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Rapport de la mission d’observation du CPLRE aux élections municipales et régionales en Ukraine (26 juin 1994)

Le 25 mai dernier, le ministère des Affaires étrangères de l’Ukraine a écrit au Secrétaire Général pour inviter le Conseil de l’Europe à observer le déroulement des élections présidentielles, locales et régionales organisées dans ce pays le 26 juin 1994.

Composition de la mission du CPLRE

Suite à cette invitation, le Bureau du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe a décidé, le 3 juin, d'envoyer une mission. Cinq membres du CPLRE qui avaient exprimé le désir d’y prendre part ont été nommés

M. Grau Tanner a accompagné le groupe en qualité de membre du Secrétariat du CPLRE.

Rappel des faits

Plusieurs scrutins ont coïncidé le jour des élections : les élections présidentielles et une série d’élections locales et régionales. Pour chacun des trois niveaux administratifs : (ville, district et « oblast »), les électeurs devaient élire un certain nombre de conseillers, ainsi que le président de l'autorité locale ou régionale.

Les observateurs internationaux présents à cette occasion étaient beaucoup moins nombreux que lors des élections 1égislatives de mars. Au total, d’après la Commission électorale centrale, environ 250 observateurs ont demandé leur accréditation auprès des autorités ukrainiennes, contre plus de six cents la fois précédente.

Les électeurs et les médias se sont surtout intéressés aux élections présidentielles. Cela s’explique par deux facteurs : d’une part, les élections parlementaires du début de l’année n'ont pas encore produit des résultats tangibles. Certains sièges du parlement sont encore vacants et une majorité des parlementaires élus s'étaient présentés en qualité de candidats indépendants. L’issue des élections présidentielles est donc considérée comme un facteur déterminant qui pourrait clarifier l’avenir politique du pays. L’enjeu est d'autant plus grand que les deux principaux concurrents sont en désaccord sur l’intégration économique à la Communauté d’Etats indépendants, dans laquelle les uns redoutent une menace pour 1’indépendance récemment acquise par l’Ukraine, tandis que d’autres y voient un préalable essentiel à la reprise économique. Les médias internationaux, eux aussi, se sont intéressés principalement aux élections présidentielles. Seul le European Wall Street Journal du vendredi 24 juin a relevé l’importance de ce qu’il a appe1é les élections régionales.

Hormis le fait qu'elles se tenaient dans l’ombre des élections présidentielles, les élections locales et régionales n’ont pas suscité un grand intérêt auprès des électeurs parce que ces derniers trouvent que les pouvoirs locaux et régionaux manquent de poids. Leurs compétences sont mal définies. Malgré ses demandes, la délégation n’a pas pu obtenir copie de la loi sur l’organisation du territoire (si elle existe). De plus, les pouvoirs locaux et régionaux paraissent souffrir d’une grave carence de moyens financiers. Dans un pays en proie à une profonde crise économique, l’é1ectorat accorde peu d’importance à une autorité dépourvue de ressources.

Le groupe de travail responsable des observateurs internationaux

Comme pour les élections précédentes, les autorités ukrainiennes ont créé un groupe de travail ad hoc, présidé par M. Evgenyi Novitsky, chargé d’organiser le séjour des observateurs étrangers. Notons au passage qu’aucun des fonctionnaires de ce groupe de travail ne parlait une langue autre que le russe ou l’ukrainien. Les interprètes les plus expérimentés que nous ayons rencontrés sont deux étudiants universitaires de 20 ans. Ce groupe de travail n’a pas pu non plus nous fournir une traduction officielle de la loi électorale.

Ces facteurs ont rendu notre mission plus difficile. Avant le départ de la délégation pour Kiev, le groupe de travail a fourni des informations très laconiques au CPLRE, qu’il a expédiées très tard de surcroît. De plus, et bien qu’il nous ait affirmé le contraire par écrit, le groupe de travail n’avait organisé aucune réunion avec des partis politiques et des commissions électorales. A notre arrivée à Kiev, nos hôtes nous ont en fait simplement conduits à 1’hôtel puis ont pris congé, sans la moindre explication. Ils n’ont pas répondu à nos questions sur le programme annoncé.

