Strasbourg, le 22 novembre 2001

Suite donnée à la Recommandation 29 (1997) CG/INST (8) 27

Rapport d’information sur la démocratie locale et régionale en Turquie

Rapporteurs: M. Anders Knape (Suède) et M. Hans-Ulrich Stöckling (Suisse)

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RAPPORT D’INFORMATION

1. Introduction

1.1 En vertu de la Résolution 31 (1996) du Congrès et, plus récemment, de la Résolution statutaire 1 (2000) du Comité des Ministres, le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l’Europe applique un programme systématique de rapports de suivi sur la situation de la démocratie locale et régionale dans les États membres du Conseil de l’Europe. Jusqu'ici, une trentaine de pays ont fait l'objet d'une enquête. Selon la procédure normale, les enquêtes sont effectuées par une équipe dirigée par un ou plusieurs rapporteurs désignés par la Commission institutionnelle du Congrès ou d’une Chambre. Le rapport est soumis au Congrès ou à une Chambre en session plénière, et une recommandation est faite. L'enquête est menée et le rapport et la recommandation sont rédigés conformément aux principes et aux normes énoncés par la Charte européenne de l’autonomie locale de 1985, et dans l’esprit du projet de Charte européenne de l’autonomie régionale, établie par le CPLRE en 1997.

1.2 Le 30 mai 2001, le Bureau du Congrès a nommé M. Anders Knape (Suède) rapporteur du Congrès pour conduire une enquête et préparer un rapport sur la démocratie locale et régionale en Turquie. M. Hans-Ulrich Stöckling (Suisse) a ensuite été nommé deuxième rapporteur, représentant la Chambre des régions.

2. Déroulement de l’enquête

2.1 Le présent rapport sur la démocratie locale et régionale en Turquie s’inscrit dans le cadre du programme général du Congrès, mais présente certaines particularités. La principale caractéristique de l’enquête est qu’elle vise en premier lieu à examiner la mise en œuvre de la Recommandation 29 (1997) du Congrès. La Turquie a en effet déjà fait l’objet d’un rapport dans le cadre du programme du Congrès, et cette Recommandation en est le résultat. Les conditions dans lesquelles s’est déroulée la première enquête, le contexte de l’établissement du rapport et de la recommandation, ainsi que l’évolution de la situation depuis l’adoption de la Recommandation 29 (1997) sont indiqués à la section 3 ci-après. Ces informations sont complétées par quelques observations d’ordre général, mais nous avons tenté de ne pas répéter ce qui a déjà été dit dans le premier rapport et dans la recommandation.

2.2 Une deuxième particularité de l’enquête est que la délégation a été chargée d’examiner les plaintes formulées par la Fédération mondiale des cités unies au sujet de la suspension et de la révocation de quatre maires dans le sud-est de la Turquie.

2.3 Les deux rapporteurs se sont rendus en Turquie du 3 au 7 octobre 2001 en compagnie d’un consultant, le professeur Chris Himsworth (Royaume-Uni), de M. Ulrich Bohner (Chef adjoint du Secrétariat du Congrès) et de M. Daniil Khochabo (Adjoint au Secrétaire de la Commission institutionnelle). Ils ont passé deux jours à Ankara et un jour à Diyarbakir. Le programme détaillé de la visite figure à l’annexe I du présent rapport.

2.4 Les rapporteurs et leur équipe tiennent à remercier les autorités turques d’Ankara et de Diyarbakir ainsi que la délégation turque auprès du CPLRE de leur aide précieuse pour la préparation de la visite et la rédaction du rapport. Ils remercient également les Ambassadeurs de la Suède et de la Suisse ainsi que les représentants du PNUD et de l’UE en Turquie, qui leur ont communiqué des informations pertinentes ainsi que leurs points de vue sur la situation de la démocratie locale et régionale en Turquie.

3. La situation générale en Turquie: la Recommandation 29 (1997) et les changements survenus.

3.1 La République de Turquie a ratifié la Charte de l’autonomie locale le 9 décembre 1992, et son adhésion a pris effet le 1er avril 1993. Elle s'est déclarée liée par les articles et paragraphes suivants de la Charte:

Article 2;

Article 3, paragraphes 1 et 2;

Article 4, paragraphes 1, 2, 3, 4 et 5;

Article 5;

Article 6, paragraphe 2;

Article 7, paragraphes 1 et 2;

Article 8, paragraphes 1 et 2;

Article 9, paragraphes 1, 2, 3, 5 et 8;

Article 10, paragraphe 1.

3.2 La préparation du premier rapport sur la démocratie locale et régionale en Turquie s’est déroulée en 1996 sous la responsabilité de M. Halvden Skard (Norvège), rapporteur. Le groupe de suivi s'est rendu à Ankara du 4 au 8 décembre 1996; le 3 juin 1997, le Congrès a examiné le rapport et adopté la recommandation.

3.3 Il est indiqué dans le rapport de 1997 que le groupe de suivi avait été informé de certaines allégations concernant le traitement de la population kurde dans le sud-est de la Turquie – en particulier la destruction de villages et le harcèlement ou la révocation de maires et de conseillers municipaux. Ces allégations étant examinées par d’autres organes du Conseil de l’Europe, et en particulier par la Cour européenne des Droits de l’Homme, l’enquête et le rapport s'en tenaient à des questions plus générales.

3.4 Pour son enquête, le Groupe de suivi s’est appuyé sur le rapport du CDLR intitulé «Structure et fonctionnement de la démocratie locale et régionale en Turquie» (1994) et sur un rapport du ministère turc de l’Intérieur sur «Les pouvoirs locaux en Turquie» (décembre 1996), qu’il a reproduit en annexe à son propre rapport. Il n’a pas donné sa propre description détaillée de l'actuel système des pouvoirs locaux et régionaux. Aspect important, le Groupe de suivi a «noté, chez les autorités turques et la plupart de ses interlocuteurs, un désir véritable de dialogue concernant les perspectives de réforme des pouvoirs locaux» (Rapport, paragraphe 7). Il indique en outre qu’il «considère, comme bon nombre de ses interlocuteurs turcs, qu’une vraie réforme des pouvoirs locaux et régionaux contribuerait, même si elle était mise en œuvre uniformément dans l’ensemble du pays, à créer les conditions d’un meilleur exercice des droits démocratiques, y compris pour la population kurdophone du sud-est du pays. Sans vouloir établir des liens directs entre la réforme des pouvoirs locaux et régionaux et le terrorisme, le Groupe de suivi estime que ces changements pourraient aider à effacer les frustrations dont se nourrissent parfois les activités terroristes. D’autre part, il est évident que le Groupe est d’accord avec les autorités turques sur le fait qu’aucun État démocratique ne peut accepter que des actes terroristes soient commis sur son territoire et que de tels actes sont en eux-mêmes une grave menace pour le fonctionnement des institutions démocratiques en général, et au niveau local en particulier» (paragraphe 8). Le Groupe de suivi a par ailleurs identifié deux facteurs principaux susceptibles d’entraver la réforme des pouvoirs locaux et régionaux en Turquie. D’une part, le fonctionnement de l’administration locale se fonde sur des vieilles traditions et des lois qui remontent à l’empire ottoman et aux premiers temps de la République turque. La conception très centraliste et unitaire de l’État, notamment, peut être un obstacle aux réformes dont ont besoin l’État et la société turcs modernes (paragraphe 9 (i)). D’autre part, la faiblesse du système politique de la Turquie, où les crises gouvernementales se succèdent depuis plusieurs années, risque également d’empêcher tout progrès (paragraphe 9 (ii)).

