NB_CE

Strasbourg, 5 mai 2008                                                                                    CCPE-Bu (2008)4REV

BUREAU DU CONSEIL

CONSULTATIF DE PROCUREURS EUROPÉENS

(CCPE-Bu)

ROLE DU MINISTÈRE PUBLIC EN DEHORS

DU DOMAINE PÉNAL

RAPPORT

par

Dr. András Zs. VARGA

Ce rapport, préparé par l'expert scientifique M. Andras Varga (Hongrie), à la demande du Bureau du CCPE, fait la synthèse des réponses au questionnaire élaboré par le Bureau du CPPE (CCPE-BU(2007)13 rev) en vue de préparer un avis au Comité des Ministres relatif au rôle du ministère public en dehors du domaine pénal. 43 Etats membres ont répondu à ce questionnaire."


Rapport sur le rôle du ministère public en dehors du domaine pénal

par M. András Zs. VARGA[1]

I. Propos liminaires

Comme la Recommandation Rec(2000)19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale[2] ne traite pas du rôle des procureurs en dehors du domaine pénal, la 4e session de la Conférence des Procureurs généraux d’Europe (ci-après CPGE), tenue à Bratislava, a proposé que la question des compétences du ministère public en dehors du domaine pénal soit l’un des thèmes de discussion de la conférence suivante. Après un premier examen du sujet, la 5e CPGE (Celle) a décidé, comme indiqué dans ses conclusions, « de poursuivre sa réflexion et de donner mandat à son Bureau de lui présenter un texte d’orientation à sa prochaine session plénière »[3].

A la suite de la 5e session de la CPGE à Celle, la 8e réunion du Bureau de coordination de la CPGE a décidé d’élaborer un questionnaire[4] à l’intention des procureurs généraux des Etats membres. Le document de réflexion (premier rapport[5]), basé sur les réponses aux quatre questions du questionnaire (ci-après partie I), a fait l’objet d’un examen et d’une discussion au cours de la 6e session de la CPGE (Budapest)

Le premier rapport présentait les activités des différents ministères publics européens ne relevant pas du droit pénal et en tirait la conclusion que les Etats membres du Conseil de l’Europe pouvaient être divisés en deux groupes :

a) Le premier groupe se compose des Etats membres dans lesquels le ministère publique n’assume aucune tâche extra-pénale, ou bien uniquement des tâches mineures[6].

b) Dans les autres Etats membres dont les réponses à la partie I ont été étudiées, les procureurs assument des tâches extra-pénales importantes. Dans ces Etats membres, les différentes fonctions des ministères publics peuvent être classées en deux catégories principales :

ba) Compétences relevant du droit civil : l’essentiel des fonctions des procureurs a trait à la validation et à l’annulation des mariages, ainsi qu’à plusieurs autres procédures relatives à l’état matrimonial. D’autres types de fonctions concernent l’introduction de recours et les demandes de nouveau procès, l’annulation de décisions de justice, les actions en protection des droits des mineurs et des incapables majeurs, l’enregistrement d’associations commerciales, les déclarations de faillite et la dissolution de personnes morales. Des compétences similaires existent en matière d’enregistrement et de dissolution d’associations et de fondations. Enfin, le procureur peut jouir de certaines compétences visant des affaires relevant du droit du travail. 

bb) Compétences relevant du droit public (administratif et constitutionnel) : mesures (appels et autres voies de recours judiciaires) prises par le procureur au titre de contrôle spécial de la légalité des actes de l’administration, déclenchement de procédures devant la Cour constitutionnelle, mesures disciplinaires à l’encontre de membres de l’administration, rôle consultatif du procureur général, etc.

Dans ses conclusions[7], la 6e session de la CPGE (Budapest) a souligné que la question méritait d’être approfondie ultérieurement.

II. Partie II du questionnaire

Les réflexions de la CPGE sur les compétences des ministères publics en dehors du domaine pénal ont été suivies par le Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE), mis en place par le Comité des Ministres en 2006. Le questionnaire a été modifié avec l’ajout de la partie II (quatre nouvelles questions) par le Bureau du CCPE au cours de sa 3e réunion (Popowo, Pologne) en vue d’une étude détaillée des fonctions extra-pénales des ministères publics, compte tenu des conclusions adoptées par deux des Conférences antérieures[8] (les parties I et II du questionnaire ont toutes deux été soumises aux Etats membres).

Les nouvelles questions de la partie II sont les suivantes :

            5.       Lorsque le ministère public a des fonctions extra-pénales, y a-t-il une organisation interne différente de celle qu’il connaît lorsqu’il remplit les missions dans le domaine pénal ? Veuillez détailler.

            6.       Quels sont les pouvoirs du ministère public lorsqu’il remplit des fonctions extra-pénales :

          a.       A-t-il des pouvoirs d’autorité ou bénéficie-t-il des mêmes pouvoirs que l’(es) autre(s) partie(s) au procès ?

          b.       Y a-t-il des règles spécifiques s’appliquant à cet exercice des fonctions ? Quelle est la source (légale, coutumière ou pratique) de ces règles ?

          c.       A-t-il d’autres droits et devoirs ? Veuillez détailler.

            7.       Sur les compétences du ministère public en dehors du système de justice pénale :

                     a.       La Cour européenne des droits de l’homme a-t-elle rendu des décisions ou des arrêts sur ce thème concernant votre pays ? Si oui, veuillez préciser le numéro de la requête et la date de la décision ou de l’arrêt.

                     b.       Dans votre pays, la Cour constitutionnelle ou toute cour chargée de se prononcer sur la constitutionnalité des lois, ont-elles rendu des décisions ou des arrêts sur la compatibilité de telles compétences avec la Constitution ou la loi fondamentale ? Dans l’affirmative, veuillez identifier les références de telles décisions et leur principale portée.

            8.       Quelles sont, à votre avis, les compétences du ministère public agissant en dehors du système de justice pénale les plus importantes pour le renforcement de l’Etat de droit et la protection des droits de l’homme ?

III. Réponses au questionnaire – Aperçu général

Le but du présent rapport[9] est d’établir une synthèse des réponses nationales au questionnaire, comprenant les parties I et II.

Comme

-       il y a très peu d’Etats membres qui n’ont pas répondu à la partie I en 2005 mais qui ont répondu au questionnaire modifié[10],

-       il n’y a que 20 réponses à ce second questionnaire[11], dont 7 ne mentionnent aucune fonction et 2 autres ne mentionnent que des compétences limitées en dehors du domaine pénal,

la nouvelle synthèse doit tenir compte du premier rapport. S’il est inutile de rappeler toutes les conclusions du premier rapport, il est indispensable de faire référence à certains arguments ou certaines conclusions déjà connus.

1. Fonctions extra-pénales des procureurs dans les Etats membres

En analysant les réponses au questionnaire, nous pouvons observer que nous obtenons une longue liste de fonctions extra-pénales des procureurs des Etats membres ayant répondu.

a)     Il n’existe aucune compétence en dehors du domaine pénal en Estonie, en Finlande, en Géorgie, en Islande, à Malte, en Norvège, en Suède, en Suisse et dans les systèmes judiciaires du Royaume-Uni.

b)     Seules quelques compétences ou des compétences très spécialisées ont été signalées par l’albanie, l’Autriche, l’Azerbaïdjan le Danemark, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Moldova, Saint-Marin, la Slovénie et la Turquie.

c)     Les procureurs en Arménie, en Belgique, en Bulgarie, en Croatie, en République tchèque, en France, dans « l’ex-République yougoslave de Macédoine », en Hongrie, en Lettonie, en Lituanie, Monaco, au Monténégro, aux Pays-Bas, en Pologne, au Portugal, en Roumanie, en Fédération de Russie, en République slovaque, en Espagne et en Ukraine ont des compétences extra-pénales étendues.

Comme 43 Etats membres sont énumérés ci-dessus, nous disposons d’informations sur la majorité d’entre eux. Cette proportion permet de considérer que les observations suivantes sont valables pour l’ensemble de l’Europe.

Le fait de regrouper les Etats permet de tirer à première vue deux conclusions différentes qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre :

i)      Partant des groupes a) et b), on peut conclure que les ministères publics de près de la moitié des Etats membres n’ont pas de compétences extra-pénales ou que ces compétences ont été déclarées comme peu importantes ou très rarement exercées en pratique.

ii)     Si l’on se fonde sur les groupes b) et c), on peut conclure que, dans plus de la moitié des Etats membres, les procureurs ont au moins quelques compétences extra-pénales.

Bien que ces deux conclusions doivent être analysées de façon plus détaillée, il est possible d’affirmer que les conclusions de la 6e CPGE semblent pertinentes :

 « 6.3 Certains Etats membres ne ressentent pas la nécessité d’accorder au ministère public d’autres tâches que celles de la justice pénale et considèrent que ces tâches ne relèvent pas  de ses compétences. Cette approche peut être considérée comme une manière acceptable de concevoir le rôle du ministère public.

