le droit constitutionnel allemand et le droit de la Convention assurent une protection juridique dans un délai raisonnable. Lorsque ce droit est menacé ou violé les personnes concernées doivent disposer de la possibilité de faire valoir leur droit à une procédure judiciaire menée avec célérité et, dans le cas de retards déjà survenus, elles doivent également avoir la possibilité d’obtenir une compensation pour des préjudices subis. Jusqu’à présent une telle possibilité fait défaut.

1.   Le droit à la protection juridique dans un délai raisonnable ressort de l’article 19 alinéa 4 GG et du droit à saisir un tribunal pour obtenir une décision (Justizgewährungsanspruch) en vertu de l’article 20 alinéa 3 GG (BVerfGE 35, 382, 405; 60, 253, 269). Toutes les juridictions connaissent des cas – même si ceux-ci sont exceptionnels – dans lesquels ce droit à une procédure judiciaire menée avec célérité a été violé. A l’exception du recours hiérarchique et du recours constitutionnel le droit applicable ne prévoit aucune voie de recours spécifique contre la durée excessive d’une procédure judiciaire. Certes, dans des cas graves la jurisprudence admet des recours développés en partie en vertu du droit prétorien – notamment des recours extraordinaires. Cependant, la jurisprudence au sujet de la protection juridique en cas d’une durée excessive de la procédure judiciaire n’est pas uniforme et prête à confusion. Cette situation est en contradiction avec la clarté exigée par la Cour constitutionnelle fédérale (BVerfG) pour ce qui concerne les voies de recours. Selon ces exigences les voies de recours doivent être prévues par la législation et leurs conditions doivent être clairement reconnaissables par les citoyens (BVerfG, décision plénière du 30 avril 2003, BVerfGE 107, 395, 416).

La première section de la Cour constitutionnelle fédérale a expressément confirmé par sa décision rendue le 25 novembre 2008 (BVerfGE 122, 190, 202) que les recours prétoriens visant l’accélération des procédures – reconnus par la pratique seulement en partie – ne satisfont pas à l’exigence de clarté des voies de recours. A cet égard, la Cour constitutionnelle fédérale a précisé en même temps que le manque de clarté quant aux voies de recours ne produit des effets qu’à l’égard de la subsidiarité du recours constitutionnel sans toucher pour autant à l’admissibilité de tels recours. Or, le besoin de prévoir une réglementation légale en matière de protection juridique en cas de durée excessive d’une procédure judiciaire ne devient pas pour autant sans objet. Au contraire, le législateur continue à se voir confronté à l’exigence de clarté quant aux voies de recours.

2.   Pour le système juridique allemand le projet doit tenir compte en même temps de l’article 13 de la Convention dans son interprétation par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). En sa qualité de Partie contractante l’Allemagne est tenue par le droit international à observer la Convention. Les décisions de la CEDH revêtent une importance particulière pour l’interprétation du droit de la Convention en tant que droit international conventionnel car elles reflètent le stade actuel du développement de la Convention et de ses Protocoles (cf. également BVerfGE 111, 307, 319).

Abandonnant expressément sa jurisprudence antérieure la CEDH a statué pour la première fois par arrêt du 26 octobre 2000 (no 30210/96) que dans le cas d’une durée excessive des procédures judiciaires non seulement le droit garanti par l’article 6 § 1 de la Convention à une procédure équitable menée dans un délai raisonnable mais également le droit consacré par l’article 13 de la Convention à un recours effectif peut être violé. L’article 13 de la Convention garantit ainsi un recours auprès d’une instance nationale permettant à une personne concernée de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1 de la Convention, d’entendre les causes dans un délai raisonnable.

La CEDH exige que le recours interne soit effectif en cas d’une durée excessive de la procédure. Tel est le cas dès que le recours permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies (effet préventif), soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés – en particulier pour des préjudices immatériels (effet compensatoire).

