NB_CE

COMITE DIRECTEUR DE LA CULTURE,

DU PATRIMOINE ET DU PAYSAGE (CDCPP)

CDCPP (2013) 4                                                                Strasbourg, le 25 janvier 2013

3e réunion du Bureau

Strasbourg, 7-8 février 2013

PROJET DE RECOMMANDATION DU COMITE DES MINISTRES AUX ETATS MEMBRES SUR L’INTEGRATION INTERCULTURELLE

DOCUMENT POUR DISCUSSION ET DECISION

Projet de décision

Le Bureau:

-           est invité à examiner le projet de Recommandation du Comité des Ministres sur l'intégration interculturelle et à décider de le transmettre à la séance plénière du CDCPP pour adoption.


CMlogoRecommandation CM/Rec(2013) XXX
du Comité des Ministres aux Etats membres
sur l’intégration interculturelle

(adoptée par le Comité des Ministres le … 2013
à la … réunion des Délégués des ministres)

Le Comité des Ministres, aux termes de l’article 15.b du Statut du Conseil de l'Europe,

Considérant que le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres et que ce but peut être poursuivi notamment par l’adoption d’une action commune en matière de migration, d’intégration et de relations intercommunautaires ;

Tenant compte du rôle pionnier joué par le Conseil de l'Europe dans le domaine du dialogue interculturel et, en particulier, du « Livre blanc sur le dialogue interculturel » qui souligne l’intérêt de créer des espaces d’échanges et de débats interculturels facilitant l’accès à la citoyenneté et son exercice et favorisant la compétence interculturelle, notamment à l’échelon local ;

Se référant au rapport du Groupe d’éminentes personnalités du Conseil de l'Europe intitulé « Vivre ensemble : conjuguer diversité et liberté dans l’Europe du XXIe siècle » qui, d’une part, souligne le rôle clé des villes s’agissant de gérer la diversité, de favoriser la constitution d’une identité plurielle et de créer des sociétés ouvertes en favorisant l’établissement de contacts étroits et constructifs entre les membres de différents groupes et, d'autre part, présente des cités qui ont adopté une approche interculturelle de l’intégration ;

Soulignant que la gestion de la diversité dans le plein respect des principes de la démocratie et des droits de l'homme est un défi que toutes les sociétés européennes, voire du monde entier, doivent relever et que les politiques d’intégration des migrants ne sont ni efficaces, ni viables sans stratégie appropriée en matière de diversité ;

Notant que l’accès à la citoyenneté, à l’éducation, aux services publics, au marché du travail et à la vie culturelle n’est équitable que si la gouvernance et les institutions sont conçues pour des communautés culturellement diverses et gérées par des personnes et des équipes culturellement compétentes ;

Reconnaissant qu’un ensemble de travaux de recherche sérieux, tant en Europe qu’ailleurs dans le monde, a démontré la valeur de la diversité pour le développement humain et social, la croissance économique, la productivité, la créativité et l’innovation et qu’il n’est possible de tirer parti de ces avantages offerts par la diversité qu’à condition de mettre en place des politiques propres à prévenir les conflits et à favoriser l’égalité des chances et la cohésion sociale ;

Soulignant qu’en matière de gestion de la diversité, le Conseil de l'Europe soutient et facilite la recherche d’approches novatrices qui remédient aux lacunes des politiques antérieures et permettent de concrétiser les avantages de la diversité et qu’une telle approche, qualifiée d’intégration interculturelle, a été mise en place grâce à un processus d’examen structuré des politiques, d’apprentissage entre pairs et d’évaluation dans le contexte des « cités interculturelles », initiative conjointe du Conseil de l'Europe et de la Commission européenne ;

Considérant que cette approche d’intégration interculturelle s’appuie sur les instruments et les normes du Conseil de l'Europe dans les domaines suivants : la diversité culturelle, la protection des cultures minoritaires, la compétence interculturelle, le multilinguisme, l’éducation interculturelle, la lutte contre le racisme et la xénophobie, la prévention des discours de haine, le rôle des médias dans l’instauration d’une culture de tolérance, l’interaction entre les migrants et les sociétés d’accueil ainsi que la compétence interculturelle des services sociaux ;

Reconnaissant que les villes sont aux avant-postes en matière d’intégration et de gestion de la diversité, qu’elles constituent des laboratoires d’idées nouvelles en matière de politiques et qu’elles contribuent grandement à la cohésion sociale en adoptant une approche interculturelle de l’intégration et de la gestion de la diversité ;

Prenant acte de la Recommandation 261 (2009)1 sur les cités interculturelles du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux qui souligne que des cités interculturelle inclusives fortes, qui ont encouragé avec succès l’identification à leur ville de citoyens d’origines variées, font preuve de capacité d’innovation et savent utiliser les ressources, les compétences et la créativité de leurs populations pour être plus attractives et attirer de nouveaux investissements et possibilités de travail ;

Recommande aux Etats membres :

d’attirer l’attention des autorités locales et régionales, ainsi que des institutions, organismes et réseaux nationaux et locaux concernés, sur le modèle d’intégration interculturelle et les instruments conçus pour faciliter sa mise en œuvre et évaluer sa portée (disponibles sur le site www.coe.int/interculturalcities) par les voies de communication nationales appropriées ;

de faciliter la diffusion du “Step by Step Guide to the intercultural city” (Guide des cités interculturelles étape par étape) annexé à la présente recommandation, par le biais notamment de sa traduction dans leurs langues officielles ;

d’encourager l’application du modèle d’intégration interculturelle à l’échelon local et de soutenir la création de réseaux de villes favorisant l’échange d’expériences et de connaissances en la matière ;

de tenir compte du modèle d’intégration interculturelle lors de la révision et du développement des politiques nationales d’intégration des migrants ou des politiques relatives au dialogue interculturel et à la gestion de la diversité.


Annexe à la Recommandation CM/Rec(2013) XXX
du Comité des Ministres aux Etats membres
sur l’intégration interculturelle

LA CITÉ INTERCULTURELLE, PAS À PAS

Guide pratique pour l’application du modèle urbain de l’intégration interculturelle

I           Introduction

  1. A qui ce guide est-il destiné ?
  2. Pourquoi ce guide ?
  3. Structure du guide

II          Le concept de cité interculturelle

  1. Les origines du concept de cité interculturelle
  2. Enjeux et perspectives du concept de cité interculturelle
  3. Définition de la cité interculturelle

III         Construire la cité interculturelle

  1. Définir une vision interculturelle

a) Volonté politique et engagement

b) Un discours favorable à la diversité

  1. Préparer une stratégie interculturelle

a)    Mettre en place des structures de direction et de gestion

b)    Etablir un état des lieux des problèmes et enjeux interculturels

  1. Formuler une stratégie interculturelle

a)    Consultation et participation

b)    L’approche CBRA : un outil pour l’élaboration et le suivi de la stratégie

IV        Eléments d’une stratégie interculturelle

1. Encourager le développement d’attitudes favorables à la diversité

2. Examiner les fonctions de la ville à travers un « prisme interculturel »

a) l’éducation

b) l’espace public

c) l’habitat

d) les services publics et l’administration

e) les entreprises et l’économie

f) le sport et l’art

3. Médiation et règlement des conflits

4. Langues

5. Stratégie de relations avec les médias

6. Relations internationales

7. Approche fondée sur des données factuelles

8. Formation à la sensibilisation interculturelle

9. Accueil des nouveaux arrivants

10. Gouvernance interculturelle

V         Suivi de la mise en œuvre et mesure des progrès accomplis


I           Introduction

1. A qui ce guide est-il destiné ?

La plupart des pays d’Europe sont confrontés de plus en plus fortement aux enjeux des migrations internationales. C’est essentiellement aux villes qu’il incombe d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques d’intégration favorisant la cohésion de la collectivité et contribuant à faire en sorte que l’immigration soit perçue comme un facteur de développement plutôt que comme une menace.

Ce guide s’adresse aux dirigeants municipaux et aux praticiens qui souhaitent tirer des enseignements de l’expérience acquise dans le cadre d’un programme pilote de trois ans lancé par le Conseil de l’Europe et la Commission européenne. Intitulé « Cités interculturelles », ce projet visait à développer une approche interculturelle de l’intégration.

La modélisation du processus complexe du programme ne donne pas de formule « toute faite » où la séquence des événements et procédures est rigoureusement déterminée à l’avance. Les actions recommandées dans le présent document sont donc assorties de simples suggestions sur la manière de procéder, quand appliquer les mesures et dans quel ordre. Toutefois, il nous semble aller de soi que toute ville qui se lance dans le programme Cités interculturelles est déjà une entité qui fait preuve d’indépendance d’esprit et a confiance en ses capacités. Elle n’a pas besoin d’être dirigée pour adapter avec créativité à la situation locale les concepts généraux et les actions exposés dans ce guide. Nous considérons également qu’aucune ville ne va s’engager dans ce processus en partant de zéro : chacune aura un point de départ différent et sa propre trajectoire de développement. Par conséquent, ce document n’a pas vocation à servir de mode d’emploi ; c’est plutôt un tableau de bord et un aide-mémoire.

2. Pourquoi ce guide ?

Malgré la grande complexité des diverses communautés et les risques de conflit que cela suppose, les villes peuvent gérer la diversité et même en bénéficier : la collectivité peut retirer d’immenses avantages du potentiel des migrants et des minorités. Pour ce faire, il importe de passer en revue une série d’institutions, de services et de politiques afin de créer les structures et les mécanismes appropriés de gouvernance pour éliminer les obstacles et favoriser l’intégration et la contribution des migrants et des minorités au développement de la ville. Ce guide donne aux décideurs municipaux et aux praticiens idées et conseils sur la façon d’aborder ces tâches.

Important : avant d’entamer la lecture de ce document, les participants doivent s’être familiarisés avec les principes généraux des cités interculturelles. Ceci englobe au moins :

3. Structure du guide

Le présent guide est conçu comme un supplément qui vient compléter l’ensemble des documents et outils élaborés dans le cadre de la phase pilote du programme Cités interculturelles, disponibles sur le site www.coe.int/interculturalcities. Après une brève description de la notion d’intégration interculturelle, il fournit des conseils sur les démarches et mesures qui pourraient aider la ville dans l’élaboration de sa stratégie interculturelle, en illustrant les éléments d’une telle stratégie par des questions analytiques, des suggestions et des exemples de bonnes pratiques dans plusieurs villes européennes. Enfin, il aborde la question du suivi de la mise en œuvre de la stratégie interculturelle.

Dans la mesure du possible, le guide fait référence à des documents et à d’autres ressources qui permettront au lecteur d’approfondir et d’examiner plus en détail des questions et aspects spécifiques.

II          Le concept de cité interculturelle

1. Les origines du concept de cité interculturelle

Le concept de cité interculturelle a été développé pour la première fois dans le cadre d’un projet de recherche mené par Comedia[5] pour analyser les liens entre changement urbain et diversité culturelle. Ce projet a introduit un nouveau cadre conceptuel pour la gestion de la diversité en milieu urbain.

Le programme « Cités interculturelles – Une action conjointe du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne », a été lancé en 2008. Il a repris le concept défini par Comedia en se proposant de dégager les politiques et stratégies susceptibles d’aider les villes à donner corps à ce concept et à faire de la diversité un facteur de développement.

Le programme a cherché à élargir et à approfondir les paramètres du débat sur ces questions pour comprendre, au-delà des gros titres dans les médias, comment les citoyens vivent ensemble et créent leur ville au quotidien. Point important, il s’est efforcé de proposer des politiques et des méthodes pratiques susceptibles d’être adoptées par les villes d’Europe.

Onze villes pilotes[6] se sont engagées dans le programme pour tester et développer plus avant les outils d’analyse stratégique articulés autour du concept de cité interculturelle, comme le « prisme interculturel », les « modèles de gouvernance pour un développement interculturel », la « stratégie municipale interculturelle » et l’« Index de la ville interculturelle ». Neuf autres villes[7] ont rejoint le programme en 2011 afin de bénéficier d’un soutien spécialisé et de l’assistance d’autres municipalités dans l’élaboration de leur politique interculturelle.

Une importante différence entre le programme Cités interculturelles et les initiatives classiques au niveau international est que les enseignements du projet ne sont pas uniquement destinés à un groupe particulier de parties prenantes, aux services municipaux concernés ou à des organismes spécialisés. L’instauration d’un changement durable et constructif rentre davantage dans le domaine du possible lorsque les organisations et les populations se mobilisent à tous les niveaux autour d’une ambition, et non pas dans l’optique de mettre en place des changements techniques. Dans bien des cas, un service dynamique prend connaissance de projets qui ont fait la preuve de leur efficacité dans une autre municipalité, par exemple dans le domaine de la sécurité ou des bibliothèques, et le transpose avec succès dans sa ville. L’incidence globale est toutefois limitée car pour le reste, tout continue comme avant. L’esprit du programme Cités interculturelles est de mobiliser l’ensemble de la classe politique, les fonctionnaires, les entreprises, les professionnels et les associations, sans oublier les médias, autour d’un objectif commun : créer une ville ouverte à tous, fière et riche de sa diversité.

Un autre aspect clé de l’approche des cités interculturelles est qu’elle cherche à aborder les causes profondes de l’inégalité, de la discrimination et du manque de cohésion tenant à la tendance naturelle des groupes fermés (définis par des critères ethniques ou culturels) à obtenir des avantages pour les membres du groupe au détriment d’autres groupes. L’interculturalisme a pour but la mise en place de politiques et d’institutions dont la vocation est de minimiser la consolidation de groupes fermés se définissant par leur appartenance ethnique.

Text Box: Pour aller plus loin : Conseil de l’Europe, « Historique et principes », in Cités interculturelles. Vers un modèle d’intégration interculturelle, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2010, p. 17-20
(www.coe.int/interculturalcities).

2. Enjeux et perspectives du concept de cité interculturelle

Les villes, en Europe et ailleurs, doivent répondre aux besoins d’une population de plus en plus diverse en raison de la mobilité transfrontalière ou des migrations des travailleurs ruraux vers les villes, motivées par la recherche d’emploi et d’opportunités. Certaines villes déploient des efforts considérables pour créer des communautés solidaires rassemblant toutes les minorités nationales, en particulier dans les régions récemment en proie à des conflits régionaux.

Les différences culturelles liées à la migration ou à la présence de groupes minoritaires peuvent, si rien n’est fait, miner le sentiment d’appartenance et d’identité de la ville et fragiliser ses capacités de réaction, d’adaptation au changement et de croissance, tout en menaçant son attractivité pour les investisseurs. Dans le pire des cas, les différences culturelles peuvent engendrer des conflits paralysants, voire des violences.

Les approches classiques de la gestion de la diversité ont atteint leurs limites. Elles ignorent la diversité (approches exclusivement centrées sur l’accueil des travailleurs), la refusent (assimilation) ou la magnifie, ce qui renforce alors les différences entre les divers groupes ethniques (multiculturalisme). Elles sont inadaptées car elles reposent sur une idée fausse de la dimension culturelle de l’intégration – conception simpliste ou biaisée de la culture et de la diversité, trop grande importance donnée à la différence qui conduit à la marginalisation des cultures des immigrés et à la perpétuation de la pauvreté et de l’exclusion, avec la constitution de ghettos ethniques.

L’interculturalité reconnaît l’importance de la culture, qui contribue à souder la société, facilite l’accès aux droits et offre des opportunités. Elle met l’accent sur la nécessité de permettre à chaque culture de survivre et de se développer, mais souligne également le droit de toutes de contribuer au paysage culturel de la société où elles se trouvent. L’idée de base est qu’une culture ne pourra jamais prospérer si elle reste isolée ; pour être florissante, elle doit entrer en contact avec les autres cultures. L’interculturalité cherche à renforcer les interactions entre cultures afin de créer la confiance et de renforcer le tissu social.