Dès lors, la délégation a pris contact avec la division pour le Conseil de I'Europe du ministère des Affaires étrangères, qui a réussi à improviser une rencontre avec le groupe de travail et la Commission électorale centrale vendredi après-midi. La dé1égation tient à exprimer toute sa gratitude à M. Sergei Kislitsa, un jeune diplomate de la division pour le Conseil de I'Europe. Son aide a été déterminante pour la réussite de notre mission.

Un système électoral déroutant

Le système électoral de l'Ukraine et les structures administratives chargées de sa mise en oeuvre sont extrêmement difficiles à cerner, du moins pour ce qui concerne les élections auxquelles nous avons assisté.

Deux lois régissent le déroulement des élections. La première vise les élections présidentielles, la deuxième porte sur les élections locales et régionales (« loi d'Ukraine sur les élections des membres et des présidents des conseils de village, de lotissement, de raion, de ville, de raion de ville et d'oblast »). Les différences entre les deux systèmes sont notables, par exemple en matière de quorums nécessaires pour la validation des scrutins. Pour faciliter les choses, le Parlement ukrainien a amendé quelques articles de la deuxième de ces lois, une semaine environ avant les élections.

En outre, les administrations responsables de la mise en oeuvre des deux lois électorales diffèrent dans leur structure hiérarchique. Dans les deux cas, l’organe de base est la commission électorale du bureau de vote, qui doit se plier tant à la 1égislation sur les élections présidentielles qu’à celle des élections locales et régionales. Mais la similitude s'arrête là. Pour les élections présidentielles, 1’échelon supérieur comporte 27 commissions électorales territoriales qui dépendent à leur tour de la Commission électorale centrale de Kiev. En matière d’élections locales et régionales, les commissions des bureaux de vote sont subordonnées aux commissions électorales d’« okruh ». L’échelon supérieur est constitué des 27 commissions territoriales.

Nous avons été surpris d’entendre M. Yemets, qui préside la Commission électorale centrale, nier la compétence de cette dernière en matière d’é1ections locales et régionales. Dans ce cas, pourquoi s'est-elle chargée de 1’accréditation de la dé1égation (accréditation qui, soit dit en passant, visait des observateurs aux élections présidentielles et ne faisait aucune mention des élections locales et régionales)? Si elle n’était pas compétente en la matière, qui l’était? La Commission électorale centrale n’a pas été en mesure de dire à la dé1égation du CPLRE s’il existait un organisme responsable de coordonner le travail des 27 commissions territoriales et de veiller à 1’application uniforme de la procédure électorale. La dé1égation a également demandé qui reçoit les réclamations éventuelles relatives aux élections locales, mais sans succès. L'article 46.4 sur la Loi des Elections locales et régionales prévoit que les réclamations de cet ordre doivent être déposées auprès de la Commission électorale territoriale, dont les décisions peuvent faire l’objet d'un appel en cour de justice. En fait, il n’est fait aucune mention d'un comité de coordination des élections, laissant ainsi la porte ouverte à une application hétérogène de la loi électorale.

En ce qui concerne les élections locales et régionales, il est important de noter que la loi prévoit deux conditions quant à l’éligibilité d’un candidat au siège d’un Conseil. D’une part un quota minimum de 50 % de voix est requis sur 1’ensemble des votes exprimés. D’autre part, les candidats au siège d'un Conseil local ou régional doivent recueillir 25 % au moins des votes exprimés pour être élus. Les candidats aux conseils doivent obtenir la majorité des voix, mais lorsque deux candidats ou plus sont en concurrence, un deuxième tour doit déterminer le gagnant.

Les procédures ont dérouté non seulement les observateurs étrangers, mais aussi l’é1ectorat. Au total, les électeurs devaient déposer sept bulletins de vote simultanément. La dé1égation a noté que le vote avait nécessité cinq à sept minutes par personne en moyenne.

Programme des rencontres du samedi 25 juin

La dé1égation a réussi à s'organiser un programme de rencontres pour le samedi 25 sans faire appel au groupe de travail.