Dans son arrêt du 8 juin 2006 (no 75529/01) la CEDH a constaté qu’en Allemagne les possibilités relatives à la protection juridique ne correspondent pas aux exigences prévues par l’article 6 § 1 et l’article 13 de la Convention (§ 102 suiv., notamment§ 115 suiv.). Certes, le droit prétorien est par principe de nature à satisfaire aux préalables de l’article 13 de la Convention. Or, les solutions développés en Allemagne par la pratique à défaut de voies de recours prévues par la législation ne sont pas – comme il a été exposé – solides et assez uniformes pour satisfaire à l’exigence d’un recours « effectif » au sens de la jurisprudence de la CEDH. Le droit à réparation d’un préjudice du fait de la responsabilité publique entrant en ligne de compte en vertu de l’article 839 du Code civil (Bürgerliches Gesetzbuch – BGB) à titre de compensation combiné avec l’article 34 GG se réfère également à des cas de retards illicites d’un litige et donne par conséquent lieu à réparation. Du fait de la limitation à des retards causés par la faute des juridictions et de l’exclusion des préjudices immatériels, ce droit ne satisfait cependant pas aux exigences de la Convention relatives à un recours à effet compensatoire.

3.   Selon la solution d’indemnisation prévue dans le présent projet les préjudices résultant d’une violation du droit à une procédure menée dans un délai raisonnable subis par la personne intéressée donnent lieu à réparation. La réparation couvre les préjudices matériels et – à moins que la réparation d’une autre manière ne paraisse suffisante selon les circonstances du cas d’espèce – également les préjudices immatériels. Etant donné que la loi ne doit régler définitivement que les préalables susceptibles justifiant les droits et que la réparation d’une autre manière peut s’effectuer sous des formes multiples dans la pratique, les formes d’une telle réparation d’une autre manière ne sont pas définitivement décrites dans le projet mais présupposées, notamment eu égard à la procédure pénale. Seulement deux formes de réparation sont explicitement indiquées, à savoir, d’une part, par analogie aux arrêts y afférents de la CEDH – la possibilité d’un constat de la durée excessive de la procédure par le tribunal décidant de l’indemnisation combiné avec l’exonération du demandeur des frais du litige portant sur l’indemnisation et, d’autre part, la compensation déjà pratiqué dans la procédure pénale.

4.   Selon la CEDH un recours à effet préventif constitue par rapport au recours à effet compensatoire « le meilleur remède dans l’absolu » car il empêche des violations du droit à une procédure menée dans un délai raisonnable au lieu d’une compensation a posteriori des violations (décision du 8 juin 2006, § 100). Le mécanisme d’indemnisation prévu reprend l’idée de la prévention en prévoyant un grief dénonçant un retard comme condition pour le droit à réparation. Une personne concernée par la durée excessive de la procédure judiciaire peut et doit se plaindre d’abord auprès du tribunal d’origine de la durée de la procédure avant de faire valoir son droit devant le tribunal d’indemnisation. Étant donné que le juge peut réagir à des griefs de cette nature en y remédiant et qu’il y remédiera aussi régulièrement dans des cas justifiés, cette réglementation produit un effet préventif d’accélération. Afin de limiter les charges pour la pratique judiciaire, aucune possibilité de recours n’est prévue pour les cas où il n’est pas remédié aux griefs.