6.4  Mais en même temps, d’autres pays estiment que leur système juridique leur permet d’accorder au ministère public des compétences en dehors de celles de la justice pénale, et notamment un rôle pour la garantie du fonctionnement d’une société démocratique dans un Etat de droit et la protection des droits de l’homme. Il n’y a aucune raison de ne pas considérer cette approche comme tout aussi valable. »[12]

Par conséquent, les compétences extra-pénales des procureurs ne peuvent pas être considérées comme superflues. On ne peut pas non plus conclure qu’elles sont étrangères aux ministères publics puisque de nombreux Etats les appliquent.

Une conclusion très intéressante peut être tirée des listes des Etats examinés si on les compare aux regroupements de ministères publics faits dans le premier rapport en fonction des différents domaines juridiques dans lesquels les procureurs ont des compétences. Le premier rapport partait de l’hypothèse que les compétences extra-pénales pouvaient concerner le droit civil ou le droit public. La matrice suivante peut être élaborée sur la base de cette comparaison :

Tableau 1.


Compétences extra-pénales

Aucune

Peu nombreuses ou peu importantes

Etendues

Aucune

Estonie

Finlande

Géorgie

Islande

Malte

Norvège

Suède

Suisse

Royaume-Uni

Droit civil seulement

Albanie

Azerbaijan

Autriche

Danemark

Allemagne

Grèce

Irlande

Italie

Liechtenstein

Moldova

San Marino

Slovénie

Turquie

Belgique

France

Luxembourg

Pays-Bas (!)

Droit civil et public

Arménie

Bulgarie

Croatie

République tchèque

« l’ex-République yougoslave de Macédoine »

Hongrie

Lettonie

Lituanie

Monaco

Monténégro

Pologne

Portugal

Roumanie

Fédération de Russie

République slovaque

Espagne

Ukraine

Le classement des Etats membres se fonde principalement sur les réponses aux questionnaires. Quand aucune réponse n’avait été reçue ou que les réponses n’étaient pas assez précises, il a fallu prendre en compte d’autres sources[13].

Dans certains cas, le classement d’un ministère public a nécessité des considérations particulières:

-    Les compétences  « peu nombreuses ou peu importantes » sont mal définies et rejoignent celles mentionnées par les Etats où les compétences extra-pénales relèvent seulement du droit civil. 

-    Une attention particulière a dû être accordée à l’Irlande car la réponse mentionnait deux compétences extra-pénales différentes : l’une relative aux contentieux des référenda et des élections (fonction de droit public) et l’autre relative à l’incapacité des directeurs de sociétés (fonction de droit civil). Etant donné que la première compétence n’a jamais été exercée et que le chef du Parquet a proposé que cette compétence soit transférée à un autre organe, on pourrait considérer que le ministère public irlandais ne traite que de cas relevant du droit civil en dehors du domaine pénal. Cette observation conduit à inscrire l’Irlande dans la liste des Etats où les compétences extra-pénales relèvent seulement du droit civil .

La matrice des compétences montre que la ligne de partage la plus importante ne se situe pas entre les ministères publics avec ou sans fonctions extra-pénales mais entre ceux qui ont des compétences exceptionnelles (aucune / peu nombreuses / peu importantes) ou étendues.

Cet élément devra être examiné de manière plus détaillée.

2. Organisation interne spéciale des ministères publics pour les fonctions extra-pénales

Les Etats membres dont le ministère public n’a aucune compétence extra-pénale n’ont bien entendu pas d’organisation interne spécialisée (Estonie, Finlande, Islande, Malte, Suède, Royaume-Uni). La situation est identique dans les Etats membres où les compétences extra-pénales sont peu nombreuses, peu importantes ou très spécialisées (Autriche, Irlande, Liechtenstein).

La situation des ministères publics ayant des compétences extra-pénales plus importantes est différente. Certains Etats membres ont répondu

-  qu’ils n’ont pas de direction, d’unité ni d’autre structure interne spécialisée pour traiter des affaires ne relevant pas du domaine pénal (Monaco), ou

-  qu’il n’existe généralement pas de directions spécifiques mais qu’il est possible d’en mettre en place (Portugal), ou

-  que ces fonctions sont remplies par des procureurs nommés par les chefs de leurs unités. Toutefois, en fonction du nombre d’affaires, ces procureurs peuvent être dispensés de la conduite des procédures relevant du droit pénal (Pologne).

Tous les autres ministères publics ont des structures organisationnelles spéciales, traitant des questions extra-pénales :

-  une direction civile-administrative, parallèlement à la direction pénale (Croatie),

-  une division, une sous-division, une direction, une unité non pénale ou un procureur nommé spécialement à différents niveaux (République tchèque, Hongrie, Roumanie, Fédération de Russie, République slovaque),

-  une direction chargée de la protection des droits des personnes et de l’Etat (Lettonie).

Il ressort de manière implicite de ce qui précède que les organisations spéciales pour les fonctions extra-pénales sont caractéristiques des ministères publics qui ont des compétences extra-pénales étendues.

3. Pouvoirs, règles ou droits spécifiques

La situation des Etats membres en ce qui concerne l’existence de pouvoirs spéciaux, de règles ou de droits des procureurs lorsqu’ils exercent des fonctions en dehors du domaine pénal diffère selon la nature de ces fonctions et semble être indépendante de l’étendue de ces compétences. Les réponses n’indiquent pas de pouvoirs, de règles ou de droits « supplémentaires » lorsque les procureurs exercent des missions relevant du droit civil mais certaines modalités d’action spéciales apparaissent en matière de droit administratif.

a) Procureurs et autres parties dans les affaires de droit civil

Avant de présenter les réponses, une remarque méthodologique doit être faite. Certains Etats membres ont mentionné, pour leur ministère public, des compétences en matière de droit administratif  limitées à des actions en justice contre les décisions de différentes autorités administratives. Ces actions – quelles que soient les règles procédurales applicables (règles de procédure civile ou règles spéciales de droit administratif) – sont liées aux procédures judiciaires : les procureurs agissent comme parties. Les ministères publics n’ont pas signalé de pouvoirs spéciaux lorsque les procureurs prennent part à des procédures judiciaires civiles en tant que requérants. Ils ont les mêmes pouvoirs que les autres parties (Autriche, Liechtenstein, Croatie, République tchèque, Hongrie, Monaco, Pologne, Portugal, Roumanie, Fédération de Russie, République slovaque, Ukraine), leur rôle n’est pas exclusif, les poursuites peuvent aussi être engagées par d’autres intéressés (Irlande). En pareil cas, les procureurs n’ont effectivement aucun pouvoir de décision quant au fond des affaires, leurs décisions ne concernent que leur déclenchement : soumettre une requête au tribunal de droit civil. Par conséquent, ce type de compétences relève davantage du droit civil que du droit administratif.

Des règles spéciales régissent seulement l’objet (but) de l’action des procureurs, le motif juridique relatif au fond de l’action et, dans certains cas, les limites de leurs conclusions.

Les principaux buts dans lesquels les procureurs peuvent engager une action juridique sont les suivants :

-    nullité du mariage (Autriche, Pologne, Hongrie),

-    déclaration de décès (Autriche, Fédération de Russie, République slovaque),

-    incapacité de directeurs de sociétés (Irlande) ou dissolution de sociétés (République tchèque, République slovaque),

-    validité d’une élection ou d’un référendum (Irlande, Roumanie, Fédération de Russie)

-    droits de propriété et intérêts de l’Etat, privatisation (Croatie, Lettonie, Portugal, Fédération de Russie, République slovaque, Ukraine),

-    désaveu de paternité ou dissolution de l’adoption (République tchèque, Hongrie, Pologne, Portugal, Roumanie, Fédération de Russie, République slovaque),

-    maintien de personnes en institution de soins, limitation de la capacité juridique (République tchèque, Fédération de Russie, République slovaque, Ukraine),

-    protection des droits de l’enfant (République tchèque, Hongrie, Portugal, Roumanie, Fédération de Russie, République slovaque),

-    contrôle des détentions (République tchèque, Hongrie),

-    dissolution d’associations civiles (Hongrie, Pologne),

-    déclaration de violation des règles du droit du travail ou du droit social (Roumanie, Fédération de Russie),

-    gestion du milieu naturel (Hongrie, Fédération de Russie).

Les compétences énumérées ci-dessus étaient mentionnées dans la partie II des réponses. Comme les ministères publics étaient libres de répondre aux questions de manière concise ou au contraire détaillée, la liste n’est pas limitative, mais plutôt donnée à titre d’illustration. Il faut la considérer comme une liste des compétences les plus fréquentes et les Etats membres mentionnés ne sont que des exemples. Par ailleurs, certaines compétences peuvent également exister dans des pays qui ne les ont pas mentionnées.

