Strasbourg, le 5 octobre 1998

CG/BUR (5) 60 rev

Observation des élections municpales à Odessa par le CPLRE - 23 août 1998

Rapport établi par la délégation

Document approuvé par le Bureau du Congrès le 29 septembre 1998

SOMMAIRE

1. Généralités
2. Membres de la délégation
3. La campagne
4. Nomination d’un maire par intérim
5. Le programme de la délégation
6. Le jour du scrutin : impressions de la délégation du CPLRE
7. Les résultats
8. La presse et les médias
9. Analyses et perspectives

1. Généralités

Les élections municipales en Ukraine, observées par une délégation du CPLRE, se sont tenues le 29 mars 1998.

Les conclusions de la délégation figurent dans le rapport CG/BUR (4) 132 présenté le 27 avril lors de la réunion du Bureau du CPLRE à Genève, et ont été intégrées au rapport national sur la démocratie locale et régionale examiné à l’occasion de la session plénière du Congrès, du 31 mai au 2 juin 1998.

La Recommandation n° 48 – qui contient des propositions relatives à la réforme de l’administration locale et régionale en Ukraine – de même que la Résolution n° 68 invitant le Bureau du CPLRE à continuer à suivre la situation en Ukraine et à envisager notamment un séjour à Odessa dans un proche avenir, sont annexées à ce rapport.

Ce souci particulier concernant la ville d'Odessa est lié au fait que les élections du 29 mars ont été précédées d’une campagne particulièrement malsaine et acharnée, même si le jour du scrutin lui-même s’est déroulé sans incident majeur. Les membres de la délégation présents à Odessa pour ces élections, MM. Kieres (Pologne) et Vanicek (République tchèque), avaient jugé la situation très inquiétante. Ces craintes étaient partagées par l’OSCE dans son rapport sur les élections, ainsi que par les médias tels que le journal indépendant Kyiv Post qui écrivait dans son édition du 22 mai: «de toutes les batailles électorales que connaît le pays, cette campagne, ponctuée de multiples menaces, voies de fait et même assassinats, a peut-être été la plus violente».

Dans ce contexte, l’occasion pour le CPLRE de se rendre à Odessa s’est présentée plus tôt que prévu, à la suite de l’invalidation des élections municipales du 29 mars et de l’organisation de nouvelles élections le 23 août1.

Lors de sa réunion du 29 juin, le Bureau du CPLRE a confirmé son intention d’observer les nouvelles élections et a obtenu à cet effet l’accréditation de la Commission électorale centrale d’Ukraine.

2. Membres de la délégation

M. Chirita (Roumanie), Vice-Président du CPLRE,
M. Kuybida, chef de la délégation ukrainienne,
M. Voitenko, membre de la délégation ukrainienne.

Ces trois personnes étaient accompagnées de M. Hartley, Secrétaire de la chambre des pouvoirs locaux, et de M. Sagach, représentant de la Fondation présidentielle pour l’autonomie locale en Ukraine.

A titre exceptionnel, le Bureau avait accepté d’inclure des membres de la délégation du pays hôte dans l’équipe d’observateurs, compte tenu de l’extrême complexité de la situation politique à Odessa. Ce faisant, il pensait que les éclaircissements et les informations apportés par les délégués ukrainiens compenseraient le risque d’être accusé de parti pris politique.

Cette approche était justifiée. La situation en apparence simple, polarisée sur la rivalité entre deux hommes politiques de poids – MM. Gurvits et Bodelan – cachait en réalité un imbroglio économico-juridico-constitutionnel complexe impliquant également le gouvernement central et qui, pour des étrangers, n’était pas facile à comprendre.

La présence de M. Sagach, représentant de la Fondation présidentielle, a elle aussi revêtu une importance décisive pour tout ce qui concerne le soutien logistique nécessaire ainsi que les difficultés et précautions de dernière minute.

3. La campagne

Les élections du 29 mars avaient été remportées par M. Gurvits avec une majorité de 70 000 voix.

A l’issue d’une bataille juridique confuse, ces élections ont été invalidées par décision du tribunal de Kirovograd en date du 6 mai, au motif que M. Gurvits se serait rendu coupable d’irrégularités dans le cadre de ses dépenses de campagne. Le jugement concluait également que la commission électorale municipale elle-même avait agi en violation de certaines dispositions de la loi électorale et n’avait pas fait preuve d’impartialité dans l’application de ce texte (voir annexe I).