Réunion avec l’IFES

Samedi matin, la dé1égation a rencontré une équipe d’experts juridiques américains travaillant pour la fondation internationale pour les systèmes électoraux (International Foundation on Electoral Systems), ONG sans but lucratif qui a travaillé comme conseil juridique auprès du Gouvernement ukrainien. L’IFES a un bureau à Kiev et suit depuis longtemps l’évolution du processus démocratique en Ukraine. Son équipe de juristes se compose de M. Bohdan Futey, juge à la United States Court of Federal Claims, de M. Randall Rader, juge de circonscription à la United States Court of Appeal for the Federal Circuit, et de M. Stephen Nix, expert en droit international auprès de la société juridique Baker & Hostetler, Washington DC.

La dé1égation a été informée par l’IFES des aspects formels et pratiques du système électoral ukrainien, que l’équipe de juristes américains connaît parfaitement. Son intelligence de la situation politique de l’Ukraine, et en particulier des problèmes de mise en oeuvre de la procédure électorale, s’est avérée particulièrement utile. L’IFES a également fourni à notre dé1égation de nombreux documents en anglais, ce qui a grandement facilité notre travail.

Réunion avec la Commission électorale du raion du centre de Kiev

En début d’après-midi, la dé1égation a rencontré les membres de la Commission électorale du raion du centre de Kiev, qui assure l’organisation des élections dans le centre de Kiev, secteur qui compte environ 600 000 habitants. Le professeur Selivanov, chef de cette commission de raion, et ses assistants, se sont montrés aussi peu coopératifs que la Commission électorale centrale la veille.

La dé1égation du CPLRE a reçu un chaleureux accueil dans les bureaux de la commission, qui a déclaré qu’elle ne s'attendait pas au moindre problème politique, ni même technique, le jour des élections ou les jours suivants et s’est avérée incapable de fournir à la dé1égation une liste officielle des dix-neuf bureaux de vote qu’elle supervise.

Rencontre avec le Parti socialiste

La dé1égation du CPLRE a ensuite rencontré deux personnalités du parti socialiste, qui détient actuellement quatorze sièges au parlement et arrive en quatrième position pour le nombre de voix en Ukraine. Cette réunion s’est tenue 1’après-midi au siège du Comité permanent du Parlement d’Ukraine, et non au siège du parti.

Les représentants ont insisté sur le fait que leur parti ne doit pas être considéré comme réactionnaire, et qu’il n'a pas un programme totalitaire, trait commun, selon eux, à tous les partis de ce qu’ils appellent le « bloc de gauche », qui comprend le parti communiste.

Ils n’ont pas exprimé de griefs particuliers quant à la procédure électorale. En revanche, deux responsables du parti prévoyaient des violations qui, si elles étaient nombreuses, risquaient de fausser 1’issue des élections.

La principale critique formulée par le parti socialiste visait la couverture médiatique. Selon lui, la té1évision nationale de l’Ukraine accordait aux divers candidats des temps d’antenne inégaux et faisait ouvertement de la propagande pour M. Kravtchouk. Cette déclaration semble confirmer des accusations similaires de la presse internationale.

La dé1égation a signa1é aux deux représentants du parti le refus de la commission électorale de Kiev de communiquer toute information relative aux adresses des bureaux de vote de sa circonscription. Ils se sont dits étonnés et nous ont fourni une liste complète de leurs contacts dans les diverses circonscriptions électorales, en nous invitant à les rencontrer.

Réunion avec le Parti républicain d’Ukraine

A 14 heures, la dé1égation a rencontré M. Mykhailo Horyn, chef du Parti républicain d’Ukraine, accompagné de quatre hauts responsables de ce parti, à son siège de Kiev. Le Parti républicain d’Ukraine est un petit parti d’opposition. Il compte actuellement huit sièges au parlement, et s’est placé cinquième aux dernières élections parlementaires.