3.5 Cela étant, le Groupe de suivi a estimé qu’il était possible d’engager un dialogue entre le Congrès et les autorités turques sur les réformes qui pourraient être entreprises. Le dialogue pourrait avoir pour point de départ les observations du Groupe de suivi sur les propositions de réforme du ministère de l’Intérieur, reproduites en annexe à la Recommandation 29 (1997) et accompagnées d’observations et de recommandations plus générales. L’annexe de la recommandation contenait toute une série de propositions visant à améliorer l'administration locale et régionale en Turquie. Certaines suggestions se rapportaient aux propositions formulées par le ministère de l’Intérieur, d’autres étaient de caractère plus général. Elles ne peuvent être toutes reproduites ici, mais il était recommandé, entre autres de faire une place plus grande à l'administration des villages; d'accroître les ressources allouées aux collectivités locales; de supprimer le principe de «tutelle» contenu dans l’article 127 de la Constitution; de prendre des mesures concernant le recrutement du personnel des collectivités locales; de transférer des pouvoirs des gouverneurs aux collectivités locales et d'assurer un contrôle démocratique des gouverneurs; de transférer aux collectivités locales des terrains appartenant à l'Etat; de lever les restrictions au droit de vote imposées par l’article 67 de la Constitution.

3.6 Il convient également de tenir compte de certains autres développements importants concernant les collectivités locales survenus depuis l’adoption de la Recommandation de 1997. Deux éléments principaux doivent être mentionnés:

a. Réunion de la Commission permanente du Congrès (mini-session) du 4 mars 1999

Cette réunion avait pour objet d’entendre et de discuter une déclaration de M. Muammer Türker, Directeur de département à la Direction générale des pouvoirs locaux du ministère turc de l’Intérieur. Cette déclaration (annexée au procès-verbal de la réunion) portait principalement sur des propositions de réforme de l'administration locale et d'autres réformes administratives, contenues dans le texte d’un projet de loi devant être examiné en session plénière de la Grande Assemblée nationale de Turquie (GANT). Elle indiquait qu'il n'était pas proposé de réviser la Constitution, en raison d'un rapport de force politique insuffisant pour assurer la majorité qualifiée nécessaire. Une disposition de la Constitution contraire à l’idéal de l’autonomie locale, à savoir l’article 127 (4) qui autorise le ministre de l’Intérieur à suspendre à titre provisoire des organes ou des membres des collectivités locales et régionales, resterait en vigueur.

b. Projet de décret sur la modification de diverses lois relatives à la répartition des compétences entre l’État et les collectivités locales, et sur les principes régissant les relations de service entre les niveaux administratifs

Le Congrès a publié ce projet de décret, émis par le conseil des ministres turc (CPL/INST (7)4), en y joignant un avis juridique établi par le professeur Rusen Keles (CPL/INST (7) 3), le 13 octobre 2000. Comme il est expliqué dans l’avis, si le gouvernement a préféré donner à ce texte le statut de projet de décret ministériel plutôt que de projet de loi, «c’est qu’il souhaitait disposer d’une certaine souplesse pour réaliser plus facilement ses objectifs en matière d’administration locale sans se heurter à l’obstruction des partis d’opposition au Parlement» (paragraphe 1 de l’avis). Le projet de décret était censé entrer en vigueur à la date de sa publication (article 51), à l'exeption de l’article 26 (dispositions concernant la modification d’une loi relative aux administrations locales) qui devait prendre effet le 1er janvier 2001.

Le projet de décret comprenait 10 parties:

La première partie (articles 1 à 3): comportait des dispositions relatives à la répartition générale des tâches, avec une description des tâches de l’administration centrale (article 1), aux principes des relations de service entre les administrations centrale et locales (article 2), et à la création d'un Conseil commun des administrations locales (article 3).

La deuxième partie (articles 4 à 14): contenait une série d'amendements à la loi sur les communes (loi n° 1580 du 3 avril 1930).

La troisième partie (articles 15 à 20): aurait modifié la loi sur les grandes villes (qui aurait été renommée «loi sur les communes métropolitaines») (loi n° 3030 du 27 juin 1984).

La quatrième partie (articles 21 à 25): aurait modifié la loi sur les administrations provinciales spéciales (loi n° * du *).

La cinquième partie (articles 26 à 29): aurait modifié plusieurs lois relatives aux recettes des administrations locales.

La sixième partie (articles 30 à 37): contenait divers amendements aux lois sur l’urbanisme, les bidonvilles, la protection des richesses culturelles et naturelles, et d’autres questions.

La septième partie (articles 38 et 39): aurait modifié la loi sur les appels d’offre de l’État (loi n° 2886 du 8 septembre 1983).

La huitième partie (articles 40 à 49): contenait divers autres amendements et prévoyait entre autres la formation du personnel des administrations locales (article 40).

Les neuvième et dixième parties (articles 50 à 52): contenaient diverses dispositions supplémentaires.

Finalement, toutefois, le décret n’a pas été promulgué. Il semblerait que la décision n’ait pu être prise à temps, les pouvoirs conférés au conseil des ministres et l’autorisant à prendre ce décret étant limités dans le temps. Peut-être aussi le recours à un décret pour définir de nouvelles infractions pénales ou pour imposer de nouvelles taxes a-t-il soulevé des difficultés.

Plus récemment, un projet de loi faisant suite au projet de décret a été publié et présenté à la GANT. Il est examiné plus loin.

3.7 Un autre élément plus général, a été la Résolution 1256 (2001) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur le respect des obligations et engagements de la Turquie. Cette résolution, adoptée par l’Assemblée à sa 23e séance, le 28 juin 2001, était fondée sur un rapport établi par MM. András Bársony (Hongrie) et Benno Ziever (Allemagne). La résolution notait que la Turquie s’est engagée à adopter l’«acquis communautaire» et à appliquer un programme pour le respect de ses obligations en tant qu'Etat membre du Conseil de l’Europe. Elle reconnaissait que des progrès importants avaient été accomplis, mais notait également un certain nombre d’aspects qui demeuraient préoccupants, tels que la liberté d’opinion politique, le maintien de l’état d’urgence dans le sud-est du pays, l’importance de la ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ainsi que la récente interdiction du Parti de la vertu.

4. La démocratie locale en Turquie

4.1 Il ressort de ce qui précède que le rapport et la Recommandation 29 de 1997 ont été rédigés en partant du principe que de nouvelles lois sur l’autonomie locale, prévues depuis plusieurs années déjà, entreraient bientôt en vigueur. Il apparaît également que la promulgation de ces lois n'a pas encore eu lieu, bien qu'elle puisse maintenant être imminente. Nous examinons ci-dessous les perspectives que pourrait ouvrir une nouvelle loi sur l'administration locale, mais il convient de formuler tout d’abord quelques observations sur le cadre général des réflexions sur la réforme de l'administration locale en Turquie.

4.2 Il ne fait aucun doute que le contexte politique, en Turquie, a beaucoup changé depuis 1997. Les discussions sur la réforme des institutions publiques, y compris des collectivités locales, se déroulent en 2001 dans un tout autre climat. Des discussions approfondies sur la nouvelle législation ont lieu depuis une dizaine d’années, mais c'est depuis deux ou trois ans seulement que l'atmosphère est nettement plus positive. De l’avis général, le gouvernement turc souhaite réellement voir les réformes mises en œuvre. La reconnaissance à contrecœur du besoin de changement a fait place à l’enthousiasme et à l’engagement. A la domination totale exercée par le pouvoir central sur le programme de réformes est en train de succéder un dialogue beaucoup plus ouvert avec les acteurs extérieurs au gouvernement. Il y a beaucoup plus de transparence dans la conduite des affaires publiques.

4.3 Ce nouveau contexte est manifestement dû à divers facteurs et il est clair que l'un d'entre eux est l'amélioration sensible de la sécurité dans le pays. Le nombre de provinces soumises à l’état d’urgence n’est plus que de 4 sur 81. Toutefois, les principales causes de ce changement sont probablement l'enthousiasme au sein du gouvernement et en dehors, manifesté pour l’adhésion à l’UE, et la prise de conscience du fait que des modifications substantielles de la législation et des institutions du pays sont une condition préalable à l'admission. En d’autres termes, il faudrait non seulement incorporer l’acquis communautaire, mais aussi réaliser un train de réformes plus vastes allant dans le sens des droits de l’homme et de la démocratie.