Cette décision n’a pas été rendue par un tribunal d’Odessa, mais par le tribunal de Kirovograd à la suite d’une décision de la Cour suprême. Selon certaines allégations, ni M. Gurvits, ni M. Kapelyushny qui était à l'époque à la tête de la commission électorale de la ville, n’auraient bénéficié d'un procès équitable. Une controverse éclata par ailleurs sur le point de savoir si un tribunal – et non la commission électorale municipale – était habilité à statuer sur la validité de ces élections ou sur toute autre question en matière électorale.

Pour compliquer davantage la situation, une décision antérieure, rendue le 23 avril par un tribunal d’instance d'Odessa, reconnaissait la validité des élections – jugement confirmé le 8 mai par la commission électorale municipale de l’époque.

Conformément au jugement de Kirovograd, la candidature de M. Gurvits – vainqueur des élections du 29 mars – aux élections du 23 août n’a pas été acceptée par la nouvelle commission électorale municipale, dont la présidence et la composition avaient été en partie modifiées à la suite dudit jugement (voir annexe II). S’il est vrai que la législation électorale ukrainienne interdit à un candidat reconnu coupable d’irrégularités de conserver son poste de conseiller ou de maire ou de se représenter en cas de réorganisation d’élections, la délégation du CPLRE a néanmoins soulevé la question de savoir si les élections du 23 août devaient être considérées comme entièrement nouvelles - auquel cas le maintien de l’interdiction frappant M. Gurvits ne se justifiait pas – ou comme la simple répétition des élections du 29 mars. Le passage pertinent de la loi électorale est reproduit en annexe III.

Quelle que soit l’interprétation adoptée, le jugement de Kirovograd a marqué le début d’une très longue bataille politico-juridique caractérisée par:

– un grand nombre de recours exercés par des candidats et leurs partisans devant la commission électorale. Certains recours étaient peut-être justifiés, mais il semble que nombre d’entre eux étaient uniquement destinés à perturber le processus électoral. Tous les recours ont été dûment examinés, mais la plupart ont été jugés infondés et rejetés par la commission électorale municipale et/ou le tribunal;

– des accusations relatives à l’inégalité d’accès aux médias ;

– l’occupation de l’hôtel de ville d’Odessa par des unités spéciales de la police nationale ;

– une controverse au sein du conseil municipal d’Odessa à propos de l’organisation d’un référendum le 28 juin dans le but de valider les résultats de l’élection du 29 mars;

– une propagande politique formulée en termes parfois extrêmement violents. Ainsi, un tract anonyme portant les noms, adresses et numéros de téléphone de tous les membres de la commission électorale municipale a été largement diffusé pour appeler la population à prendre des mesures contre ces individus présentés comme des malfaiteurs et des saboteurs.

Au cours des semaines précédant les élections, le Conseil de l'Europe avait eu connaissance de cette campagne électorale par le biais d’un certain nombre de protestations et de requêtes envoyées par des partisans de M. Gurvits et de l’ancien comité exécutif d’Odessa. Ces plaintes concernaient un certain nombre d’infractions qui auraient été commises par des partisans de M. Bodelan et par l’administration de la région d’Odessa. Le chef de l’administration présidentielle réagit par un arrêté déclarant inconstitutionnelles et illégales ces plaintes déposées directement auprès du Conseil de l'Europe et stipulant que toute démarche de cet ordre devait passer par la Fondation pour l’autonomie locale et par la délégation ukrainienne auprès du CPLRE.

Le nombre de candidats au poste de maire était considérable (58). Parmi eux figurait M. Bodelan, autrefois à la tête de l’administration de la région d’Odessa, tandis que M. Gurvits, manifestement l’un des candidats de premier plan, était absent. Nombre d’autres candidats étaient sans espoir véritable de remporter cette élection; certaines candidatures avaient même été présentées pour des motifs qui se sont ensuite révélés fallacieux, puisqu’à la dernière minute, elles ont été retirées afin de créer des difficultés administratives à la commission électorale municipale. Celle-ci a en effet dû corriger à la main un grand nombre de bulletins, dans l’intervalle de sept heures séparant la date limite de retrait des candidatures – le 22 août à 24 heures – de l’ouverture des bureaux de vote le lendemain à 7 heures.