Les représentants de ce parti ont par1é très franchement du système électoral en place. La dé1égation a pour la première fois entendu des accusations très spécifiques de fraude lors des dernières élections parlementaires, avec une description détaillée de méthodes parfois utilisées pour fausser les résultats, qui visent principalement le comptage des voix (ainsi, dans certains bureaux de vote, le compte rendu du scrutin aurait été fait au crayon). Ils ont également déploré que des réseaux politiques installés de longue date continuent à contrôler la gestion du système électoral dans la plupart des régions. Ils ont enfin accusé la Commission électorale centrale de rejeter sans même les examiner les plaintes qu'ils lui ont adressées.

La dé1égation du CPLRE a écouté ces accusations et a même accepté un document en ukrainien énumérant une série de cas de fraude. Elle a toutefois signa1é au parti qu’elle était en Ukraine pour observer le déroulement des élections locales, et non pour juger de la régularité des dernières élections parlementaires; nos hôtes ont compris et accepté ce point de vue.

S'agissant des élections toutes proches, les responsables du parti ont dit, craindre que de nouvelles irrégularités ne surviennent, surtout dans l’oblast de Zytomir et dans les régions où, d'après eux, de telles irrégularités sont particulièrement fréquentes. Ils se sont également plaints de ne pas avoir obtenu d'accès aux médias depuis deux jours.

Le jour des é1ections - 26 juin

La loi sur les élections locales prévoit que les bureaux de vote doivent être ouverts de 7 à 20 heures. La complexité du scrutin laissait prévoir que le comptage des voix durerait plusieurs heures, et se prolongerait peut-être jusque tard dans la matinée.

La dé1égation du CPLRE, accompagnée de trois interprètes, s’est divisée en trois équipes qui ont visité différents bureaux de vote de la ville de Kiev pour assister à leur ouverture et s’assurer que les urnes étaient bien scellées, conformément aux exigences de la loi. Les équipes ont ensuite pris divers chemins pour visiter aléatoirement d’autres bureaux de vote sans y annoncer leur passage. Au total, la dé1égation a ainsi visité trente-cinq bureaux de vote.

M. Haggipavlu, et M. Farrington sont partis pour Zytomir, puis, en direction du nord, vers la zone d’exclusion de Tchernobyl. Ils ont visité neuf bureaux de vote à Kiev, Berezovski, Zytomir, Korostein, Naradici, Poleskoja, et Dymer, et ont assisté, au début du comptage des voix à Vichnjovoje, près de Kiev, avant de retourner dans la capitale.

Mme Bennett et Mme Gilowska ont pris la route de Poltava, vers l’est. Elles ont visité quatorze bureaux de vote à Kiev, Borispol, Berezan, Semionovka, Leliakan, Jagotyn, Pereiaslav et Rohotiv.

M. Chenard et M. Grau Tanner se sont dirigés vers le sud, pour se rendre à Belaja Cerkov, puis vers l’est jusqu'à Zytomir, où ils ont assisté à la fermeture du bureau de vote. Ils ont également rencontré les commissions électorales d’okruh de Belaja Cerkov et de Zytomir. Ils ont entre autres visité un bureau de vote à l’intérieur de la base militaire de Kalinivka, au sud de Kiev. Au total, ils sont passés par onze bureaux de vote, plus un bureau mobile qu’ils ont suivi dans le district de Belaja Cerkov.

Dans 1’ensemble, les observateurs du CPLRE ont été bien accueillis dans les bureaux visités. A la base militaire de Kalinivka, il a fallu longuement parlementer avec les officiers responsables de la sécurité de la base avant de les convaincre de laisser entrer deux observateurs étrangers civils, mais toute objection à notre présence a finalement été écartée.

Les observateurs du CPLRE se sont retrouvés à Kiev vers 23 heures afin d'échanger leurs impressions.

Le lundi 27 juin, la dé1égation a retrouvé l'équipe d'experts juridiques de 1’IFES pour une comparaison des notes. Quelques ambassades ont été jointes par té1éphone dans le même but.

Etant donné la complexité des élections, la dé1égation a décidé de ne pas se rendre aux conférences de presse organisées le lundi par le Parlement ukrainien et le ministère des Affaires étrangères.

Les visites n'ont pas permis aux membres de l'équipe du CPLRE de découvrir des preuves de manipulations frauduleuses, mais ils ont noté une série d'irrégularités dont il convient de tenir compte.