Les motifs juridiques de fond sont beaucoup plus concordants que les buts. Ils figuraient dans la quasi-totalité des réponses, mais avec une rédaction différente :

-    veiller à l’Etat de droit (intégrité des décisions démocratiques, légalité, respect du droit, recours contre les violations de la loi),

-    protection des droits et des libertés des personnes (des personnes incapables de protéger leurs droits – mineurs, personnes sans domicile connu, incapables mentaux),

-    protection des biens et des intérêts de l’Etat,

-    protection de l’intérêt public (ordre public),

-    harmonisation de la compétence des tribunaux (recours spéciaux contre les décisions définitives des tribunaux dans l’intérêt supérieur de la loi, action en tant que parties dans les procédures devant les instances de degré supérieur).

Ces notions sont bien connues comme principes de gouvernement dans tous les systèmes juridiques. Classiquement, dans certains cas prévus par la loi, la participation du procureur au contentieux est obligatoire.

Les limites à l’activité des procureurs sont également communes aux différents Etats membres. Ils ont le pouvoir de lancer de nouvelles poursuites judiciaires, d’utiliser des recours ordinaires et extraordinaires (appels) en tant que parties aux procès. A cet égard, seules des règles exceptionnelles signalées dans certaines réponses méritent d’être mentionnées. Les plus importantes d’entre elles sont les suivantes :

-    le procureur a le droit de soumettre une demande en nullité mais il ne peut pas introduire un recours extraordinaire ni proposer d’autoriser la réouverture d’une procédure(République tchèque),

-    le procureur est autorisé à lancer toute procédure civile et peut prendre part à tout contentieux civil en cours en tant que partie indépendante aux côtés de la partie intéressée (Hongrie, Pologne, Portugal, Roumanie, République slovaque),

-    le procureur n’a pas le droit (en général ou dans des cas particuliers) de négocier un accord (Hongrie, Fédération de Russie).

b) Procureurs et autres parties dans les affaires de droit public

Les situations concernant les activités relevant du droit public sont moins ambiguës. Seules deux particularités communes peuvent être trouvées, lesquelles doivent être soulignées pour leur caractère général :

 

-    tout d’abord, dans tous les pays où les procureurs ont des compétences en matière de contrôle de l’activité des autorités administratives, ils ont également le pouvoir d’engager des actions contre les décisions de ces organes (NB. Ces dernières compétences ont été classées et traitées comme relevant du droit civil),

-    en second lieu, certaines réponses ont mentionné que les ministères publics avaient le droit de formuler un avis sur les projets de loi relatifs à la structure du système judiciaire, les règles de procédure ou de fond appliquées ; nous avons considéré que cette possibilité de donner un avis en tant qu’organes concernés par la législation ne représentait pas une compétence spéciale des procureurs.

 

Des compétences spéciales ont été confiées à certains ministères publics à l’encontre des décisions administratives comme :

-  donner des avis juridiques sur les projets de loi (Croatie, Hongrie, Fédération de Russie),

-  médiation obligatoire ou obtention d’un règlement extrajudiciaire avant de lancer toute autre procédure judiciaire contre l’Etat (Croatie),

-  contrôle du respect des règles de détention (République tchèque, Fédération de Russie),

-  surveillance de l’application de la législation, sommation, protestation ou contestation (avec ou sans) pouvoir de suspension de l’exécution à l’encontre d’une décision d’une autorité administrative donnée (Croatie, Lettonie, Hongrie, Portugal, Fédération de Russie, République slovaque, Ukraine),

-  motion fondée sur une exception d’inconstitutionnalité (Hongrie, Roumanie, Fédération de Russie, République slovaque),

-  participation à des sessions du Cabinet et à des commissions d’enquête parlementaires (Lettonie).

Il est important de rappeler que cette analyse se fonde sur la partie II du questionnaire. Une analyse similaire a été présentée dans le premier rapport. L’exécution des actions susmentionnées se base généralement sur l’examen préalable des dossiers d’un cas administratif. Le droit d’effectuer un tel examen semble constituer un droit fondamental des procureurs lorsqu’ils traitent d’une affaire de droit public. Ces compétences, considérées comme spécifiques à certains ministères publics, seront détaillées plus loin.

4. Arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ou des Cours constitutionnelles

Les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ou des Cours constitutionnelles sont très utiles pour étudier l’activité des ministères publics en dehors du domaine pénal. Des implications importantes découlent des exigences et des principes énoncés dans les arrêts.

a) Arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme

Très peu de réponses ont mentionné des affaires en instance ou des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les règles ou l’activité des procureurs en dehors du domaine pénal.

L’ex-République yougoslave de Macédoine a signalé trois affaires. Dans l’affaire Kostovska v. l’ex-République yougoslave de Macédoine (no. 443535/02) la Cour a estimé qu’en apparence il n’y avait pas de violation de la Convention de la part du ministère public qui a refusé d’interjeter une requête en cassation sur la protection de la légalité par motif que le délai légal était expiré. Dans l’affaire Grozdanovski v. eRYM (no. 21510/03) le requérant s’est plaint de la violation du principe des armes vue qu’on ne lui a pas donné l’opportunité de faire des commentaires sur l’appel formulé sur le fond par la société et la demande du ministère public pour la protection de la légalité. La Cour a estimé qu’il y a eu violation de l’Article 1 de la Convention. Dans l’affaire Markoski v. l’ex-République yougoslave de Macédoine (no. 22928/03) la Cour a décidé qu’il y a eu violation de la Convention causé par le délai de la procédure civile, le ministère public n’ayant pas été mentionné dans le jugement sur le fond.

La Moldova a également mentionné quelques affaires. Dans l’affaire Roşca v. Moldova (no. 6267/02) la Cour note puisque „le recours en annulation est une procédure permettant au parquet général d’attaquer toute décision définitive sur requête de l’une des parties” et „en accueillant la demande, la Cour suprême a effacé l’ensemble d’une procédure judiciaire qui avait abouti à une décision judiciaire définitive et exécutoire, ce qui a enfreint le principe de la sécurité des rapports juridiques et par conséquence res judicata”, il y a eu violation de l’Article 1 de la Convention. Les autres affaires – Asito v. Moldova (no. 40663/98), Josan v.Moldova (no. 37431/02)[14], Braga v. Moldova (no. 74154/01), Nistas GMBH v. Moldova (no. 30303/03), Michalachi v. Moldova (no. 37511/02) etc. – ont été jugés par la Cours pour la même violation. A cause des prévisions dans le Code de Procédure Civile de Moldova le pouvoir du parquet général d’entamer des actions en annulation en droit civil a été annulé.

La République tchèque a signalé l’affaire PK c. République tchèque relative à la compétence du procureur en matière de désaveu de paternité. La Cour a estimé qu’il n’était pas possible d’affirmer que le refus du ministère public de lancer une procédure en désaveu de paternité constituait une violation du droit du requérant au respect de sa vie privée (le requérant lui-même n’avait pas engagé de procédure en désaveu de paternité dans le délai imparti de six mois après la reconnaissance délibérée de sa paternité par une déclaration ; le procureur a rejeté sa demande d’engager une procédure car le désaveu de paternité aurait été contraire à l’intérêt de l’enfant, dans la mesure où aucun autre homme n’était disposé à assumer sa paternité et où le désaveu de paternité n’assurerait pas de lien entre l’enfant et son père biologique ; l’enfant resterait probablement sans père, ce qui affaiblirait sa situation de manière non nécessaire, par exemple concernant sa subsistance).

Le Portugal a signalé trois affaires. Dans l’affaire LM c. Portugal (n° 15764/89.), la Cour a estimé que la participation des procureurs à une séance privée de la Cour administrative suprême n’était pas conforme à la Convention, dans la mesure où la présence d’un procureur n’était pas la seule manière de contribuer au maintien de la cohérence de la jurisprudence. Dans l’affaire GA c. Portugal, la Cour a statué dans le même sens[15]. Dans l’affaire JP c. Portugal (n° 13247/87), la Commission a examiné la régularité d’un acte de procédure civile donnant au procureur le droit de proroger la procédure.

La République slovaque a signalé l’affaire P. c. République slovaque (n° 10699/05). Le ministère public n’avait pas soumis de motion de désaveu de paternité après avoir exclu le père de la paternité à la suite d’un test ADN alors que cette paternité avait été reconnue par un tribunal. La Cour a admis qu’il n’y avait pas de motif suffisant pour rejeter l’action juridique[16], dans la mesure où il n’existait pas de lien de proportionnalité raisonnable entre le but poursuivi et les moyens employés pour l’atteindre.

b) Arrêts des Cours constitutionnelles des Etats membres

Les réponses des Etats membres ont mentionné quelques autres affaires jugées par leurs Cours constitutionnelles.

La Cour constitutionnelle de la République tchèque a traité des procédures du ministère public en examinant les conditions pour engager une action concernant un désaveu de paternité. Elle a conclu que ces conditions n’étaient pas remplies en raison du fait que le désaveu de paternité n’était pas dans l’intérêt de l’enfant. La Cour constitutionnelle a précisé qu’il s’agissait d’une autorisation absolument exceptionnelle d’un organe de l’Etat (procureur suprême) qui, dans l’intérêt de l’enfant, ne pouvait être accordée que dans des conditions strictement définies. La suspension de la proposition d’engager une procédure en désaveu de paternité par le bureau du procureur suprême ne peut pas être considérée comme une décision, mais comme une simple notification au requérant de la façon dont la proposition a été traitée.