L’approche des villes interculturelles se concentre sur la diversité culturelle mais ses principes et méthodes s’appliquent également à la diversité en tous genres (sexe, âge, profession, capacités ou autres). La mise en œuvre efficace de cette approche nécessite de tirer parti de toutes les formes de diversité et d’accentuer encore le brassage de populations d’horizons divers, en dépassant les clivages liés à la profession, au vécu, au poste occupé, aux capacités, au sexe ou à l’âge.

Text Box: Pour aller plus loin : Conseil de l’Europe, « Historique et principes », in Cités interculturelles. Vers un modèle d’intégration interculturelle, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2010, p. 20-28
(www.coe.int/interculturalcities).

3. Définition de la cité interculturelle

La cité interculturelle a une population diverse, composée de personnes qui diffèrent par la nationalité, l’origine, la langue ou les croyances. La plupart de ses habitants considèrent la diversité non comme un problème, mais comme une richesse, et reconnaissent que toutes les cultures se modifient dès lors qu’elles se rencontrent dans l’espace public. Les responsables municipaux appellent publiquement au respect de la diversité et revendiquent l’identité plurielle de ville. La ville combat activement les préjugés et la discrimination, et veille à l’égalité des chances en adaptant ses structures de gouvernance, ses institutions et ses services aux besoins de tous ses habitants, sans compromettre les principes des droits de l’homme, de la démocratie et de la prééminence du droit. En partenariat avec les entreprises, la société civile et les agents publics, la cité interculturelle développe une série de politiques et d’actions visant à encourager le brassage et les échanges entre différents groupes. Un fort degré de confiance et de cohésion sociale contribue à contenir les conflits et la violence, à accroître l’efficacité des politiques et à rendre la ville attractive pour les particuliers comme pour les investisseurs.

4.            Les données issues de la recherche

Kseniya Khovanova-Rubicondo et Dino Pinelli ont passé en revue la littérature scientifique dans le domaine de la diversité afin de voir s’il y avait suffisamment de données à l’appui de l’approche de la cité interculturelle. Etant donné sa nouveauté, cette notion n’a guère été analysée par les spécialistes des sciences sociales. Plusieurs études ont toutefois été conduites en s’intéressant aux principaux éléments, concepts et cadres spécifiques à cette approche. Cela englobe un examen de la croissance, de l’incidence de la diversité sur la productivité et l’emploi, des structures et des processus de gouvernance, des plans locaux d’urbanisme, des politiques du logement et des quartiers, enfin, des politiques de sécurité et maintien de l’ordre.

Leurs principales conclusions sont reproduites ci-après. L’ensemble du document peut être consulté sur le site

http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Source/Cities/Review.doc.

a) La diversité, un atout

La documentation existante confirme l’incidence de la diversité sur les entreprises et les organisations. Les résultats empiriques tendent à montrer que la diversité démographique peut réduire la cohésion sociale et accroître la probabilité d’un conflit socio-émotionnel. L’existence d’une corrélation positive entre cette diversité démographique et la diversité cognitive est nécessaire pour que les avantages de la diversité cognitive contrebalancent les coûts induits par la diversité démographique. La notion de diversité cognitive renvoie à la variété des compétences, des préférences et des connaissances.

Il est généralement admis que l’immigration a des effets économiques variés dans les pays d’accueil, positifs et négatifs. Globalement, on constate que les collectivités locales présentant une forte diversité ethnique sont moins disposées à mettre en commun leurs ressources pour la fourniture de biens publics. Cependant, dans le cas de marchés bien définis, où les usagers comprennent la valeur de leur contribution au financement du coût des services, l’hétérogénéité n’entraîne pas de perte d’efficacité. Plusieurs textes classiques font un lien entre diversité et agglomération urbaine et soulignent que le fonctionnement et la prospérité des ensembles urbains reposent sur la diversité des habitants, des facteurs et des biens et services offerts. Un milieu urbain plus cosmopolite rend la population autochtone plus productive. Les effets positifs sont plus forts lorsque seuls les immigrés de deuxième et troisième génération sont considérés. Cela tend à indiquer que les répercussions positives ne se font vraiment sentir qu’à partir du moment où il y a un certain degré d’intégration entre les communautés.

La complémentarité des compétences entre les travailleurs autochtones et ceux nés à l’étranger joue un rôle clé dans la littérature. Y compris au même niveau d’instruction, la capacité à résoudre des problèmes, la créativité et la capacité d’adaptation peuvent varier, ce qui favorise un apprentissage réciproque. De récentes études de l’OCDE ont également mis l’accent sur la contribution des immigrés à la croissance économique. Leurs auteurs ont relevé, en particulier, que les migrants contribuent à l’économie de leur pays d’accueil par l’apport d’autres compétences et savoir-faire ou directement par la création de nouvelles entreprises. Ils montent des sociétés dans un large éventail de secteurs et activités professionnelles, y compris dans le domaine de l’innovation.

Dans son étude La diversité dans l’encadrement des organisations à but non lucratif : premiers pas, grandes avancées et initiatives audacieuses (Leadership Diversity in the Nonprofit Sector: Baby Steps, Big Strides, and Bold Stances)[8], basée sur trois enquêtes réalisées auprès de plus de 420 associations du Grand Toronto, Chris Fredette (université Carleton) conclut que la diversité des instances de direction d’une association contribue à son efficacité globale, par exemple pour la stabilité et la réalisation de la mission qu’elle s’est donnée et pour un meilleur contrôle financier. Cette diversité améliore aussi les relations entre les partenaires, renforce la capacité de l’association à répondre aux attentes de la collectivité et de ses usagers et insuffle de nouvelles perspectives lors de la prise de décisions. L’étude souligne également qu’au-delà d’un seuil critique de 30 % de diversité des instances de direction, on constate un accroissement des bénéfices pour l’organisation.

En dépit des avantages considérables d’une telle diversité, l’étude montre que les minorités visibles restent sous-représentées au sein des instances de direction des associations du Grand Toronto. Les minorités visibles représentent 40 % de la population de ce territoire, mais leurs membres n’occupent que 15,6 % des 4 254 postes de direction examinés.

Le rapport compte un certain nombre de recommandations à l’intention des associations qui souhaitent renforcer leurs instances de direction. Il les engage notamment à prendre conscience des avantages que présente la diversité au sein des fonctions de direction, à faire connaître ces avantages et à aligner les efforts en faveur de la diversité sur leur mission et leur mandat.

b) Comment exploiter les avantages de la diversité ?

La recherche a fourni un grand nombre de preuves attestant des effets de la diversité sur la performance et les politiques économiques. Elle a également mis en évidence que la diversité représente un arbitrage constant entre coûts et avantages.

Une riche littérature s’est intéressée aux effets de la ségrégation résidentielle, en tant que configuration spécifique de la diversité. Si la thèse du contact était vérifiée, la ségrégation résidentielle impliquerait de moins bons résultats sur le plan socio-économique.

Les coûts et avantages dépendent du nombre et de la taille relative des groupes culturels de la ville, mais aussi de leur degré d’intégration et du cadre institutionnel et politique en place, qui va encourager ou compromettre cette intégration. C’est aux maires et aux dirigeants municipaux de créer des conditions propices afin d’amplifier les avantages sociaux et économiques des communautés hétérogènes.

Les immigrés de première génération vivant dans des enclaves ethniques ont généralement des revenus supérieurs et de meilleures conditions de vie que leurs homologues qui vivent en dehors. Cependant, lorsque l’enclave ethnique reste homogène sur le long terme, cela peut devenir préjudiciable pour ses habitants. En effet, l’enclave agit comme une barrière qui réduit l’intégration économique et sociale dans la société d’accueil, étant donné que les migrants ont tendance à ne pas nouer des liens ou des relations économiques avec des personnes de l’extérieur. Le rôle des politiques serait d’intervenir pour effacer les lignes de fracture (ou empêcher leur formation) qui pourraient surgir de façon endogène, fruit de choix individuels. Cela exigerait de prendre des mesures à différents niveaux, dans une multitude de domaines (école, lieux de travail, espaces publics urbains), afin de favoriser la rencontre et le brassage ethnique et social et dépasser ainsi tous les clivages.

Les institutions, les valeurs et les mécanismes de gouvernance ont un important rôle à jouer pour faire de la diversité un levier de performance socio-économique, étant donné le lien diversité-performance. Au niveau des villes et des équipes, plusieurs courants de recherche soulignent l’importance de la tolérance et de l’ouverture à la différence.

En sociologie, Richard Florida défend l’idée que les villes où la différence est appréciée sont capables d’attirer des personnes créatives et deviendront par conséquent plus créatives et innovantes. De son point de vue, la tolérance est ainsi, en définitive, un moteur de prospérité, de créativité et d’innovation pour les villes. En psychologie, Homan conclut que les effets négatifs de la diversité au niveau de la performance des équipes de travail peuvent être surmontés si l’on arrive à convaincre les membres de l’équipe de la valeur de la diversité.

D’une manière générale, il semblerait que lorsqu’elle s’inscrit dans un cadre institutionnel efficace, la diversité peut en effet constituer un atout précieux pour la société. En particulier, des institutions démocratiques et un environnement tolérant qui permettent l’expression des différences et leur libre interaction apparaissent comme des conditions préalables nécessaires si l’on veut profiter des avantages de la diversité.

Une vaste littérature, principalement dans le domaine des sciences politiques, suggère que cela pourrait ne pas être suffisant et met également en lumière les limites de la démocratie représentative pour rendre compte de la multiplicité et de la complexité des intérêts, vues et identités dans nos sociétés plurielles. Cela a entraîné la montée au premier plan du concept de gouvernance, notion large qui englobe et dépasse celle de gouvernement et permet la participation d’une pluralité d’acteurs, y compris les organisations non officielles (à but lucratif ou non lucratif) aux côtés des organes gouvernementaux, aux processus d’élaboration (puis de gestion) des politiques et activités publiques. Des processus démocratiques plus ouverts et participatifs sont donc appelés à se mettre en place pour permettre à d’autres acteurs (organisations de la société civile, ONG, mouvements associatifs) représentant des intérêts légitimes spécifiques de faire entendre leur voix.

Pour accomplir cette tâche, la ville apparaît, là encore, comme le niveau le plus approprié, où de nouvelles formes de processus participatifs ouverts à tous peuvent être imaginées et mises en œuvre.

c) Quelles politiques mener en matière de diversité ?

Sen affirme que l’accent mis sur la religion, en minimisant l’importance des valeurs et des affiliations non religieuses, a renforcé la position de l’institution religieuse et accentué le sentiment de distanciation entre communautés. Les recherches empiriques au niveau national montrent également d’importants exemples de ces effets négatifs.

La recherche révèle que lorsque les festivals ou autres manifestations visant à promouvoir le dialogue interculturel s’inscrivent dans une approche en termes ethniques (par exemple, organiser un festival pour une minorité spécifique), on observe une tendance à la baisse de la participation de la population locale et, en conséquence, un niveau moindre de relations interculturelles dans le quartier. Il en est ainsi car les festivals à forte connotation ethnique tendent à faire percevoir les communautés auxquelles ils sont dédiés comme « l’autrui-culturel ». Cela a pour effet de renforcer en fin de compte les barrières et les distinctions culturelles, au lieu de les affaiblir. Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, il est donc important que les politiques et pratiques en matière de diversité reconnaissent la nature multidimensionnelle de la diversité et utilisent des perspectives « a-ethniques » de façon à surmonter et dépasser les clivages ethniques. Lors de l’élaboration des politiques et pratiques, il faudrait chercher à encourager les rencontres informelles et à aider les groupes locaux à s’organiser autour d’axes de différenciation autres que la dimension ethnique. Les rencontres ne doivent pas nécessairement être structurées et peuvent se dérouler dans des cadres divers (églises, activités sportives, écoles, cafés, rues et toutes sortes d’endroits en milieu urbain).

Une importante littérature a souligné à quel point les relations de pouvoir structurent et influencent les résultats obtenus en matière de diversité. Bourdieu est une référence classique en l’espèce. Selon Bourdieu, la classe dominante non seulement possède un capital économique, mais encore un capital social et symbolique dont elle se sert pour définir les normes sociales qu’elle impose aux autres secteurs de la société, qui sont jugés à l’aune de ces normes. Par le biais de ce mécanisme, les attitudes (culturelles), les valeurs et les comportements reflètent et en définitive sous-tendent la perpétuation des hiérarchies socio-économiques. Les politiques et initiatives en matière de diversité doivent donc prendre en considération et aborder les ressorts actuels ou potentiels de l’inégalité (par exemple les difficultés tenant au milieu socio-économique).

d) Gérer la diversité : l’approche des Cités interculturelles

Janssens et Zanoni fournissent une utile catégorisation des modèles traditionnels en quatre catégories – le modèle de la ségrégation, le modèle de l’assimilation, le modèle de la marginalisation et le modèle multiculturel – et analysent les insuffisances de chacun. La priorité devrait être de favoriser les rencontres (formelles et informelles) et de mobiliser les citoyens sur des questions d’intérêt commun qui transcendent les clivages ethniques et sociaux, tout en créant les conditions d’une négociation juste et équitable. La ville, plutôt que l’Etat-nation, apparaît de plus en plus comme le lieu approprié pour cette tâche. Banerjee souligne dans ses écrits la nécessité de « villes conviviales » et Amin évoque l’engagement participatif et sans limite, support névralgique des « micro-publics de la négociation ».

La littérature met toutefois en évidence que les structures institutionnelles et de l’administration publique dans les pays d’accueil sont les mieux placées pour développer les capacités requises en vue d’encadrer et orienter l’incidence de l’immigration sur la société, dans un objectif de maximisation des avantages des communautés hétérogènes et d’atténuation de leurs effets négatifs.

L’approche des cités interculturelles est une tentative de construction d’un nouveau modèle pour relever ce défi.

