Rapport sur la situation de la démocratie locale en Estonie - CPL (7) 7 Partie II

Rapporteur: Owen MASTERS (Royaume-Uni)

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EXPOSE DES MOTIFS

INTRODUCTION

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe a décidé de rédiger un rapport détaillé sur la situation de la démocratie locale en Estonie. A cette fin, le bureau du congrès a donné mandat à M. Owen Masters (Royaume-Uni) de se rendre en Estonie du 7 au 10 février 2000, en vue d'établir un rapport spécifique à lui présenter. M. Masters était accompagné de M. Guiseppe Tessari, membre du Secrétariat du Conseil de l'Europe, et de M. Zoltán Szente (Hongrie), expert. La même délégation a effectué un deuxième séjour les 9 et 10 mars 2000.

Avant ces visites, les membres de la délégation se sont abondamment informés de la législation estonienne relative aux collectivités locales, à partir de documents et de textes législatifs fournis par le Secrétariat du Conseil de l'Europe.

Le programme de ces deux visites était bien rempli et bien organisé (voir annexes 1 et 2); la délégation a rencontré un grand nombre de personnalités politiques et de fonctionnaires nationaux et locaux, et de représentants des associations de communes1. Les délégués ont trouvé un accueil très amical et une attitude coopérative.

Ce rapport comporte trois parties: la première présente les grandes lignes du système de gouvernement local et régional de l'Estonie, en en soulignant les traits les plus importants. La deuxième partie décrit les principaux problèmes du système actuel de gouvernement local, et résume les propositions de réforme et les moyens à envisager pour résoudre les difficultés évoquées au cours des deux visites. Dans la troisième partie, le rapport formule un certain nombre de considérations, de suggestions et de recommandations, conformes à l’esprit de la Charte européenne de l'autonomie locale, dont l'Estonie devrait tenir compte dans un avenir proche en élaborant sa politique.

Ce rapport a puisé à deux grandes sources: premièrement, une masse de documents écrits, articles et brochures d'information2; deuxièmement, une quantité d'informations et d'opinions émanant des personnes que la délégation a rencontrées durant ses deux visites.

I. LA SITUATION ACTUELLE DU GOUVERNEMENT LOCAL EN ESTONIE

L'Estonie est située sur la rive Nord–Est de la mer Baltique. Avec une superficie de 45 227 km2, c'est le plus petit des Etats baltes. Elle compte environ 1 445 000 habitants. Elle a recouvré son indépendance en 1991. A l'heure actuelle, elle est candidate à l'Union européenne et mène des négociations en vue de son adhésion.

1. Les fondements constitutionnels et législatifs

Les dispositions fondamentales applicables au gouvernement local sont fixées par la constitution de 1992. Celle–ci reconnaît le principe du gouvernement local et indique que:

«Toute question d'ordre local sera résolue et traitée par les collectivités locales, qui agiront en toute indépendance conformément à la loi.»

Les collectivités locales jouissent de la légitimité démocratique, car leur organe représentatif est élu au suffrage universel, égalitaire, direct et secret.

La constitution énumère les garanties fondamentales du gouvernement local:

– ne peuvent être imposées à la collectivité locale que des obligations prévues par la loi ou découlant d'un accord conclu avec cette collectivité;

– les dépenses liées aux obligations de l'Etat et imposées par la loi à la collectivité locale doivent être financées sur le budget de l'Etat;

– la collectivité locale dispose d'un budget indépendant;

– la collectivité locale a le droit de lever des impôts locaux et d'imposer des redevances;

– il n'est pas possible de modifier les limites d'une commune sans prendre l'avis des collectivités locales concernées;

– les collectivités locales ont le droit de constituer des associations et des organes paritaires avec d'autres collectivités locales.