L’Allemagne a mentionné que « à travers plusieurs décisions, la Cour Constitutionnelle a précisé que le pouvoir du procureur général en dehors et dans le contexte du domaine pénal doit être régit par la loi » (principe de la primauté de droit).

En Hongrie, la Cour constitutionnelle a affirmé que le droit illimité des procureurs d’engager ou de joindre des procédures civiles était inconstitutionnel parce qu’il violait le droit procédural des personnes concernées de décider en la matière. Les droits des procureurs doivent être limités par la loi. Un autre arrêt a exigé qu’une limite temporelle soit fixée pour la protestation des procureurs dans les affaires administratives.

La Lettonie a signalé un arrêt de la Cour constitutionnelle sur le rôle du ministère public au sein du système des institutions publiques, dans lequel elle a conclu que le statut de cet organe en tant qu’institution judiciaire était conforme à ses fonctions.

Le Portugal a cité une décision contestant la régularité d’un acte de procédure civile donnant au procureur le droit de proroger la procédure. L’affaire concernait la représentation de personnes incapables.

La Roumanie a signalé un plus grand nombre d’arrêts. La Cour constitutionnelle a affirmé que, bien que s’agissant de procès civils privés, le procureur n’était pas une partie adverse du juge ou de l’une ou l’autre des parties mais qu’il intervenait dans le procès pour assurer le respect de la loi. La restriction du droit du procureur de participer à tout procès civil a donc en l’occurrence été considérée comme inconstitutionnelle. D’autres arrêts allaient dans le même sens, dont l’un concernait les procédures judiciaires à l’encontre des décisions des autorités administratives.

Dans deux de ses arrêts, la Cour constitutionnelle de la République slovaque n’a fait aucune objection concernant le droit du procureur de participer à des procédures judiciaires civiles ni concernant le pouvoir du procureur général de former un recours extraordinaire contre une décision valable d’un tribunal.

Les implications des arrêts susmentionnés seront abordées plus loin.

5. Compétences « les plus importantes »

Il aurait été intéressant d’avoir une liste complète des compétences considérées comme « les plus importantes » par les différents ministères publics. Toutefois, les réponses n’étaient pas suffisamment précises.

Certains ministères publics ont déclaré que toutes leurs compétences, ou la majorité, étaient très importantes (République tchèque, Portugal, Roumanie, Fédération de Russie, République slovaque, Ukraine).

La Croatie a mentionné une compétence qui venait d’être abrogée comme  « très efficace », à savoir la motion de protection de la légalité « permettant au ministère public d’intervenir contre un verdict ou une procédure qui, par essence, viole les droits de l’homme ou met en cause le principe de la prééminence du droit ». Malheureusement, la raison de l’abrogation n’a pas été communiquée. Alors que cette compétence a été abrogée en Croatie, d’autres réponses comme celles émanant de la République tchèque, de la Pologne, du Portugal l’ont mentionnée avec intérêt.

Les autres compétences énumérées parmi les « plus importantes » sont les suivantes :

-    contrôle de  la détention, de l’éducation protectrice (République tchèque, Hongrie),

-    participation aux procédures civiles relatives à la protection sociale et juridique des enfants ou des personnes incapables (République tchèque, Lettonie, Monaco, Portugal, Roumanie),

-    participation aux procédures de faillite (République tchèque, Monaco),

-    participation aux procédures de validité des enchères (République tchèque),

-    contrôle des procédures fiscales (Pologne),

-    recours contre les actes juridiques illégaux des autorités administratives (Hongrie, Pologne, Portugal, Ukraine),

-    contribution au maintien de la cohérence de la jurisprudence des tribunaux (Pologne, Portugal, Roumanie).

6. Principe fondamental des compétences extra-pénales

Il semblait évident avant même de préparer le premier rapport que certains Etats membres considéraient qu’il n’était pas nécessaire de doter leurs ministères publics de compétences extra-pénales, tandis que d’autres étaient seulement dotés de fonctions relevant du droit civil et que d’autres avaient des compétences étendues en dehors du domaine pénal. Les groupes de compétences les plus importants présentés dans le premier rapport, les conditions spéciales d’exercice de ces compétences peuvent être précisés grâce aux réponses à la partie II.

Il est essentiel d’avoir une connaissance détaillée des procédures et des conditions des activités si l’on veut comprendre la raison des compétences extra-pénales. En outre, cette connaissance aide à saisir les différents principes fondamentaux qui ont guidé les Etats membres dans l’élaboration de leur réglementation.

La France a indiqué comme élément de base dans les compétences extra-pénales son histoire du judiciaire, le développement des règlements techniques et le renforcement de l’intervention administrative au quotidien. L’avis des services d’investigation ayant pleins pouvoirs de veiller à l’application de la loi et à la protection des droits de l’homme et des libertés est important dans toutes les questions de base de la société.

En Irlande – un Etat membre où les compétences extra-pénales sont limitées et spécifiques – l’indépendance légale du Bureau du Directeur du ministère public « semblerait » en être la raison.

La Courconstitutionnelle de Lettonie a estimé que la décision relative au statut du ministère public se basait sur des considérations historiques et pratiques.

La Fédération de Russie a mentionné un contexte historique similaire : « Le ministère public, établi par Pierre Ier en 1722, était censé « faire office d’œil du souverain » afin de veiller au respect des lois et des instructions du pouvoir central, de prévenir le détournement de fonds publics et la corruption, de contrer la permissivité des magnats et de l’aristocratie bureaucratique et de protéger la sécurité du pays. Près de trois siècles après sa création, le ministère public russe, après avoir connu plusieurs changements de régimes politiques, sert de forteresse de la légalité et de l’ordre juridique… »

IV. Evaluation et observations relatives aux compétences extra-pénales des procureurs

1. Ajustement de la matrice des compétences

Le présent examen montre clairement des différences entre les pays européens en ce qui concerne l’existence de compétences extra-pénales des procureurs et leur étendue. Pour comprendre ces différences, nous devons revenir à la matrice des compétences présentée dans le Tableau 1. Cette matrice peut en effet être affinée.

On peut tout d’abord l’affiner en fonction des familles de droit. Malheureusement, cela n’aide pas car si certains Etats membres appartiennent – comme chacun sait – à l’une ou l’autre des familles de droit, d’autres ne peuvent pas être classés dans une catégorie donnée sans une étude approfondie de leur système juridique. Toutefois, une conclusion sommaire peut être tirée : tous les « grands » secteurs de la matrice des compétences comprennent des Etats membres appartenant aux familles de droit français (romain) et germanique. La famille du common law constitue une exception : il n’existe aucun Etat membre de common law où les procureurs possèdent des compétences extra-pénales étendues. Par conséquent, l’appartenance à l’une ou l’autre famille de droit n’est pas de la plus grande pertinence, elle n’explique pas en soi la différence de compétences.

Il est donc utile d’ajuster la matrice des compétences en triant les Etats membres où existent des compétences extra-pénales en fonction de la procédure : d’une part les ministères publics dotés de compétences qui leur permettent d’agir seulement (ou principalement) devant un tribunal (par des actions en justice), d’autre part ceux qui ont également le pouvoir de prendre des mesures extrajudiciaires (directes, autonomes). Le résultat de ce tri est présenté dans le Tableau 2.

Tableau 2.


Compétences extra-pénales

Aucune

Peu nombreuses ou peu importantes

Etendues

Aucune

Estonie

Finlande

Géorgie

Islande

Malte

Norvège

Suède

Suisse

Royaume-Uni

Droit civil seulement

Albanie

Azerbaïdjan

Autriche

Danemark

Allemagne

Grèce

Irlande

Italie

Liechtenstein

Moldova

San Marino

Slovénie

Turquie

Belgique

France

Luxembourg

Pays-Bas (!)

Droit civil et public

Principalement actions en justice

République tchèque

Monaco

Pologne

Portugal

Roumanie

Espagne

Actions en justice et mesures extrajudiciaires (directes, autonomes)

Arménie

Bulgarie

Croatie

« l’ex-République yougoslave de Macédoine »

Hongrie

Lettonie

Lituanie

Monténégro

Fédération de Russie

République slovaque

République tchèque

Ukraine

Il faut considérer la matrice de compétences ajustée avec une certaine réserve du fait que les Etats membres ont été triés principalement sur la base de leurs réponses au questionnaire. Les différentes réponses énumèrent les fonctions et moyens concrets des procureurs de façon plus ou moins détaillée. Certains ministères publics peuvent être classés sans difficulté tandis que d’autres peuvent poser problème. Même ainsi, il est nécessaire d’affiner la matrice dans la mesure où les réponses comportant des descriptions détaillées indiquent sans aucun doute qu’il existe une différence importante entre les ministères publics dotés de compétences extra-pénales qui agissent seulement devant les tribunaux et ceux qui possèdent des pouvoirs extrajudiciaires.