5. Le cadre normatif de la cité interculturelle

Le concept de cité interculturelle présenté dans ce guide tire sa légitimité de plusieurs sources : données issues de la recherche, pratiques municipales, documents et instruments juridiques internationaux. Nous répertorions ici les principaux instruments, fondamentalement ceux adoptés par le Conseil de l’Europe, qui sous-tendent les principes de l’intégration interculturelle.

a) Documents essentiels sur la gestion de la diversité interculturelle

Livre blanc sur le dialogue interculturel, Conseil de l’Europe, 2008

Conclusions du Conseil de l’Union européenne sur le renforcement des politiques d’intégration dans l’UE par la promotion de l’unité dans la diversité, juin 2007

Résolution 280 (2009) – Cités interculturelles

Recommandation 261 (2009) – Cités interculturelles

Recommandation R (92)12 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les relations intercommunautaires

Recommandation CM/Rec(2011)1 du Comité des Ministres aux Etats membres
sur l’interaction entre les migrants et les sociétés d’accueil

Développement d’un sentiment d’appartenance chez les migrants par des interactions positives. Guide à l’usage des décideurs et praticiens (Annexe 4 du document CM(2010)172)

b) Education interculturelle

Recommandation CM/Rec(2008)4 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à la promotion de l’intégration des enfants de migrants ou issus de l’immigration

The role of schools in the intercultural city, Maurice Coles et Bob Vincent[9]

c) Logement et participation

Résolution 183 (1987) sur les étrangers dans les collectivités territoriales

Résolution 270 (2008) « Améliorer l’intégration des migrants par les politiques locales de logement »

Recommandation 252 (2008) « Améliorer l’intégration des migrants par les politiques locales de logement »

Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (1992)

Résolution 92 (2000) sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local

Recommandation 76 (2000) sur la participation des résidents étrangers à la vie publique locale

Résolution 181 (2004) sur « Un pacte pour l’intégration et la participation des personnes issues de l’immigration dans les villes et régions d’Europe »

Recommandation 153 (2004) concernant la Résolution 181 (2004) sur « Un pacte pour l’intégration et la participation des personnes issues de l’immigration dans les villes et régions d’Europe »

Recommandation CM/Rec(2011)1 du Comité des Ministres aux Etats membres
sur l’interaction entre les migrants et les sociétés d’accueil

Développement d’un sentiment d’appartenance chez les migrants par des interactions positives. Guide à l’usage des décideurs et praticiens (Annexe 4 du document CM(2010)172), recommandation clé 2.2)

d) Approches interculturelles des services publics

Recommandation (2006)18 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les services de santé dans une société multiculturelle

Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, Recommandation 194 (2006) sur l’accès des migrants aux droits sociaux

Résolution 281 (2009) sur l’égalité et la diversité dans l’emploi et les services municipaux

Recommandation 262 (2009) sur l’égalité et la diversité dans l’emploi et les services municipaux

Recommandation Rec(2004)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’accès à l’emploi dans le secteur public des non-ressortissants

Charte sociale européenne

e) Emploi et marché du travail

Recommandation CM/Rec(2011)2 du Comité des Ministres aux Etats membres
sur la validation des compétences des migrants

Ethnic diversity and entrepreneurship in Oslo and Drammen

(Deux études de cas sur l’application des approches interculturelles dans le contexte norvégien) [10]

The Contribution of Outsiders to Entrepreneurship and Innovation in Cities: The UK Case, Lia Ghilardi[11]

Recommandation CM/Rec(2008)10 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à l’amélioration de l’accès à l’emploi des migrants et des personnes issues de l’immigration

f) Médiation et règlement des conflits

Recommandation 304 (2011) « Relever le défi des tensions interculturelles et interreligieuses au niveau local »

g) Langue

Recommandation CM/Rec(2008)4 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à la promotion de l’intégration des enfants de migrants ou issus de l’immigration

Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Document d’orientation : Intégration linguistique et éducative des enfants et adolescents issus de l’immigration[12]

Contexte et politiques : Politiques d’intégration des migrants adultes : Principes et mise en œuvre[13]

h) Relations avec les médias

Recommandation R (97) 21 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les médias et la promotion d’une culture de tolérance

Recommandation CM/Rec(2007)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le pluralisme des médias et la diversité du contenu des médias

i) Ouverture et présence internationale

Recommandation CM/Rec(2007)10 du Comité des Ministres aux Etats membres relative au codéveloppement et aux migrants œuvrant au développement dans leur pays d’origine

Recommandation Rec(2006)9 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’admission, les droits et les obligations des étudiants migrants et la coopération avec les pays d’origine

CM/Rec (84)7 sur le maintien des liens culturels des migrants avec les pays d’origine et sur les facilités de loisirs »

j) Accueil des nouveaux arrivants

Recommandation CM/Rec(2011)1 du Comité des Ministres aux Etats membres
sur l’interaction entre les migrants et les sociétés d’accueil

Développement d’un sentiment d’appartenance chez les migrants par des interactions positives. Guide à l’usage des décideurs et praticiens (Annexe 4 du document CM(2010)172), recommandation clé 2.1)


III         Construire la cité interculturelle

1.    Définir une vision interculturelle

Pour mobiliser les citoyens et les ressources autour de l’interculturalité et impulser une dynamique interculturelle, un changement d’état d’esprit est nécessaire – tant chez les élus locaux qu’au sein de la société civile. Autrement dit, la ville doit se poser cette question : « Si notre objectif est de créer une société non seulement libre, égalitaire et harmonieuse, mais également riche de coopérations et d’échanges fructueux entre les cultures, que devons-nous faire de plus, ou différemment ? » Et, plus particulièrement : « De quel genre de dirigeants (politiques et associatifs) et de citoyens aurons-nous besoin pour ce faire ? Quels nouveaux organismes, réseaux et infrastructures physiques seraient nécessaires ? »

Nous appelons cela construire une vision interculturelle, ou porter un regard nouveau sur la ville, « à travers un prisme interculturel ».

Selon l’approche des cités interculturelles, le développement d’une sensibilité culturelle et l’encouragement au brassage des populations et des cultures ne sont pas considérés comme relevant de la seule responsabilité d’un service ou d’une personne, mais comme un objectif stratégique et un aspect essentiel du fonctionnement de l’ensemble des départements et services municipaux.

L’approche des cités interculturelles ne consiste pas à AJOUTER de nouvelles politiques, structures ou initiatives (en effet, beaucoup de problèmes urbains sont dus à un nombre excessif de réglementations, de structures et de contrôles) mais à revoir ce que la ville fait déjà au travers du « prisme interculturel ». Point besoin donc d’engager de nouvelles dépenses pour devenir une cité interculturelle. Bien au contraire, cette démarche pourrait même entraîner des économies et permettre une plus grande efficacité en concentrant les efforts sur des buts communs clairement définis, en éliminant les chevauchements, les rivalités, l’esprit de clocher et le clientélisme.

Plusieurs éléments sont essentiels pour commencer à construire une vision interculturelle :

a)    Volonté politique et engagement

Le premier (et sans doute le plus important) de ces aspects est la volonté politique. Tous les textes et travaux portant sur la construction de la ville sont probablement arrivés à la même conclusion et sa validité est difficile à contester.

Les dirigeants municipaux sont souvent pris en étau entre la nécessité de gérer la diversité et de l’encourager dans le cadre de la stratégie de développement de la ville, et l’hostilité latente des électeurs envers les immigrants et les étrangers, alimentée par un discours xénophobe.

Une cité interculturelle ne peut émerger sans un leadership qui valorise explicitement la diversité tout en soutenant les valeurs et les principes constitutionnels de la société européenne. Il faut faire preuve de courage politique pour mettre les électeurs face à leurs craintes et à leurs préjugés. Les dirigeants doivent faire en sorte que ces questions soient abordées dans le cadre du débat public et investir l’argent des contribuables dans des initiatives et des services favorisant l’intégration interculturelle. Une telle approche est risquée d’un point de vue politique mais un bon leader ne doit pas se concentrer exclusivement sur les votes mais bien sur sa mission de gouverner. En ce sens, les déclarations publiques du maire de Reggio d’Emilie en faveur de la « contamination culturelle » sont exceptionnelles et emblématiques ; elles encouragent une façon de penser qui reconnaît la valeur de la diversité pour la population locale.

Les déclarations et discours des dirigeants, les déclarations du conseil municipal, les documents programmatiques, etc., sont les principaux vecteurs de communication sur l’engagement de la ville en faveur de la diversité. Cet engagement doit être rendu aussi visible et public que possible et doit être constamment réitéré, particulièrement lors d’occasions symboliques, comme la tenue de manifestations à l’échelle de la ville ou de rassemblements politiques.

Par exemple, selon le président du conseil de district d’Amsterdam Sud-Est, toutes les grandes métropoles doivent être en perpétuelle mutation si elles veulent survivre et prospérer à l’ère de la mondialisation et de ses nombreuses incertitudes. Cela suppose d’avoir un pied en Occident et un autre dans le monde en développement, un pied en milieu urbain et l’autre en milieu rural, et de prendre conscience du caractère de plus en plus circulaire des migrations ainsi que de la transnationalité et transculturalité des peuples et des économies. Bijlmer [banlieue d’Amsterdam] est ainsi, aujourd’hui, l’illustration de ce qu’un récent ouvrage influent a qualifié de « ville d’arrivée »[14].

Un tel endroit met à mal le concept occidental d’urbanisme rationnel et fonctionnel. Ces lieux (et il y a peu d’exemples aussi extrêmes que Bijlmer) se sont avérés désastreux pour la population pauvre et migrante dans la mesure où ils ont donné naissance à une culture de la dépendance et de la marginalité ; Bijlmer est un vivier de main-d’œuvre passive attendant patiemment que l’on fasse appel à elle si la conjoncture économique le nécessite. Il n’est pas surprenant que beaucoup aient cherché à contourner ou transgresser les règles et que l’on ait assisté à l’émergence de modes de vie alternatifs et d’une économie grise. Mais hormis le fait que ces activités sont prohibées, le président du conseil de district estime qu’elles peuvent être source d’une nouvelle créativité et de l’innovation dont une ville comme Amsterdam a cruellement besoin. S’inspirant d’un autre ouvrage[15], il établit une distinction entre les « urbanistes » qui imposent d’en haut des solutions idéalistes mais irréalistes et les « chercheurs » qui privilégient les initiatives venant de la base afin de répondre à des besoins spécifiques. Il se place lui-même dans la seconde catégorie.

 

Estimant que les habitants d’Amsterdam Sud-Est sont naturellement sensibles à une approche cosmopolite et interculturelle, il juge que le moment est venu pour le district d’adhérer à un projet tel que l’ICC. Il ne faut plus s’en tenir aux seules préoccupations locales et à une dynamique de développement autocentrée, il est désormais temps de chercher des opportunités à l’extérieur. Selon lui, le district n’a pas suffisamment exploité et tiré profit des réseaux de la diaspora et des compétences de sa population hétérogène. Il souhaite le mélange des cultures tout en étant conscient de ce que, paradoxalement, utiliser les cultures pour en retirer des avantages économiques et sociaux peut avoir pour effet de renforcer les différences. Ainsi, les Surinamiens estiment qu’Amsterdam Sud-Est fait traditionnellement partie de leur patrimoine et éprouvent un certain ressentiment à l’égard des nouveaux arrivants turcs ou marocains. Le président du conseil de district considère pour sa part que ces derniers prennent un risque en s’immergeant dans une culture différente de la leur, et méritent à ce titre d’être encouragés.

Text Box: Exemples
• Plusieurs maires manifestent leur engagement interculturel dans la vidéo ICC
• Voir également les déclarations des maires d’Amsterdam (http://www.iamsterdam.com/en-GB/living/city-of-amsterdam/people-culture/diversity-in-the-city), London Bexley (http://www.bexley.gov.uk/CHttpHandler.ashx?id=205&p=0) le Maire pour l’emploi et l’intégration de Copenhague (http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/Newsletter/newsletter16/scream_en.asp) concernant leur engagement en faveur d’une gestion positive de la diversité
• Déclaration du conseil municipal de Tilburg sur la diversité

b)    Sensibilisation de l’opinion à l’atout de la diversité

La question du leadership est à rapprocher de celle du discours politique – compris au sens large comme une communication symbolique –, la manière dont les perceptions publiques de la diversité sont déterminées par la langue, les symboles, des thèmes, des dates et d’autres éléments de la vie collective. Les artefacts culturels symbolisant l’identité d’une culture sont souvent les premiers à être détruits lors de conflits intercommunautaires violents – ils peuvent en effet transmettre un message fort concernant l’identité plurielle de la ville.

La communication et le débat public sont des éléments essentiels des stratégies locales en faveur de la diversité. Il est important de reconnaître publiquement que la diversité constitue un atout et d’aborder les mythes et préjugés infondés relatifs aux minorités, afin de garantir la viabilité des politiques d’intégration et d’encourager la confiance et la cohésion sociales.

Communiquer sur l’immigration et la diversité est une tâche complexe et les résultats sont difficiles à évaluer. Le manque de connaissances concernant la réalité de la diversité, de la migration et de l’intégration, l’expression d’idées xénophobes et racistes sur la scène publique et dans les médias, la désinformation et les perceptions erronées réduisent l’efficacité des efforts d’intégration et minent la cohésion de la collectivité. Les dirigeants politiques qui se sont engagés en faveur de l’intégration interculturelle doivent souligner la valeur de la diversité pour le développement de la ville dans leurs déclarations écrites ou orales, dans leurs interviews et dans les médias sociaux, et mobiliser un large réseau d’organisations et de personnes prêtes à relayer ce discours auprès du grand public.

Text Box: Exemple

La Mairie de Barcelone a identifié les préjugés et les stéréotypes qui sont souvent associés à la population immigrée. Elle met actuellement en œuvre une initiative visant à sensibiliser les citoyens ainsi qu’à combattre les perceptions négatives à l’égard des migrants. 
Cette initiative fait partie du Plan Interculturel de la Mairie de Barcelone. Outre l’appui politique de la municipalité, elle bénéficie également du soutien de 200 associations locales, fortes de 3 000 personnes. Tous contribuent à la mise en œuvre d’une politique qui favorise et gère la coexistence pacifique d’une population de plus en plus diversifiée. 
L’initiative comporte plusieurs volets, notamment : une formation gratuite pour les acteurs locaux travaillant avec les populations immigrées ; la diffusion d'une bande dessinée didactique illustrée par un artiste local, Miguel Gallardo ; la distribution d'un manuel destiné aux acteurs de la cohésion sociale et de l’intégration interculturelle ; enfin, la création d'un site web qui sert de centre de ressources sur les politiques mises en œuvre pour lutter contre les préjugés et les stéréotypes

Les campagnes de sensibilisation de l’opinion peuvent être utiles pour accroître le soutien populaire à la diversité et améliorer la compréhension des avantages induits par la diversité, à condition qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie plus large et qu’elles soient bien préparées. Outre l’impact de la communication, les campagnes aident à concentrer les efforts des dirigeants, des responsables, des associations et autres parties prenantes sur un but commun, une préoccupation partagée, au-delà des clivages et des intérêts sectoriels, contribuant ainsi à assurer la cohérence, l’efficacité et la durabilité des politiques interculturelles.

Nous présentons ci-après quelques recommandations fondées sur le programme SPARDA (« Influer sur la perception et les attitudes pour faire de la diversité un avantage »), mené par le Conseil de l’Europe et sept villes partenaires avec le concours de l’Union européenne.

Les dirigeants et les personnels doivent être très bien informés de la situation de la ville en matière de diversité et connaître l’influence exercée par la diversité à l’échelon local, notamment sur le marché du travail, l’économie, les services et la vie culturelle. De nombreux outils peuvent servir à cette fin, comme la réalisation d’une analyse contextuelle, d’un état des lieux ou d’une enquête ou l’identification d’initiatives réussies, pour n’en citer que quelques-uns. L’idéal serait que ces travaux de recherche soient entrepris au niveau local par des professionnels habitués à travailler sur ces questions (universités, groupes d’experts, etc.)

En collaborant avec les associations locales d’immigrés ou d’autres organisations de la société civile, la plupart des villes devraient pouvoir s’appuyer sur une base solide et acquérir les compétences à partir desquelles elles pourront ensuite élaborer des politiques et discours sur l’interculturalité et l’atout que représente la diversité.

Les thèmes centraux et le message de la campagne doivent être décidés en lien avec les principales parties prenantes et être très clairs et brefs.

La campagne doit être soigneusement planifiée (contexte, audiences, messages, activités, responsabilités et budget).

Les villes doivent avoir une bonne connaissance de base des principes de la communication, par exemple comprendre la différence entre le message et les slogans, leur fonction respective et comment tous ces éléments peuvent contribuer à renforcer et à transmettre un discours fort. Un renforcement des capacités des villes en matière de campagnes de sensibilisation publique est nécessaire pour les aider à acquérir la maîtrise des techniques et outils qui les aideront à élaborer des activités et des campagnes plus efficaces. A noter que si ces connaissances techniques sont nécessaires, cela ne remplace pas une vision politique en la matière, qui doit exister au préalable.

Les activités de campagne doivent pouvoir diffuser les messages auprès des audiences cibles, notamment les activités encourageant les contacts humains et mettant l’accent sur le vécu, sur les aspects humains. Des messages basés sur des histoires personnelles fonctionnent mieux que des statistiques ou des énoncés abstraits.

Les campagnes fonctionnent bien dans les médias lorsqu’elles peuvent servir de support au débat en fournissant vision politique, chiffres, récits forts et émouvants. Les villes doivent apprendre à rassembler ce type de données et définir une stratégie de communication en direction des médias.