Les grands domaines du gouvernement local sont régis – dans le cadre de la constitution – par des lois, dont les principales sont les suivantes:

– la loi relative à l'organisation des collectivités locales, qui définit les fonctions, les attributions et le mode d'organisation des collectivités locales, ainsi que les relations des municipalités les unes avec les autres et avec le gouvernement central;

– la loi relative à la division administrative du territoire de l'Estonie, qui répartit le territoire estonien en comtés, villes et communes rurales, et régit également les procédures de modification des limites de circonscription, de changement de nom des collectivités locales; etc.;

– la loi relative à l'élection des conseils locaux, qui détermine la procédure des élections locales;

– la loi relative au budget des villes3 et des communes rurales, et la loi sur la corrélation entre les budgets de l'Etat, des villes et des communes rurales qui définissent la procédure d'élaboration, d'adoption et d'application des budgets des villes et des communes rurales;

– la loi relative aux impôts locaux qui énumère ces impôts et dispose de la procédure de liquidation et de recouvrement.

2. La structure administrative de l'Estonie

Conformément à la loi sur l'organisation des collectivités locales et à la loi relative à la division administrative du territoire de l'Estonie, le pays est divisé en 15 comtés et 247 communes (42 villes et 205 communes rurales)4. Toutes les communes ont le même statut juridique, qu'elles comptent 420 000 habitants comme Tallinn ou seulement 47 comme l'île de Ruhnu.

Les communes urbaines et rurales peuvent regrouper des villages, des quartiers ou des villes. Certaines se sont divisées en districts ruraux ou urbains, jouissant d'une autonomie limitée, pour assurer les services publics, conformément à la procédure prescrite par la loi.

Le gouvernement du comté étant une agence régionale de l'administration de l'Etat, sans conseil élu, le système de gouvernement local estonien n'a qu'un niveau. Le comté est dirigé par un gouverneur, nommé – après approbation des représentants des collectivités locales – par le gouvernement de la République. Jusqu'à 1993, il existait des gouvernements de comté autonomes, possédant des conseils élus, mais la loi sur l'organisation des collectivités locales les a abolis.

3. L'étendue des pouvoirs des collectivités locales

Selon la constitution, le législateur peut seul imposer des tâches et des attributions aux collectivités locales. Ces obligations sont, pour la plupart, énumérés dans la loi relative à l'organisation des collectivités locales, mais elles peuvent également être tirées d'autres lois. Les fonctions de base sont l'organisation des services sociaux, l'aide aux personnes âgées, le logement et les équipements collectifs, l'adduction d'eau et les égouts, les services publics, l'aménagement du territoire, les transports publics, l'entretien des routes locales et des rues. Les communes financent les jardins d'enfants, les écoles primaires et secondaires, les bibliothèques, les centres socioculturels, les musées, les équipements sportifs, les foyers refuges, les maisons de retraite, de repos, etc., les établissements de soins de santé et les autres organismes ou institutions créés par la commune ou lui appartenant.

En outre, les collectivités locales assument pour le compte de l'Etat, un certain nombre de fonctions qui leur sont assignées par la loi ou découlent d'un contrat spécifique entre elles et une agence de l'Etat.

Les communes rurales et les villes doivent établir un plan de développement local, comportant une analyse et des prévisions concernant la situation socio–économique, l'état de l'environnement, les grands objectifs du développement, le plan d'aménagement physique et les bases de développement des infrastructures locales.

Les conseils municipaux jouissent d'un pouvoir réglementaire au niveau local.

Dans l'ensemble, les responsabilités de la collectivité locale sont pleines et entières, mais un certain nombre d'entre elles sont partagées avec le gouvernement central. Par exemple, dans le domaine de l'éducation, l'entretien des bâtiments scolaires incombe à la commune, alors que les enseignants sont rémunérés directement par l'Etat.

4. La structure des collectivités locales

La loi sur l'organisation des collectivités locales fixe la structure générale du gouvernement local, ainsi que ses organes fondamentaux. Chaque commune dispose d'un organe délibérant: le conseil (volikogu) et d'un organe exécutif: la municipalité (valitsus).