Sur la base de la matrice des compétences ajustée, les compétences précédentes doivent être réexaminées. Les « lignes de partage » sont modifiées comme suit :

-    ministères publics sans fonctions extra-pénales,

-    ministères publics dotées de fonctions relevant du droit civil peu nombreuses, peu importantes ou spécifiques,

-    ministères publics avec des compétences relevant à la fois du droit civil et du droit administratif leur permettant d’engager des poursuites judiciaires,

-    ministères publics possédant également des compétences extrajudiciaires (directes, autonomes) relevant du droit administratif à côté des compétences relevant du droit civil et du droit administratif leur permettant d’engager des poursuites judiciaires.

Cette nouvelle classification montre une progressivité du rôle extra-pénal des ministères publics dans les différents groupes d’Etats membres non seulement sur le plan du nombre de compétences mais aussi de l’intensité. L’une des questions les plus importantes pourrait être de savoir s’il existe d’autres caractéristiques communes aux ministères publics des mêmes groupes (secteurs de la matrice) caractérisés par la même intensité du rôle extra-pénal.

2. Caractéristiques communes des groupes d’Etats et origine possible

Il a été mentionné plus haut que le critère d’appartenance à une famille de droit n’était pertinent que pour les pays de common law. Cette affirmation devrait être corrigée comme suit : l’absence de compétences extra-pénales des procureurs n’est pertinente que pour les pays de common law et les pays scandinaves (Estonie, Finlande, Géorgie, Islande, Malte, Norvège, Suède, Suisse, Royaume-Uni). Cette caractéristique commune est renforcée par l’Estonie et n’est pas affaiblie par le fait que deux autres pays appartenant à d’autres familles de droit, la Géorgie et la Suisse, n’ont pas non plus mentionné de fonctions extra-pénales.

On peut trouver une caractéristique commune également forte mais non exclusive dans le cas des familles de droit français (romain) et germanique. Leurs ministères publics ont plus ou moins de fonctions extra-pénales mais ils ne peuvent agir qu’au moyen d’actions judiciaires (Autriche, Belgique, République tchèque, Danemark, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Liechtenstein, Luxembourg, Moldova, Monaco, Pays-Bas,  Pologne,  Portugal,  Roumanie, Espagne, Turquie). Il faut toutefois compléter cette affirmation en remarquant qu’il existe des pays d’autres familles de droit (Grèce, Irlande, Turquie) qui ont été regroupés avec les pays appartenant aux familles de droit français (romain) et germanique en raison des fonctions extra-pénales attribuées à leur ministère public. On notera qu’un grand nombre d’Etats membres – la moitié d’entre eux – appartient à ce groupe.

Il peut paraître surprenant que le groupe de pays où les fonctions extra-pénales sont étendues et intensives n’est pas prédéterminé par l’appartenance à une famille de droit : Arménie, Bulgarie, Croatie, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », Hongrie, Lettonie, Lituanie, Monténégro, Fédération de Russie, République slovaque, Ukraine. Dans le même temps, on peut trouver d’autres caractéristiques communes à ces pays, à savoir que tous appartenaient à la sphère d’intérêt soviétique au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Toutefois, on trouve davantage de pays post-communistes dans le groupe des pays où les ministères publics peuvent seulement engager des actions judiciaires : République tchèque, Pologne, Roumanie. Dans deux autres pays de ce groupe, le Portugal et l’Espagne, l’élément post-communiste n’existe pas, mais l’un et l’autre ont connu une longue période de régime autoritaire au cours du XXe siècle.

En résumé, on peut conclure que l’existence de fonctions extra-pénales attribuées aux procureurs et leur intensité dépendent principalement de l’héritage historique et culturel des différentes nations. Le critère d’appartenance à l’une ou l’autre famille de droit est pertinent, mais l’intensité des fonctions est beaucoup plus influencée par l’expérience d’un régime autoritaire[17].

On peut remarquer que cette conclusion ne fournit pas une explication complète du phénomène. Elle n’explique pas pourquoi les Etats membres appartenant à différentes familles de droit comme l’Arménie, la Bulgarie, la Croatie, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, le Monténégro, la Fédération de Russie, la République slovaque, l’Ukraine ont maintenu des compétences extra-pénales importantes pour les procureurs après la chute des régimes autoritaires.

3. Explication possible des compétences extrajudiciaires (directes, autonomes) relevant du droit administratif

L’une des raisons possibles du maintien de compétences extra-pénales étendues aux procureurs n’est pas inconnue de la littérature juridique des pays de l’Europe centrale et orientale et l’on peut la trouver dans les réponses à la partie II du questionnaire. Dans la section III.6, l’explication de la Fédération de Russie pour les compétences de son ministère public a déjà été mentionnée. Son ministère public – l’« œil du souverain » - remonte à Pierre Ier. Il est notoire que Pierre Ier a entrepris une réforme des institutions de l’Etat après une visite d’étude dans d’autres pays européens. Parmi ces pays, on trouve la Suède et son institution de Iustitiekansler – un « précurseur » du  Iustitieombudsman – mis en place en 1713[18]. Il est concevable que le régime soviétique ait conservé le ministère public tel qu’établi  par Pierre Ier et que ce modèle ait été « exporté » après la seconde guerre mondiale vers les pays de la sphère d’intérêt de l’Union soviétique.

Nous avons cependant besoin de davantage de raisons pour expliquer pourquoi ces pays qui « avaient » un modèle de ministère public étranger à leur ancien système l’ont maintenu après la transition démocratique. Une réponse possible peut encore une fois être l’institution du médiateur («ombudsman »). Pendant des siècles, cette institution n’a existé qu’en Suède et son expansion à travers le monde s’est faite seulement dans la seconde moitié du XXe siècle. Le premier bénéficiaire a été la Finlande en 1920, suivie par le Danemark en 1955, la Norvège en 1952, l’Allemagne en 1959, le Royaume-Uni en 1967 et ainsi de suite[19]. On doit souligner que l’institution du médiateur est également très répandue dans les pays dans lesquels les procureurs n’ont aucune compétence extra-pénale (par exemple, dans les Iles britanniques, les fonctions exercées par quelques agents dans d’autres pays sont remplies par de si nombreux médiateurs qu’ils ont créé leur propre Association[20]).

Le besoin d’instituer une nouvelle institution parlementaire ou judiciaire impartiale contribuant au maintien de l’ordre public et de l’Etat de droit par rapport à l’administration publique ou contribuant à l’harmonisation de la compétence des tribunaux semble être une préoccupation née au cours des derniers siècles en Europe. Ce besoin était présent dans tout le continent. Le modèle institutionnel était également commun mais il est apparu sous différentes formes dans les familles de droit ou dans les groupes d’Etats avec la même expérience historique. Les pays de common law avaient confiance en la tradition démocratique de leurs institutions et ont mis l’accent sur le contrôle politique (parlementaire) de l’administration. Les familles de droit romain et germanique attribuent plus ou moins de fonctions à leurs ministères publics pour veiller à la protection juridique et à l’harmonisation de la compétence des tribunaux. Ce dernier modèle est renforcé par l’expérience des régimes autoritaires dans les pays d’Europe centrale et orientale.

Par conséquent, il n’y a rien de surprenant à ce que le modèle des ministères publics dotés de fonctions importantes en matière de droit civil et administratif ait survécu à la transition après des décennies de communisme. Ce modèle répondait justement aux préoccupations qui apparaissaient également en Europe occidentale, bien que de façon différente. Le fait que les ministères publics aient été en mesure de contrôler les organes administratifs dans le cadre de la loi est une conséquence normale des exigences des ministères publics en tant qu’acteurs essentiels du système de justice pénale.

Evidemment, après la greffe de l’institution du médiateur sur le ministère public, les pays d’Europe centrale et orientale ont eu à traiter directement de la notion de médiateur. La coexistence de deux institutions ayant les mêmes origines a été étudiée en Pologne, où le Procureur général représente les intérêts de la communauté par opposition au médiateur qui protège les droits de l’homme et les libertés. L’objectif ultime des deux institutions est la même, seules leurs modalités de fonctionnement diffèrent[21].

On peut identifier quatre origines de tâches extra-pénales des procureurs et pouvoirs administratifs spécialement étendus :

a)     originel – pré-modern – l’institution des procurators of the treasury (ou procureurs défendant les intérêts de la Couronne) ; uniquement le San Marino a gardé cette dénomination ; Procuratore del Fisco, mais l’institution a été connue dans une grande majorité des pays continentaux ;

b)    l’institution des procureurs en France, qui pourrait être considérée comme l’institution mère du système moderne des systèmes d’investigation de l’Europe continentale ;

c)     l’institution du médiateur en Suède en tant que modèle spécial d’institution sans prise de décision ;

d)    et en fin, le procureur tsarien de Russie qui combine les trois origines principales et a eu une influence décisive sur l’Europe centrale et de l’est.


