Strasbourg, le 2 août 2013

CEPEJ-SATURN(2013)8

COMMISSION EUROPEENNE POUR L’EFFICACITE DE LA JUSTICE

(CEPEJ)

RAPPORT RELATIF A LA GESTION DE LA QUALITÉ

AU SEIN DU

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE CIVIL

DE CASABLANCA

rédigé à l’issue de la réunion du 19 avril 2013


1.     CONTEXTE GENERAL ET METHODOLOGIE

Le présent rapport est une analyse qui intervient dans le cadre de la Réforme de la Justice en cours au sein du Royaume du Maroc. Il complète le rapport de la CEPEJ relatif à la gestion du temps judiciaire au sein de Tribunal de première instance (TPI) civil de Casablanca du 15 février 2013 par une analyse sous l’angle de la qualité des activités du tribunal. En ce qui concerne les renseignements généraux sur l’organisation, le fonctionnement et les ressources du tribunal, nous nous permettons de renvoyer le lecteur au rapport précité.

La question de la qualité de la justice au sein du TPI civil de Casablanca a été traitée sous la forme d’une discussion sur une sélection de points tirés de la check-list de la CEPEJ pour la promotion de la qualité de la justice et des tribunaux [document CEPEJ(2008)2, voir annexe].

2.     EXAMEN D’UNE SÉLECTION DE POINTS DE LA CHECK-LIST POUR LA PROMOTION DE LA QUALITÉ

Les chiffres en début de ligne se réfèrent au chiffre correspondant de la check-list pour la promotion de la qualité.

I. 1 + II. 1 Le nombre d’affaires dicte le nombre d’affaires attribuées à chaque juge. Les affaires sont distribuées par lots à tour de rôle parmi les juges, une fois que les compétences de chacun ont été définies dans l’assemblée générale annuelle. La répartition adoptée lors de l’assemblée générale prévoit d’emblée un remplaçant. Ceci fait qu’en cas de maladie ou d’absence, il n’y a pas besoin de réattribuer les affaires, le remplaçant a été désigné préalablement lors de l’AG.

II. 2 La loi ne permet en règle générale pas d’avoir recours à des moyens de résolution alternative du litige. Dans les affaires de crise du mariage, la médiation est proposée par le juge. Une révision législative est actuellement en cours qui prévoit l’introduction de la médiation dans les affaires civiles.

II. 3 Le Code de procédure civile applicable ne permet pas d’impliquer l’avocat dans la gestion du temps judiciaire.

Les juges sont ponctuels. Sur plainte du Président au Conseil supérieur de la magistrature, les juges non ponctuels peuvent être sanctionnés. La ponctualité fait partie de l’éthique du juge. En cas d’absence, le juge en avise le Président.

II. 4  La notification est à la charge de la partie gagnante. L’autre partie a un mois à partir de la notification pour faire appel (15 jours pour les jugements en référés)

II. 5 L’expert est nommé par le Tribunal. Ensuite court un délai de 15 jours pour payer les frais. Puis il y a un délai d’un mois pour déposer l’expertise. Une prolongation peut être demandée. Le Tribunal vérifie le respect des délais de dépôt de l’expertise par ordinateur, et la partie insatisfaite des conclusions de l’expertise peut demander une contre-expertise. Le juge a un pouvoir d’appréciation çà cet égard.

II. 6 Des statistiques des performances quantitatives de chaque juge sont établies. Les feuilles avec les statistiques de tous les juges sont distribuées aux juges du TPI. Une évaluation qualitative et quantitative de l'activité de chaque juge est communiquée aux autres juges lors de l'Assemblée générale. Bien que ces données soient révélées à tous les juges, le Président s’entretient au préalable avec chaque juge afin de discuter des résultats.

III. 1 Des guichets d’accueil existent à l’entrée du Tribunal avec du personnel spécifiquement formé (en France) à cet effet. Des brochures d’information sont disponibles. En outre, le justiciable ou son avocat peut consulter l’état de son dossier aux bornes interactives disponibles dans l’entrée du Tribunal.

Les décisions ne sont pas publiées sur le site internet car la loi ne le prévoit pas.