Le conseil municipal est élu au suffrage universel, égal, direct et secret, pour une période de trois ans. En vertu de la loi, le nombre des conseillers est fonction de la population de la commune. Le conseil élit son président à bulletin secret. Il peut instituer des commissions: la seule qui soit prescrite par la loi est la commission de vérification des comptes, obligatoire dans chaque commune.

Le conseil municipal a la responsabilité pleine et entière d'un grand nombre de domaines importants au niveau local, par exemple:

– la fixation et la modification du budget de la commune rurale ou urbaine, et l'approbation des rapports de mise en œuvre;

– la liquidation et le recouvrement des impôts locaux et des redevances locales;

– la gestion des biens de la commune;

– l'emprunt;

– l'approbation, l'amendement et l'abrogation des plans de développement communal;

– la demande ou la formulation d'avis concernant la modification des limites communales;

– la constitution de districts (ruraux ou urbains) et la détermination de leurs compétences;

– la publication d'arrêtés municipaux.

L'organe délibérant du conseil est la municipalité. Celle-ci est dirigée par le maire, qui est élu à bulletins secrets par le conseil, pour une période de 3 ans au plus. Le maire met en place la municipalité, dont les membres sont nommés par le conseil sur sa proposition. La municipalité rurale ou urbaine est chargée de préparer les questions à débattre et les décisions à prendre par le conseil municipal, et de faire exécuter la politique définie par celui-ci.

Le maire est aussi le chef de l'administration municipale, qui est habituellement divisée en bureaux et en départements.

5. Le financement des collectivités locales

Les budgets des collectivités locales sont distincts du budget de l'Etat. La loi relative au budget des communes rurales et des villes définit la procédure d'élaboration du budget annuel de la collectivité locale. Cette loi impose l'équilibre entre les recettes et les dépenses.

Le tableau ci–dessous présente les principales sources de revenu et leur part dans le budget du gouvernement local.

Structure des recettes des gouvernements locaux en 1998

Type de recette

En pourcentage des recettes totales

Dotations du gouvernement central

Dotations de fonctionnement (part de l'Etat)

Dotations pour investissements

25

10

4

Recettes provenant de la péréquation des impôts nationaux

Impôt sur le revenu des personnes physiques

Impôt foncier

Redevances pour l'utilisation des ressources naturelles

54

50

4

1

Recettes locales

Impôts locaux

Recettes provenant des taxes et redevances, et de l'exploitation des biens communaux, etc.

11

1

9

Emprunts

8

Autres

2

Total

100

Source: Ministère de l'Intérieur.

Environ la moitié des recettes locales proviennent de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, qui est fixé et perçu par le gouvernement central. A l'heure actuelle, la part que reçoivent les pouvoirs locaux est de 56 % (elle a légèrement augmenté ces dernières années). L'impôt foncier est également un impôt national, mais les recettes en sont reversées aux budgets locaux.

Le montant des dotations centrales est automatiquement calculé à partir d'une formule qui intègre un certain nombre de données, telles que le nombre d'habitants, les recettes de l'année précédente, etc.

La loi relative aux impôts locaux détermine les types, l'assiette et le taux des impôts locaux, les assujettis et les exemptions. Au sein de ce cadre légal, la collectivité locale peut décider du type et du taux des impôts qu'elle lève. Ces impôts sont les suivants:

– l'impôt de capitation;

– l'impôt sur les ventes;

– l'impôt sur les bateaux;

– l'impôt sur la publicité;

– l'impôt sur la fermeture des voies de circulation;

– l'impôt sur les véhicules à moteur;

– l'impôt sur les animaux;

– l'impôt sur les activités de loisirs.

Les collectivités locales ont toute latitude pour décider des tarifs et redevances que devront payer les usagers des services publics. Elles peuvent tirer quelques revenus des biens possédés par la commune, par exemple, en les privatisant. Mais les possibilités en ce domaine sont extrêmement différentes dans les villes et dans les communes rurales. Par exemple, si Tallinn, la capitale de l'Estonie, a tiré environ 12 % de ses recettes totales de ventes de propriétés immobilières en 1999, les petites villes (par exemple, Väike–Maarja, où la délégation s'est rendue) ne possèdent aucun bien de nature à générer des ressources.