Les villes doivent être conscientes des ressources nécessaires à la mise en œuvre de telles initiatives, et rester rationnelles ; il faut également s’acquitter des procédures administratives et financières requises pour obtenir des financements de l’Union européenne. La réalisation de campagnes nécessite une expertise locale concernant les techniques de la communication et les questions traitées, et l’appui administratif doit être efficace.

Text Box: Pour aller plus loin :
• En ce qui concerne les processus, l’approche Open Space Technology (Forum ouvert) donne des conseils utiles pour tenir des réunions productives axées sur l’élaboration d’une vision commune, y compris si les participants se rencontrent pour la première fois et ont des points de vue très divergents http://www.openspaceworld.org/
• York, ville inclusive : nous avons là un bon exemple d’un processus d’élaboration d’une vision commune qui cristallise le débat sur la paupérisation et cherche à rassembler http://www.jrf.org.uk/knowledge/findings/summary/353.asp
Pour évaluer l’impact des campagnes en faveur de la diversité et des politiques interculturelles sur l’opinion publique, il est indispensable de mener des enquêtes régulières.

Text Box: Exemples
En invitant les résidents étrangers ou les personnes issues de l’immigration à intervenir lors de fêtes officielles de la ville (Neuchâtel), en décorant une école de manière symbolique avec le pilier d’une mosquée du Pakistan et les lettres des alphabets de toutes les langues parlées dans la ville (Oslo), en invitant des immigrés à participer à des fêtes traditionnelles à caractère culturel, comme la préparation des carnavals (Tilburg, Patras), ou en adoptant un langage non stigmatisant (« nouvelle génération » au lieu de « troisième génération » – Reggio d’Emilie), la collectivité fait un geste symbolique d’acceptation et d’ouverture à la « transfusion interculturelle ».

2.    Préparer une stratégie interculturelle

Les stratégies municipales interculturelles ne peuvent se limiter à des politiques d’appoint uniquement inspirées de ce qui s’est fait par le passé (même si l’on s’appuiera sur les atouts évidents et les bonnes pratiques de la ville). Elles doivent être transformatrices, viser à modifier profondément la culture civique, la sphère publique et les institutions elles-mêmes. L’objectif est un changement qualitatif des relations – entre les élus, les institutions, les particuliers et les différents groupes d’habitants.

Toutes les stratégies de la ville auront ainsi une visée commune : rendre possibles et encourager les échanges d’idées et les interactions culturelles afin de stimuler l’innovation, la croissance et les liens entre les cultures, la population et les autorités, dans l’intérêt de tous.

Les stratégies interculturelles doivent s’appuyer sur les domaines et activités dans lesquels les relations sont positives ; cependant, elles ne devraient pas ignorer les conflits interculturels ou les laisser sans réponse. Inévitable, le conflit, s’il est bien géré, peut devenir source de créativité, d’enrichissement et d’apprentissage mutuel pour toutes les parties prenantes, y compris les autorités municipales.

a)    Mettre en place des structures de direction et de gestion

i)              Désigner un acteur politique : construire une vision interculturelle à l’échelle de la ville offre une occasion d’identifier, dans tout le système municipal, des « champions » interculturels, qui pourront faire office d’ambassadeurs et favoriser eux-mêmes les changements au niveau des autres agents, élargissant ainsi la portée de l’initiative. L’expérience montre que dans certaines villes, l’adjoint au maire a un rôle actif et se mobilise sur le terrain, tandis qu’ailleurs il pourra rester au second plan. La seule chose qui compte ici est l’existence d’un lien clair entre le projet et les élus locaux.

ii)             Désigner un agent municipal coordinateur et principal responsable de la gestion du programme ICC. Dans l’absolu, cet agent devrait rendre compte directement au responsable politique en charge de la stratégie ICC, mais il pourrait également avoir sa place au sein même du service. Dans certains cas, en effet, un partenariat entre deux responsables donne de bons résultats. A Oslo, l’expert municipal en matière de diversité travaille en lien avec l’expert en matière d’éducation (l’axe prioritaire de la ville pour l’action interculturelle). A Neukölln, l’expert en matière de diversité travaille en lien avec le spécialiste des relations internationales.

iii)            Les personnalités politiques et les personnes ayant officiellement un rôle dirigeant ne sont pas les seules à pouvoir donner des impulsions. On trouvera aussi des acteurs engagés et intéressés par cette initiative dans les différents départements et services municipaux, parmi les fonctionnaires chargés des services communautaires et au sein des ONG et des communautés. Ces acteurs pourront être rassemblés dans un Forum des champions ou groupe d’appui pour contribuer à l’élaboration de la stratégie interculturelle municipale et apporter leur aide et leurs conseils au moment de la mise en œuvre. Ils feront notamment part de leurs réactions et commentaires concernant les répercussions pratiques sur le terrain.

Il pourra être demandé à certains d’entre eux de prendre en main des volets ou des projets spécifiques de la stratégie interculturelle, ce qui permettra d’enrichir et d’élargir les prises de responsabilité. Un programme de formation et de perfectionnement des compétences pourra aussi être proposé aux membres du forum. Cela permettra à la ville de se doter des ressources nécessaires aux fins des diverses interventions projetées, par exemple en matière de médiation interculturelle.

iv)           Text Box: Exemples

A Lyon, une plate-forme collaborative composée de quatre adjoints au maire a été créée pour élaborer et superviser la stratégie interculturelle et un Groupe d’initiatives pour l’égalité dans la ville (GIPEV) a été mis en place en vue de mener des réformes. Une enquête auprès de la société civile et des praticiens et plusieurs réunions de consultation ont été organisées afin de définir l’impact que la diversité a nécessairement sur les politiques municipales.

Certaines villes associent d’emblée des consultants extérieurs au conseil municipal aux travaux du groupe de travail. Melitopol (Ukraine) travaille depuis le tout début main dans la main avec l’ONG dénommée « La démocratie par la culture ». 

Ijevsk (Fédération de Russie) a organisé deux séminaires d’introduction afin d’examiner les perspectives et le format du programme Cités interculturelles. Un groupe de travail a ensuite été établi en vue d’élaborer une stratégie. Il comprend actuellement plus de 50 personnes qui participent directement aux discussions et aux activités de planification en cours, et quelque 250 autres personnes pouvant être définies comme des observateurs intéressés.







Constituer une Task Force interne dans laquelle les différents services seront largement représentés. Les participants proviendront donc de plusieurs services, voire également d’ONG et d’associations professionnelles. Ils ne seront pas nécessairement choisis en fonction de leur position hiérarchique ou des caractéristiques de leur emploi, mais fondamentalement en raison de leur motivation personnelle et de leur attachement aux questions interculturelles. Le projet ne doit pas être géré uniquement par des personnes ou des bureaux dont l’expérience en matière de diversité et d’intégration est déjà attestée. Il doit s’élargir aux services qui exercent une influence en matière d’interculturalité mais n’ont pas encore d’action cohérente dans ce domaine.

Text Box: Conseil : l’expérience montre que les programmes ICC les plus efficaces font appel à la participation d’un grand nombre de personnes et de groupes d’intérêts. Créer l’assise d’un réseau aussi large n’est pas facile ; il y a toujours des périodes où une opposition se fait jour et où l’on a l’impression que les choses n’avancent pas. Il pourrait être tentant de limiter la participation au processus ICC à quelques participants connus et de toute confiance. Ce serait une erreur. La compréhension, le soutien et l’engagement actif d’un vaste éventail de parties prenantes sont des conditions préalables indispensables si l’on veut commencer à créer des synergies, entamer une nouvelle réflexion et parvenir à mettre en place les innovations qui font toute l’efficacité de ce processus.

b)    Etablir un état des lieux des acteurs, des problèmes et des enjeux interculturels

Le manque de données est souvent un écueil, mais cela ne devrait pas empêcher la municipalité de rassembler rapidement des connaissances et éléments d’information en quantité et de qualité suffisante pour pouvoir élaborer une stratégie et prendre des mesures. Une approche d’évaluation rapide pourra être utile. Cette démarche consiste à consulter les principaux spécialistes, les parties prenantes et les personnes travaillant en lien étroit avec les communautés, et à les rassembler pour établir la cartographie des enjeux les plus brûlants pour la ville. Les villes peuvent puiser dans la richesse des connaissances informelles disponibles au sein des communautés, chez les ONG et les personnes travaillant dans les quartiers concernés, et chez les employés municipaux qui fournissent des services à différents publics, en particulier les personnels des services culturels, des services sociaux, du logement et de l’éducation. On pourra aussi faire appel aux connaissances d’autres employés municipaux issus de minorités.

Une cartographie des enjeux interculturels ne doit pas ignorer les besoins et aspirations de la population autochtone défavorisée sur le plan socio-économique, qui pourra aussi se sentir victime d’une discrimination et marginalisée. Il est largement attesté que ces groupes peuvent avoir l’impression d’être des laissés-pour-compte lorsque l’accent est mis sur les communautés minoritaires. Un tel sentiment peut exacerber les tensions interculturelles. La stratégie interculturelle municipale doit donc explicitement considérer la manière dont ces groupes sont pris en compte, et veiller à ce qu’il soit répondu à leurs besoins.

Outre les enjeux propres à chaque ville, il existe des problématiques communes qui peuvent générer des tensions et problèmes. Citons le logement, la scolarisation et l’enseignement, l’emploi, ainsi que des questions liées à la religion, comme l’établissement de lieux de culte. Il existe aussi des possibilités de renforcement de la contribution culturelle et des interactions dans le secteur culturel et le commerce, étant donné l’esprit d’entreprise de nombreux groupes immigrés minoritaires.

i)              Mener un examen préliminaire interne : chaque ville a un ensemble unique de politiques et pratiques déterminé par son contexte national et historique et par ses priorités actuelles. Il est essentiel de s’interroger : « Pourquoi agissons-nous de telle ou telle façon et pas comme cela ? » Ce sera une occasion de familiariser les membres de la Task Force avec la notion de cité interculturelle et de les encourager à examiner l’incidence des politiques que mène la ville sur les perceptions mutuelles et les relations entre communautés.

Si les pouvoirs publics ne disposent pas d’informations adéquates sur les organisations, initiatives, manifestations, décisions, accords, résultats ou d’autres données pertinentes pour le programme d’intégration interculturelle, il est utile de demander l’élaboration d’un premier état des lieux qui servira de base à la constitution du Forum des champions et d’autres groupes de travail, et qui permettra de structurer le débat. Un tel état des lieux a par exemple été établi par un expert à la demande de la ville de Limassol (Chypre). Cet exercice s’est avéré très utile pour identifier les personnes et organisations compétentes, cerner les problèmes et enjeux, mais aussi dégager les réussites[16].

ii)             Repérer les innovateurs et médiateurs interculturels et les impliquer dans l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie interculturelle

Le plus probable est que la stratégie interculturelle s’appuie sur les travaux menés précédemment par la ville en matière d’intégration et sur les relations établies avec les associations d’immigrés et de minorités. De telles organisations sont certes une ressource clé et un pilier des politiques interculturelles locales. Cependant, la plupart d’entre elles ont une propension naturelle à appeler à la mise en place de politiques, initiatives et ressources soutenant l’expression et la transmission de la culture de la communauté qu’elles représentent ; elles agissent donc comme des gardiens de la culture. Pour favoriser les relations interculturelles, la confiance et la coopération, il faut mettre l’accent sur les structures, les interventions et les ressources qui rapprochent les personnes, au-delà des frontières culturelles. Pour ce faire, l’implication de personnes ayant une compréhension de

Text Box: Exemple : lors de la préparation du Plan interculturel de Barcelone http://www.bcn.cat/novaciutadania/pdf/en/PlaBCNInterculturalitatAng170510_en.pdf, la municipalité s’est fixé pour priorité de créer un processus de participation interne entre services municipaux et un processus de participation externe à un stade précoce. Avant toute chose, tous les services municipaux ont été invités à conduire un diagnostic de leur champ d’intervention d’un point de vue interculturel. 

A cette fin, il leur a été demandé de répondre à cinq questions :
• En quoi l’accroissement de la diversité socioculturelle ces dernières années a-t-il affecté votre domaine de travail ?
• Quelles conséquences cela a-t-il eu sur les politiques élaborées par votre service ?
• Dans une perspective interculturelle, quels sont d’après vous les points forts et les points faibles dans votre domaine ?
• Que faudrait-il faire à votre avis dans votre domaine pour relever les défis et atteindre les buts du modèle interculturel ?
• Quels indicateurs pourraient être utilisés pour mesurer le degré de réalisation de ces objectifs ?

Melitopol a mené une enquête auprès de 1 000 citoyens au sujet des objectifs et des priorités en matière interculturelle, tenu plusieurs réunions de consultation et organisé un jeu sur la « Ville interculturelle future » afin de développer sa stratégie interculturelle. Une émission de télévision de la chaîne municipale, « Ma ville, Melitopol », est consacrée à la politique interculturelle de la ville. Un groupe de travail composé de responsables locaux, d’acteurs culturels, d’hommes d’affaires et de représentants des ONG a été établi, et l’équipe des « transformateurs culturels » a été créée sur cette base.

plus d’une culture, une ouverture culturelle et une vision du développement interculturel est indispensable. Il existe de telles personnes au sein de toute organisation. L’important est de les découvrir et de leur confier des responsabilités accrues en les invitant à participer à des réunions, des groupes de travail, et en leur attribuant des tâches spécifiques.

La plupart des responsables municipaux qui traitent des questions relatives à la diversité et à l’intégration connaissent probablement ces personnes mais dans les plus grandes villes, ou s’ils sont nouveaux à ce poste, il peut être utile d’utiliser une méthode simple élaborée par la fondation Ashoka, qui recherche des entrepreneurs sociaux et leur offre un soutien. Pour repérer les acteurs de changement potentiels, les prospecteurs d’Ashoka demandent à de nombreuses personnes si elles connaissent quelqu’un ayant tel ou tel profil. Les noms qui reviennent le plus souvent sont ensuite inscrits sur la liste des candidats sélectionnés.

Un aspect très important est que les personnes qui dirigent le processus se plongent dans la vraie vie et dans les activités des organisations qui traitent des questions interculturelles, ou travaillent auprès de publics divers. Il est tout simplement impossible de comprendre les dynamiques interculturelles, les récits et histoires, les acteurs et les relations qui se créent depuis un bureau, en lisant des rapports ou en participant à des réunions : les dirigeants et coordinateurs interculturels doivent aller sur le terrain (marchés, places, manifestions) et découvrir de première main le fonctionnement des organisations. Ils doivent savoir écouter, observer, prendre le pouls de la communauté.

Text Box: L’élégance de l’interculturalité

L’approche de la cité interculturelle est conçue pour être élégante – au sens où elle aborde les problèmes et enjeux de façon organique, spontanée, en s’appuyant sur l’énergie et l’imagination d’innovateurs interculturels et de citoyens ordinaires au lieu d’appliquer des programmes et des règles inflexibles ou d’ajouter de nouvelles structures et procédures. Elle est élégante car elle recherche des solutions requérant un minimum d’énergie et de ressources pour un impact maximum, en traitant les problèmes de fond et en actionnant les leviers clés (effet domino). Pour identifier les éléments de la chaîne et les bons leviers, il est toutefois essentiel de commencer par observer, écouter et analyser les causes profondes des problèmes au lieu de se précipiter vers des solutions rapides. Une solution élégante impose souvent d’arrêter de faire certaines choses et de supprimer toute complexité inutile. 

Lecture excellente à ce propos : In Pursuit of Elegance: Why the Best Ideas Have Something Missing, Matthew E. May, Crown business, 2009.