5.   Lors de la conception en détail de la réglementation d’indemnisation le projet retient une solution prévoyant un juste équilibre entre les différents intérêts pertinents en l’occurrence. Une protection juridique efficace doit être assurée pour chaque justiciable, indépendamment du fait que la durée excessive de la procédure est due à la carence imputable à la juridiction ou du fait qu’il s’agit d’un problème structurel hors de l’influence de la personne en charge de l’affaire. Il n’est pas ignoré que la durée des procédures judiciaires peut aussi découler de causes structurelles. Comme le démontrent les expériences faites dans les pays européens comme par exemple en Pologne, faire valoir des droits à indemnisation démontre, le cas échéant, l’existence de problèmes et peut faire avancer l’élimination de vices structurels par les personnes qui en sont responsables. Cependant, dans des cas isolés, la durée d’une procédure judiciaire est excessive du fait également qu’un tribunal ne fait pas usage des possibilités d’accélération ou ne fait pas suffisamment avancer la procédure. La nouvelle réglementation vise à faire face à de telles situations en prévoyant généralement à titre préventif des actions en indemnisation. En outre, dans la procédure concrète le grief dénonçant un retard préalable à l’action en indemnisation a pour objectif de permettre au tribunal d’origine de procéder à un examen et d’offrir un remède. En règle générale, un tribunal voudra éviter de s’exposer au reproche manifeste d’une durée excessive de la procédure soulevé par la suite dans le cadre d’une procédure du fait d’une action en indemnisation.

      La solution retenue par le présent projet veille également à ce que le nouveau droit n’entraîne pas de charges inappropriées pour les tribunaux, car, autrement, la protection juridique connaîtrait dans l’ensemble plus de désavantages que de bénéfices. Le grief dénonçant un retard comme condition à un droit à indemnisation représente une obligation et non pas une nouvelle voie de recours. Des conséquences contre-productives ne sont donc pas à craindre. Au contraire, un tel grief dénonçant un retard concerne toujours le tribunal et le parquet saisis de la procédure et non pas d’autres instances. Une obligation de statuer formellement n’existe pas de sorte que cette solution ne donne lieu à aucun retard supplémentaire de la procédure d’origine.

6.   Le nouveau droit à indemnisation rend par principe caduques les différentes constructions quant aux recours développées par la jurisprudence (v. ci-dessus 1.) car le mécanisme d'indemnisation vise à apporter une solution définitive au problème de la protection juridique en cas de durée excessive de la procédure. Cette protection juridique devient uniforme et sera exclusivement accordée au moyen d’un droit à faire valoir en dehors de la procédure d’origine. Après l’entrée en vigueur du mécanisme d’indemnisation il n’y aura plus, sur le principe, de lacune de réglementation comme condition d’analogie. D’autres droits résultant du fait de la responsabilité publique ne sont cependant pas exclus par le nouveau mécanisme d’indemnisation.

7.   Conformément à l’article 200 de la loi sur l’organisation judiciaire (Gerichtsverfassungs-gesetz – GVG) la partie adverse est le sujet de droit de la juridiction responsable des retards de la procédure desquels résultent un droit à indemnisation. Lorsqu’un droit est invoqué au motif que la durée de la procédure devant une juridiction au niveau d’un Land avait été excessive, la responsabilité du Land est engagée ; lorsqu’une indemnisation du fait d’un retard devant une Cour fédérale est demandée, la responsabilité de la Fédération est engagée. Les dispositions précédentes s’appliquent par analogie aux parquets et aux autorités financières dans les cas prévus à l’article 386 paragraphe 2 du code fiscal.

8.   La décision sur les droits à indemnisation relève de la compétence des tribunaux de la juridiction concernée. Les tribunaux régionaux supérieurs, les tribunaux administratifs supérieurs, les tribunaux supérieurs du contentieux social et les tribunaux supérieurs du travail ainsi que dans le domaine de la juridiction financière la Cour fédérale des finances décident des droits invoqués à l’égard d’un Land. Les cours fédérales suprêmes décident des droits invoqués à l’égard de la Fédération. Les règles régissant la juridiction judiciaire sont directement déterminées par les nouvelles dispositions de la loi sur l’organisation judiciaire (GVG). Quant aux juridictions de l’ordre judiciaire ordinaire les codes de procédure pertinents ordonnent une application « par analogie » respectivement « mutatis mutandis » des règles de la GVG portant sur les voies de recours contre la durée excessive des procédures judiciaires. Il en résulte tant la répartition décrite des pouvoirs de décision que – selon la juridiction concernée – une application des différents codes de procédure aux procès d’indemnisation.