4.4 Bien que la réforme de l'administration locale soit un élément important de ce processus, c’est le programme de la Constitution turque elle-même qui témoigne jusqu'ici de la manière la plus significative de la volonté de changement. Au cours de la première semaine d'octobre 2001, 34 amendements sur 37, dans une première série de propositions, ont reçu le soutien d’une large majorité au sein de la GANT, et une deuxième série d'amendements devrait être examinée sous peu. Les amendements adoptés jusqu’à présent ne concernent pas directement l'administration locale, et les articles 73 et 127, critiqués dans la Recommandation 29 (1997) (et voir aussi ci-dessous), restent en vigueur. D’autre part, l’une des trois propositions d'amendement écartées par la GANT visait apparemment à donner plus de poids aux traités et aux conventions (y compris, selon probablement, à la Charte européenne de l’autonomie locale) dans l’ordre juridique turc. En revanche, la levée des restrictions à la liberté d’opinion et d’expression politique et à l’utilisation d’autres langues que le turc est sans aucun doute une mesure importante pour l'administration locale et pour d’autres aspects du fonctionnement de la démocratie en Turquie. La modification des articles 73 et 127 ainsi que la reconnaissance explicite de l’autonomie locale dans la Constitution (conformément à la Recommandation 29 (1997)) demeurent des objectifs importants.

4.5 Un autre élément d’importance générale a été la signature et la ratification par la Turquie de la Convention cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales. Cela devrait aider les collectivités frontalières à trouver plus facilement des solutions à leurs problèmes communs.

4.6 Le nouvel esprit de réforme apparaît nettement dans les efforts déployés actuellement pour assurer l’adoption du projet de loi le plus récent sur l'administration locale. Présenté à la GANT pour la première fois en avril, puis de nouveau en juillet, ce projet de loi a entamé le processus législatif en août 2001. Son contenu a déjà été largement diffusé et discuté. Le texte a été publié sur le web, soumis à l’examen des experts, débattu dans des réunions publiques, modifié à la lumière des observations faites; et il a toutes les chances d’être examiné avec attention par les parlementaires de la GANT. Le Congrès a proposé d’apporter son aide à la rédaction du document final, si le besoin s'en faisait sentir.

4.7 Nous n’avons pas pu disposer d’une traduction anglaise du projet de loi, mais il semble que ce texte s’inspire étroitement du projet de décret de 1999 évoqué plus haut. La loi redéfinirait d'abord les fonctions de l’administration centrale, des gouverneurs des provinces, des administrations provinciales spéciales et des communes, ainsi que les relations entre ces niveaux administratifs, par des dispositions générales et par des modifications de la législation existante. La nouvelle loi prévoirait semble-t-il, de nouvelles possibilités de participation de représentants de la société civile aux affaires de la collectivité; il y aurait de nouvelles sources de recettes locales (y compris une part de l’impôt sur la télévision) et une augmentation significative des crédits alloués par le gouvernement central; enfin, les pouvoirs et responsabilités des municipalités seraient élargis. L’enthousiasme manifesté pour ce texte par les représentants du ministère de l’Intérieur et par la plupart des élus locaux que nous avons rencontrés est incontestable. Même si certains ne connaissaient pas le détail des dispositions du projet de loi, l'adoption et la mise en œuvre de ce dernier étaient considérées comme une nécessité, un important premier pas sur la voie du développement de la décentralisation et de la démocratie locale. Toute prévision est incertaine, mais il semblait y avoir de bonnes chances pour que la loi soit adoptée par la GANT avant la fin 2001.

4.8 Parallèlement aux progrès accomplis vers l’adoption de nouvelles lois, d’autres signes témoignent d’une évolution importante de la situation de l'administration locale en Turquie, en particulier les programmes menés actuellement avec l’appui du PNUD et de l’UE. Le projet du PNUD a pour point de départ un programme local inspiré d'Action 21 dans le prolongement de la Conférence de Rio de 1992, et a conduit à la mise en place d’un réseau actif de représentants de la société civile dans de nombreuses communes, qui ont créé des «plates-formes» pour débattre de questions qui, à l’origine, se limitaient essentiellement à l’environnement, mais s’étendent aujourd’hui à des aspects plus généraux à l’échelon local. L’initiative de l’UE serait également un programme concernant l'administration locale. Les rapporteurs estiment que le Conseil de l’Europe devrait donner son plein appui à ce type d’initiatives, et qu’il pourrait y être associé par l’intermédiaire de son propre réseau.

4.9 Si tous ces signes témoignent de l'instauration d'un climat positif pour la réforme des structures politiques et plus particulièrement de l'administration locale de la Turquie, il y a aussi de bonnes raisons de nous montrer prudents dans notre évaluation. Le programme de révision constitutionnelle est engagé, mais de l'avis général, sa mise en œuvre réelle, qui demandera dans de nombreux cas d'apporter des modifications substantielles à des lois connexes est encore lointaine. Un travail plus vaste encore de réforme législative doit donc être accompli, et si l'on considère la traditionnelle fragilité des coalitions gouvernementales au parlement turc, les choses risquent d'avancer très lentement. Comme il a été indiqué plus haut, la Résolution 1256 (2001) sur le respect des obligations et engagements de la Turquie recense de nombreux domaines dans lesquels il y a encore beaucoup de progrès à faire.

4.10 Pour ce qui est de l'administration locale elle-même, il n'y a guère de raisons d'apporter des correctifs à la description qui est faite dans la situation actuelle dans la Recommandation 29 (1997). L’impression générale est celle du maintien du système gouvernemental très centralisé, ancré dans la tradition turque. La plupart des communes n’ont pas assez de pouvoirs et manquent cruellement de ressources situation qui s’est fortement détériorée du fait de l’abaissement de la population minimale requise pour avoir le statut de commune, à 2000 habitants (la nouvelle loi prévoit de sortir ce chiffre à 10 000). En conséquence, les communes sont largement soumises à l’autorité des gouverneurs et de l’administration centrale. L’un de nos interlocuteurs a décrit la situation ainsi: «si Ankara ne devient pas moins importante, nous ne pouvons pas nous développer», et un autre: «On ne peut pas administrer les collectivités régionales et locales en criant depuis Ankara». Certaines petites communes, nous a-t-on dit, ne peuvent s’acquitter de leurs fonctions sans le consentement et l’appui financier de l’administration centrale, et se heurtent à de gros obstacles, notamment sous forme de retards. Parallèlement, les activités des communes manquent de transparence. La publicité des réunions et des décisions est insuffisante, et la responsabilité démocratique des maires est très faible. Au niveau des provinces, la démocratie est imparfaite, du fait de la domination des gouverneurs aussi bienveilante qu'elle puisse être. L’administration des villages en dehors des communes, ce qui recouvre environ un quart de la population turque, reste extrêmement faible et manque de structures, et de moyens financiers.

4.11 Il ne faut pas s’attendre non plus à ce que la nouvelle loi sur l'administration locale amène les réformes fondamentales qui seront nécessaires. L’actuel projet de loi est plus faible que l’une au moins de ses versions précédentes – il reste en deçà du texte de 1998, nous a-t-on dit. Il n'est plus désigné officiellement comme une loi sur la réforme de l'administration locale. Même pour être efficace tel quel, il demandera des modifications importantes de lois connexes, faute de quoi de nombreuses contradictions subsisteront dans la législation, en attendant que le gouvernement et la GANT se penchent sur ce problème.