6. La politique de développement régional

Malgré le dynamisme général de l'économie estonienne, on observe de grandes disparités entre les régions. En outre, l'Estonie fait partie de la prochaine vague d'adhésion à l'Union européenne et doit se préparer à son intégration. C'est pourquoi elle a dû mettre en place des institutions et une politique de développement régional et en fixer les principes et les objectifs.

Au niveau central, le ministre de l'Intérieur est au premier chef responsable de la politique régionale. Un ministre sans portefeuille est chargé de coordonner les activités du gouvernement central en matière de développement régional, et quelques autres ministères (des Affaires économiques, Agriculture, Environnement) participent également à l'élaboration de la politique en ce domaine. Au niveau régional, les gouvernements de comtés sont chargés de coordonner les activités sectorielles (par exemple, dans le cadre de plans à plus ou moins long terme de développement économique régional). Les organes du gouvernement central gèrent un certain nombre de programmes de développement régional, axés, soit sur les territoires insuffisamment mis en valeur (il existe, par exemple, un programme pour les régions frontalières), soit sur des questions spécifiques (par exemple, le système de soutien aux entreprises).

La participation des autorités locales à l'élaboration de la politique régionale peut être améliorée. A l'heure actuelle, les plans de développement régional doivent être approuvés par les collectivités locales du comté concerné, et coordonnés avec ceux des comtés voisins. Les communes élaborent des plans d'aménagement local, qui doivent être coordonnés avec ceux du gouvernement du comté.

7. Les relations entre le gouvernement central et la collectivité locale et les associations de communes

Les questions de gouvernement local relèvent, au niveau central, du ministère de l'Intérieur, qui exerce son autorité sur les collectivités locales par l'intermédiaire du gouverneur de comté. Celui-ci, en tant que représentant de l'administration de l'Etat au niveau du comté, ne peut ni suspendre, ni abroger les mesures décidées par les conseils municipaux: il ne peut que proposer la modification ou le retrait d'une décision qu'il désapprouve, et, si la commune n'y consent pas, il peut saisir un tribunal à cette fin. Il incombe au «chancelier des lois» de veiller à ce que les règlements municipaux soient conformes à la constitution et au droit.

Le ministère des Finances prépare le budget prévisionnel global des collectivités locales à partir des données que celles-ci lui fournissent sur leur budget et sur leur gestion financière et les tendances générales de l'économie. Ce projet est ensuite négocié entre le gouvernement et les représentants des pouvoirs locaux.

Les communes sont autorisées à se constituer en associations. Elles peuvent aussi créer des établissements communs, ce qu'elles font souvent pour gérer ensemble certains services publics, comme les services de santé ou l'enlèvement des ordures. Beaucoup de petites communes achètent des services publics à une commune voisine plus grande.

En l'absence d'un niveau régional d'autonomie locale, la coopération territoriale des communes situées dans le même comté présente une importance réelle. A l'intérieur de chaque comté, se regroupent en une association la plupart des communes. Au niveau national, il existe trois associations:

– l'association des villes estoniennes;

– l'association des communes rurales estoniennes;

– le syndicat des associations estoniennes de collectivités locales.

Ces associations ont pour principales fonctions la représentation et la protection des collectivités locales et la participation aux processus législatifs les concernant. En 1994, ces trois associations ont créé un organe commun: l'Assemblée de coopération des associations de collectivités locales, pour mener les négociations avec le gouvernement central et assurer la coordination entre les associations membres.

II. APERÇU DES PROBLÈMES À RÉSOUDRE

Le «Programme gouvernemental de réforme de l'administration publique», élaboré par le bureau de l'administration publique du secrétariat d'Etat concerné en novembre 1999 concerne l'ensemble du système de gouvernement local, notamment, le découpage administratif du pays, la redistribution des fonctions entre les niveaux de gouvernement, ainsi que le financement des collectivités locales. La délégation du CPLRE a eu, de nombreuses occasions, d'entendre des opinions et des propositions émanant de divers bords.