Finalement, la commission électorale municipale et de nombreuses commissions locales ont réussi à apporter les modifications nécessaires à temps, mais certaines d’entre elles étaient encore en train d’effectuer ces changements le matin du scrutin. Certains candidats risquent donc fort de contester ces résultats en invoquant le manque de clarté ou la nullité des bulletins de vote.2

4. Nomination d’un maire par intérim

Par décret présidentiel en date du 26 mai, le premier Vice-Premier ministre, M. Biloblotsky, a été nommé maire par intérim. Il a été chargé d'expédier les affaires courantes, de réduire les tensions sociales et économiques et d’organiser de nouvelles élections. Une copie de ce décret présidentiel figure en annexe IV.

Lors d’une visite en mai, le Premier ministre avait décrit Odessa comme la région la plus touchée par la criminalité de tout le pays. Un communiqué de presse de l’administration présidentielle faisait état d’une situation financière instable, de vastes machinations financières montées par des fonctionnaires et d’une propension caractérisée des employés de la ville à profiter de leur position pour s’enrichir personnellement. Le communiqué indiquait que la ville restait un haut lieu de la criminalité organisée, avec de nombreuses affaires non élucidées d’assassinats commandités. Le communiqué constatait par ailleurs que de nombreux employés municipaux n’avaient pas été payés depuis six mois et préconisait, pour conclure, un audit général de l’administration locale, de même qu'une réforme de la fiscalité locale.

Ces arguments ont bien entendu été réfutés par M. Gurvits et le comité exécutif de la commune.

S’il est vrai que la nomination de M. Biloblotsky était peu compatible avec les principes de la démocratie locale, cette mesure était néanmoins justifiée et apparaissait à la fois raisonnable et nécessaire pour résoudre certains des problèmes exposés plus haut, désamorcer une situation terriblement explosive, ainsi que pour organiser et gérer efficacement les élections. La délégation du CPLRE a rencontré M. Biloblotsky à plusieurs reprises et a été impressionnée non seulement par son approche lucide et pragmatique de la situation, mais également par sa conviction et sa volonté de laisser la gestion de la ville au futur maire élu, après avoir rempli sa mission.

5. Le programme de la délégation

La délégation s’est entretenue avec:
– le nouveau chef de l’administration de la région d’Odessa, M. Hrynevetsky;
– la présidente de la commission électorale municipale, Mme Budiak, et les membres de la commission;
– le maire par intérim d’Odessa et Vice-Premier ministre d’Ukraine, M. Biloblotsky;
– des représentants de quatre ou cinq partis et groupes politiques différents.

6. Le jour du scrutin: impressions de la délégation du CPLRE

Le jour des élections, la délégation s’est rendue dans vingt bureaux de vote environ, y compris en milieu carcéral, hospitalier et dans une zone militaire.

La délégation a effectué ses visites depuis l’ouverture des bureaux de vote (7 heures) jusqu’à leur fermeture (22 heures). Elle s’est ensuite rendue auprès de la commission électorale municipale, lorsque les premiers résultats ont commencé à être communiqués.

L'impression générale, pour la délégation, était positive. Les observateurs nationaux de différents partis politiques se sont déclarés satisfaits des procédures et de la gestion du scrutin. Celui-ci s’est déroulé dans un climat plus calme et discipliné que lors des précédentes élections. L’ordre qui régnait était vraisemblablement lié à un taux de participation nettement plus faible qu’en mars (37 %) – en raison des vacances et de la proximité de la fête de l’Indépendance, largement célébrée en Ukraine – mais tenait également à une campagne électorale dont les dernières journées n'avaient connu que de relativement rares incidents.

Sur le plan technique, les garanties habituelles étaient assurées dans le cas des malades et des handicapés; quant aux personnes dont le nom ne figurait pas sur les listes électorales, elles ont pu néanmoins voter à condition d'être munies de pièces d'identité.

D’après les observations de la délégation, les restrictions imposées en matière de propagande politique à proximité des bureaux de vote ont été respectées. Les urnes étaient correctement scellées, la liste et les photos des candidats convenablement exposées; quant aux commissions électorales, elles étaient résolues à remplir leur mission et ont su maîtriser la situation.