4.12 Les dispositions de la nouvelle loi, bien que largement saluées pour leur valeur symbolique et le fait qu'elles lancent ce qui deviendra peut-être un programme durable de réformes réelles laissent de côté la plupart des principales questions de la démocratie locale. Cette loi s’apparente davantage à une tentative de déconcertation que de décentralisation démocratique du pouvoir. Ainsi, le renforcement des pouvoirs des gouverneurs devrait transférer en grande partie la prise de décisions au niveau provincial; or, les gouverneurs sont nommés par l’État et, bien qu’ils puissent s'attacher à leur province et lui être loyaux, leur loyauté première ira toujours vers l’État. Leur responsabilité politique à l’égard de la province demeurera faible. En ce qui concerne les communes, la déconcentration des pouvoirs en faveur des gouverneurs pourra faciliter la communication, et le fait de ne plus devoir rester constamment en contact avec Ankara dynamisera peut-être les administrations. Mais cela ne mettra pas fin à la tutelle administrative (maintenue par l’article 127 de la Constitution), et ne renforcera pas directement la démocratie ni la responsabilité des acteurs politiques à l’échelon local. Un grave déficit démocratique continuera d’exister à ce niveau. En outre, bien que le projet de loi soit bienvenu parce qu’il promet de doter les communes d'une plus grande autonomie financière, nous devons réserver notre jugement jusqu’à sa mise en œuvre concrète. Compte tenu de la crise financière qui secoue la Turquie, on peut douter que les garanties d’augmentation des ressources financières (et, corrélativement, des effectifs et des services municipaux) puissent être prises au pied de la lettre.

4.13 La nouvelle loi n’aura pas non plus d'impact significatif sur l’administration des villages. Les pouvoirs élargis du gouverneur permettront peut-être des gains d'efficacité, mais il n’est pas prévu de remédier à la faiblesse des structures d’autonomie locale à l’échelon du village. Les propositions visant à créer des «unions des villages» n’apporteront pas de changements radicaux.

4.14 Il ressort des paragraphes précédents que l’adoption de la nouvelle loi ne sera qu’une première étape. Il restera beaucoup à faire dans le cadre de la mise en œuvre, adoption de mesures législatives complémentaires, important travail à faire par les collectivités locales elles-mêmes. Nous avons été frappés par la diversité des collectivités pourtant officiellement identiques par la conception et le statut. Il n'y a pas de doute que l'impact de la nouvelle loi sera tout aussi diversifié.

5. La suspension et la révocation de maires

5.1 Pendant notre visite en Turquie, nous avons pu poursuivre l’enquête relative aux plaintes pour suspension et révocation de maires. Nos informateurs se sont montrés extrêmement coopératifs, mais nos efforts ont été freinés par l’impossibilité d'accéder à tous les documents (lois pertinentes, décisions administratives et judiciaires dans chaque affaire) en anglais, et par le manque de temps. Nous sommes néanmoins en mesure de faire aujourd’hui quelques observations, d’une part, sur les principes généraux et la situation au regard du droit, et d’autre part, sur chacune des quatre affaires portées à notre attention.

5.2 La disposition juridique, de plus haut rang est l’article 127 (4) de la Constitution. Après avoir énoncé que les questions relatives au statut électif doivent être réglées par les institutions judiciaires, cet article dispose que «les organes des administrations locales ou leurs membres à l’encontre desquels une enquête ou des poursuites ont été engagées pour une infraction liée à* [dans la traduction anglaise de la Constitution].
1.

7. Autres mesures

a. Les rapporteurs suggèrent que le Congrès continue d’observer le processus de réforme, et qu'il s'engage à procéder à cette fin à un examen détaillé de la démocratie locale en Turquie, quand la nouvelle loi aura été adoptée et au plus tard en 2003. Il sera alors possible de mieux évaluer les changements intervenus depuis la Recommandation 29 (1997) et la situation en général.

b. Les rapporteurs suggèrent que la Commission ou le Bureau du Congrès renouvelle l’offre des rapporteurs d’évaluer le nouveau projet de loi en temps utile et avant son adoption.

c. Au cas où le nouveau projet de loi serait adopté rapidement par la GANT, le Bureau du Congrès pourrait envisager d’inviter le ministre de l’Intérieur à la prochaine session plénière ou à une prochaine mini-session.

d. Les rapporteurs suggèrent que toutes les enquêtes nécessaires soient menées pour régler les quatre cas de suspension et révocation de maires dont le Congrès a déjà été saisi (voir annexe II). A cette fin, il est recommandé d'envoyer une équipe d’experts à Ankara à un stade ultérieur pour discuter des procédures spécifiques appliquées dans ces affaires.

e. Il est recommandé également de rendre le présent rapport public et de le transmettre officiellement au Comité des Ministres, à l’Assemblée parlementaire, à l’Union européenne, à l’OSCE et au PNUD.

f. Les rapporteurs demandent à la Commission d’approuver les présentes conclusions et de faire siennes les propositions ci-dessus.

Annexe I

Visite des Rapporteurs du CPLRE en Turquie

4-6 octobre 2001

Délégation du CPLRE

M. Anders KNAPE (Suède) Vice-Maire de Karlstad, Chambre des pouvoirs locaux, Rapporteur

M. Hans-Ulrich STÖCKLING (Suisse) Conseiller d’Etat du Canton de St-Gall, Chambre des régions, Rapporteur

Prof. Chris HIMSWORTH (Royaume-Uni) Consultant, Faculté de droit de l’Université d’Édimbourg, membre du Groupe d’experts indépendants sur la Charte européenne de l’autonomie locale

M. Ulrich BOHNER Chef adjoint du Secrétariat du CPLRE

M. Daniil KHOCHABO Secrétaire adjoint de la Commission institutionnelle du CPLRE

Mme Dilek ÖNAY Interprète

Programme

Annexe II

Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe

Référence à rappeler : CPLRE/ao

Strasbourg, le 11 octobre 2001

Monsieur,

Me référant à notre réunion du 4 octobre à Ankara, et au nom de la délégation du CPLRE, je tiens à vous remercier une fois encore de ce que nous ayons pu mener des discussions ouvertes sur la situation de la démocratie locale et régionale en Turquie. Il faut souligner que l’esprit dans lequel ces discussions ont eu lieu démontre clairement la volonté des autorités turques de poursuivre le dialogue avec CPLRE sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre de la Recommandation 29 (1997).

Nos remerciements vont également au Ministère, qui nous a chaleureusement accueilli durant notre séjour en Turquie, à M. Muammer TÜRKER, Secrétaire de la Délégation turque auprès du CPLRE, pour son aide précieuse, ainsi qu’à tous les agents du Ministère qui ont participé à l’organisation de notre visite.

La délégation du CPLRE se félicite de l’atmosphère d’ouverture et de franchise qui a marqué les entretiens et permis au rapporteur du CPLRE de mieux comprendre les projets du gouvernement turc visant à modifier la législation actuelle et à poursuivre les réformes en matière de démocratie locale.

Nous avons également été heureux d’apprendre que l’ensemble de modifications de la Constitution adoptées par le Parlement à la veille de notre visite à Ankara aura un effet positif, bien qu’indirect, sur les pouvoirs locaux en Turquie.

Afin de renforcer notre coopération, je souhaite renouveler officiellement la proposition du CPLRE, qui se déclare disposé à examiner le nouveau projet de loi présenté devant la Grande Assemblée nationale turque pour en évaluer la conformité avec la Charte européenne de l’autonomie locale. Le Conseil de l’Europe pourrait engager ce travail dès que les autorités turques en feraient la demande.

Comme vous le savez, les rapporteurs doivent présenter un rapport d’information lors de la prochaine réunion de la Commission institutionnelle, qui aura lieu le 7 novembre prochain à Strasbourg. Ce rapport traitera de toutes les questions abordées lors de notre visite en Turquie. La Commission pourra alors recommander l’établissement d’un rapport complet pour la prochaine session plénière du Congrès (4-6 juin 2001).

Bien entendu, le Secrétariat vous tiendra informé de tout nouvel élément concernant l’établissement du rapport.

L’une des questions abordées lors de notre visite avait trait à la suspension de quatre maires en Anatolie du Sud-Est, à savoir les maires d’Agri, de Lice, d’Özalp et de Semdinli. Le Ministère a d’ores et déjà transmis à la délégation des informations générales à ce sujet. Toutefois, afin que les rapporteurs puissent mieux comprendre les procédures impliquées dans chaque affaire et la situation actuelle des quatre maires, il serait utile que le Ministère leur communique ses observations concernant les informations recueillies par la délégation au cours de sa visite. Nous vous serions très obligés de bien vouloir nous transmettre les observations du Ministère à temps pour qu’elles puissent être présentées à la réunion de la Commission institutionnelle du 7 septembre.