Text Box: Dans son étude de 2006, Jude Bloomfield affirme que de nombreuses personnes innovent dans leur domaine grâce à leur origine interculturelle. Un principe essentiel de l’initiative des cités interculturelles est que la diversité, si elle est convenablement valorisée, est une ressource déterminante pour le développement d’une ville. D’après l’étude, ces innovateurs interculturels ont su gérer et utiliser judicieusement leur diversité culturelle pour réussir dans leur domaine d’activité. L’étude émet l’hypothèse suivante : les personnes interculturelles, parce qu’elles ont dépassé les frontières culturelles, sont capables d’assimiler des aspects importants des autres cultures, ce qui leur donne une perception des choses, une réflexion et une créativité nouvelles. Cette expérience interculturelle serait ainsi une cause directe de leur succès et c’est ce qui les définit comme des « innovateurs interculturels ». Ceux-ci peuvent être définis comme des personnes qui enjambent les frontières entre les réseaux des minorités ethniques et ceux de la population majoritaire. Les 33 personnes incluses dans l’étude ont été repérées par les chercheurs du fait de leur réputation. Elles appartenaient à trois grandes catégories : les artistes et animateurs, les personnes s’occupant de développement local et les entrepreneurs ; elles provenaient de six villes du Royaume-Uni : Londres, Birmingham, Leicester, Newcastle, Huddersfield et Bradford.
Voir l’étude complète http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/cities/Publication/ProfileInterculturalInnovators.pdf

Text Box: Pour aller plus loin : 
• Voir les profils interculturels des villes de Neukölln, (http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/neukollnprojects.pdf) et Tilburg (http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/tilburgprofile_en.pdf)
• Consulter la boîte à outils ICC, qui constitue une riche source de renseignements à de nombreux points de vue
• http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/resourcepack.pdf


Text Box: Boîte à outils : un exercice rapide d’auto-évaluation est proposé en annexe I de ce guide.

Modèle en 10 points de Robin Wilson pour l’élaboration des politiques :

1.      Définition du problème à résoudre basée sur des données factuelles

2.      Fixation d’un but prioritaire afin de définir la solution qui semble être la bonne

3.      Détermination d’une série d’objectifs qui permettraient de réaliser ce but s’ils étaient atteints

4.      Elaboration de programmes et projets, en lien avec les utilisateurs, pour exécuter ces objectifs

5.      Mise en place des structures ou mécanismes nécessaires pour fournir un cadre cohérent

6.      Désignation des acteurs qui assumeront des responsabilités (y compris coproduction par les utilisateurs)

7.      Prévision des ressources nécessaires à la mise en œuvre (quantité, origine)

8.      Choix des vecteurs de communication de la politique et définition des publics cibles

9.      Mise en place de mécanismes de suivi et d’évaluation de l’efficacité des interventions

10.  Réexamen et révisionde la politique à la lumière de l’évaluation

Ces points correspondent à la séquence définie par Jordan et Lenschow (2008, 12), à savoir détermination des interventions (1), démarrage (2), prise de décision (3), mise en œuvre (4-8), évaluation (9) et révision (10)[17].

3. Formuler la stratégie interculturelle de la ville

La formulation de la stratégie interculturelle est normalement effectuée par la Task Force en concertation avec les services municipaux, des associations professionnelles, des ONG et les diverses organisations et structures concernées, comme les universités, les organes consultatifs des résidents étrangers, etc.

La consultation et la participation des habitants à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation de la stratégie interculturelle de leur ville ne sont pas seulement importantes en soi ; elles sont essentielles au succès de la stratégie. Une véritable ville interculturelle ne peut être atteinte qu’à travers la participation active de l’ensemble des principales institutions, associations et communautés de la ville.

a) Consultation et participation

il pourra être utile d’appliquer les principes suivants :

La stratégie de mobilisation doit être très diversifiée pour toucher des publics très divers, de manière à ce qu’en cas de changement de gouvernement, la nouvelle équipe en place ne puisse pas modifier la politique, vu le grand nombre de personnes et d’organisations impliquées. Les entreprises devraient également être des hérauts de l’interculturalité.

Text Box: Exemple
Berlin a conduit très habilement un processus de consultation pour préparer un plan d’action (une stratégie) de lutte contre la discrimination. Le Bureau de lutte contre la discrimination a demandé à une ONG fédératrice, forte de plus de 70 membres, d’organiser le processus de participation pour les ONG. Ce processus a permis de soulever les principaux enjeux et d’identifier les grandes idées et initiatives qui allaient constituer le pivot de la stratégie.

En parallèle, une consultation avec plusieurs départements du Sénat a eu lieu afin de dresser un bilan des initiatives antérieures et d’identifier d’éventuelles actions futures.

Dans un deuxième temps, il a été demandé aux départements du Sénat de répondre aux propositions soumises par les ONG. Certains départements ayant déclaré ne pas avoir les ressources nécessaires à la mise en œuvre des mesures proposées, le plan d’action élaboré prévoyait des mesures sans frais et des mesures pour lesquelles de nouvelles ressources seraient recherchées.

Le plan d’action final contenait plusieurs éléments : le bilan, les recommandations des ONG (un geste très symbolique en reconnaissance de leurs efforts) ; une déclaration de l’administration concernant les mesures proposées qui ne pouvaient pas être appliquées et expliquant pourquoi ; enfin, une liste de 44 mesures accompagnée des méthodes de mise en œuvre suggérées et des sources de financement possibles.
Faire appel à un blogueur connu (comme Copenhague) pour attirer l’attention et amener de nombreuses personnes à s’intéresser à l’interculturel.

Text Box: Pour aller plus loin : 
Guide détaillé sur la consultation et la participation dans le cadre du programme ICC 
http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/paperviarregio_en.pdf

http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/paperviarregio_en.pdf
Text Box: Boîte à outils : liste des organisations et des personnes qui pourraient participer à la consultation relative à la stratégie (annexe II)

Text Box: Exemple 

En 2008, la Mairie de Barcelone a adopté la stratégie municipale en matière d’immigration : un plan d’action de quatre ans articulé autour de cinq grands thèmes dont les relations interculturelles. Tout au long de 2009, le Commissaire à l’intégration et au dialogue interculturel de Barcelone a conduit une très vaste consultation ouverte à tous sur la mise en œuvre du volet interculturel du plan relatif à l’intégration. Il a mobilisé l’ensemble des services municipaux en leur demandant d’évaluer leur travail d’un point de vue interculturel – par exemple, comment la politique en matière de logement ou d’urbanisme accroît ou empêche les contacts et interactions entre les groupes ethniques et ce qu’il faudrait changer.

Dans le cadre du processus de consultation publique, cinq questions étaient posées afin de recueillir les perceptions des habitants sur la diversité, les espaces interculturels et les initiatives menées à Barcelone. Des milliers de messages ont été postés sur le site dédié à cet effet et ont été analysés. Le site contenait également les résultats de 32 ateliers qui avaient réuni des habitants de tous les quartiers. Des associations de commerçants de différents quartiers et toutes sortes d’autres associations locales ont participé très activement au processus. Quelque 200 interviews ont été menées (y compris avec des classes) et 150 interviews-vidéos de personnes de différentes origines ont été réalisées dans le cadre de ces ateliers, que des spécialistes ont enrichi de leurs commentaires. 

Toutes ces informations ont été utilisées pour la préparation de la stratégie interculturelle de Barcelone, qui a été dans une très large mesure inspirée par la notion et l’idée de cité interculturelle. Nous avons en effet travaillé très étroitement avec Barcelone à cette période.

En savoir plus sur le processus de consultation de Barcelone. 
http://www.interculturalitat.cat/planpdf/proces-participatiu

Text Box: Conseil : lorsque vous vous lancerez dans un processus de consultation, vous devrez réfléchir à la façon dont vous allez inciter les citoyens à participer. Par exemple, les maisons de quartier et autres associations sont importantes, mais il faut les attirer avec un sujet qui leur importe. Sauf s’il existe des préoccupations palpables dans un quartier concernant les relations entre communautés, convoquer une réunion sur le thème « Comment mieux s’entendre ? » n’est pas une bonne idée. Il sera beaucoup plus efficace d’inviter les gens à venir pour parler de choses qui concernent directement des personnes de tous les horizons. Il pourrait s’agir de critères en matière d’éducation, de la situation en matière de logement et d’équipements locaux, de plans de circulation – n’importe quoi, pourvu que cela motive les gens. Une fois que vous aurez retenu l’attention et créé la confiance, il sera plus facile d’aborder des questions plus sensibles telles que les relations sociales et de pouvoir.

b) L’approche CBRA : un outil pour l’élaboration et le suivi de la stratégie interculturelle

L’approche CBRA (Community-based results accountability) mise au point par le Washington Centre for the Study of Social Policy est un outil utile pour structurer l’élaboration de la stratégie ICC et assurer le suivi des résultats.

i)              Qu’est-ce que l’approche CBRA ?

Selon le principe de la responsabilité axée sur les résultats, les établissements publics mesurent leur performance non pas à l’aune des efforts déployés pour aborder un enjeu de société – comme de bonnes relations entre communautés –, mais en se fondant sur les résultats obtenus sur le terrain, avec la participation de toutes les parties prenantes. Les objectifs ainsi que des indicateurs de succès sont définis dans le cadre d’un processus de consultation publique, et les résultats sont constamment évalués (à moyen et à long terme par une palette d’indicateurs et à court terme à l’aide d’un ensemble plus restreint d’indicateurs de performance, le « tableau de bord »). Les solutions aux problèmes sont imaginées collectivement, avec la participation des organismes concernés, mais aussi des familles et de la collectivité en général (co-investissement des institutions et des citoyens).

La CBRA n’est pas un outil de gestion, mais un outil de mobilisation des personnes et des établissements publics autour d’un but commun.

ii) Le processus CBRA comporte les étapes suivantes :

·         La Task Force interculturelle, en tant que structure de pilotage de l’élaboration de la stratégie ICC en coopération avec le Forum des champions interculturels, se chargera également des procédures CBRA. La première étape sera de lui fournir des informations ou une formation concernant l’approche CBRA et de la convaincre de son utilité.

                                      

·         Sélectionner les résultats attendus : sur la base des résultats de la cartographie des enjeux interculturels, et dans le cadre d’une vaste consultation auprès de diverses organisations et des citoyens, définir les objectifs en matière de gestion de la diversité (ou rappeler les objectifs définis par la municipalité si cela a été fait dans le cadre d’un processus participatif ouvert à tous), de même que les priorités et les obstacles qui pourraient empêcher de parvenir à ces buts. Les objectifs ainsi définis pourraient de prime abord ne pas être liés à la diversité. Le fait d’en débattre pourra cependant amener à prendre conscience de ce que les préjugés ou l’isolement culturel sont des obstacles qu’il faut surmonter si l’on veut atteindre les buts fixés.

·         Créer des indicateurs qui permettront de mesurer le degré de réalisation des objectifs : les indicateurs doivent être mesurables, mais les mesures pourront être très approximatives – par exemple, dans quelle mesure les conflits entre personnes de différentes origines culturelles ont diminué de l’avis des personnels de sécurité de certains espaces publics. Il ne devrait pas y avoir trop d’objectifs et indicateurs. Les objectifs généraux que nous avons retenus se déclinent comme suit : une ville forte, accueillante, plurielle. Dans la plupart des cas, des progrès réguliers accomplis en ce sens sur deux ou trois ans traduiront la réussite du programme.

Types d’indicateurs

Indicateurs intermédiaires (jalons) : ils montrent les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs pendant une période donnée, par rapport à l’état des lieux primitif.

Indicateurs de performance : ils permettent de savoir si l’on avance bien dans la réalisation de la tâche qui permettra de passer le jalon (que fait un établissement public pour progresser).

Réalisations : activités positives non incluses ci-dessus – par exemple, l’ouverture d’une maison de quartier.

Anecdotes – même si vous ne pouvez pas atteindre une masse critique, il est toujours intéressant de présenter la réalité que recouvrent les statistiques au travers de récits et témoignages montrant l’amélioration du quotidien des personnes.

Un indicateur est une mesure qui aide à quantifier l’atteinte d’un résultat.

Un bon indicateur est dicté par le bon sens et est éloquent (pouvoir de communication), il donne des indications importantes concernant le résultat (il n’est pas marginal) et permet d’obtenir des données cohérentes pour mesurer le résultat (pouvoir des chiffres).

Il est très important d’examiner dans quelle mesure les perceptions constituent des indicateurs pertinents. Par exemple, « Qu’entendez-vous par collectivité respectueuse de la diversité ? ».

·         Etablir des sources de données et des processus de collecte d’informations sur la base des indicateurs retenus, pour étayer le suivi.

·         Définir les données de base qui serviront de point de départ pour mesurer les progrès par la suite. Ces données devraient pouvoir montrer, d’une façon ou d’une autre, les efforts déployés par des acteurs tels que les jeunes ou les travailleurs sociaux pour tenter de renforcer la cohésion de la collectivité, rarement reflétés dans les indicateurs à l’échelle de la ville.

·         Sélectionner des stratégies : définir par quelles actions on pourra atteindre les résultats attendus.

·         Concevoir des stratégies de financement, des partenariats avec plusieurs institutions et organisations.

·         Elaborer un système de justification de l’action menée (modalités des relations avec les parties prenantes, établissement de rapports, procédure à suivre pour modifier la stratégie et le système, etc.). Il faut rendre compte des succès mais aussi des échecs, par exemple lors de réunions de quartier, par le biais de bulletins d’information, etc.

Text Box: Boîte à outils : Questions for auditing policies through the intercultural lens
http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/cities/audit.pdf

Text Box: Pour aller plus loin :

• La CBRA en actes : How one California community achieves better results for vulnerable populations? 
http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/Publication/BookCoE15-Deanne.pdf
• Tilburg’s CBRA experience
http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/Publication/BookCoE21-EijsBongaarts.pdf
• Stories of intercultural city-making
http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/Publication/BookCoE05-PhilWood.pdf

Evaluer les politiques à travers le prisme interculturel (questions guides)

-          Est-il facile et naturel pour les citoyens / clients / résidents / patients / acheteurs (y compris ceux qui ne maîtrisent pas bien la langue du pays d’accueil ou ont une expérience limitée de la démocratie et de la participation) d’exprimer leurs points de vue et leurs idées ? Cherchons-nous à les rencontrer dans les endroits où ils vivent plutôt que d’attendre qu’ils se manifestent ? Faisons-nous appel à des personnes de diverses origines culturelles pour qu’elles fassent office d’intermédiaires et aident à créer la confiance avec les citoyens ? Ou préférons-nous, par commodité, nous en tenir à des échanges de vues et à une prise de décision au sein de l’administration ou avec de proches alliés (ONG « amicales » ou autres).

-          Utilisons-nous des moyens d’expression non verbaux ou officieux pour faciliter la participation de ceux qui pourraient avoir des problèmes pour exprimer leurs vues par des moyens conventionnels ?

-          Ecoutons-nous réellement ceux qui n’ont pas nécessairement de compétences professionnelles spécialisées dans un domaine quelconque – les citoyens ordinaires, les jeunes adultes, les enfants ?

-          Sommes-nous prêts à tester toutes les idées, en particulier moyennant la réalisation de prototypes bon marché ?

-          Sommes-nous prêts à passer outre à toute la paperasserie administrative (et à même de le faire) pour mettre en œuvre des idées qui aident à développer l’innovation et les interactions interculturelles (en particulier en lien avec l’utilisation de l’espace public).

-          Avons-nous un personnel divers à tous les degrés de la hiérarchie ?

-          Notre personnel est-il conscient des enjeux de la diversité et a-t-il entamé une réflexion sur sa pratique ?

-          Avons-nous poussé les membres du personnel issus d’autres cultures à se montrer critiques de nos approches et politiques et à proposer des idées découlant d’autres pratiques culturelles ?

-          Encourageons-nous les interactions créatrices entre employés de différentes origines, de tous âges, hommes et femmes, et de différentes spécialisations professionnelles (lieux de réunion où tous pourraient se retrouver, événements animés par un modérateur) ?

-          Encourageons-nous l’innovation (notamment en considérant que les erreurs sont un signe d’initiative, de prise de risque, de volonté de sortir de la routine) ?