4. Conditions entourant les compétences extra-pénales

Le premier rapport se terminait par une liste de principes régissant les activités extra-pénales des procureurs (voir annexe 1). Bien sûr, chacun de ces principes ne doit pas être pris en compte avec une égale importance pour les différentes compétences.

a) Actions judiciaires dans les affaires civiles ou administratives

Le premier rapport présentait en détail les fondements juridiques des différentes compétences (revendications des Etats sur la propriété de biens et leur défense, protection de l’intérêt public, protection des droits de l’homme). Certains aspects examinés ne pouvaient pas être ignorés dans l’exercice de ces compétences (compétences du ministère public et principe de la séparation des pouvoirs, compétences du ministère public et principe de l’« égalité des armes », compétences du ministère public et principe de non-discrimination). Les conclusions du premier rapport ont été validées par les réponses à la partie II, à savoir par les arrêts de la CEDH et des Cours constitutionnelles mentionnés dans les réponses.

Les arrêts affirment que les compétences relatives aux actions judiciaires sont bien connues dans la majorité des pays européens. Il faut toutefois examiner de manière approfondie certains éléments.

Tout d’abord, il n’existe pas de réponse claire à la question de savoir si les compétences des procureurs devraient être réglementées en détail ou s’il convient de leur donner un mandat général concernant le déclenchement d’actions judiciaires ou le regroupement d’affaires pendantes. Certains Etats membres ont explicitement réduit l’étendue des activités et édicté une réglementation détaillée. D’autres maintiennent sans aucun débat la compétence générale ou ont annulé la « liste limitative » des compétences. Il n’existe ni critère commun ni possibilité de répondre à cette question sur la simple base des réponses au questionnaire. La réponse devrait toutefois se fonder sur la considération que le procureur agit comme une autorité publique. Des compétences illimitées en matière de droit civil violeraient le droit de l‘intéressé d’engager ou non une action pour protéger ses propres intérêts. Il semble plus approprié que les compétences des procureurs soient limitées à des buts proportionnés au droit de disposition.

En second lieu, les compétences – limitées ou non – ne devraient pas être discrétionnaires. Ni l’ordre public, ni la protection des droits des personnes ne constituent un motif suffisant pour laisser le procureur agir sur des considérations non contrôlées. Même dans le cas des compétences les plus générales comme la procédure pour désaveu de paternité, l’action visant à protéger l’une des parties intéressées (l’enfant) a une influence sur les droits de l’autre partie (le père) et vice versa. Le recours à une procédure d’arbitrage peut être évité seulement si les raisons des actions sont claires et accessibles aux les parties intéressées. Le droit de disposition de la personne est beaucoup mieux respecté si elle a le droit de contester et d’engager une action juridique contre la procédure du procureur.

En troisième lieu, la compétence des procureurs en matière de consolidation de la jurisprudence des tribunaux semble largement admise. Il n’existe aucune raison impérative d’exclure les procureurs de ces procédures. Cependant leur position d’amis de la cour (amicus curiae) ne devrait pas impliquer une possibilité d’influence illimitée ou incontrôlable.

a)     Si le résultat de la procédure se limite à une interprétation correcte de la loi – même si elle s’impose aux juridictions de degré inférieur –, il pourrait être suffisant de rendre la position du procureur publique. Même dans ce cas, il n’y a aucune raison de laisser le procureur participer au conseil de juges appelé à rendre la décision finale.

b)    L’égalité des armes doit être ajoutée à l’exigence de publicité si le jugement visant à consolider la jurisprudence a un effet direct sur une affaire pendante, dans la mesure où un tel jugement a une influence sur les intérêts de la/des partie(s) adverse(s).

b) Compétences extrajudiciaires (directes, autonomes) relevant du droit administratif

Comme cela a été présenté, les procureurs se voient attribuer des compétences extrajudiciaires (directes, autonomes) relevant du droit administratif (sommation, contestation, etc.) dans un nombre assez limité d’Etats membres mais ces Etats les considèrent comme nécessaires. Les conditions entourant les compétences administratives directes sont moins claires que celles relatives aux actions judiciaires (dans la mesure où ces dernières ressemblent – et sont donc bien connues – aux règles applicables à l’activité des parties privées). Les principes des mécanismes de contrôle des organes de l’administration publique ne sont pas uniformes, bien que les principes les plus importants aient été exposés dans le Guide de la Direction des affaires juridiques[22].

L’origine et les raisons générales des actions – extrajudiciaires – directes ont déjà été présentées dans ce rapport. Il faudrait examiner s’il existe des motifs suffisants, hormis les raisons historiques, pour maintenir ces compétences spécifiques.

L’année dernière, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a affirmé que, « [s]ans battage médiatique, une évolution importante a cependant eu lieu en Europe ces dernières années. L’idée du médiateur s’est développée. Aujourd’hui, la plupart des pays disposent d’une telle institution »[23]. A la lecture de cet avis, la question suivante ne peut pas être passée sous silence : pourquoi les institutions de type médiateur sont-elles devenues si populaires, presque obligatoires parmi les instances de contrôle de l’administration publique ? Pourquoi une telle institution est-elle nécessaire alors qu’elle ne peut formuler que des recommandations non exécutoires, qu’elle n’a pas compétence pour rendre des décisions affirmant la « vérité », alors que la législation prend en compte les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, que l’exécutif agit par des décisions efficaces, rapides et simples et que le pouvoir judiciaire est en mesure de régler une affaire de façon précise, définitive et exécutoire ?

Les réponses à ces questions expliqueront également les compétences spéciales des procureurs du fait de l’étroite relation entre les deux institutions. On peut supposer que les réponses seraient communes car tous les Etats membres concernés ont clairement déclaré que leurs procureurs n’avaient nullement le pouvoir de prendre des décisions exécutoires. Un parallèle entre les institutions du médiateur et les ministères publics peut être observé non seulement dans leur « origine » mais également dans leurs pouvoirs d’action. Pour répondre aux questions susmentionnées, deux études sont nécessaires :

i)      la première concerne les obligations et les instruments de l’exécutif,

ii)     en second lieu, nous avons besoin d’un aperçu des mécanismes de contrôle de l’activité des organes de l’administration publique – entendue comme les prescriptions adressées aux particuliers ou aux institutions ou comme l’activité du pouvoir exécutif vis-à-vis de sa hiérarchie.

ad i) La première étude montre que l’exécutif est de moins en moins capable d’exercer son pouvoir gouvernemental au moyen des instruments administratifs traditionnels – il ne peut pas transformer son pouvoir en décisions individuelles d’autorités publiques. Les nouvelles formes d’activité se concentrent sur la réglementation des services assurés par des entreprises privées et sur la découverte de nouveaux domaines à administrer. Une des conséquences de cette nouvelle approche de l’administration publique est que la responsabilité des dirigeants de l’administration en droit public doit être distinguée de la responsabilité politique. La responsabilité en droit public (ou sa forme traditionnelle, la responsabilité ministérielle) s’estompe de plus en plus tandis que la responsabilité politique est toujours validée par les élections et les différentes formes de référendum. Du fait de l’évolution de son activité, l’exécutif a plus de pouvoirs que ne le laissent de prime abord apparaître les textes constitutionnels. Le pouvoir public se fonde formellement sur l’institution du gouvernement mais ses racines se trouvent dans les relations entre la structure institutionnelle et le peuple en tant qu’organe politique. L’ordre politique précède l’ordre constitutionnel établi dans les textes (ou dans la loi). En réaction à cette nouvelle situation, le droit constitutionnel recherche davantage de garanties et de limites juridiques[24].

ad ii) En ce qui concerne les mécanismes de contrôle, cette notion devrait être interprétée au sens le plus large possible. Le terme de contrôle sur l’administration publique devrait couvrir toutes les procédures d’examen, d’évaluation de l’activité d’un organe de l’administration publique par une autre institution administrative ou de droit public. Le contrôle – entendu comme ce large domaine de procédure – peut être politique ou juridique dans la mesure où l’activité des institutions publiques peut être envisagé de ces deux points de vue. Le contrôle politique sur l’administration publique couvre toutes les procédures qui conduisent à des décisions gouvernementales stratégiques (réglementations) relatives aux tendances, instruments, méthodes et structure de l’administration publique. Les mécanismes de contrôle juridique ne sont pas dotés de pouvoirs décisionnels stratégiques ; leur objectif est d’examiner et d’évaluer la régularité de l’activité des organes de l’administration publique. Une forme de contrôle juridique sur l’administration publique est le recours qui est formel (régi par des règles procédurales précises) et peut conduire à modifier ou annuler une décision administrative. D’autres formes de contrôle juridique n’ont pas d’effet direct sur la procédure ou la décision administrative examinée, elles débouchent seulement sur une critique ou la formation d’un recours. Les réponses au questionnaire montrent clairement que les compétences directes (extrajudiciaires, autonomes) des procureurs – ainsi que les procédures des médiateurs – relèvent du dernier groupe, c’est-à-dire des institutions exerçant des formes de contrôle juridique qui ne sont pas des recours.