Je vous prie d’agréer, etc.

Ulrich BOHNER

Chef adjoint du Secrétariat du Congrès

Annexe : Résumé des informations recueillies par les rapporteurs au sujet de la suspension des maires d’Agri, de Lice, d’Özalp et de Semdinli.

À l’attention de

M. Kayhan KAVAS

Directeur général des pouvoirs locaux

Ministère de l’Intérieur

Ankara, Turquie

Copies :

M. Muammer Türker, Secrétaire de la Délégation turque auprès du CPLRE, Chef de la Division des relations internationales, Direction générale des pouvoirs locaux, Ministère de l’Intérieur de la Turquie, fax + 90 312 425 37 69

Prof. Dr Yilmaz Büyükersen, Président de la Délégation turque auprès du CPLRE, fax + 90 222 220 42 35

M. Yavuz Mildon, Vice-Président du CPLRE, fax + 90 286 566 23 37

Annexe III

INFORMATIONS FOURNIES PAR LE MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR DE LA TURQUIE AU SUJET DE LA SUSPENSION DES MAIRES D’AGRI, DE LICE, D’ÖZALP ET DE SEMDINLI

1. Huseyin YILMAZ, maire d’Agri

M. Yilmaz a été élu maire d’Agri aux élections municipales du 18 avril 1999. Il a été suspendu de ses fonctions par décision du Ministère de l’Intérieur en vertu de l’article 127/4 de la Constitution et de l’article 93 de la loi nº 1580 du 24 février 2000 sur les communes.

M. Yilmaz a été condamné à une peine de prison de trois ans et neuf mois par la deuxième chambre de la Cour de sécurité d’Ankara à l’issue d’un procès engagé avant son élection et n’ayant pris fin qu’en 2000. Le Ministère de l’Intérieur a fondé sa décision de suspendre M. Yilmaz sur l’arrêt de la Cour de sécurité d’Ankara. M. Yilmaz a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt en question, et l’affaire était en instance lorsqu’il a été suspendu de ses fonctions. La décision de suspension était donc motivée par une affaire antérieure à l’élection de M. Yilmaz. Dans sa décision du 23 janvier 2001, la Cour de cassation a fait droit au recours de M. Yilmaz et annulé le jugement de la Cour de sécurité en vertu d’une loi (n° 4616) adoptée récemment, le 22 novembre 2000, qui prévoit des libérations conditionnelles et l’ajournement de certaines affaires. Après la décision de la Cour de cassation, et à ce jour, M. Yilmaz n’a pas été réintégré dans ses fonctions ; il a attaqué la décision du Ministre de le suspendre de ses fonctions devant le tribunal administratif d’Erzurum. Celui-ci a rejeté sa demande de suspension d’exécution le 20 juin 2000, et sa demande d’annulation le 21 septembre 2000. M. Yilmaz a fait appel de la première décision devant le tribunal administratif régional, qui a rejeté son recours le 12 juillet 2000. Il a fait appel de la deuxième décision devant le Conseil d’État (Danistay, ou juridiction administrative suprême), qui a également rejeté son recours le 22 février 2001.

La décision d’une juridiction quelle qu’elle soit ne signifie pas qu’un maire ou autre élu puisse être automatiquement réintégré dans ses fonctions. Même lorsqu’une décision ministérielle est annulée par le Conseil d’État, le Ministre doit prendre une nouvelle décision conforme à l’arrêt dans les trente jours.

2. Zeynel BAGIR, maire de Lice

M. Bagir a été élu maire de Lice aux élections municipales du 18 avril 1999, et a pris ses fonctions le 21 avril 1999. Il a été définitivement révoqué à la suite d’une décision du Conseil électoral supérieur du 19 juin 1999.

M. Bagir est accusé d’être inéligible en raison d’une condamnation prononcée en 1989. Pour se présenter aux élections municipales, M. Bagir a suivi en mars 1999 la procédure prévue et a obtenu du Conseil électoral supérieur l’autorisation de se présenter.

Les recours formés par M. Bagir devant le Conseil électoral supérieur ont été rejetés.

Comme l’indique l’arrêt du Conseil électoral supérieur, daté du 19 juin 1999, cette décision se fonde sur l’article 11/e de la loi sur les élections (nº 2839), auquel font référence les articles 9 et 36 de la loi sur les élections locales (nº 2972). Ces articles indiquent succinctement que l’annulation du casier judiciaire d’un individu n’habilite pas ce dernier à se présenter à des élections. Copies de ces articles sont joints en annexe.

3. Mehmet Salih HAKTAN, maire d’ÖZALP

M. Haktan a été suspendu de ses fonctions par le Ministre de l’Intérieur le 12 juin 2000, en raison d’événements postérieurs à sa prise de fonctions de maire. Il a fait l’objet de quatre accusations portant respectivement sur un manquement allégué à ses responsabilités de maire, à savoir abus de pouvoir et détournement de fonds. M. Haktan a attaqué devant le Conseil d’État la décision ministérielle d’engager une procédure contre lui. Le Conseil d’État a annulé deux des quatre décisions ministérielles qui avaient motivé sa suspension et autorisé l’engagement de poursuites à son encontre. En d’autres termes, la décision du Conseil d’État n’était pas totalement favorable à M. Haktan, et l’autorisation d’engager des poursuites au sujet de deux accusations portées contre lui restait valable.

En outre, parallèlement à l’action du ministère, le tribunal pénal de Van a ouvert contre M. Haktan une procédure pénale pour détournement de fonds. Cette infraction est traitée par une autre loi (nº 3628), qui réprime différentes formes de corruption, dont le détournement de fonds. L’engagement de poursuites fondées sur les dispositions de cette loi ne nécessite pas l’autorisation du Ministère. Lorsqu’une accusation est portée contre une personne, ou lorsqu’un superviseur ou un inspecteur découvre des indices sérieux de corruption, le procureur général doit en être informé, et la juridiction compétente est ensuite saisie de l’affaire.

Dans le cas de M. Haktan, le procureur général a été informé par les inspecteurs du ministère de l’existence d’éléments de preuve de ce détournement de fonds. Le tribunal pénal de Van a alors engagé des poursuites contre M. Haktan, et décidé de le faire sans qu’il soit appréhendé. Le tribunal a informé le ministère de l’état de la procédure le 11 décembre 2000. L’affaire est en instance.

Généralement, le ministère réintègre un élu local dans ses fonctions :

– lorsque l’intéressé est innocenté par une juridiction (s’il s’agit d’un tribunal administratif, l’organe exécutif doit donner suite à cette décision dans les 30 jours; s’il s’agit d’un tribunal pénal, aucun délai n’est prévu).

– lorsque le ministère estime, après avoir examiné toutes les circonstances de l’affaire, que la suspension ne se justifie plus.

En ce qui concerne M. Haktan, son procès est encore en instance devant le tribunal pénal de Van, et la décision du Conseil d’État ne lui était pas totalement favorable. C’est pourquoi il n’est pas juste d’affirmer que six mois se sont écoulés entre la décision de justice et sa réintégration dans ses fonctions. En outre, M. Haktan n’a jamais attaqué en justice la décision ministérielle de le suspendre.

Néanmoins, après avoir étudié toutes les circonstances de l’affaire, y compris la proposition en ce sens du Gouverneur, établie en tenant compte de la situation locale, le Ministère a réintégré M. Haktan dans ses fonctions.

Selon nos archives et les informations recueillies par l’administration du Gouverneur de Van, M. Haktan a quitté le 4 juillet 2001 le parti politique du HADEP, sur les listes duquel il s’était présenté aux élections du 18 avril 1999. Il n’a toutefois adhéré à aucun autre parti politique depuis, et demeure indépendant.

4. Ferman ÖZER, maire de Semdinli

Accusé de donner refuge à des membres d’organisations terroristes, M. Özer a été appréhendé et placé sous contrôle judiciaire le 12 octobre 2000. M. Özer n’a pas été incarcéré, mais le Ministère de l’Intérieur a néanmoins décidé de le suspendre de ses fonctions le 22 décembre 2000 en vertu de l’article 127/4 de la Constitution et de l’article 93 de la loi sur les communes. La décision du ministère a été prise en considération des accusations très graves portées contre M. Özer, et conformément à la loi contre le terrorisme (nº 3713). L’affaire est en instance.