-          Appliquons-nous rigoureusement la non-discrimination ?

-          Avons-nous informé nos partenaires de notre engagement interculturel ? Avons-nous explicitement affirmé notre conviction que la diversité est un atout ?

-          Avons-nous des objectifs clairs en matière d’amélioration de nos pratiques ?

-          Soulignons-nous la diversité interne des groupes de citoyens / utilisateurs / clients et adaptons-nous nos approches en conséquence ou avons-nous tendance à cataloguer les gens et à tous les mettre dans un même moule ?

-          Mettons-nous toujours en question les idées spontanées que nous formons concernant ce que tel ou tel groupe veut ou pense, et confrontons-nous ces idées aux réactions des personnes appartenant à ce groupe ?

-          Voyons-nous les citoyens / utilisateurs / clients comme des personnes qui ont généralement besoin d’aide, d’assistance et de services ou comme des personnes pouvant apporter quelque chose de spécial à l’organisation ou à la ville ?

-          Comment essayons-nous de savoir quelle est la valeur ajoutée unique que des personnes issues d’un milieu différent du nôtre pourraient apporter ?

-          Sommes-nous prêts à gérer un conflit « culturel » ? Quels sont nos principes à cet égard ?

-          Avons-nous suffisamment de connaissances / données / informations concernant les origines et situations de nos citoyens / clients / utilisateurs pour pouvoir élaborer des politiques qui exploitent l’atout de la diversité (niveau d’instruction et réussite scolaire, langues parlées, expérience professionnelle, vécu, compétences particulières, aspirations, capacités…).

-          Avons-nous tendance à imaginer des solutions « maison » ou cherchons-nous un appui et de l’inspiration auprès d’un large éventail d’organisations et de personnes ? Essayons-nous de trouver des exemples et d’apprendre de l’expérience d’autres villes et pays ? Faisons-nous confiance à d’autres parties prenantes (ONG, sociétés, particuliers) et donnons-nous-leur des moyens pour impulser et mener à bien des programmes et projets ?

IV        Eléments d’une stratégie interculturelle

Bien qu’une stratégie municipale puisse être structurée de multiples façons, 10 grands volets, pris ensemble, sont susceptibles d’exercer une influence sur les perceptions de l’opinion et les politiques publiques (ou ce qui a été appelé, dans le cadre du programme, les infrastructures – hardware – de l’intégration et les comportements – software – favorables à l’intégration) et d’orienter la dynamique collective vers une valorisation de la diversité bénéfique pour la ville et ses habitants.

1. Encourager le développement et la persistance d’attitudes favorables à la diversité et à une identité municipale plurielle, au moyen du discours public et d’actes symboliques

Déclarer publiquement et explicitement que la ville comprend et valorise la diversité et qu’elle adopte une approche interculturelle. Accomplir un geste emblématique symbolisant le passage à une nouvelle époque placée sous le signe de la diversité, par exemple en demandant pardon pour des méfaits commis dans le passé ou en instaurant une journée de la compréhension interculturelle. Reconnaître et récompenser, à travers des prix ou d’autres mesures, les actes ou les parcours de vie consacrés à instaurer la confiance et à la compréhension entre cultures

Même lorsqu’ils sont nombreux, les exemples d’interculturalisme qui existent dans une ville peuvent rester isolés ou méconnus du grand public ou du monde extérieur. Pour être vraiment interculturelle, une ville doit avoir décidé de rechercher, de caractériser et de reconnaître de tels exemples afin de les renforcer et de s’appuyer sur eux, dans le cadre d’une stratégie de développement dotée des ressources nécessaires. Elle doit également avoir affirmé de façon officielle, publique et non ambiguë son attachement aux principes

interculturels et s’attacher à convaincre d’autres acteurs clés dans la ville de faire de même.

Text Box: Exemples
Le projet Neuchàtoi, qui s’est déroulé sur plus de neuf mois en 2006, a donné lieu à des centaines de manifestations (conférences, pièces de théâtre, expositions, affiches, etc.). Les organisations partenaires ont invité les habitants à revoir leur conception habituelle de l’identité de la ville et à se faire une idée plus ouverte de Neuchâtel (Suisse), qui compte environ 25 % d’habitants étrangers. www.neuchatoi.ch

En 2001, Oslo (Norvège) s’est déclarée ville ouverte et plurielle. Le conseil municipal a adopté à l’unanimité une déclaration intitulée « Oslo, une ville pour tous » et présenté une politique baptisée « OXLO », pour Oslo Extra Large. La déclaration affirme : « A Oslo, tous les citoyens ont la même valeur. Ils sont l’avenir de la ville et son atout le plus précieux. Nous, citoyens, sommes issus de milieux ethniques, culturels et religieux différents et avons tous les mêmes droits fondamentaux, les mêmes devoirs et les mêmes responsabilités. [...] La municipalité d’Oslo se donne pour objectif de refléter la diversité de sa population dans la composition de son personnel et de son équipe dirigeante comme dans les services qu’elle fournit. »

Grandes lignes du programme d’intégration de la ville de Nuremberg, adopté par le conseil municipal avec 68 voix pour et 1 voix contre en date du 24 novembre 2004.
« Depuis le début de la civilisation urbaine il y a près de cinq millénaires, la diversité culturelle des villes et le développement de la culture par le biais de l’intégration de personnes qui amenaient avec elles d’autres cadres culturels sont un important moteur du développement social. On voit si les efforts déployés pour créer une société solidaire ont ou non porté leurs fruits dans la façon dont sont traitées les personnes qui ne vivent pas dans la ville depuis longtemps ou de façon continue. Plus une ville est ouverte vis-à-vis de ses citoyens, plus elle se montrera innovante dans un contexte global. Les villes s’alimentent des apports positifs des différentes cultures.

Une multitude de projets sont axés sur la compréhension interculturelle entre les résidents qui vivent depuis longtemps à Neukölln et les nouveaux résidents issus de l’immigration. Le Département de la culture et des arts conçoit des expositions et présente les parcours de vie des immigrés. Le Département de la jeunesse sensibilise chaque année les classes dans les écoles sur des questions telles que « D’où je viens ? », « Où sont mes racines ? », « Où est ma maison ? », dans le cadre du projet médias “@thnien”.

2. Réexaminer les principales fonctions de la ville à travers un « prisme interculturel » et lancer quelques projets pilotes emblématiques

Trop souvent, les villes définissent leurs politiques en matière de diversité en réaction à des problèmes graves(comme l’agitation des minorités, des meurtres racistes ou d’autres menaces contre la loi ou l’ordre public) qui sont pourtant relativement peu fréquents. Elles risquent alors de perdre de vue les tâches quotidiennes qui constituent la plus grande part de leurs activités. Au cœur de la notion de cité interculturelle se trouve l’idée que les fonctions municipales les plus importantes, qui sont aussi bien souvent les plus prosaïques, devraient être revues et reconfigurées dans un esprit interculturel.

La quasi-totalité des domaines de la politique de la ville pourraient être revus dans une perspective interculturelle, c’est-à-dire au regard de leur incidence sur l’identité culturelle, les perceptions mutuelles entre les communautés ethniques et la nature de leurs relations. Nous donnons ci-après quelques exemples d’approches interculturelles dans plusieurs domaines de la politique de la ville.

a) L’éducation

Les attitudes vis-à-vis de la culture, de la race, de la domination culturelle et du pluralisme, de même que les compétences culturelles et la curiosité, peuvent se former dès l’enfance. L’école exerce une forte influence à cet égard. A travers l’environnement physique, pédagogique et social qu’elle crée, les orientations qu’elle offre et les valeurs et connaissances qu’elle transmet, l’école peut renforcer les préjugés ou, au contraire, les remettre en question.

Questions à se poser en lien avec l’interculturalité et l’éducation, par exemple : l’expérience scolaire aide-t-elle les jeunes à nouer des relations interculturelles, ou renforce-t-elle la séparation entre cultures ? Le développement de compétences interculturelles fait-il partie du programme scolaire ou fait-il l’objet de projets spécifiques réalisés en dehors du programme ? Les enseignants ont-ils reçu une formation aux compétences interculturelles ? Les écoles ont-elles un profil ethnique correspondant à la diversité de la ville ou y a-t-il une tendance à la polarisation, aboutissant à des écoles monoculturelles ? Comment contrer une telle tendance ? Comment une école interculturelle peut-elle exercer une influence sur son environnement et, en particulier, comment l’école peut-elle impliquer des parents de plusieurs origines ethniques dans le processus éducatif et contribuer à renforcer le tissu social ?

Dans l’idéal, à l’issue de l’audit interculturel mené dans le domaine de l’éducation, les initiatives visant à renforcer l’impact interculturel du système scolaire ne seront pas limitées à des projets isolés mais aborderont l’ensemble des éléments et facteurs – de la diversité des élèves et du corps enseignant à l’apparence extérieure et intérieure des établissements, les contenus pédagogiques, et les liens entre l’école et son environnement.

Pour développer efficacement les compétences interculturelles, l’école doit adopter une approche holistique, non limitée au programme.

Le Conseil de l’Europe a mis au point, avec le concours de 30 enseignants, chefs d’établissements et experts de l’Europe entière, un outil dont la vocation est d’aider enseignants et apprenants à évaluer leurs compétences interculturelles ou en matière de diversité, c’est-à-dire leur comportement dans le contexte de la diversité[18].

Text Box: Pour aller plus loin :
Huber, Joseph (dir.), Intercultural competence for all - Preparation for living in a heterogeneous world, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2012

 

Text Box: Exemples 
A Vic (Espagne), les inspecteurs pédagogiques, l’enseignant en charge de l’espace « accueil scolaire », les directeurs d’établissements scolaires et le conseiller municipal à l’éducation se réunissent toutes les deux semaines pour attribuer un établissement aux élèves nouveaux arrivants. Ils tiennent compte de leur lieu de résidence, de l’école que fréquentent leurs frères et sœurs, de leur niveau scolaire et du nombre de places disponibles. L’objectif est de répartir au mieux les enfants de chaque nationalité ou groupe ethnique entre les écoles afin d’éviter la polarisation ethnique. Cette méthode fonctionne bien pour les écoles publiques, un peu moins pour les écoles privées, qui rechignent à accepter plus d’un minimum d’enfants migrants. La ville reste cependant ferme sur sa politique. 

A Reggio d’Emilie (Italie), le centre interculturel Mondinsieme a élaboré un programme éducatif interculturel à l’intention des écoles d’enseignement secondaire. Sont notamment abordées des questions telles que la religion, les médias et les préjugés ethniques, la culture et l’alimentation, etc. La tenue de débats en classe, la préparation de vidéos et de textes écrits, la réalisation de projets afin d’explorer la diversité culturelle de la ville (boutiques ethniques, restaurants, etc.) et la communication des résultats à la collectivité font partie du travail régulier qui est demandé tout au long de l’année scolaire. Les médiateurs du centre Mondinsieme observent le comportement des élèves et proposent diverses activités pour aider à mélanger les groupes et lutter contre l’isolement et une polarisation ethnique excessive. 

La Gamlebyen Skole, à Oslo (Norvège), est une école primaire classique de centre-ville où se côtoient de nombreuses langues et où se juxtaposent plusieurs problématiques socioculturelles complexes. L’environnement de l’école intègre des références à la culture d’origine des enfants issus de l’immigration : mur d’escalade composé de lettres des alphabets du monde entier, colonne en bois sculpté réchappée de la destruction d’une mosquée pakistanaise, tissages et autres objets créant une atmosphère chaleureuse et accueillante. Le programme scolaire prévoit un apprentissage à la fois culturel et interculturel. Un outil de comparaison permet aux enseignants de vérifier où ils en sont sur les questions de diversité, notamment lorsqu’il s’agit d’associer aux activités les parents de différentes origines. L’école a publié un livre, fruit d’un projet avec Ankara, et réalise actuellement un film avec des écoles turques et danoises.

La Förskolan Örnen, dans le quartier d’Alby (Botkyrka, Suède), compte 130 élèves, dont 99 % ont le suédois pour seconde langue. La philosophie du personnel est ancrée dans le respect des droits de l’homme, de la démocratie et des principes de la transculturalité et du constructivisme social, en lien avec les travaux de Per Dahlbeck, professeur de pédagogie à Malmö, mais aussi avec ceux du Centre Malaguzzi, à Reggio d’Emilie. Ces travaux cherchent à encourager chez les enfants des valeurs d’ouverture et de curiosité, ainsi qu’une aversion pour le nationalisme et autres absolus. Par exemple, face à une classe multiethnique, beaucoup d’écoles pourraient encourager les élèves à définir leur identité en fonction de leur drapeau national ou de signifiants du pays d’origine de leurs parents. Elles rejettent pourtant cette méthode parce que celle-ci force les enfants à se choisir immédiatement une identité fixe, et elles préféreraient permettre aux élèves de se créer une identité hybride, avec une représentation plus précise de la transculturalité de leur vie quotidienne, dans laquelle tout se forme et se transforme en permanence. Chaque enfant est traité comme un individu plutôt que comme le produit d’une origine culturelle ou sociale archétypale.

Le sentiment d'appartenance est important pour qu’un enfant se forge une identité mais ce sont généralement des tiers qui le définissent. C'est pourquoi on fournit des appareils photo aux enfants qui sont invités à explorer leur quartier et à identifier les lieux qui ont pour eux une signification. On leur demande de raconter ce qui rend un lieu attrayant ou déplaisant, et de préciser qui formule ces jugements et pourquoi – tout ça à l'âge de cinq ans !

Un autre projet encore plus spécifiquement interculturel comportait un programme de jumelage avec une école ne comptant que des élèves blancs dans le centre-ville prospère de Södermalm. Les élèves ont exploré de concert leur environnement local respectif, en se décrivant leurs impressions mutuelles. Très vite, les enfants ont constaté que la langue n'était pas un mode de communication simple ; en effet, de nombreux enfants d’Örnen parlaient un suédois limité – et étaient stupéfaits de découvrir que la plupart des enfants de Södermalm parlaient uniquement le suédois, alors qu’eux-mêmes étaient polyglottes. Il leur a donc fallu imaginer des moyens de communication non verbaux, une compétence essentielle qui leur servira le restant de leur vie dans un monde multiethnique. Ils ont également été emmenés dans un troisième lieu neutre, où ils ont pu se détendre en compagnie les uns des autres et créer ensemble des objets en glace.

b) L’espace public : urbanisme interculturel et création d’espaces interculturels

Les espaces et équipements publics sont importants pour plusieurs raisons. La plupart des citoyens sont appelés à les utiliser de temps en temps, ce qui augmente les possibilités de rencontres entre étrangers. Ils peuvent également renforcer la solidarité interculturelle, par exemple autour de projets de développement ou de fermeture d’équipements, qui peuvent susciter un vif intérêt de la part de la population. Des espaces animés et bien gérés peuvent devenir emblématiques des ambitions interculturelles de la ville. A l’inverse, une mauvaise gestion peut susciter la suspicion et la peur de l’étranger.

Le rôle de l’urbanisme interculturel est de créer une dynamique spatiale qui invite à la rencontre et facilite les échanges entre personnes de différentes origines, et de minimiser les espaces encourageant l’évitement, l’appréhension ou la rivalité.

La démarche de création d’espaces interculturels des professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement de l’environnement bâti n’est pas motivée par un « souci des minorités ». Elle requiert un engagement et une reconnaissance beaucoup plus profonde de toutes les formes de différences existant dans la ville, et une préparation de la part de tous ceux qui conçoivent, construisent, gèrent et utilisent les lieux de l’espace urbain.

La pratique de l’aménagement multiculturel a établi d’importants principes comme l’exigence d’égalité et un traitement juste et équitable pour tous dans l’application du code de l’urbanisme. Cependant, la cité interculturelle attend davantage de ses habitants, des professionnels et de la classe politique.