1. La structure administrative

Une des questions les plus importantes est celle du redécoupage administratif de l'Estonie. Diverses considérations motivent cette restructuration territoriale des pouvoirs locaux:

– un certain nombre de communes, trop petites, ne disposent pas des ressources financières et autres qui leur permettraient de s'acquitter correctement de leurs fonctions;

– on souhaite améliorer la gestion financière et administrative dans toutes les communes;

– on constate de grandes différences de quantité et de qualité entre les services publics offerts par les communes selon leur taille.

L'orientation générale de ce redécoupage administratif tend à réduire le nombre des communes, en encourageant les plus petites à fusionner volontairement. Cela étant, plusieurs solutions sont possibles, qui vont de la fixation d'une population optimale de la commune (par exemple, 4 ou 5 000 personnes) à une réorganisation reprenant les anciennes limites de paroisses.

Ces dernières années, le gouvernement central a fait un certain nombre de démarches pour évaluer l'état d'esprit des communes en la matière, élaborer diverses formes de regroupement, et offrir ses conseils dans les processus de fusion. En 1999, à la suite de ces efforts, quelques-unes des communes ont décidé de fusionner, ce qui a ramené leur nombre total de 256 à 247.

Il convient de noter que les propositions de réforme actuelles touchent tous les niveaux de gouvernement. Par exemple, pour beaucoup des personnes à qui nous avons pu parler durant ces deux visites, le nombre des comtés pourrait passer de 15, chiffre actuel, à 9 ou même moins, car l'étendue de leurs pouvoirs ne justifie pas qu'il y ait autant d'organes distincts. Nous avons également eu connaissance d'un certain nombre de propositions concernant la création de gouvernements autonomes de comté élus, directement ou indirectement.

Un autre problème à l'ordre du jour est l'octroi d'un statut juridique particulier à la Ville de Tallinn. Les représentants de la capitale nous ont dit militer en faveur d'une loi spéciale sur le statut de Tallinn, qui reconnaîtrait l'importance particulière du rôle joué par cette métropole.

2. La redistribution des pouvoirs et des tâches entre les différents niveaux et les différentes entités de gouvernement

Nos interlocuteurs nous ont beaucoup entretenus de la nécessité de redistribuer les fonctions de l'Etat entre les divers niveaux et entités de gouvernement. On nous a dit, à maintes reprises, que la redistribution des responsabilités devrait s'inscrire dans le contexte plus large d'une réforme du secteur public, qui déterminerait l'éventail des attributions des pouvoirs publics.

Cela étant, on constate déjà quelque évolution en ce domaine. Un exemple évident en est le transfert des compétences du gouvernement du comté aux associations de communes. Beaucoup considèrent ces associations comme les structures adéquates aussi bien pour représenter les intérêts des collectivités locales au niveau régional que pour accomplir certaines tâches qui ne peuvent l'être de façon satisfaisante dans le cadre de la commune.

Cette proposition de transfert des tâches et des fonctions s'inscrit dans le toilettage des attributions des gouvernements de comté, qui vise à ne plus leur laisser que des fonctions purement de contrôle.

3. La réforme du financement des collectivités locales

La faiblesse financière des petites communes est la grande question du moment. Notre délégation a été informée d'un grand nombre de propositions d'amélioration des ressources locales.

Les collectivités locales sont les premières à souhaiter la transformation partielle de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. A l'heure actuelle, elles en reçoivent 56 %. A l'avenir, elles pourraient directement lever une partie de cet impôt et en fixer elles-mêmes le taux. D'autres suggestions tendent à élargir l'assiette des impôts locaux (par exemple, en introduisant un impôt local sur la propriété).