M. Özer a attaqué la décision du ministère devant le tribunal administratif de Van, le 17 janvier 2001. Cette affaire est également en instance.

Observations d’ordre général

En vertu de l’article 127/4 de la Constitution et de l’article 93 de la loi nº 1580 sur les communes, le Ministre de l’Intérieur peut suspendre un maire pour une faute commise dans l’exercice de ses fonctions. L’article 93 de la loi nº 1580 reprend les dispositions en question de la Constitution, qui s’appliquent à tous les élus locaux, en limitant leur champ aux élus municipaux.

Le ministère suspend un élu local de ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet d’une mesure judiciaire ou administrative grave, motivée par un acte commis dans l’exercice de ses fonctions, et lorsque l’intéressé pourrait faire disparaître des preuves s’il demeurait en poste. La procédure peut être déclenchée par une enquête administrative ou, directement, par l’ouverture d’un procès. Dans les deux cas, l’affaire doit être soumise à une juridiction pour que la suspension entre en vigueur.

Les articles 91 et 92 de la loi nº 1580 ont été abolis par la Cour constitutionnelle le 8 février 1989, tandis que l’article 93 est encore en vigueur. Cet article reprend dans son avant-dernier paragraphe les dispositions de la Constitution relatives aux suspensions (c’est d’ailleurs la seule disposition de la loi nº 1580 concernant la suspension de maires par le ministère). Le dernier paragraphe stipule qu’un maire sera définitivement révoqué, par décision de justice, s’il s’absente de son poste pendant plus de vingt jours d’affilée sans justification.

En ce qui concerne l’article 127, il s’agit d’un article de la Constitution relatif aux pouvoirs locaux (et non de la loi sur les communes, nº 1580). Il est vrai que les paragraphes consacrés à la suspension figurant dans les articles 127 de la Convention et 93 de la loi nº 1580 sont analogues.

Les articles 91 et 92 de la loi nº 1510 ne sont plus appliqués depuis leur abolition en 1989.

Les conditions que doivent réunir les candidats à des élections locales figurent dans l’article 9 de la loi sur les élections locales (nº 2972). Cet article prévoit que tout citoyen turc ayant 25 ans révolus est éligible aux fonctions de maire ou de conseiller provincial ou municipal, sous réserve de satisfaire aux conditions prévues par l’article 11 de la loi sur les élections générales (nº 2839).

Le Ministère ou le Ministre de l’Intérieur n’ont rien à voir avec la procédure électorale (de fait, le Ministère de l’Intérieur est l’un des trois ministères, avec les Ministères de la Justice et du Transport, que les membres du (des) parti(s) au pouvoir doivent remettre à des ministres indépendants quelque temps avant les élections, pour que soit garantie une mise en œuvre impartiale de la législation). En vertu de la Constitution, les élections locales et générales sont organisées sous la direction et la supervision des instances judiciaires, c’est-à-dire par les conseils électoraux de district et de province, et par le Conseil électoral supérieur.

1 l’exercice de leurs fonctions peuvent, à titre provisoire, être suspendus de leurs fonctions par le ministre de l’Intérieur, jusqu’à la décision juridictionnelle définitive». D’autres dispositions pertinentes seraient toutefois contenues dans l’article  93 de la loi sur les communes (dans sa nouvelle version), qui instituent le pouvoir de révoquer les maires, et dans d’autres lois. Ainsi, la loi sur les élections définit les conditions justifiant le droit ou l’interdiction d’exercer des fonctions électives, et dispose que, s’agissant du titulaire d’une fonction de maire, l’interdiction peut entraîner la révocation. Selon le Code pénal, la condamnation pour certaines infractions entraîne l’interdiction d’exercer une fonction publique, soit automatiquement, soit sur décision du tribunal. Nombre de ces dispositions ne concernent pas seulement les maires; elles (ou des dispositions analogues) couvrent également d’autres fonctions publiques. Comme il a été indiqué plus haut, nos conclusions sont tout à fait provisoires car notre connaissance des textes de loi est incomplète. Nous sommes toutefois en mesure de faire les observations suivantes: a. Nos interlocuteurs ont unanimement et amplement reconnu le grand respect qui est dû aux fonctions électives. Seules les raisons plus graves peuvent justifier la suspension ou la révocation d’un élu, y compris d’un maire. b. De même, il est admis que les conditions dans lesquelles une suspension ou une révocation peuvent avoir lieu doivent être définies très clairement par la loi. A notre avis, provisoire, il y aurait lieu d'être plus clair, et par conséquent d'étudier systématiquement toutes les lois et de les promulguer de nouveau sous forme révisée. Par exemple, on ne voit pas très bien ce qui est une infraction «liée» aux fonctions d'un maire. On ne voit pas très bien non plus à quel stade de la procédure pénale une condamnation prend effet aux fins de la justification de la révocation. c. Nos interlocuteurs étaient également d’avis que la décision de suspendre ou de révoquer un maire devrait être prise par un juge ou un procureur impartial, et non par une entité politique telle que le gouverneur ou le ministre de l’Intérieur. C’est pourquoi aucun de nos interlocuteurs n’était opposé à la proposition de supprimer l’article 127 (4) de la Constitution. Cette proposition n'a recueilli aucun appui. d. En revanche, il a été reconnu que la mise en œuvre par le ministre de l’Intérieur de la décision de justice pouvait être justifiée. Dans un État attaché à la primauté du droit, il est toutefois essentiel que les personnes concernées aient libre accès aux tribunaux pour contester un recours jugé abusif à ce pouvoir, par exemple, un retard dans la cessation de suspension quand les conditions qui la justifiaient n’existent plus. Les avis de nos interlocuteurs étaient partagés sur la question cruciale de savoir si certaines décisions ministérielles constituaient un abus de pouvoir. Aucun n’a mis en doute le fait qu’il doit être possible d’attaquer une décision suspecte devant un tribunal.

5.3 Pour ce qui est des affaires en question, nous sommes parvenus aux conclusions suivantes:

a. Huseyin YILMAZ, maire d’Agri

Cette plainte porte sur le fait que M. Yilmaz, élu maire le 18 avril 1999, puis suspendu et révoqué par le Ministre de l’Intérieur, n’a pas été réintégré dans ses fonctions malgré le constat de la Cour de cassation, puis de la Cour de sécurité d’Ankara, que la condamnation et l’emprisonnement de M. Yilmaz étaient «annulés» par l’effet d’une amnistie. Il était contesté en outre que l’infraction ayant motivé la suspension et la révocation a été liée aux fonctions de maire, comme l’exigent la Constitution et la loi sur les communes. Nous n'avons cependant pas été en mesure d’évaluer la validité de ces arguments car il n'y avait pas de version anglaise des documents pertinents, et de toute manière, une décision du tribunal administratif relative à la contestation par le maire lui-même de la légalité du refus du ministre de le réintégrer dans ses fonctions était encore pendante.

b. Zeynel BAGIR, maire de Lice

M. Bagir a été élu maire en avril 1999. Le Haut Conseil électoral l’a démis de ses fonctions en se fondant sur une condamnation pénale datant de 1989, alors qu’il avait auparavant soutenu sa candidature et que les droits civiques de M. Bagir n’avaient pas été affectés par la condamnation.