III. 2 Il existe des bureaux qui permettent des entretiens privés entre l’avocat et son client. Au TPI pénal de Casablanca, il y a des salles séparées pour les parties afin d’éviter des rencontres inopportunes entre l’accusé et sa victime par exemple.

III. 3 Le TPI civil de Casablanca a créé un « juge médiateur » qui assiste au besoin les justiciables. Il y en a quatre au total au sein du TPI civil de Casablanca. Ils constituent en quelque sorte un deuxième échelon de renseignements après les renseignements fournis par l’accueil.

III. 4 Les jugements sont en principe compréhensibles et motivés. La structure des jugements est donnée et s’inspire de la structure des jugements français. Lorsqu’un jugement n’est pas clair, le Président discute avec le juge concerné.

III. 5 Le TPI civil de Casablanca présente son rapport de gestion annuel à la presse.

Les bornes interactives permettent au justiciable ou à son avocat de connaître à tout moment l’état de sa procédure.

Des réunions régulières sont organisées avec les huissiers de justice, les avocats, la faculté de droit en fonction des sujets d’actualité pour le Tribunal (par exemple conférence sur la responsabilité médicale)

III. 6 Aucune évaluation de la satisfaction n’a été effectuée récemment.

D’après le Président, on arrive à détecter les faiblesses dans le fonctionnement du tribunal par l’inspection annuelle, l’inspection générale (tous les 3-4 ans) et les échanges réguliers avec les autres acteurs de la justice.

IV. 1 En ce qui concerne l’évaluation des juges, le Président dispose des formulaires du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui comprennent les données personnelles du juge sur la première page et les critères à apprécier sur la 2e page. Au-delà de la subjectivité de certains critères, il faut noter que l’intéressé ne voit pas son appréciation, mais qu’il peut seulement déduire qu’il n’a pas rempli certains critères s’il ne progresse que lentement dans sa carrière. La promotion éventuelle est communiquée à l’intéressé par le CSM.

IV. 2 Voir réponse au point III.5.

V. 1 Le TPI ne dispose d’aucun budget propre même pour les dépenses de formation continue ou de relations publiques. Le Président souhaiterais pouvoir disposer d’un budget propre pour faire face à certaines dépenses de fonctionnement telles que organisation de manifestation continue (conférences, tables rondes, activités de formations internes au TPI, relations publiques).

3.      Bilan en matière de qualité fondé sur l’analyse de la check-list pour la promotion de la qualité

D’une façon générale, on peut relever la très bonne qualité des politiques et processus mis en place au sein du TPI civil de Casablanca. Beaucoup de pratiques énumérées ci-dessus peuvent servir d’exemples pour d’autres tribunaux.

Néanmoins, les points suivants ne sont pas ou pas totalement réalisés :

a)     II. 2 Absence d’utilisation des modes de règlements alternatifs des litiges dans le cadre de la procédure judiciaire : La loi ne prévoit pas la possibilité de recourir aux moyens alternatifs de résolution des conflits en matière de juridiction administrative.

Proposition adressée au Ministère de la Justice et des Libertés

Une révision législative est actuellement en cours qui prévoit l’introduction de la médiation dans les affaires civiles. C’est pourquoi il est proposé de mener la révision en cours à son terme.

b)    II. 3  Absence d’accord sur le calendrier de la procédure : Ce point a déjà été évoqué dans le cadre de l’analyse des délais de procédure.

Proposition adressée au Ministère de la Justice et des Libertés : Examiner l’opportunité d’introduire dans les codes de procédure civile et pénale la fixation d’une audience dans les jours suivant l’enregistrement de l’affaire, en coopération avec les parties, pour fixer la durée de la procédure et les délais nécessaires à la préparation de l’audience principale.

c)     III. 1 Absence de publication des décisions sur internet

Selon le Président du TPI civil de Casablanca, la loi ne prévoit pas la publication des décisions des tribunaux sur internet.

Proposition adressée au Ministère de la Justice et des Libertés

Régler sur le plan national de la publication sur internet des décisions des tribunaux.