Composition des commissions é1ectorales locales

La loi électorale d'Ukraine soulève un problème notable relatif à la composition des commissions électorales locales. L'article 18 de la loi sur les élections locales prévoit que les commissions des bureaux de vote sont constituées par le conseil (ou son organe exécutif) du village, du lotissement, du raion ou de la ville, en tenant compte des suggestions des antennes locales des partis, des organismes publics, des collectifs professionnels actifs sur le territoire concerné et des groupements d'é1ecteurs. Ainsi, la loi prévoit une simple consultation de ces groupes et partis politiques, mais elle ne dit pas quelle proportion chacun représente au sein de la commission. En fait, rien n'empêche la collectivité locale de former une commission électorale parfaitement homogène.

Dans la plupart des bureaux de vote visités par la dé1égation, et spécialement dans les campagnes, la commission électorale se composait de représentants d'un comité d'entreprise élus par les membres de ce même comité d'entreprise. Dans certains cas, tous les membres de la commission électorale provenaient du comité d'entreprise de la seule usine ou de la seule école du village. La dé1égation trouve cette pratique discutable, car elle permet d'exercer des influences indues sur la commission électorale. Afin d'améliorer le système électoral, il serait souhaitable de trouver une autre méthode de sé1ection des membres de la commission (sé1ection aléatoire dans la liste des électeurs, par exemple).

Observateurs envoyés par les Partis Politiques et les candidats

Le problème des commissions électorales locales se double de celui du petit nombre d'observateurs indépendants présents dans les bureaux de vote. La loi permet la présence, pendant le scrutin et le comptage des voix, d'observateurs indépendants nommés par les partis politiques et les candidats. Pourtant, l'équipe en a rencontré fort peu dans les bureaux de vote visités. Certains observateurs voyageaient d'un bureau de vote à l'autre, ne restant que quelques minutes dans chacun d'eux. Dans certains bureaux de vote, la commission électorale a informé la dé1égation du CPLRE que des observateurs avaient demandé à assister au comptage après 20 heures. Pourtant, il s'agit peut-être d'une coïncidence, les trois groupes de la dé1égation n'en ont vu aucun dans les trois bureaux de vote où ils ont assisté au comptage.

La faible présence de ces observateurs s'explique par la structure relativement diffuse des partis politiques d'Ukraine. Ainsi, le Parti républicain compte un total de 2 000 adhérents. Ce nombre est inférieur au total de tous les bureaux de vote du pays, et rend utopique tout suivi réel des élections par ces petits partis.

Notons que les officiers de la base militaire de Kalinivka ont souligné qu'aucun observateur des partis politiques n'assisterait au comptage, et que le seul observateur civil serait un fonctionnaire régional, en qualité de représentant du Président de la République. Une telle confusion entre 1'administration de l'Etat et le candidat est assez choquante, le Président de la République se présentant aux élections.

Application inégale et peu rigoureuse des procédures é1ectorales

La dé1égation a observé que la façon dont la loi électorale est appliquée dans la pratique varie fortement d'une région à l'autre, surtout en matière de propagande électorale et d'autres formalités importantes. C'est ce qu'illustrent les exemples suivants :

- Propagande électorale dans les bureaux de vote

La loi électorale prévoit que (article 42.1) « les informations relatives aux candidats », souvent sous la forme de brèves biographies de chaque candidat et d'une synthèse de son manifeste, doivent être affichées dans tous les bureaux de vote le jour des élections. Ces instructions ont été suivies dans les bureaux de vote de Kiev. En revanche, les commissions électorales des campagnes ont qualifié cette propagande « d'agitation » i11égale, et ont enlevé les informations affichées. Un bureau de vote de Kalinivka a fait enlever toutes les notes biographiques, sauf une. A la demande de la dé1égation, cette dernière a également été retirée.

- Usage des papiers d'identité

La loi électorale exige également que la commission électorale, avant de remettre les bulletins de vote, demande aux électeurs un document établissant leur identité (article 42.3). Cette instruction était respectée à Kiev, mais largement négligée dans les petites communautés rurales, ce qui est relativement compréhensible.