L’une des observations basées sur les deux études présentées ci-dessus est que l’accentuation de la frontière entre droit public et droit civil et le renforcement du rôle des services publics par rapport aux procédures traditionnelles des organes de l’administration publique renforcent le besoin de nouvelles formes de contrôle (et de protection des droits) puisque les différentes voies de recours en droit administratif ne conviennent pas aux relations de droit civil et que les actions judiciaires de droit civil ne sont pas assez rapides pour corriger les erreurs de l’administration. La valeur des mécanismes de contrôle non décisionnel augmente. Ce type de contrôle peut être exercé par un médiateur chargé de la protection des droits de l’homme ou par des procureurs protégeant l’ordre public. Après tout, cela revient au même.

Toutefois, même si les compétences directes (extrajudiciaires, autonomes) des procureurs correspondent aux formes de contrôle mentionnées, ces compétences ne doivent pas être illimitées. Les réponses au questionnaire ne permettent pas de définir précisément ces limites, mais on peut repérer certains principes généraux :

Tout d’abord, il ne fait aucun doute que l’impartialité et l’équité des procureurs agissant pour l’ordre public ou dans un autre but défini par la loi doivent être garanties, en tenant compte des critères énoncés dans la Recommandation Rec(2000)19 (car les conséquences de l’activité de droit administratif peuvent être comparables à celles des activités de droit pénal).

Deuxièmement, la définition des paramètres des compétences de droit administratif des procureurs devrait être régie par la loi aussi précisément que possible. Les raisons de cette exigence sont les mêmes que celles présentées ci-dessus concernant les activités judiciaires.

Troisièmement, il semble impératif que la loi fasse obligation des procureurs de motiver leurs actions et de rendre ces motivations accessibles aux personnes ou aux institutions concernées ou intéressées – comme dans le cas des actions judiciaires.

Quatrièmement, les mesures prescrites par les procureurs ne peuvent acquérir force obligatoire qu’après examen par un tribunal. Toute forme de décision prise sans que le tribunal ait eu la possibilité d’en débattre est difficilement acceptable, même si l’objectif de la sommation, de la protestation ou de toute action similaire du ministère public est la protection de droits ou la réparation de dommages par une procédure rapide et simple. En d’autres termes, les actes des procureurs ne peuvent être exécutoires qu’avec le consentement des tribunaux. Toutefois, il pourrait être fait exception à cette règle dans certaines situations très limitées – comme la protection des secrets d’Etat ou les actions d’autres autorités tenues d’obtenir le consentement du procureur comme garantie des droits.

Cinquièmement, il est nécessaire de prévoir la possibilité pour les personnes ou les institutions concernées ou intéressées de contester une mesure ou de déposer une réclamation pour manquement des procureurs.

V. Résumé des observations et propositions

L’examen des réponses au questionnaire (partie I) effectué dans le premier rapport a mis en évidence les aspects les plus importants des compétences des procureurs en dehors du domaine pénal. Ces observations sont affinées dans ce second rapport fondé sur la partie II du questionnaire. La présentation des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et des Cours constitutionnelles des Etats membres a largement contribué à ces nouvelles observations.

Grâce au questionnaire, des questions essentielles ont trouvé une réponse et des conditions pertinentes ont été recensées concernant les compétences extra-pénales des procureurs. Toutefois, ces réponses et ces conditions ne peuvent être considérées comme constituant une description exhaustive qu’en ce qui concerne les actions judiciaires. D’autres questions, en particulier celles concernant les compétences directes (extrajudiciaires, autonomes) n’ont pas encore reçu de réponse, tandis que de nouvelles questions ont émergé des observations. On ne peut pas répondre à ces questions en se fondant sur des questionnaires. En d’autres termes, les limites des connaissances que l’on peut tirer des questionnaires ont été atteintes. Cette méthode de recueil d’information est empirique, ses résultats sont au moins de nature statistique. Les mécanismes réels de l’activité, l’effectivité des compétences en cause, le respect des principes et des conditions ne peuvent pas être étudiés de cette manière. Or, ces questions doivent recevoir une réponse dans la mesure où les raisons pour lesquelles la CPGE et le CCPE ont porté leur attention sur ce domaine d’activité sont toujours valables.

Afin d’élaborer des règles générales, détaillées et obligatoires relatives à l’activité extra-pénale des procureurs qui puissent être acceptées et mises en œuvre par tous les Etats membres, une nouvelle approche comprenant plusieurs étapes est indispensable.

Une étude scientifique coordonnée des activités des procureurs en dehors du domaine pénal avec la participation des Etats membres pourrait constituer la première étape. Plusieurs projets du Conseil de l’Europe – par exemple, le programme HELP consacré à la formation des juges et des procureurs – pourraient être un atout pour cette nouvelle étude.

Un échantillon représentatif théorique de ces activités, fondé sur les résultats de l’étude susmentionnée, pourrait constituer un point de départ approprié pour un projet de recommandation. En effectuant cette étude, le CCPE apporterait une contribution importante aux objectifs fondamentaux qui guident le Conseil de l’Europe et ses Etats membres : démocratie, protection des droits de l’homme, prééminence du droit.


Annexe 1

Principes à prendre en considération par le procureur lorsque celui-ci intervient

en dehors du domaine pénal

           

Les Etats membres du Conseil de l’Europe contribuent au fonctionnement démocratique de la société, considéré comme leur fondement commun, en respectant sans réserve les principes de la prééminence du droit et de la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Nous avons vu que certains Etats ne ressentent pas le besoin de conférer des compétences extra-pénales au ministère public et estiment que pareilles attributions ne sont pas essentielles. Malgré cela, rien ne permet d’affirmer que les Etats membres où les procureurs n’ont pas le pouvoir d’intervenir en dehors du domaine pénal ont des pratiques déficientes ou devraient envisager une réforme de leur ministère public.

            Parallèlement, on constate aussi que certains pays considèrent que l’attribution de compétences extra-pénales à leur ministère public (en vue de garantir le fonctionnement démocratique de la société et de protéger les droits de l’homme) fait partie intégrante de leur système constitutionnel. Là encore, rien ne permet d’affirmer que ces Etats ont des pratiques déficientes ou devraient envisager une réforme de leur ministère public.

La comparaison de ces deux groupes d’Etats membres et des conditions pesant sur l’action du ministère public permet d’affirmer que les attributions extra-pénales des procureurs ne sont pas indispensables mais que, là où elles existent, elles sont à la fois utiles et raisonnables.

Lorsque leur ministère public est habilité à intervenir en dehors du domaine pénal, les Etats membres doivent garantir la prééminence du droit et, dans ce cadre, le respect des autres principes et droits de l’homme essentiels inhérents à toute société démocratique.

  1. Outre l’octroi d’un rôle essentiel au ministère public dans le système de justice pénal, les Etats membres du Conseil de l’Europe peuvent prévoir la participation du procureur aux procédures civiles et administratives pour des raisons liées à l’histoire, à la recherche de l’efficacité et à des considérations économiques. Cependant, pareille participation doit demeurer l’exception (principe de l’exceptionnalité).
  2. Le rôle du ministère public dans les procédures civiles et administratives ne doit pas être prédominant ; son intervention ne se justifie que si l’objectif de la procédure ne peut pas, ou difficilement, être atteint autrement (principe de la subsidiarité).
  3. La participation du ministère public aux procédures civiles et administratives devrait être limitée et doit toujours poursuivre un objectif légitime et identifiable (principe de la spécialité).
  4. Les Etats peuvent habiliter le ministère public à défendre l’intérêt de l’Etat (principe de la protection de l’intérêt de l’Etat).
  5. Le ministère public peut être habilité à déclencher des procédures ou à intervenir dans des procédures pendantes, ainsi qu’à utiliser diverses voies de recours afin d’assurer la légalité (principe de légalité).
  6. Lorsqu’elle est requise au nom de l’intérêt public et/ou de la légalité des décisions (par exemple dans les affaires de protection de l’environnement, d’insolvabilité, etc.) la participation du ministère public peut se justifier (principe de l’intérêt public).
  7. La protection des droits et des intérêts de groupes désavantagés incapables d’exercer leurs droits peut constituer un motif exceptionnel d’intervention du ministère public (principe de la protection des droits de l’homme).
  8. Lorsque la coopération entre le ministère public et d’autres sujets du droit public – exécutif, législatif, collectivités locales – semble indispensable, les Etats membres peuvent autoriser les procureurs généraux à consulter les représentants des autorités concernées (principe de la coopération sous forme de consultation).
  9. Le principe de la séparation des pouvoirs doit également être respecté dans le cadre des attributions extra-pénales du ministère public (principe de la séparation des pouvoirs de l’Etat).
  10. L’action extra-pénale du ministère public ne doit pas affecter la souveraineté du pouvoir législatif (principe de la souveraineté du législatif).
  11. La participation du ministère public au processus de prise de décision de l’exécutif ne doit pas engager la responsabilité du ministère public à l’égard des décisions arrêtées (principe de la responsabilité de l’exécutif).
  12. La participation du ministère public aux procédures judiciaires ne doit pas affecter l’indépendance des tribunaux (principe de l’indépendance des tribunaux).
  13. Le ministère public ne doit jouir d’aucun pouvoir de décision en dehors du domaine pénal et ne doit se voir conférer aucun droit supplémentaire par rapport à ceux reconnus aux autres parties devant les tribunaux (principe de l’égalité des armes).
  14. Le ministère public ne doit pas pratiquer de discrimination entre les personnes lorsqu’il protège leurs droits et doit limiter son intervention aux cas où celle-ci paraît fondée et légitime (principe de la non-discrimination).
  15. Lorsque le ministère public jouit de compétences en droit civil et en droit administratif, les droits et garanties énumérés dans la Recommandation Rec 19(2000) à propos de la juridiction criminelle s’appliquent également. Il en va notamment ainsi de l’obligation pour le ministère d’exercer sa mission sans se laisser influencer (principe de l’impartialité du ministère public).



