Strasbourg, le 9 décembre 2005                                                            CEPEJ(2005) 11

COMMISSION EUROPéENNE POUR L’EFFICACITé DE LA JUSTICE

(CEPEJ)

Plan d'action pour le suivi des Avis du

Conseil consultatif de juges européens (CCJE)

adopté par la CEPEJ lors de sa 6ème réunion plénière (7 – 9 décembre 2005)

à la demande du Comité européen de coopération juridique (CDCJ)


            Lors de sa 80ème réunion (Strasbourg, 20 – 22 avril 2005), le Comité européen de coopération juridique (CDCJ) a décidé de demander à la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) d’examiner les avis du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) afin d’élaborer un plan d’action qui devra être examiné par le CDCJ dans le cadre de ses éventuelles activités futures en matière de normes judiciaires.

            Suite à un échange de vues avec les représentants du CDCJ, M. Inge Lorange BACKER, et du CCJE, M. Alain LACABARATS, à l'occasion de sa 5ème réunion plénière (Strasbourg, 15 – 17 juin 2005), la CEPEJ a chargé son Président, avec le soutien de MM. André POTOCKI (France) et Matthias HEGER (Allemagne), de préparer un Plan d’Action. Le projet a été transmis pour consultation au CCJE.

            Ce Plan d'action a été examiné et adopté par la CEPEJ lors de sa 6ème réunion plénière (Strasbourg, 7 – 9 décembre 2005).

            Les propositions et recommandations du présent Plan d'action s'inscrivent dans le cadre de l'Article 2 du Statut de la CEPEJ, qui lui confie la tâche "de suggérer, le cas échéant, des domaines dans lesquels les comités directeurs appropriés du Conseil de l’Europe, en particulier le Comité européen de coopération juridique (CDCJ), pourraient, s’ils l’estiment nécessaire, préparer de nouveaux instruments juridiques internationaux ou des amendements aux instruments existants, pour adoption par le Comité des Ministres".

            Le présent Plan d'Action tient compte en particulier des Avis suivants du CCJE:

                       Avis N° 1 (2000) sur les normes relatives a l'indépendance et l'inamovibilité des juges,

                       Avis N° 2 (2001) relatif au financement et à la gestion des tribunaux au regard de l'efficacité de la justice et au regard des dispositions de l'Article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme,

                       Avis N° 3 (2002) sur les principes et règles régissant les impératifs professionnels applicables aux juges et en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité,

                       Avis N° 4 (2003) sur la formation initiale  et continue appropriée des juges, aux niveaux national et européen,

                       Avis N° 6 (2005) sur le procès équitable dans un délai raisonnable et le rôle des juges dans le procès, en prenant en considération les modes alternatifs de règlement des litiges.

Dans le cadre de la tâche qui lui a été confiée, la CEPEJ n'a pas jugé opportun de tenir compte de l'Avis n° 5 sur les règles et pratiques relatives aux nominations à la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

                        La CEPEJ a souhaité retenir plusieurs idées majeures des Avis susmentionnés, sans toutefois prétendre l'exhaustivité. Le cas échéant, ce Plan d'Action pourra être complété.

Remarques liminaires: vers une plus grande coopération entre les instances du Conseil de l'Europe compétentes en matière judiciaire

                        Dans le cadre de la promotion de ses avis existants, de même que pour la préparation de futurs avis, le CCJE pourrait utilement être invité à tirer le meilleur profit de l'expertise spécifique d'autres instances compétentes au sein du Conseil de l'Europe, et notamment le CDCJ. De même peut-il bénéficier d'une coopération accrue avec la CEPEJ.

                        Par ailleurs, il pourra contribuer toujours plus activement aux travaux de ces instances, notamment par le biais d'avis spécifiques sollicités par elles.

                        Le CDCJ pourrait ainsi étudier les possibilités et modalités de coopération avec le CCJE. Il pourrait en particulier le consulter dans le cadre de son activité normative telle que recommandée au point 1 ci-dessous.

                        De même la CEPEJ pourra recueillir les commentaires du CCJE sur les suites qu'elle entend donner aux résultats chiffrés de l’évaluation des systèmes judiciaires européens.

Une coopération active du CCJE dans la mise en œuvre du Programme-cadre de la CEPEJ en matière de délais judiciaires[1] pourrait également permettre de vérifier la pertinence des mesures proposées par la CEPEJ au regard des réalités concrètes du fonctionnement quotidien des juridictions et de faciliter l'appropriation de ces mesures par les magistrats, et, par conséquent, leur bonne application.