A cet effet, il convient de prendre en considération notamment les éléments suivants pour définir une politique cohérente de publication :

-    But de la publication sur internet : Transparence de la justice ou mise à disposition de jurisprudence de principe. Dans le premier cas, il faut publier le 100% des décisions et sous une forme non anonymisée ; dans le deuxième cas, il suffit de publier les décisions de principe de la Cour constitutionnelle, de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat voire des cours d’appel.

-    Outils de recherche : Si le but recherché est la transparence de la justice, une liste journalière ou hebdomadaire des décisions rendues suffit ; si le but est la recherche de précédents, un moteur de recherche dans le texte intégral éventuellement complété par une recherche par métadonnées (noms des parties, date de décision, nom du tribunal, matière juridique voire indexation par article du droit ou par mots-clés) doivent être prévus.

-    Moment de la mise en ligne : Les arrêts doivent-ils être mis à disposition du public sur internet au moment où elles sont notifiées aux parties ou plus tard par exemple une semaine plus tard, afin d’être sûr que les parties ont pu prendre connaissance des décisions les concernant.

-    La jurisprudence en ligne doit-elle être mise à disposition gratuitement ou de façon onéreuse ?

d)    III. 6 Absence d’évaluation

Proposition adressée au Président du TPI et au Ministère de la Justice et des Libertés : Dans le cadre du projet de la Banque Mondiale, il est proposé d’effectuer une enquête de satisfaction des usagers au sein du TPI civil de Casablanca comme expérience pilote effectuée en même temps que dans les autres tribunaux référents de la CEPEJ (TPI de Sidi Kacem et TA d’Agadir).

e)     IV.1 Participation dans le cadre du processus d’évaluation des magistrats

Les critères d’évaluation sont connus ; ils sont parfois assez subjectifs (intelligence des personnes évaluée, rumeurs concernant sa réputation, façon de s’habiller) ; l’évaluation selon ces critères est destinée au Conseil supérieur de la magistrature ; le magistrat évalué reçoit parfois une promotion du Conseil supérieur de la magistrature et, au vu de ce courrier, peut en déduire le niveau de son évaluation. Il s’agit d’un processus qui s’inscrit dans la logique d’un style de conduite autoritaire. La personnalité du Président du tribunal peut atténuer le caractère autoritaire de ce processus par les dialogues qu’il mène tout au long de l’année et plus particulièrement avant l’assemblée générale avec les magistrats qui dépendent de lui.

Actuellement, les entreprises et les administrations optent toujours plus pour des processus relevant d’une conduite coopérative ou participative qui, si elle demande parfois un investissement initial plus important, augmente notablement la motivation des personnes évaluées.

Propositions adressée au Ministère de la Justice et des Libertés en matière d’évaluation des magistrats :

-    Revoir les critères d’évaluation des magistrats de manière à les rendre le plus objectif possible ;

-    Remplacer le processus d’évaluation actuel par un processus impliquant davantage la personne évaluée (processus coopératif ou participatif), au minimum lui donner la possibilité de s’exprimer sur son évaluation.

Remarques :

-    Un processus participatif n’implique pas qu’il y a obligatoirement un accord entre l’évaluateur et la personne évaluée sur l’appréciation des critères d’évaluation. Mais la divergence d’opinion peut être constatée.

-    Le processus d’évaluation actuel de nature plutôt autoritaire peut être mis en œuvre de façon participative et les magistrats évalués sont alors très motivés

-    Un processus coopératif ou participatif d’évaluation peut être mis en œuvre de façon purement formelle et peut ne déboucher sur aucun dialogue véritable. Dans le cas les magistrats sont démotivés.

-    En conséquence, un point central est de nommer à des postes de présidents de tribunaux des personnalités qui déjà naturellement savent adopter un comportement de conduite de nature à motiver les personnes avec qui elles travaillent. Ensuite, la formation aux méthodes d’évaluation est également importante.

f)      V.1 Absence de budget pour les petites dépenses courantes

Proposition au Ministère de la Justice et des libertés : Etudier la possibilité de délocaliser une partie du budget du Ministère de la Justice jusqu’à l’échelon du tribunal afin de couvrir certaines dépenses spécifiques (dont la liste exhaustive devra être établie) afin de contribuer à l’amélioration du fonctionnement de ces tribunaux. Ce point pourra faire l’objet d’un projet spécifique de la CEPEJ au Maroc.

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