Une des difficultés provient de ce que les communes n'ont pas les moyens de lever des impôts locaux et d'en gérer le produit. Cela, semble-t-il, leur reviendrait trop cher, car elles ne possèdent pas les structures adéquates. En outre, on ne dispose pas à l'heure actuelle de recensement des citoyens utilisable à cette fin. L'absence d'un rôle des contribuables et d'obligation de déclarer son lieu de résidence gêne considérablement l'évaluation de l'impôt sur le revenu revenant à la commune. Enfin, toute modification du système actuel d'imposition du revenu des personnes physiques exigerait une décision politique, or il n'existe pas de consensus sur cette question.

Un autre problème vient de ce que le calcul central des dotations de l'Etat ne prend en compte que l'aspect «recettes» des communes, sans considération des disparités entre leurs ressources financières. L'effet de cet automatisme budgétaire n'est pas contrebalancé par des subventions spécifiques, tenant compte des différences de besoins entre les communes.

4. Les coopérations transfrontalières et la situation de la minorité russe

L'Estonie n'a pas encore signé la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière. En effet, il n'y a pas de frontière officielle entre l'Estonie et la Fédération de Russie. Cette question devrait être traitée sans délai, car, d'une part, les échanges sont constants entre les deux zones et, d'autre part, l'Estonie doit se préparer à appliquer le traité de Schengen après son adhésion à l'UE.

La situation de la minorité russe est une question épineuse depuis dix ans. La législation adoptée par l'Estonie au début des années 90 a obligé les anciens citoyens soviétiques à choisir leur nouvelle citoyenneté. Ceux qui ont choisi la citoyenneté russe sont considérés comme des «étrangers»; et il existe donc deux statuts différents pour les personnes d'origine russe qui vivent en Estonie. En même temps, la législation établit une différence entre les citoyens estoniens quant au droit de participer aux élections locales. En effet la loi relative à l'élection des conseils municipaux stipule que tout citoyen estonien de plus de dix-huit ans a le droit de voter5, mais que seuls ceux dont la connaissance de la langue estonienne atteint un niveau prescrit par la loi peuvent se porter candidats à un poste municipal. Dans d'autres domaines, on ne constate pas de différences importantes entre les citoyens et les étrangers ayant un permis de séjour permanent.

La délégation du CPLRE s'est rendue à Sillamäe, dont la population est à majorité russe. Les membres russophones du conseil municipal nous ont dit que, bien que la langue officielle des réunions soit l'estonien, ils sont autorisés à y parler leur langue. En vertu de la loi sur la langue estonienne, dans certains endroits, les travaux du conseil municipal peuvent se faire dans la langue majoritairement parlée dans la commune. Toutefois, les actes des organes du gouvernement local (conseil ou municipalité) doivent avoir pour langue originale l'estonien.

Un certain nombre de villes et de communes rurales entretiennent des liens étroits avec des villes ou des communes rurales de Russie.

L'Estonie a de bonnes relations avec ses autres voisins, et mène, en particulier, des programmes de développement spécialisés avec le Danemark, la Finlande et la Suède.

III. CONCLUSIONS

En ce moment où l'ensemble du système de gouvernement local est en débat et devrait faire l'objet d'une réforme importante, l'Estonie a une excellente occasion de corriger les déficiences qui se sont fait jour au cours des dix dernières années et de relever les normes et la qualité du système avant son adhésion prévue à l'Union européenne. En réformant ses structures actuelles de gouvernement local, elle doit garder à l'esprit les principes et les directives de la Charte européenne de l'autonomie locale.

Une étude approfondie de l'état de la démocratie locale en Estonie nous permet de conclure la législation et la pratique des collectivités locales offrent un cadre satisfaisant à l'exercice de la démocratie locale. Toutefois, un certain nombre d'améliorations rapprocheraient la participation démocratique et les compétences des administrations locales des normes fixées par la Charte. Nous présentons ci-dessous quelques recommandations, suggestions et considérations qui pourraient être prises en compte dans la restructuration du gouvernement local. Nous avons réparti les principales questions en quatre catégories, en fonction de leur nature.