Alors que le multiculturalisme est fondé sur des notions statiques d’identité de groupe, l’interculturalisme suppose un environnement dynamique, en perpétuel changement, dans lequel l’individu et la collectivité expriment des identités et des besoins multiples, hybrides et évolutifs.

Dans un environnement aussi complexe, les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement nécessitent non seulement une nouvelle palette de compétences, mais encore une nouvelle mentalité axée autour de trois volets : principes, sensibilisation et compétences, connaissances et pratiques. En résumé, il s’agit d’une éducation à la COMPÉTENCE CULTURELLE en vue d’acquérir une COMPÉTENCE INTERCULTURELLE.

Principes

·         La diversité des personnes, des lieux, des usages et des formes d’appropriation n’est pas un problème qu’il faut gérer mais un atout à valoriser.

·         Notre objectif ne devrait pas être d’avoir des lieux que l’on s’approprie, mais des personnes qui appartiennent à des lieux.

·         Une bonne conception favorise l’autonomie, une mauvaise conception crée le handicap.

·         Les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement ne peuvent à eux seuls réaliser le changement – il va de soi qu’ils doivent cultiver la collaboration interdisciplinaire.

·         Les ingrédients du conflit sont inhérents à l’interculturalité. L’art de créer des lieux de convivialité n’est pas de les ignorer ou de les éviter, mais de savoir les gérer en les intégrant au processus de création.

·         Les formes d’appropriation et d’occupation de l’espace basées sur l’identité sont un expédient à court terme ; à long terme, c’est une source de fragmentation et de contestation réductrice.

·         Il ne faut pas se demander quel est le coût d’une démarche de création d’espace compétente sur le plan interculturel, mais plutôt ce qu’il en coûterait de ne pas le faire.

·         L’aménagement de l’espace dans une logique d’interculturalité doit dépasser la problématique de l’immigration et de la diversité ethnique pour englober tous les aspects de la différence dans les communautés urbaines contemporaines.

·         Les deux obstacles les plus fréquents aux nouvelles formes d’aménagement de l’espace sont deux réponses préjudiciables : « On ne peut pas le faire » et « Cela coûte trop cher ». La première est une erreur de design thinking ; la seconde, une erreur de pratique comptable.

Sensibilisation et compétences

·         Le cerveau humain est capable de perceptions sensorielles et de mobiliser des intelligences multiples ; il requiert une stimulation rationnelle et affective dans une égale mesure. Les approches traditionnelles de l’urbanisme et de la construction ont nié la plupart de ces traits, empêchant ainsi la majorité de participer et renforçant le pouvoir de quelques-uns.

·         La compétence la plus importante des acteurs de l’urbanisme et de l’aménagement est la capacité d’écoute : ils doivent écouter tout ce que les gens ont à dire pour comprendre la façon dont ils utilisent l’espace et vivent leur vie, de même que leurs aspirations. Ils doivent ensuite travailler avec les populations concernées pour le traduire dans des systèmes experts.

·         Les professionnels doivent toujours avoir conscience des biais inhérents à leur propre éducation et formation ; ils doivent régulièrement chercher à prendre du recul sur ces biais et à les dépasser.

·         Il faut savoir que les personnes expriment leur rapport à l’environnement de manière très diverse, mais utilisent rarement le langage du professionnel.

·         Le professionnel ne peut certes pas acquérir une bonne connaissance de toutes les langues et de tous les traits culturels d’une population diverse. Il peut néanmoins développer une expertise qui lui permettra de reconnaître les « moments interculturels » clés, lorsque la communication est recherchée et offerte, et de choisir les moyens d’expression appropriés.

·         Ne pas tout prendre pour argent comptant – toujours rechercher les compétences, les ressources et les connexions cachées dans un lieu.

·         Si l’on veut doter les citoyens et les professionnels de compétences interculturelles, on ne s’y prendra jamais trop tôt. Une préparation à l’interculturel devrait être envisagée dans les programmes des premières années d’études.

·         Les plus beaux cadeaux que les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement puissent faire aux villes ne sont pas des plans ou des structures physiques, mais leurs compétences de facilitateurs ou médiateurs, c’est-à-dire leurs aptitudes à créer des opportunités.

·         La plupart des meilleurs espaces interculturels émergent de façon spontanée, sans avoir été planifiés ; tout l’art d’un bon urbaniste est de savoir quand intervenir et quand privilégier la non-intervention.

Connaissances et pratiques

·         De bons urbanistes formés à l’interculturel n’ont pas réponse à tout, mais ils savent généralement où chercher ou à qui demander.

·         Ils ont l’humilité de reconnaître les limites de leurs connaissances et la curiosité de vouloir aller plus loin.

·         Le dialogue avec les habitants n’est pas une démarche ponctuelle, mais un processus constant d’écoute, d’apprentissage, de conception, d’intervention, puis d’écoute à nouveau – non pas comme un moyen pour arriver à une fin, mais comme une fin en soi.

·         Les équipes professionnelles qui interviennent sur l’espace urbain, dans les municipalités et ailleurs, devraient constamment chercher à accroître la diversité de leurs membres par la formation, le recrutement et la collaboration.

·         Ils n’ont pas peur de se tromper et n’hésitent pas à rectifier si nécessaire – l’erreur est humaine et la création de lieux de convivialité est fondée sur l’empathie, pas sur l’infaillibilité.

·         La création d’un lieu de convivialité est un acte de cocréation entre les habitants et les professionnels. Trois questions sont à poser :

o   Que faites-vous déjà pour ce lieu ?

o   Cet espace, comment le rêvez-vous ?

o   Que vous engagez-vous à faire pour ce lieu ?

Questions à se poser concernant le potentiel interculturel du domaine public : Les principaux lieux publics et institutions de la ville reflètent-ils sa diversité ou sont-ils monoculturels ? Comment les différents groupes se comportent-ils dans les espaces publics : cherchent-ils à s’éviter ou à entrer en contact ? L’atmosphère est-elle positive, neutre ou tendue ? Quelle est la situation du domaine public municipal ? Est-il protégé, sûr et bien entretenu, est-il en cours de privatisation, est-il peu sûr ou en voie de détérioration ? Les professionnels municipaux en charge de l’architecture et de l’urbanisme sont-ils formés à l’interculturel ? L’interaction sociale est-elle considérée comme une priorité dans l’aménagement des nouveaux espaces publics ? Les espaces et les modes de consultation sont-ils suffisamment souples et diversifiés pour s’adapter à des styles de participation non occidentaux et à des formes d’expression non verbales ?

Text Box: Exemples
Dans le cadre du programme Ruhr 2010 – Capitale européenne de la culture, le quartier de Marxloh, à Duisbourg (Allemagne), a été le théâtre d’une expérience d’urbanisme pluriculturel intitulée « Marxloh, Istanbul ». Le terrain séparant la nouvelle mosquée Merkez de l’église catholique, requalifié en application du critère de l’aménagement spécial, a fait l’objet d’un concours d’idées ouvert aux jeunes créateurs, sans leur imposer les restrictions normalement prévues par la réglementation en matière de construction. Le but était de renforcer l’identification et les liens affectifs des habitants avec l’ensemble de leur quartier et d’attirer de nouveaux habitants, séduits par l’image cosmopolite de Marxloh. www2.kulturhauptstadt-europa.de/en/program/projects/urban-quarters/marxlohistanbul.html

Dans le cadre du projet de redynamisation de la Karl-Marx-Straße à Neukölln, qui est à la fois l’une des principales rues commerçantes et l’une des principales artères du quartier, l’identité internationale de la ville était mise en exergue dans l’intitulé du projet : « Aktion Karl-Marx-Straße – une rue jeune, haute en couleurs et prospère ! » L’objectif était de rendre le secteur plus agréable afin qu’il devienne un centre vivant et animé, entre autres en associant étroitement le tissu économique local à l’initiative. Il avait été expressément décidé d’inclure l’expression « haute en couleurs » dans l’intitulé du projet, dans une optique d’interculturalité. Le programme élaboré par la suite visait à créer des liens entre les différents acteurs du quartier, en accordant une attention toute particulière à la question de l’économie ethnique. Celle-ci a été soigneusement étudiée et a été représentée par des acteurs locaux pendant toute la durée du projet.

Text Box: Bonnes pratiques / Pour aller plus loin :

• Une sélection de rapports de projet portant sur la création de lieux de convivialité et de notes d’orientation datant des années de formation du programme Cités interculturelles peut être consultée ici : http://tinyurl.com/75bsd7n 

• Chaire Unesco de l’université de Venise (Italie), Inclusion sociale et spatiale des migrants internationaux : politiques et pratiques urbaines http://www.unescochair-iuav.it/ 

• Sense of Place, exemple d’une démarche de coproduction innovante menée à bien dans un quartier multiethnique de Birmingham (Royaume-Uni) http://tinyurl.com/blhfh67 

• Surrey Canal, projet global de revitalisation du secteur du canal de Surrey. Ce projet, impulsé par le secteur privé, est fondé sur des principes interculturels http://surreycanal.com/ 

• « Designing an Intercultural Park in Melitipol, Ukraine ». Projet d’une équipe interculturelle dirigée par Stadslab, NL http://tinyurl.com/7ghvfau 

• Intercultural Urbanism, blog de Dean Saitta, Denver, Etats-Unis http://www.interculturalurbanism.com/ 

• Qu’est-ce que la planification multiculturelle ? par Mohammad A. Qadeer. Un document utile pour effectuer des comparaisons entre les pratiques canadiennes de planification multiculturelle et d’autres méthodes http://tinyurl.com/6t5tafw 

• Le concept de Design for All (ou « conception pour tous ») désigne une intervention sur les environnements, les produits et les services visant à ce que tous, y compris les générations suivantes, et sans égard à l’âge, au sexe, aux capacités ou aux origines culturelles, puissent participer pleinement à la construction de notre société et participer sur un pied d’égalité aux activités économiques, sociales, culturelles, récréatives et de loisirs, en ayant la possibilité d’accéder à tout élément de l’environnement, quel qu’il soit, de l’utiliser et de le comprendre, avec la plus grande autonomie possible : http://www.designforall.org/ 


o Sandercock, Leonie, Towards Cosmopolis: planning for multicultural cities, John Wiley, Londres, 1998

o Le quartier de Lewisham, à Londres (Royaume-Uni), a lancé une nouvelle manière de concevoir l’urbanisme à travers un prisme interculturel : www.lewisham.gov.uk/Environment/Regeneration/DeptfordAndNewCross/DeptfordTownCentre/DeptfordToday.htm

c) L’habitat

Le phénomène de concentration d’habitants d’une même origine culturelle ou ethnique dans certains quartiers est d’une intensité très variable selon les villes européennes. Par ailleurs, les avis divergent lorsqu’il s’agit de savoir si l’Etat devrait intervenir ou si le marché et les choix personnels devraient primer. Une cité interculturelle n’impose pas de mélange statistique « parfait » et reconnaît la valeur des enclaves ethniques, du moment qu’elles ne constituent pas un obstacle à la libre circulation des personnes et des idées et à l’égalité des chances pour leurs habitants comme pour les personnes extérieures.

Le degré de cohésion d’un quartier est un important indicateur de l’intégration ainsi que d’attitudes positives envers la diversité. Une enquête conduite en 2011 dans sept pays européens par l’institut de sondage IPSOS, dans le cadre du programme SPARDA (action conjointe du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne), a montré le lien existant entre les niveaux perçus de cohésion sociale de voisinage et la perception de l’atout que représente la diversité. Les personnes qui percevaient un faible niveau de cohésion sociale dans leur quartier étaient plus négatives concernant la plupart des aspects de l’immigration. Par exemple, elles étaient trois sur quatre (66 %) à convenir que l’immigration faisait peser de trop lourdes pressions sur les équipements de la ville, alors que ce pourcentage était de 54 % chez les personnes qui percevaient un niveau élevé de cohésion sociale dans leur voisinage.

Le modèle d’intégration interculturelle doit donc mettre un accent particulier sur le développement et la cohésion des quartiers. Tout comme les structures et processus participatifs, les projets de quartier qui permettent aux habitants de travailler ensemble vers un but commun sont un outil essentiel.

De tels projets doivent être conçus de façon à encourager et faciliter la participation de personnes issues de différents milieux socioculturels, sans considération de leur niveau d’instruction, de leur âge ou de leur sexe. Il est important de créer des incitations et des possibilités d’interaction afin que les gens dialoguent aussi souvent que possible, au-delà de leurs différences. En effet, la mixité dans l’habitat ne se traduit pas automatiquement par davantage de contacts, d’ouverture et de proximité. De telles incitations peuvent être, par exemple, la création de maisons de quartier animées par des personnels ou des bénévoles de diverses origines, des manifestations éducatives, civiques et festives, des activités de médiation, des espaces ouverts à plusieurs connotations culturelles, où les personnes de différentes origines et de tous âges se sentiront bienvenues et à l’aise.

Questions à se poser : La ville comprend-elle des zones résidentielles obéissant à une démarcation ethnique ? Le système d’attribution de logements sociaux et/ou le marché du logement privé contribuent-ils à la concentration ethnique ? Les équipements collectifs locaux encouragent-ils le brassage interethnique, ou sont-ils principalement monoculturels ?

Text Box: Exemple
Le centre culturel Sud-Est de Reggio d’Emilie est le centre névralgique d’une initiative audacieuse visant à recréer une culture civique du débat et de l’autogestion et à reconstruire le tissu social hétérogène du secteur de la gare ferroviaire. 

La direction du centre est composée de bénévoles de différentes origines. Le centre a joué un rôle déterminant dans la signature d’un pacte entre les habitants du secteur de la gare et le maire de Reggio d’Emilie. Par cette initiative, la municipalité a exprimé sa confiance et promis d’investir dans ce quartier. Les citoyens, quant à eux, se sont engagés à gérer le centre, à s’occuper des espaces publics et à exercer un contrôle social, en vue de contribuer au respect de l’ordre public. Les notions de cohésion et de coexistence sont couramment utilisées et les citoyens y adhèrent fortement.

Dans le cadre du pacte communautaire, les habitants ont élaboré des projets de lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie, de médiation des citoyens en cas de conflits de voisinage, d’éducation de la famille et de la jeunesse, ainsi qu’un projet sur les danses du monde. La ville a remis en état un parc situé dans le quartier, amélioré l’éclairage public et renforcé la présence policière. En une année seulement, le quartier, qui avait auparavant la réputation d’être un lieu dangereux et déplaisant, est devenu une référence d’engagement citoyen et d’évolution positive.

Ce projet est fondé sur les principes fondamentaux de l’interculturalité :
• la participation des citoyens à la définition des objectifs, le dialogue avec la ville et la mobilisation des services municipaux en vue de réaliser ces objectifs avec le concours de bénévoles ; 
• l’autonomisation des citoyens et la communication interculturelle ;
• l’élaboration d’une action et d’un discours positifs sur la diversité (vidéos, revue hebdomadaire sur le voisinage, participation d’artistes...) ;
• des actions de proximité : réduire la distance psychologique avec « l’autre » par des actions auxquelles participent des personnes de différents milieux.

Le programme comprend un retour d’information et un suivi permanent par les citoyens. Des outils quantitatifs et qualitatifs ont été mis en place pour effectuer une évaluation probante de l’initiative, qui a été planifiée pour durer trois ans.