- Urnes mobiles

Un des aspects les plus délicats de la loi électorale est l'utilisation des « urnes mobiles ». Les personnes incapables de se rendre au bureau de vote pour motif de santé ou « d'autres raisons de force majeure » (non définies par la loi) peuvent demander à la commission électorale locale d'envoyer une « urne mobile » à leur domicile (article 42.5).

La dé1égation a observé de notables différences d'un bureau de vote à l'autre dans l'utilisation de ces urnes mobiles. Ainsi, les bureaux de vote n'avaient pas tous, malgré les exigences de la loi, une liste des électeurs de la circonscription ayant fait appel à ce service. On nous a dit que dans certains cas, la demande est faite oralement par un parent venu voter au bureau.

Le nombre de membres de la commission électorale accompagnant l'urne mobile variait également d'un bureau de vote à l'autre. La plupart des commissions électorales ont déclaré à la dé1égation que trois de leurs membres seraient désignés pour s'acquitter de cette tâche dans l'après-midi. Une des équipes a pu se joindre à une urne mobile accompagnée de deux membres d'une commission électorale.

La dé1égation a trouvé cette méthode peu habituelle. Son utilisation ne semble pas offrir les garanties nécessaires contre les abus.

Notons toutefois que dans la plupart des bureaux de vote qui ont reçu une liste de demandes pour l'urne mobile, ces demandes ne représentaient qu'une part minime du nombre total d'é1ecteurs inscrits.

- Vote par correspondance

L'article 44 de la loi sur les élections locales permet aux électeurs de voter avant le jour des élections s'ils changent de domicile entre l'envoi à la publication de la liste des électeurs et le jour des élections. Dans ce cas, la commission électorale du bureau de vote délivre un bulletin de vote à l'é1ecteur sur présentation d'une pièce d'identité. L'é1ecteur dépose ensuite le bulletin dans une urne cadenassée ou scellée.

Les observateurs du CPLRE ont remarqué qu'ici aussi, la pratique manquait de rigueur. Quelques urnes étaient totalement scellées (y compris leur fente) avant le jour des élections. D'autres ne l'étaient pas. Le problème réside dans le comptage, qui n'est pas effectué séparément pour les bulletins contenus dans l'urne du « suffrage par correspondance ». On ne peut donc pas vérifier s'ils correspondent A la liste électorale, ce qui ouvre, au moins théoriquement, la porte A la fraude.

Rappelons une fois de plus que dans la plupart des bureaux de vote, le nombre des votes anticipés officiellement enregistrés était relativement faible. La délégation estime cependant que cette procédure devrait faire l'objet d'une réglementation plus détaillée pour prévenir tout détournement volontaire.

- Votes multiples et autres irrégularités

Dans ce domaine, la loi est stricte. L'article 42.4 interdit clairement de voter pour une autre personne, et précise que « chaque électeur votera en personne ». Pourtant, la pratique est différente. Des membres de la dé1égation ont vu des maris voter pour leur femme, et dans certains cas plusieurs signatures figurer en regard d'un nom de la liste des électeurs, indiquant que le signataire a obtenu des bulletins de vote pour plusieurs personnes.

La loi interdit également de remplir le bulletin de vote en présence d'autres personnes. Dans la pratique cependant, des familles ont ouvertement commenté leurs choix en public, et la dé1égation a souvent vu plusieurs personnes dans un même isoloir. Ce comportement semble correspondre à des habitudes sociales profondément enracinées.

Dans ce domaine également, il conviendrait d'encourager les membres des commissions électorales à se montrer plus fermes. Signalons encore que ces dispositions réglementaires étaient mieux suivies dans les bureaux de vote que la délégation a visités à Kiev que dans ceux des zones rurales.