1.  RECOMMANDATIONS DANS LE DOMAINE NORMATIF

a.  Révision de la Recommandation R(94)12 sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges

                        Considérant les Avis N° 1, 2 et 3 du CCJE, la CEPEJ recommande au CDCJ d'étudier la possibilité de mettre à jour la Recommandation R(94)12 sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges.

                        Cette Recommandation est à ce jour le seul instrument complétant la Convention Européenne des Droits de l'Homme et la jurisprudence de la Cour au sujet du statut du juge et de son rôle dans le fonctionnement du système judiciaire. Elle occupe donc une place prééminente dans le système normatif du Conseil de l'Europe, dont le rôle essentiel dans le développement de l'Etat de droit en Europe a été rappelé par les Chefs d'Etat et de gouvernement lors du Sommet de Varsovie (16 – 17 mai 2005).

                        Ainsi le CDCJ pourrait tenir compte de l'évolution du débat et des développements récents dans le domaine judiciaire et en matière de fonctionnement du service public de la justice en Europe depuis l'adoption de cette Recommandation,  pour compléter ou renforcer, le cas échant, les principes fondamentaux de cet instrument.

                        Le CDCJ pourrait en particulier examiner la Recommandation à la lumière des principes contenus dans la Charte européenne sur le statut des juges, qui, bien qu'elle ne soit pas dotée de valeur juridique, est largement diffusée en Europe. Le CCJE s'appuie sur cette Charte dans ses avis, lui attribuant une valeur importante lorsqu'il s'agit de définir les standards européens relatifs au statut du juge.

                        Une telle révision de la Recommandation pourrait notamment considérer de manière prioritaire les questions suivantes:

règles relatives à la responsabilité des juges,

 

possibilité de conférer au niveau national un statut juridique à certaines règles d'éthique;

rôle respectif des décideurs publics et du pouvoir judiciaire en matière d'efficacité de la justice, y compris concernant l'évaluation du fonctionnement et de la qualité du service public de la justice, tout en respectant l'indépendance de la justice;

examen de la répartition des compétences entre les juges et les procureurs, en considérant notamment la nécessité d'articuler de manière appropriée les instruments du Conseil de l'Europe relatifs au système judiciaire et la Recommandation R(2000)19 sur le rôle du Ministère Public dans le système de justice pénale; le cas échéant, le CDCJ pourrait travailler en consultation avec le Conseil européen pour les problèmes criminels (CDPC), le Conseil Consultatif des Procureurs européens (CCPE) et le Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE).

                        Dans le cadre de la révision de la Recommandation R(94)12, le CDCJ devrait notamment s'appuyer sur les avis du CCJE ainsi que sur les travaux de la CEPEJ, notamment les résultats des exercices d'évaluation du fonctionnement des systèmes judiciaires européens[2] et les travaux en cours visant à mettre en œuvre le Programme-cadre "Un nouvel objectif pour les systèmes judiciaires: le traitement de chaque affaire dans un délai optimal et prévisible"[3].

                        S'il l'estime utile, le CDCJ pourrait s’appuyer sur des études spécifiques qu’il demanderait à la CEPEJ de mener concernant les points susmentionnés.

b.  Règles en matière d'exécution des décisions judiciaires civiles et commerciales

                        Le CDCJ pourrait étudier la faisabilité de définir un corpus de règles minimales relatives à l'exercice de la fonction d'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale.  S'il est vrai qu'en matière d'exécution des décisions, les procédures et mécanismes diffèrent de manière significative d'un système judiciaire à l'autre, il pourrait toutefois être utile, au regard du respect des règles fondamentales de l'Etat de droit, de compléter la Recommandation R(2003)17 en matière d'exécution pour assurer l'efficacité et la qualité de la procédure d'exécution (partie intégrante de l'Article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme) et garantir le respect des principes de déontologie devant gouverner ces procédures.

c.  Règles en matière de financement du système judiciaire

                        La question de la préparation et de la gestion du budget de la justice en général et des budgets des juridictions en particulier est fondamentale tant en matière d'indépendance de la fonction juridictionnelle que dans les politiques visant à améliorer l'efficacité et la qualité du fonctionnement du service public de la justice.