Là non plus, nous n'avons pas été en mesure de nous prononcer de façon définitive. Il faut établir par des recherches les dispositions juridiques sur lesquelles le Haut Conseil électoral a fondé sa décision; il convient en outre d’étudier une version traduite de cette décision (dont nous ne disposons pas), ainsi que les raisons qui l’ont motivée.

c. Mehmet Salih AKTAR, maire d’Ozalp

La plainte portait ici sur le délai de six mois qui s’était écoulé entre la date d'une décision prise en faveur de M. Aktar par le tribunal administratif, et la date de la réintégration de M. Aktar dans ses fonctions. Il était avancé en outre que la réintégration n'avait eu lieu qu’après que M. Aktar eut quitté un parti politique (le HADEP) pour en rejoindre un autre (le Parti de la patrie). Nous n’avons pas été en mesure, dans le temps qui nous était imparti, de découvrir si la réintégration de M. Aktar avait été indûment retardée; le cas échéant, pour quelle raison; et si la décision de le réintégrer dans ses fonctions était liée au changement de son appartenance politique. Il est nécessaire de puirsuivre l'enquête.

d. Ferman OZER, maire de Semdinli

La question ici était de savoir si la suspension et la révocation étaient injustifiées au motif que l’infraction ayant déclenché l'imposition de ces mesures n'avait pas été commise comme cela est requis, dans l’exercice de ses fonctions de maire. Ce point demande à être élucidé. En l’absence d’éléments et d’avis juridiques probants, nous n'avons pas pu répondre à la question de savoir comment la loi devait être appliquée, et si elle avait été appliquée correctement en l’espèce.

5.4 Nous avons également commencé à étudier, sans pouvoir toutefois parvenir à une conclusion, ce qu'il en était de ces quatre affaires par rapport à la situation générale de ces dernières années en ce qui concerne les suspensions et les révocations de maires. Les chiffres qui nous ont été communiquées montraient que le ministre avait pris des décisions à l’encontre de 23 maires en 2000 et de 21 en 2001 (janvier – août). Dans la majorité des cas, le motif invoqué était «l’ouverture d’une enquête pour corruption» ou «l’arrestation par les autorités judiciaires». Dans quatre cas en 2000 et deux cas en 2001, le motif invoqué était «le soutien à des organisations terroristes». Nous avons noté aussi que les suspensions et révocations se répartissaient sur neuf partis politiques différents.

6. Conclusions

6.1 Il ressort clairement de notre rapport que, bien que la visite en Turquie ait été extrêmement utile pour faire la lumière sur les différents sujets de notre enquête, nos conclusions ne peuvent être que provisoires. En ce qui concerne la situation générale de l’autonomie locale, le nouveau projet de loi présenté devant la GANT devrait progresser rapidement; il suscite l’espoir de voir commencer la réforme tant attendue. D'un autre côté, il est très difficile d’évaluer ce que sera son impact, car le texte final est incertain, et l’on ignore quand les autres étapes du programme de réformes seront franchies. S’agissant de la suspension et de la révocation des maires, nous nous félicitons que les arguments en faveur de la suppression de l'article 127 (4) de la Constitution aient de nouveau été présentés de façon convaincante, et que, dans ce domaine extrêmement sensible, on puisse presque certainement envisager une réforme plus large de la législation dans le souci de garantir les droits des élus ainsi que de la clarté et la certitude des règles à appliquer.

6.2 En conclusion, nous formulons donc les recommandations suivantes:

a. sur la situation générale de l’autonomie locale et sur le contexte politique

Les rapporteurs ont noté l’atmosphère positive et la franchise qui ont marqué les discussions avec le gouvernement et les élus locaux.

La réforme de l’autonomie locale est depuis près de dix ans l’un des thèmes de l’actualité politique, et la GANT examine actuellement un nouveau projet de loi en la matière. Les rapporteurs renouvellent l’offre faite par le Conseil de l’Europe d'évaluer en temps utile le projet de loi si les autorités turques en font la demande.

Les rapporteurs ont noté avec satisfaction que la conférence Habitat II des Nations Unies, tenue à Istanbul en juin 1996, avait eu un effet positif sur les engagements des autorités turques dans le domaine de la démocratie locale. Depuis 1997, l’opinion publique a pris de plus en plus conscience du rôle des collectivités locales, et le nouveau projet de loi a été largement discuté avec des ONG, dans la presse et par les partis politiques.

Il semble y avoir un consensus politique sur la nécessité de mener une véritable réforme.

En outre, l’Association des communes de Turquie a été étroitement associée aux travaux du Parlement et du gouvernement lors de l’élaboration de ce projet de loi.

b. sur la Constitution

Les rapporteurs se félicitent des amendements récents à la Constitution votés par la GANT; bien qu'ils ne portent pas directement sur les collectivités locales, ils auront sur elles une influence indirecte. Ils notent que, jusqu’à présent, aucun amendement n’a été présenté à propos des articles 73 et 127 de la Constitution, qui contiennent des dispositions relatives aux collectivités locales et aux taxes. Ils espèrent que la deuxième série d'amendements devant être présentés au Parlement comprendra, en ce qui concerne l’article 127, des propositions conformes à la Recommandation 29 (1997) du Congrès.

On estime généralement en Turquie que les amendements à la Constitution pourront améliorer progressivement la situation de la démocratie locale.

Il convient de rappeler que le Congrès a proposé, dans sa Recommandation 29 (1997), que l’article 127 de la Constitution soit révisé et qu'il soit fait clairement référence au principe de subsidiarité, en se référant, si possible, à la Charte européenne de l’autonomie locale. Les garanties constitutionnelles du principe de l’autonomie locale pourraient porter sur des aspects tels que les finances, les biens et le personnel.

c. sur le nouveau projet de loi

La Commission devrait accueillir favorablement les modifications proposées jusqu'ici dans l'actuel projet de loi, et apporter tout son soutien à leur adoption et à leur mise en œuvre.

Le nouveau projet de loi semble constituer, à de nombreux égards, un pas dans la direction de la démocratie locale, bien que certains problèmes importants n'y soient pas abordés. Il semble y avoir pour but d'apporter un cadre plus vaste pour le fonctionnement des collectivités locales sans réduire les pouvoirs de l'administration centrale (et en particulier des gouverneurs) et continuerait de soumettre les collectivités locales à un contrôle étroit. Même s'il n'est pas absolument parfait, le nouveau projet de loi a accru les espoirs des collectivités locales.

On estime généralement est que le projet de loi entraînerait une déconcentration plutôt qu’une décentralisation politique, et qu’il permettrait avant tout d’accélérer les procédures administratives.

La Commission devrait proposer toute assistance supplémentaire qui pourrait être utile pour le processus de réforme, en particulier pour orienter vers la conformité et la compatibilité des nouvelles lois avec la Charte européenne de l’autonomie locale.

d. sur la participation au niveau local et la transparence

Les rapporteurs se félicitent les dispositions du nouveau projet de loi visant à renforcer la confiance du public dans les autorités locales, à établir des liens plus étroits entre ces dernières et la population, et à accroître la transparence.

Ils relèvent notamment qu’en vertu du projet de loi:

- les procès-verbaux des réunions des conseils municipaux pourront être communiqués à quiconque les demandera, moyennant redevance;

- des tableaux financiers trimestriels seront rendus publics au ministère de l’Intérieur et dans les communes.

Certains aspects techniques du processus de planification, de la coordination des transports et du développement urbain semblent également être clarifiés.

Les rapporteurs sont d'avis que le partenariat niveau local est aussi important que l’adaptation des lois, et que les deux aspects devraient être mis en pratique simultanément.

Ils estiment qu’aujourd’hui il est nécessaire de convaincre la population turque d’apporter son soutien à la démocratie locale et aux réformes destinées à lui donner un plus grand rôle. Ils considèrent qu'après l'acceptation de sa candidature à l’adhésion à l’UE, la Turquie a pris davantage conscience des normes européennes en matière de démocratie locale, et notamment de celles qui sont énoncées dans la Charte européenne de l’autonomie locale.

Les rapporteurs ont également noté que le ministère de l'Intérieur souhaite renforcer l’esprit démocratique des conseils locaux et convaincre la société civile et les muhtars (chefs de village) de participer plus activement aux affaires locales.

Les rapporteurs ont été favorablement impressionnés par les programmes menés actuellement dans le domaine de la démocratie locale, par le PNUD et l’Union européenne et pensent que le Conseil de l’Europe devrait soutenir les initiatives de ce type, qui apportent une contribution précieuse au développement de la démocratie locale en Turquie.