1. Division administrative

1.1. Pour ce qui est de la restructuration administrative, les collectivités locales concernées et leurs associations doivent être consultées avant toute décision finale, conformément à l'article 4, alinéa 6 de la Charte européenne de l'autonomie locale. Les habitants, également, devraient pouvoir participer au processus de changement dans leur circonscription, éventuellement par voie de référendum.

1.2. Il semble nécessaire d'encourager la fusion volontaire des petites communes, au moyen d'incitations financières, en tenant compte de l'avis des collectivités locales et des habitants concernés.

1.3. En créant des unités de gouvernement local plus larges, disposant de moyens administratifs et financiers plus importants, il faudra concilier la recherche de l'efficacité et de l'efficience et l'application du principe de subsidiarité tel qu'il ressort de l'article 4, alinéa 3 de la charte. Les propositions de nouvelles divisions administratives devront respecter le rôle potentiel des pôles d'attraction, et faciliter au maximum l'accès aux services publics.

1.4. Dans le cadre de la modification de la loi relative à l'organisation des collectivités locales, le parlement et le gouvernement devraient envisager d'accorder à la ville de Tallinn un statut spécial, reflétant l'importance de la capitale pour le pays6. Ce faisant, on pourrait également revoir la répartition actuelle des tâches et des fonctions entre Tallinn et le gouvernement du comté où elle se trouve.

2. Redistribution des fonctions

2.1. Nous sommes favorables à la tendance actuelle de transférer des fonctions du gouvernement du comté aux associations régionales de collectivités locales, qui représentent directement les intérêts des communes. Le parlement et le gouvernement estoniens devraient envisager de rétablir l'autonomie du comté en renforçant les assemblées de comté.

2.2. Des communes plus grandes seraient mieux à même de fournir des services publics de qualité. D'autres formes de gestion des services publics, par exemple, la création d'établissements appartenant à plusieurs communes, ou le développement de la sous-traitance, pourraient aboutir à donner à l'usager le choix de son prestataire de services.

3. Questions financières

3.1. Nous recommandons au Parlement et au Gouvernement estoniens de modifier leur législation et leurs pratiques de sorte qu'à l'avenir, les collectivités locales disposent en propre d'une plus grande proportion des ressources financières et notamment, qu'elles aient davantage de possibilités de lever des impôts. Selon la Charte européenne de l'autonomie locale, «une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi».

3.2. Les collectivités locales devraient pouvoir lever un impôt sur le revenu des personnes physiques et en fixer le taux. Il faudrait pour cela qu'elles s'en donnent la possibilité matérielle, essentiellement en réduisant le coût administratif du recouvrement (par exemple, en contractant avec les organismes compétents de l'Etat) et en créant un rôle des contribuables. Pour accroître les revenus des collectivités locales, on pourrait introduire de nouveaux impôts locaux, ou transformer les impôts actuels (par exemple, dériver de l'impôt foncier un impôt sur la propriété).

3.3. En nous référant à l'article 9, alinéa 5 de la charte, nous recommandons que les autorités estoniennes envisagent l'introduction d'un système de péréquation plus fine, pouvant tenir compte des conditions particulières de chaque collectivité locale. Le calcul automatique actuel du montant de la «dotation de l'Etat» (qui est, en fait, une enveloppe forfaitaire) ne semble pas répondre de façon satisfaisante aux besoins des collectivités locales, notamment, des communes rurales en situation précaire.

4. Les relations entre les collectivités locales et le gouvernement central et les associations de collectivités locales

4.1. Les associations nationales de collectivités locales devraient renforcer leur capacité d'action commune et coordonnée, en particulier pour présenter un front commun dans les négociations avec le gouvernement central. Elles devraient envisager de se regrouper en une seule union.

4.2. Pour ce qui est de la politique régionale et du développement, le problème de la participation démocratique des collectivités locales et de la prise en compte des intérêts locaux dans le processus de décision ne semble pas non résolu. Or, ce problème se posera, après l'adhésion à l'Union européenne, à l'occasion de la réception et de la redistribution des aides de l'UE. On trouve en Europe divers systèmes permettant la représentation des intérêts locaux dans la formation de la politique régionale, depuis des organismes corporatifs régionaux jusqu'à des collectivités régionales autonomes directement élues. Ces considérations ne doivent pas être oubliées dans les débats en cours.