- Déploiement de symboles nationalistes

Dans une moindre mesure, la dé1égation note qu'elle a trouvé de nombreux signes de nationalisme dans les bureaux de vote. Plusieurs bureaux de vote affichaient des portraits d'un poète ukrainien. Deux cas méritent d'être signalés. Dans un petit bureau de vote, toute la commission électorale était vêtue de costumes traditionnels. Dans un autre, près de Belaja Cerkov, le scrutin a été interrompu pendant environ un quart d'heure par un choeur de femmes interprétant (avec beaucoup de talent) des chants traditionnels ukrainiens. Ce genre de pratiques était répandu dans la région visitée par la délégation.

Comptage

Les bureaux de vote visités par la dé1égation ont fermé comme prévu, à 20 heures précises. Le comptage a commencé immédiatement après. Ce travail promettait d'être long et fastidieux, car les membres des commissions électorales devaient trier les sept bulletins de vote différents, compter les bulletins blancs, vérifier si leurs chiffres correspondaient avec leurs registres, et enfin comptabiliser les voix obtenues par chacun des multiples candidats.

Les membres des commissions électorales locales ont admis devant les observateurs du CPLRE que le comptage pourrait durer jusqu'aux aurores. Ils ne se sont pas trompés. Dans un bureau de vote à Zytomir, l'équipe du CPLRE a décidé de partir quand elle a réalisé que le seul comptage des bulletins blancs et le tri des divers types de bulletins utilisés avait demandé aux assesseurs près de deux heures de travail. La dé1égation s'est assurée que l'on avait bien annu1é tous les bulletins inutilisés en coupant leur angle supérieur droit.

Dans 1'ensemble, la dé1égation a été satisfaite du déroulement du comptage. Les membres des commissions électorales locales semblaient connaître la marche à suivre, et le travail s'est déroulé sans accroc. Cependant, comme nous le disions plus haut, les bulletins des diverses urnes (en particulier celles du suffrage par correspondance et les urnes mobiles) n'ont pas été comptabilisés séparément, ce qui a supprimé une chance de vérifier leur conformité avec les registres. D'autre part, les bulletins concernant les élections locales ont été jetés dans les mêmes urnes que ceux des élections présidentielles, ce qui compliquait encore le comptage.

Résultats des élections

Au jour de la rédaction de ce rapport, le CPLRE n'a toujours pas reçu les résultats officiels de ces élections.

Conclusion

En conclusion, la mission d'observation du CPLRE n'a pas constaté de fraude importante. Elle est certaine que le pouvoir ukrainien fait un effort sincère pour progresser dans ses réformes malgré son environnement politique et économique précaire. La délégation a toutefois relevé une série d'irrégularités qui méritent de retenir l'attention, car elles sont susceptibles de générer une fraude.

Les observateurs soumettent à l'approbation du CPLRE les suggestions suivantes pour améliorer le système électoral de l'Ukraine :

- étayer la structure de 1'administration responsable des élections locales afin d'y inclure une autorité centrale de coordination, compétente pour interpréter la loi et enquêter sur les irrégularités, soumise au contrô1e du pouvoir judiciaire ;

- revoir le système de désignation des commissions électorales des bureaux de vote afin de garantir une large représentation des mouvements politiques et sociaux présents dans la circonscription ;

- revoir à la baisse dans l'Article 26 de la Loi sur les Elections locales et régionales la condition qui prévoit que tous les candidats doivent laisser en dépôt une somme variant entre cinq et quinze fois le salaire minimum ;

- permettre à des observateurs civils, représentant les candidats indépendants ou les partis politiques, d'assister au comptage des voix dans tous les bureaux de vote, y compris ceux situés à l'intérieur d'installations militaires ;

- limiter le nombre de scrutins organisés le même jour afin de simplifier le comptage des voix et de permettre la proclamation des résultats en temps voulu ;

- définir dans la loi, et avec la plus grande précision, les cas dans lesquels les électeurs peuvent solliciter le passage des « urnes mobiles », si cette formule est conservée ;

- rappeler aux membres des commissions é1ectorales des bureaux de vote que tous les électeurs doivent présenter une pièce d'identité ;

- donner des instructions aux membres des commissions électorales des bureaux pour que le vote s'effectue dans les isoloirs et que jamais plusieurs électeurs n’y soient présents à la fois ;

- faire disparaître la pratique du vote pour d'autres personnes.