                        Aussi la CEPEJ recommande au CDCJ d'étudier la possibilité d'adapter les normes européennes organisant le financement et la gestion du budget de la justice, en tenant compte du fait que la question du financement est étroitement liée à celle de l'indépendance.

                        Dans ce cadre, le CDCJ pourrait notamment s'appuyer sur l'Avis N° 2 du CCJE ainsi que sur les travaux de la CEPEJ, et en particulier les résultats des exercices d'évaluation du fonctionnement des systèmes judiciaires européens.

d.  Règles en matière de formation des magistrats et des auxiliaires de justice

                        Le développement des structures de formation des magistrats dans les Etats ayant rejoints le Conseil de l'Europe au cours de ces dernières années, de même que l'évolution des structures de formation au sein plusieurs autres Etats invitent à s'interroger sur l'opportunité de définir des normes de base relatives à la formation des magistrats.

                        Si chaque Etat doit pouvoir organiser son système de formation, en tenant notamment compte de ses propres procédures présidant à la désignation des magistrats, des normes communes minimales pourraient être définies au niveau paneuropéen, concernant en particulier:

la responsabilité de l'Etat dans la formation des magistrats;

l'organisation d'un système de formation continue pour les magistrats;

les modalités propres à favoriser un recrutement du corps judiciaire représentatif de l'ensemble de la société en réduisant les obstacles financiers et sociaux de nature à y faire obstacle.

                        Dans ce cadre, le CDCJ pourrait notamment s'appuyer sur l'Avis N° 4 du CCJE ainsi que sur les travaux de la CEPEJ, et en particulier les résultats des exercices d'évaluation du fonctionnement des systèmes judiciaires européens.

                        Il pourrait également souhaiter ouvrir ses travaux aux experts du "Réseau européen d'échange d'information entre les personnes et entités chargées de la formation des juges et procureurs" (Réseau de Lisbonne), ou confier au Réseau certaines études ou travaux préparatoires spécifiques.

                        Par ailleurs, le CDCJ pourrait approfondir la réflexion en vue de déterminer si certaines règles en matière de formation pourraient utilement être développées spécifiquement à l'attention d'autres professions judiciaires, et notamment lesavocats (en tenant compte de la Recommandation R(2000) 21 sur la liberté de l'exercice de la profession d'avocat, de même que sur les résultats des exercices d'évaluation du fonctionnement des systèmes judiciaires européens par la CEPEJ) et les greffiers de justice.

e.  Règles en matière de collecte et traitement de données statistiques judiciaires

                        Les travaux en cours au sein de la CEPEJ visant à évaluer le fonctionnement des systèmes judiciaires montrent qu'il pourrait être utile de proposer aux Etats membres du Conseil de l'Europe un corpus commun de données statistiques judiciaires et de règles relatives à l'organisation de la collecte de ces données.

                        L'Avis N° 6 du CCJE invite de même les Etats membres à établir un consensus en matière de collecte de données statistiques, permettant de développer des outils au service des réformes des politiques publiques de la justice, notamment des outils comparatifs.

                        Aussi la CEPEJ a-t-elle donné mandat à son Groupe de Travail sur l'évaluation des systèmes judiciaires (CEPEJ-GT-EVAL) d'établir une liste des données essentielles pour l'évaluation et formuler des recommandations afin de permettre aux Etats d’organiser leur système de collecte statistique de manière à être en mesure, à l'avenir, de fournir ces données.

                        Dans le cadre de ces travaux, la CEPEJ pourrait être amenée à définir des lignes directrices. Le cas échéant, le CDCJ pourrait considérer l'utilité de leur conférer un caractère normatif.

2.  DEVELOPPEMENT DU SUIVI DE LA MISE EN OEUVRE DES INSTRUMENTS DU CONSEIL DE L'EUROPE DANS LE DOMAINE JUDICIAIRE

                        La prise en compte des avis du CCJE par les décideurs publics des Etats membres du Conseil de l'Europe passe également par un suivi effectif de l'application des Recommandations du Comité des Ministres en matière judiciaire dans les Etats membres, sur lesquelles s'appuie le CCJE[4].