5. La coopération transfrontalière et la situation de la minorité russe7

5.1 Il ne fait aucun doute que l'Estonie devrait signer et ratifier le plus rapidement possible la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière. Bien qu'un grand nombre de problèmes (par exemple, selon certains informateurs, la politique douanière protectionniste de la Russie), empêchent à l'heure actuelle, l'Estonie de parvenir à un accord avec la Russie sur leur frontière commune, les efforts en ce domaine devraient s'intensifier8.

5.2. Il faudrait reconsidérer, dans un avenir proche, la disposition de la loi relative à l'élection au conseil municipal qui impose à tout candidat à une élection locale de parler couramment l'estonien.

5.3. Le parlement et le gouvernement devraient rechercher les moyens et les possibilités de protéger les langues minoritaires, notamment en autorisant l'usage de la langue maternelle durant les séances des conseils municipaux lorsque c'est possible (par exemple, lorsque les russophones sont majoritaires).

6. Autres questions

Nous recommandons de reconsidérer la durée actuelle – trois ans – du mandat des représentants. Cette durée, compte tenu de la nature politique du conseil municipal, ne semble pas suffisante pour mener à bien un programme politique, ce qui risque d'entraîner une certaine instabilité de la politique locale.

ANNEXE 1

Programme de la mission du CPLRE en Estonie
7-10 février 2000

ANNEXE 2

Programme de la deuxième mission en Estonie
9-10 mars 2000

ANNEXE 3

Sources écrites:

The Ministry of Internal Affairs and its Subordinate Institutions. Ministère de l'Intérieur, Décembre 1998;

Local Government in Estonia. Ministère de l'Intérieur. Tallin, 1999.

Estonia Municipalities. Selected Data of Selected Municipalities.[Manuscrit]

Toomas Välimäe: Estonia. Multi-County Workshop, 27-28 avril 1999, Brussels, TAIEX Office.

Discover Tallin, on the Pulse of Opportunity. Presentation to Investors. Edité par la ville de Tallin, Janvier 2000.

Regional policy in Estonia. Ministère de l'Intérieur, Département du gouvernement local et du développement régional;

Estonie. Structure et fonctionnement de la démocratie locale et régionale. Situation en 1999. Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1999.

Administrative Reform Program of the Government of the Republic. [Manuscrit]. Novembre 1999.

Les législations prises en compte sont les suivantes:

la Constitution de la République d'Estonie;

la loi relative à l'organisation des collectivités locales;

la loi relative à l'élection de conseils locaux;

la loi relative aux divisions administratives du territoire de l'Estonie;

la loi relative aux impôts locaux;

la loi relative au budget des communes rurales et des villes;

la loi sur la corrélation entre les budgets des communes rurales, des villes et de l'Etat;

la loi relative à la langue.

1 Le programme détaillé de ces deux visites est donné en annexes 1 et 2.

2 Voir liste en annexe 3.

3  non traduit

4  Il était de 256 jusqu'à la fusion volontaire de 18 communes fin 1999.

5  Il faut noter que les étrangers ont également le droit de voter dans les élections locales, mais qu'ils ne peuvent se porter candidats à un poste de conseiller municipal.

6  Par exemple, Tallinn possède 28 % de la population de l'Estonie. Plus de 50 % des sociétés enregistrées en Estonie le sont à Tallinn. La capitale fournit plus de 50 % du PIB estonien. Source: Conseil municipal de Tallinn.

7  Selon les chiffres officiels, la répartition ethnique de la population de l'Estonie est la suivante: Estoniens 65,1 % ; Russes 28,2 % ; Ukrainiens 2,6 % ; Biélorusses 1,5 % ; Finnois 0,9 % ; Autres 1,7 %

8  L'Estonie et la Russie sont parvenues à un accord sur leur frontière commune. La signature et la ratification de cet accord sont encore en suspens.