[1] Professeur associé à l’Université catholique « Pázmány Péter », Budapest ; professeur associé à l’Université d’Etat « Széchenyi István », Győ ; premier procureur conseiller, Bureau du Procureur général, Hongrie

[2]http://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=376859&Site=CM&BackColorInternet=9999CC&BackColorIntranet=FFBB55&BackColorLogged=FFAC75

[3]http://www.coe.int/t/dg1/legalcooperation/ccpe/conferences/CPGE/2004/Conclusions_fr.pdf

[4]http://www.coe.int/t/dg1/legalcooperation/ccpe/conferences/CPGE/2005/CPGE-BU_2004_08QuestionnaireProsecutorsDuties_fr.pdf

[5]http://www.coe.int/t/dg1/legalcooperation/ccpe/conferences/CPGE/2005/CPGE_2005_02docReflexionVarga_fr.pdf

[6] Autriche, Danemark, Estonie, Finlande, Géorgie, Allemagne, Islande, Italie, Moldova, Norvège, Irlande du Nord, Suède,  Suisse et dans  les systèmes judiciaires du Royaume-Uni.

[7]http://www.coe.int/t/dg1/legalcooperation/ccpe/conferences/CPGE/2005/CPGE_2005_16Conclusions_fr.pdf

[8]http://www.coe.int/t/dg1/legalcooperation/ccpe/Restricted/role/CCPE-Bu_2007_13_rev_questionnaire_fr.pdf

[9] Selon les instructions du Secrétariat général.

[10] Autriche, Malte, Roumanie,  Fédération de Russie.

[11] Autriche, Croatie, République tchèque, Estonie, Finlande, Islande, Irlande, Lettonie, Liechtenstein, Malte, Monaco, Pologne, Portugal, Roumanie, Fédération de Russie, République slovaque, Suède, Ukraine, Royaume-Uni (Angleterre, Pays de Galles et Irlande du nord)

[12] http://www.coe.int/t/dg1/legalcooperation/ccpe/conferences/CPGE/2005/CPGE_2005_16Conclusions_fr.pdf

[13] Directory of Prosecution Services, International Association of Prosecutors – Kluwer Law International, The Hague, 1999 et pages d’accueil des ministères publics.

[14] La sécurité juridique suppose le respect du principe res judicata (ibid., § 62), qui est le principe des jugements définitifs. Ce principe affirme qu’aucune partie n’est autorisée de faire la révision d’un jugement définitif pour cause d’obtention d’une nouvelle audience et une nouvelle détermination de l’affaire. Le pouvoir de révision des cours supérieures doit être exercer dans le but de corriger les erreurs judiciaires, mais pas de conduire un nouvel examen du dossier. La révision ne doit pas être traitée comme un appel dissimulé et la possibilité d’avoir deux opinions sur le sujet n’est pas un motif de révision. Une exception à ce principe est justifiée uniquement s’il y a des circonstances de nature substantielle et à caractère irrésistible.

[15]  « Pour le Gouvernement, la décision d’introduire ou non un recours en harmonisation de jurisprudence ne devait être prise par l’agent du ministère public qu’en raison de critères strictement juridiques, le requérant ayant accepté une telle autonomie d’action à partir du moment où il a sollicité l’assistance du ministère public. »

[16] « ...en principe, l’« intérêt légitime » consistant à assurer la sécurité juridique et la sécurité des relations familiales et à protéger les intérêts des enfants peut justifier une différence dans le traitement des personnes souhaitant désavouer leur paternité selon que celle-ci a été simplement présumée ou qu’ elle a été déterminée par une décision devenue définitive. En l’espèce, toutefois, la recherche de cet intérêt a conduit au résultat que, tandis que le requérant n’avait à sa disposition aucune procédure par laquelle il pouvait contester la déclaration de paternité, d’autres parties dans la même situation en avaient. Dans le cadre législatif applicable, il n’y avait pas lieu de prendre en considération les circonstances de l’affaire, comme l’âge, la situation personnelle et l’attitude de I. et des autres parties concernées ».

[17] Le rôle de l’expérience d’un régime autoritaire dans la réglementation détaillée (législation) des institutions publiques et de leur activité n’est pas un fait exceptionnel. En analysant le contexte historique et politique des différents systèmes de droit militaire, Georg Nolte et Heike Kriger ont constaté qu’il existait une différence considérable entre les réglementations de trois catégories d’Etats : les petites démocraties traditionnelles (Belgique, Danemark, Luxembourg, Pays-Bas), les grandes démocraties traditionnelles (France, Royaume-Uni) et les démocraties « post-autoritaires » («  la notion « post-autoritaire » n’implique pas de jugement de valeur (...) mais sert simplement à souligner que le système de droit militaire d’un Etat a, à un moment donné, été consciemment réformé compte tenu d’expériences importantes dans le cadre d’un régime intérieur non démocratique »). Au sein de la dernière catégorie d’Etats, la législation relevant du droit militaire se concentre particulièrement sur les droits et contrôles constitutionnels. Voir : Georg NOLTE – Heike KRIEGER: European Military Law Systems – Summary and Recommendations, in : Georg NOLTE (ed.) : European Military Law Systems, De Gruyter Recht, Berlin, 2003, pp. 23-30. Nos observations relatives aux fonctions extra-pénales des procureurs soulignent que le critère Nolte-Krieger est également valable en ce qui concerne les dispositions réglementant les compétences des procureurs.

[18] Voir : Ibrahim AL-WAHAB: The Swedish Institution of Ombudsman, LiberFörlag, Stockholm, 1979, p. 20 et Bengt  WIESLANDER : The Parliamentary Ombudsman in Sweden, The Bank of Sweden Tercentenary Foundation and Gidlunds Bokförlag, 1994. pp. 14-16.

[19] Voir : European Ombudsman/National  Ombudsmen or Similar Bodies, People's Europe Series, W-6., Parlement européen, Direction Générale pour la Recherche, Janvier 1995, Gerald CAIDEN, (ed.) : International Handbook of the Ombudsman I-II. Greenwood Press, Westport, Connecticut, 1983, Linda C. REIF (ed.) : The International Ombudsman Yearbook, 1997, Vol. 1.

[20] Quelques exemples : Northern Ireland Police Ombudsman (créé par : Police/Northern Ireland/ Act 1998.), Legal Services Ombudsman pour l’Angleterre et le Pays de Galles (créé par : Legal Services Act 1990.), Commissioner for Local Administration en Ecosse (créé par : Local Government /Scotland/ Act 1975.), HM Inspectorate of Constabulary, Ecosse (créé par : Police /Scotland/ Act 1967.), Police Complaints Authority (créé par : Police and Criminal Evidence Act 1984.), The Commission for Local Administration en Angleterre (Local Government Act 1974.). L.: Northern Ireland Police Ombudsman, “Modernizing Justice” … Modernizing Regulation? Annual report of the Legal Services Ombudsman 1998/99, Local Government in Scotland, Local Government Ombudsman, Annual Report 1998/99.

[21] Voir :  Tadeusz ZIELINSKI: The Ombudsman — Possibilities and Delimitations for Action, Biuro Rzecznika Praw Obywatelskich, Warsaw, 1994, p. 50.

[22] Principes de droit administratif concernant les relations entre les autorités administratives et les personnes privées, Conseil de l’ Europe, Direction des Affaires juridiques, Strasbourg, 1996.

[23] Thomas HAMMARBERG : Les droits de l'homme en Europe : mission inaccomplie, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2007, p. 51.

[24] Ces conclusions se fondent sur deux études publiées récemment : Nicholas Bamforth – Peter Leyland (ed.) : Public Law in a Multi-Layered Constitution, Hart Publishing, Oxford and Portland, Oregon, 2003,  et Paul CRAIG – Adam TOMKINS (ed.) : The Executive and Public Law. Power and Accountability in Comparative Perspective, Oxford University Press.