                        Conformément au paragraphe B.iii de son mandat, le CDCJ est chargé de contrôler le fonctionnement et la mise en œuvre des instruments internationaux relevant de son domaine de compétence. Il pourrait ainsi souhaiter développer cette fonction de suivi de l'application des instruments dont il a été à l'origine, en examinant la portée effective dans les Etats membres et tirer de cet examen, le cas échéant, les conséquences dans son activité normative (mise à jour ou révision des instruments, développement de nouveaux instruments).

                        Pour la mise en œuvre de cette fonction de suivi, le CDCJ pourrait entre autres s'appuyer sur les travaux de la CEPEJ. Conformément à l'Article 1 de son Statut, la CEPEJ a notamment pour but de permettre de mieux mettre en œuvre les instruments juridiques internationaux du Conseil de l’Europe relatifs à l’efficacité et à l’équité de la justice. Dans ce cadre, et conformément à son programme d'activités à moyen terme[5], elle procédera à plusieurs études visant à mesurer l'impact des instruments pertinents du Conseil de l'Europe concernant notamment:

les mesures alternatives au règlement des litiges,

l'exécution des décisions de justice,

l'aide judiciaire.

Ces domaines font également l'objet de recommandations spécifiques du CCJE dans le cadre de son Avis N° 6.

                         Le cas échéant, les conclusions de ces études pourraient être transmises au CDCJ qui pourra décider du suivi approprié à y donner dans le cadre de ses fonctions de suivi des instruments en matière judiciaire.

3.  PROMOTION DES AVIS DU CCJE

                        D'une manière générale, la CEPEJ recommande de développer activement une politique de communication pour faire davantage connaître les avis du CCJE auprès des décideurs publics des Etats membres et de la communauté juridique européenne.

                        Cette politique devrait permettre de

s'appuyer sur des mécanismes multiplicateurs pour faire connaître et disséminer les avis du CCJE auprès des décideurs publics:

           rôle spécifique des membres du CCJE pour sensibiliser les autorités publiques, judiciaires et universitaires de leur pays ainsi que les membres nationaux auprès d'autres instances compétentes du Conseil de l'Europe (comités directeurs, Assemblée Parlementaire, etc.),

           rôle des autres instances compétentes au sein du Conseil de l'Europe (CDCJ, CDPC, CDDH, CEPEJ, CCPE, Commission de Venise, Réseau de Lisbonne, etc.),

porter ses travaux à la connaissance des plus hautes autorités des Etats réunies notamment à l'occasion des Conférences des Ministres européens de la justice,

développer l'accès des décideurs publics, des professionnels de la justice et des citoyens aux avis du CCJE (traduction dans différentes langues du Conseil de l'Europe, publication, accessibilité plus facile à travers le site internet du CCJE).


Récapitulatif des mesures proposées par la CEPEJ au CDCJ

                    

1.         Activité normative

a.        mettre à jour la Recommandation R(94)12 sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges

b.       définir des règles minimales relatives à l'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale

c.        adapter les normes européennes organisant le financement et la gestion du budget de la justice

d.        définir des normes relatives à la formation des magistrats

e.        étudier la possibilité d'élaborer des règles relatives respectivement à la formation des avocats, des greffiers de justice

f.         en se fondant sur les travaux de la CEPEJ, dégager des lignes directrices en matière de données statistiques judiciaires

2.        Contrôle du fonctionnement et de la mise en œuvre des instruments du Conseil de l'Europe en matière judiciaire

3.        Participation à la promotion des Avis du CCJE



[1] CEPEJ(2004)19 Rev 2

[2] Voir en particulier le Rapport "Systèmes judiciaires européens: faits et chiffres" ainsi que les travaux en cours sur la base des conclusions de cet exercice pilote.

[3] CEPEJ (2004) 19 Rev 2.

[4] Avis N° 1, 3, 4 et 6: Recommandation R (94) 12 sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges.

Avis N° 6: Recommandations R (84) 5 sur les principes de procédure civile propres à améliorer le fonctionnement de la justice, R (86) 12 relative à certaines mesures visant à prévenir et réduire la surcharge de travail des tribunaux, R (87) 18 concernant la simplification de la justice pénale,  R(95) 12 du sur la gestion de la justice pénale, R (98) 1 sur la médiation familiale, R (99) 19 sur la médiation en matière pénale, Rec (2001) 9 sur les modes alternatifs de règlement des litiges entre les autorités administratives et les personnes privées, Rec (2002) 10 sur la médiation en matière civile.

                                                                                           

[5] CEPEJ (2005) 10