7. Les résultats

M. Bodelan a été élu maire par une majorité d’environ 40 000 voix sur un total de 247 000 voix exprimées le jour du scrutin, soit 37 % des électeurs inscrits.

8. La presse et les médias

Un certain nombre de journalistes étaient présents lors des réunions avec les représentants des partis politiques et n’ont pas hésité à poser des questions – parfois orientées et tendancieuses d’un point de vue politique. La délégation du CPLRE est toujours restée objective, se bornant à fournir des informations.

Plutôt que d’organiser une conférence de presse officielle le lundi 24 août, la délégation a préféré donner une interview au cours de laquelle la télévision nationale et locale était présente. Cette interview (d’une durée de 8 minutes environ) était pour elle l’occasion de faire connaître son point de vue sur une campagne difficile et controversée, qui s’est néanmoins achevée par un scrutin sans incident majeur. La délégation a exprimé l’espoir que le calme et la sérénité caractériseraient désormais la vie politique à Odessa et qu’un équilibre plus structuré s’établirait entre les intérêts des administrations locale, régionale et centrale.

La délégation a également publié un communiqué de presse (annexe V) exposant son point de vue.

9. Analyse et perspectives

Odessa est l’un des centres les plus importants d’Ukraine pour le commerce et les affaires. C’est également le plus grand port pétrolier du pays par lequel transite le pétrole de Sibérie acheminé vers la Méditerranée. Le contrôle des infrastructures régionales de transport du pétrole est un élément clé du budget national. Il est par conséquent naturel que le gouvernement s’intéresse de très près à Odessa, suive attentivement tous les événements survenant dans la région et prenne des mesures pour faire en sorte qu’une proportion acceptable de l'indéniable richesse d'Odessa tombe dans les caisses de l’Etat.

C’est dans ce contexte d’intérêts économiques et de partage du pouvoir que s'inscrit la spectaculaire polarisation politique entre M. Bodelan, désigné de façon plutôt simpliste comme le candidat du Président, et M. Gurvits, dont on a fait tout aussi rapidement le champion de l’économie de marché.

Il est bien possible que la saga des rivalités politiques ne s’arrête pas là. Des recours seront peut-être introduits pour contester les résultats.3 Nous avons appris, par exemple, que M. Gurvits avait saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme à propos de l’invalidation des élections du 29 mars et du refus de la commission électorale municipale d’accepter sa candidature pour les nouvelles élections.

Les élections ont toutefois été organisées de manière satisfaisante. Le Vice-Premier ministre s’est acquitté de sa tâche de façon remarquable, apaisant les tensions, organisant les élections et faisant même baisser le taux de criminalité. (P.S : Reconnaissant que sa mission était à présent achevée à la suite de l’élection du nouveau maire, M. Biloblodsky a effectivement quitté Odessa quelques jours après le scrutin du 23 août).

La commission électorale municipale a travaillé efficacement alors qu'elle était soumise à de fortes pressions; de plus, certains de ses membres ont fait personnellement l’objet d’accusations et de menaces, à tel point que dans les jours précédant le scrutin certains ne quittaient plus le Q.G. de l’hôtel de ville et qu’il était conseillé à certains de leurs proches de quitter Odessa.

La délégation du CPLRE était la seule équipe d’observateurs internationaux et sa présence a été appréciée. Plusieurs personnes, dont le maire par intérim et le président de la commission électorale, se sont félicitées de cette présence très visible dans leur ville, y voyant la preuve qu’un organe extérieur prestigieux et reconnu en ce qui concerne les questions politiques relatives à l’administration locale prêtait effectivement attention à ce qui se passait dans une ville d’un Etat membre.

1 . Plusieurs élections se sont tenues simultanément le 23 août: en dehors du poste de maire, il s’agissait de pourvoir les sièges vacants de trois représentants de la ville d’Odessa auprès du conseil régional, ainsi que le siège vacant du représentant de l’une des circonscriptions de la ville au conseil municipal d’Odessa.

2 Ces craintes se révèlent pour l’instant infondées puisqu’à la fin septembre, seuls deux recours avaient été exercés.

3 Voir note précédente