Comme il est souligné dans la Recommandation 29 (1997), la participation accrue de représentants des communautés locales aux réunions des conseils provinciaux et municipaux est un facteur important de transparence et de responsabilité. Il ne faudrait pas toutefois que cette pratique entrave le processus de décision normal, qui devrait être réservé aux représentants démocratiquement élus.

e. sur la coopération transfrontalière

Les rapporteurs considèrent la signature et la ratification par la Turquie de la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales comme un progrès sur la voie de la démocratisation des pouvoirs locaux et espèrent que cet instrument permettra aux collectivités frontalières de trouver des solutions à leurs problèmes communs.

f. sur le contrôle des collectivités locales

Les rapporteurs estiment que le contrôle exercé par le pouvoir central sur les collectivités locales est encore trop excessif. Juridiquement parlant, la «tutelle» reste en vigueur.

Les rapporteurs souhaiteraient rappeler que le Congrès a déjà indiqué dans sa Recommandation 29 (1997) que la «tutelle» mentionnée à l’article 127 de la Constitution devrait être supprimée de façon générale et maintenue seulement pour la question de la conformité des actes de l'administration locale et régionale avec la Constitution et la loi.

g. sur les pouvoirs des administrations locales et provinciales

Selon les informations recueillies par les rapporteurs, il semble que le nouveau projet de loi vise à modifier la liste des pouvoirs des communes pour leur permettre de fournir un nombre limité de nouveaux services, à savoir le secours et l’aide en cas de catastrophe, les services d’urgence, le sport et la santé. Elles seraient entre autre autorisées à avoir des activités relatives au logement et à l’immobilier, telles que l’expropriation, l’achat, la vente et l’allocation de terrains à des fonctions déterminées. Il semblerait aussi que les collectivités locales puissent être impliquées dans d’autres activités, telles que l’éducation, la culture, la santé, l’aide sociale et le sport par exemple, en mettant des terrains et des équipements à la disposition d’autres organismes publics, et en assurant leur construction et leur entretien. Apparemment, toutefois, la gestion ne serait pas confiée aux administrations locales seules, et la coopération avec tous les organismes publics est encouragée et appuyée.

Comme le souligne la Recommandation 29, le transfert de pouvoirs aux gouverneurs rapproche l’administration centrale des citoyens et constitue de ce fait une mesure positive. A long terme toutefois, cette déconcentration ne peut en aucun cas remplacer un transfert de pouvoirs aux autorités locales et régionales démocratiquement élus.

Les rapporteurs partagent les inquiétudes de nombreux élus locaux turcs, qui craignent que le projet de loi n’octroie aux communes qu’un petit nombre de pouvoirs, dont beaucoup sont déjà exercés par des organismes publics.

h. sur les finances des administrations locales et provinciales

Les rapporteurs n’ignorent pas que les communes turques ont été touchées par la crise économique et qu’une partie importante des crédits qui leur sont alloués actuellement servent à rembourser des dettes.

Les rapporteurs se félicitent que le projet de loi prévoie de faire passer de 5,5 à 20 % les dépenses totales des collectivités locales.

Ils sont d'accord avec leurs homologues turcs sur le fait que la capacité des collectivités à se procurer des recettes localement, qui semblent actuellement limitée devrait être augmentée. Les conseils pourraient être autorisées à lever des impôts locaux.

Jusqu’à présent, aucune nouvelle source de recettes n’a été allouée aux collectivités locales, qui ne seraient pas autorisée, dans le nouveau projet de loi, à modifier les taux d'imposition, procédure exigeant une modification de la Constitution. Il faudrait peut-être alors modifier l’article 73 de la Constitution.

Les rapporteurs se félicitent que le projet de loi prévoie le transfert de terrains appartenant à l’État aux communes.

i. sur les pouvoirs des gouverneurs

Les rapporteurs notent que les gouverneurs, qui sont nommés par le gouvernement pour une durée indéterminée et jouent le rôle d'exécutif des administrations provinciales spéciales, exercent une influence importante sur les politiques économiques et sociales des provinces, et disposent de ressources importantes pour s'acquitter de leurs tâches.

En vertu du projet de loi, il y aurait plus de pouvoirs transférés aux gouverneurs qu’aux conseils provinciaux élus et aux communes. Jusqu'ici, les pouvoirs des gouverneurs n’ont pas été réduits. Des réductions seraient prévues par le projet de loi, mais il semble que celui-ci augmenterait lesdits pouvoirs.

Jusqu’à présent, il n'a pas été proposé d'élire les gouverneurs.

Les gouverneurs représentent à la fois l'administration centrale et les collectivités locales, mais les rapporteurs estiment qu’ils agissent davantage en tant que représentants de l’État. Comme l'a déjà souligné la Recommandation 29 (1997), leur pouvoir de décision leur est délégué par les autorités centrales, sans aucun contrôle démocratique à l’échelon local. Les rapporteurs sont d’avis que les provinces devraient être en mesure d’élire l'exécutif responsable devant le conseil provincial.

j. sur les villages

Bien que le nouveau projet de loi vise à réaliser certaines économies d’échelle dans les communes en ce qui concerne les villages, il semble que cette question ne soit pas traitée pour autant. Comme le souligne la Recommandation 29, il est regrettable que les projets de réforme des collectivités locales ne prévoient pas une révision profonde de la loi sur les villages, qui remonte à 1924 (loi nº 442).

Un véritable système de démocratie locale dans les villages pourrait également contribuer à enrayer le fort courant d'exode de leur population vers les grandes zones urbaines.

k. sur les conseils et les comités exécutifs

Par rapport aux gouverneurs et aux maires, les conseils provinciaux et municipaux semblent encore avoir des pouvoirs et des moyens limités dans le processus de décision.

Comme le souligne la Recommandation 29 (1997), les «comités exécutifs», responsables des affaires locales, sont majoritairement composés de fonctionnaires. Les rapporteurs sont d’avis que les fonctionnaires ne devraient assister aux réunions des comités exécutifs qu’à titre consultatif.

l. sur la formation

Les rapporteurs estiment que, dans le contexte de la réforme, la formation des élus locaux et du personnel municipal revêt une importance particulière. Ils se félicitent que l’Association des communes turques ait tenu à ce jour 18 séminaires de formation à l’intention des fonctionnaires municipaux.

Les rapporteurs expriment leur plein appui aux programmes de l’UE et du PNUD visant à sensibiliser le public aux questions locales.

m. sur la suspension des maires

Les rapporteurs considèrent que la procédure de suspension d’élus locaux par le Ministre de l’Intérieur devrait être modifiée. Le système judiciaire devrait jouer un rôle décisif dans la suspension des élus locaux qui ont violé la Constitution ou la loi dans l’exercice de leurs fonctions. La réforme constitutionnelle, devrait donc également traiter du droit dont dispose actuellement le ministre de l’Intérieur de suspendre ou de révoquer les organes des collectivités locales. Comme l'indique la Recommandation 29 (1997), il convient de laisser les décisions de ce type au système judiciaire qui devrait aussi pouvoir rendre rapidement des décisions provisoires, à la demande des organes gouvernementaux compétents.

Il convient de rappeler, en faisant référence à la Recommandation 20 (1996), qu’il existe un droit de recours conformément à l’article 11 de la Charte, sans préjudice de l’application des règles de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et que le respect du libre exercice du mandat impliquerait en général que ce recours soit suspensif sauf circonstance exceptionnelle dûment justifiée.

n. sur les élections locales

Il faudrait donner aux citoyens la possibilité de former des listes électorales locales pour se présenter aux élections locales ou provinciales. Parallèlement, il faudrait donner aux partis politiques locaux ou régionaux le droit de présenter leurs listes aux élections locales ou provinciales sans être nécessairement reconnus au niveau national.

o. sur l’Anatolie du Sud-Est

La situation en Anatolie du Sud-Est s’est améliorée au cours des deux dernières années. La pression exercée par les forces de sécurité semble s’être atténuée. Toutefois, les habitants ne sont pas tous retournés dans leurs villages, et ceux qui y sont retournés ne semblent pas jouir d'une totale liberté de mouvement.