Inciter les résidents à participer n’a pas été facile. Le premier groupe de citoyens a été constitué grâce à l’action de bénévoles qui ont fait du porte-à-porte en demandant aux personnes contactées de participer à la première réunion de consultation. En ce qui concerne la participation et l’impact des résidents non originaires d’Italie, les méthodes alternatives de consultation et de facilitation, notamment les techniques non verbales, sont considérées comme donnant une meilleure chance à ces résidents de participer. Un projet de théâtre a été lancé dans le but d’aider les migrants à exprimer leurs préoccupations devant la communauté.

d) Les services publics et l’administration

Dans l’idéal, le personnel municipal d’une cité interculturelle devrait refléter fidèlement, à tous les degrés de la hiérarchie, la composition ethnique ou culturelle de la population. Plus important encore, la ville devrait reconnaître que la nature même des services publics demande à être revue et éventuellement modifiée au regard des changements démographiques. Plutôt que d’imposer une approche unique, elle doit se montrer ouverte aux nouvelles idées et aux innovations apportées par les groupes minoritaires.

Questions à se poser : La ville prend-elle des mesures pour veiller à ce que les origines ethniques et culturelles de ses agents reflètent celles de l’ensemble des habitants ? La ville a-t-elle revu ou modifié la structure, l’éthique ou la méthodologie de son offre de services publics pour tenir compte de la diversité ethnique et culturelle de ses habitants et de son personnel ? La ville prend-elle des mesures pour encourager le brassage interculturel sur le marché de l’emploi privé ? Quel est le rôle de la police au regard de la diversité culturelle ? Est-elle un facteur d’acceptation positive de la diversité ou contribue-t-elle à renforcer les préjugés ? Son action vise-t-elle à maintenir le calme entre les différentes populations, à faire appliquer les lois sur l’immigration, à préserver le statu quo ? Dans quelle mesure la police est-elle prête à intervenir davantage en amont et à assumer plus activement un rôle de médiatrice entre les populations ?

Développement interculturel : comment motiver l’administration ?

-          Organiser des ateliers ou des discussions avec des fonctionnaires dans des groupes hétérogènes dépassant les cloisonnements administratifs et les spécialisations, avec la participation d’innovateurs sur le plan interculturel exerçant des professions diverses, ou provenant de l’enseignement ou de milieux artistiques.

-          Organiser des ateliers ou d’autres réunions non pas dans les locaux administratifs, mais dans des espaces dédiés à l’art, ou tout autre cadre inhabituel, qui inviteront à une réflexion originale. Encourager l’administration à avoir confiance en ses capacités.

-          Encourager les fonctionnaires à participer à des projets de terrain faisant appel à l’interaction avec les citoyens, comme dans le projet « Designing Dublin ».

-          A Copenhague, l’approche retenue a été d’encourager les initiatives en subordonnant le versement d’une prime à l’identification des erreurs commises.

Text Box: Exemple
A la suite d’une campagne pour une prise en charge des personnes âgées tenant compte de la dimension culturelle, le Service des affaires sociales, du logement et de l’environnement de la mairie de Neukölln coopère avec le département Immigration de Caritas (organisation caritative catholique) dans le domaine des services aux personnes âgées. Le personnel en charge des personnes âgées a été familiarisé aux services « culturellement sensibles » pour les personnes âgées dans le cadre d’initiatives d’information et de sensibilisation. Il importait, notamment, d’inciter les immigrés à rejoindre les bénévoles des comités sociaux. L’un des objectifs est de coopérer de façon constructive avec les associations locales d’immigrés dans tous les domaines des services aux personnes âgées, notamment dans le cadre des comités sociaux et du Comité pour les personnes âgées au niveau local. Un autre volet essentiel du projet est l’ouverture de certains des points de rencontre pour personnes âgées existants à des thèmes intéressant les immigrés âgés, afin d’attirer davantage ce type de public.

La police possède un groupe très expérimenté, le « groupe de travail Etrangers », au sein duquel travaillent également des personnes issues de l’immigration. Ses membres sont en contact avec toutes les associations d’immigrés, ainsi qu’avec les associations qui se sont créées autour de la mosquée du quartier. La confiance mutuelle qui n’a cessé de s’approfondir au fil des années et les connaissances ainsi acquises se sont révélées essentielles. Dans des cas individuels très particuliers (homicides par exemple), le groupe de travail a contribué à calmer les esprits et a rempli un rôle de médiateur sur tous les fronts.

Text Box: Pour aller plus loin :
La compétence interculturelle dans l’intervention sociale : http://incoso.wikidot.com/intercultural-competences

« Mentoring for Diversity programme » (Londres) : http://www.london.nhs.uk/what-we-do/londons-workforce/leading-for-health/mentoring-for-diversity-programme

Conseil de l’Europe, Pour construire une culture institutionnelle inclusive – Compétences interculturelles dans les services sociaux, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2011

e) Les entreprises et l’économie

Une grande partie de l’économie et du marché du travail ne relèvent pas des compétences des autorités municipales et échappent donc à leur contrôle. Celles-ci peuvent toutefois exercer une certaine influence dans ces domaines. En effet, en raison des restrictions imposées au niveau national pour l’accès aux emplois du secteur public, il peut être plus aisé, pour les minorités, de passer par le secteur privé pour participer à l’activité économique. En retour, ces activités (commerces, clubs, restaurants, etc.) peuvent constituer de précieux lieux de rencontre entre les différentes cultures présentes dans la ville.

Pour faire en sorte que les compétences des immigrés soient reconnues et utilisées de façon optimale dans l’économie urbaine comme ressort de l’innovation, de la croissance et de l’esprit d’entreprise, la ville doit encourager les organisations patronales à aller au-delà de la reconnaissance des qualifications officielles et à définir un éventail plus large de critères pour certifier les compétences, à fournir des conseils et des orientations ciblées aux entrepreneurs issus de l’immigration, à offrir des incitations aux jeunes entrepreneurs (prix, pépinières d’entreprises) et à encourager les liens commerciaux avec les pays d’origine.

En 2008, au sommet d’une phase d’expansion économique, le gisement de main-d’œuvre disponible à Copenhague était de 40 000 personnes, dont un tiers étaient membres d’une minorité. Quatre-vingt-dix pour cent des 1 000 entreprises contactées jugeaient positif d’avoir une offre de main-d’œuvre issue des minorités et environ 30 % considéraient que des employés appartenant à une minorité étaient plus fiables. A l’époque, cependant, la politique danoise en matière d’immigration était très restrictive, le discours extrémiste contre les migrants était vigoureux en Europe, et 70 % des Danois n’avaient pas d’amis membres d’une minorité, signe de l’existence d’un important fossé culturel.

Une organisation appelée The New Danes a alors été créée par des directeurs des ressources humaines issus de minorités et par d’autres professionnels afin de sensibiliser au manque d’égalité des chances sur le marché du travail pour les migrants. Au départ, ils faisaient valoir des arguments moraux, liés à la responsabilité sociale des entreprises. Depuis, leur discours a évolué et souligne les avantages de la diversité, exemples et chiffres à l’appui, pour convaincre les entreprises de s’ouvrir à une main-d’œuvre plus diversifiée et d’acquérir des compétences en matière de gestion de la diversité.

Le secret de la réussite de The New Danes a été d’impliquer plusieurs parties prenantes (monde universitaire, municipalité, entreprises) dans un processus global de prise de conscience de l’atout de la diversité. L’approche utilisée, dite Appreciative Inquiry, ou « démarche appréciative », vise à évaluer le degré de réussite de chaque entreprise en examinant la diversité de la main-d’œuvre, de la clientèle et des groupes d’utilisateurs, ainsi qu’au sein des entreprises partenaires et des fournisseurs. Les initiatives et politiques menées sont également analysées dans l’optique de chercher et cultiver la diversité et une culture de la diversité. Les critères retenus pour juger des avantages de la diversité sont l’innovation, la gestion de la qualité, le développement des produits et services, les nouveaux marchés, le recrutement et la fidélisation du personnel, la communication et l’image de marque.

La ville de Copenhague a lancé plusieurs initiatives visant à promouvoir l’emploi des migrants (comme le programme « Integration contact », géré par l’agence pour l’emploi) et a créé un Conseil de la diversité pour associer les entreprises aux activités prévues par la ville dans le domaine de la diversité.

La Confédération des entreprises norvégiennes a lancé le programme « Gobal Future » à l’intention de professionnels qualifiés issus de minorités à la recherche de postes de cadre supérieur et de direction. La participation à 19 séminaires d’une journée, répartis sur un an et demi, et à un programme de tutorat leur permet de développer leurs compétences de direction et de gestion, d’acquérir une compréhension interculturelle et de se constituer un réseau de contacts (www.nho.no/globalfuture).

Questions à se poser : Existe-t-il une organisation représentative des entreprises dont les objectifs comprennent la promotion de la diversité et de la non-discrimination dans l’emploi ?

La ville possède-t-elle une charte ou tout autre document contraignant visant à combattre la discrimination sur le lieu de travail et/ou a-t-elle fixé des objectifs en matière de diversité des effectifs aux entreprises qui travaillent avec la ville ? La ville agit-elle pour encourager le brassage interculturel sur le marché de l’emploi privé ? La ville prend-elle des mesures pour encourager les entreprises créées par des personnes issues de minorités ethniques ou culturelles à aller au-delà du marché local ou ethnique, c’est-à-dire intégrer l’économie générale ? La ville a-t-elle pris des mesures pour encourager la création de « quartiers d’affaires », qui favoriseraient le mélange des cultures ? Lors de la passation de marchés pour des biens et services qui lui sont destinés, le conseil municipal donne-t-il la priorité aux entreprises ayant adopté une stratégie en faveur de la diversité ?

A Botkyrka (Suède), des entreprises du bâtiment (publiques et privées) fournissent des locaux destinés à accueillir de petites structures éducatives qui apportent une aide aux enfants ayant des difficultés d’apprentissage. Une entreprise a également fourni gratuitement un appartement qui sert de résidence d’artistes pour la réalisation de projets artistiques et associatifs.

Text Box: Pour aller plus loin :
Global Diversity and Inclusion: Fostering Innovation Through a Diverse Workforce, Forbes insights, http://www.forbesmedia.com/files/Innovation_Through_Diversity.pdf

Text Box: Exemples
Des entreprises de Neuchâtel ont lancé en coopération avec les services sociaux le projet Speranza 2000, consacré au recrutement et à la formation de jeunes marginaux. Après une formation de 12 semaines, les jeunes se voient proposer un contrat à durée indéterminée. Un an après le lancement du projet, tous les participants, soit 48 personnes, dont seulement 30 % de ressortissants suisses, occupaient toujours leur emploi. 

A Tilburg, les nouveaux entrepreneurs issus de l’immigration sont mis en relation avec des entrepreneurs danois expérimentés et qualifiés. Une équipe de promotion spécialisée se charge de rechercher des stages pour les stagiaires d’origine immigrée. Ses membres contactent de nombreux employeurs jusqu’à trouver le bon stage pour les élèves du Centre régional de formation professionnelle et de formation des adultes. C’est un investissement rentable sur le long terme. Dans le cadre d’un autre programme, des immigrés ayant réussi partent à la rencontre des employeurs pour les convaincre qu’il n’y a pas de risque à embaucher des travailleurs migrants.

L’association « Economie et Travail à Neukölln » organise régulièrement des salons d’affaires sur différents thèmes en coopération avec le Service du développement économique du conseil municipal. Ces salons d’affaires se tiennent traditionnellement dans l’esprit des anciennes soirées berlinoises. Conçus comme une manifestation festive, ils réunissent quelque 120 invités autour d’une thématique chaque fois différente. Les invités sont des hommes et femmes d’affaires de Neukölln et des personnalités ayant rendu de grands services dans le domaine choisi comme thème pour la soirée. L’intérêt des sujets abordés dans le cadre du salon, les spectacles et le dîner officiel constituent une combinaison unique, qui crée une ambiance propice aux échanges. Cela permet aux invités de faire connaissance et les encourage à « voir plus loin que le bout de leur nez ». L’interculturalisme est par ailleurs particulièrement présent dans le secteur économique ; les hommes d’affaires turcs constituent ainsi un important facteur économique.

f) Le sport et l’art

Le temps consacré aux loisirs est peut-être la meilleure occasion de rencontrer des personnes de culture différente dans un cadre neutre et festif. A contrario cependant, des loisirs structurés selon des critères ethniques (équipes de football monoculturelles, par exemple) peuvent fortement renforcer les clivages. La ville peut influencer ce domaine directement, par ses propres activités, et indirectement, à travers la manière dont elle attribue ses financements à d’autres organisations. Pour que les manifestations ou activités culturelles soient des vecteurs de communication interculturelle et d’interaction, elles doivent être conçues en ayant à l’esprit la diversité du public ; il faut encourager les personnes à se rencontrer et à découvrir d’autres cultures, présenter les cultures comme un phénomène vivant, changeant, qui naît de l’interaction avec d’autres cultures, et stimuler l’hybridation des expressions culturelles.

Questions à se poser : Les groupes culturels et récréatifs de la ville sont-ils plutôt monoethniques ou pluriethniques ? Les organisations professionnelles sportives et artistiques de la ville encouragent-elles explicitement le brassage ethnique ? Y a-t-il des mécanismes de financement et de formation destinés à soutenir les talents au sein des minorités ?

Elements d’une politique urbaine interculturelle en faveur de l’art :

Text Box: Pour aller plus loin :
Bonniel-Chalier, Pascale, L’interculturalité dans les politiques culturelles des villes européennes, http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/CULTURAL.policy_fr.pdf

Zapata-Barrero, Ricard, Cultural policies in contexts of diversity: the city as a setting for innovation and opportunities, http://www.eui.eu/Projects/ACCEPT/Documents/News/Culturalpoliciesorg[1].pdf

Text Box: Exemples
A Tilburg, un groupe de femmes originaires des Antilles a demandé l’aide des pouvoirs locaux pour organiser un défilé de carnaval. Tilburg avait déjà des clubs traditionnels ; l’adjoint au maire a promis son soutien à condition que les deux groupes coopèrent pour préparer un défilé commun. A compter de ce moment, un lien fort s’est créé entre les deux cultures concernées. La « T-Parade » s’enorgueillit aujourd’hui d’accueillir près de 60 000 visiteurs, et de la participation de 37 groupes et chars et 1 200 personnes originaires du Japon, des Pays-Bas, du Maroc, d’Indonésie, d’Angleterre, du Brésil, du Venezuela, du Surinam, des Antilles, de Turquie et de Chine.

Le projet « Jeunesse et sport Neukölln » est mis en œuvre dans le cadre des activités culturelles destinées à la jeunesse. Il consiste à organiser des tournois de Streetball, en coopération avec l’association « Culture of Helping », la communauté turque de Berlin et la communauté indépendante germano-arabe, avec le soutien du conseil municipal de Berlin-Neukölln. Le travail social auprès des jeunes par le biais du sport vise à accompagner les enfants, les adolescents et les jeunes adultes dans le développement d’une personnalité autonome et socialement responsable, à les aider dans leur développement personnel et social, à les inciter à s’organiser et à développer une activité autonome, à les appuyer dans le développement de leur capacité à prendre des décisions et des responsabilités, à leur montrer des méthodes non violentes de règlement des conflits, à leur transmettre des compétences sociales, et également à leur faire découvrir des possibilités de participation. Les services offerts sont des interventions de proximité, axées sur la demande. Les animateurs travaillent sur la prévention de la violence et soutiennent l’intégration et la participation sociales, en appliquant une approche différenciée selon les sexes et diverses méthodes.

« Satellitstaden » est un projet artistique mis en œuvre dans le quartier de logements sociaux de Fittja (commune de Botkyrka), à 30 kilomètres au sud de Stockholm. L’idée est de réaliser une installation artistique avec les antennes paraboliques du lotissement. Egalement orienté vers la recherche, ce projet vise à étudier, sur une année entière, l’importance des médias par satellite dans la vie des immigrés et à poser la problématique de l’intégration culturelle. Il consiste essentiellement à colorer des antennes paraboliques avec la participation active des habitants du quartier. Isabel Löfgren, artiste suédoise et brésilienne, pilote le projet avec la collaboration de l’artiste suédois Erik Krikortz et en partenariat avec plusieurs associations locales, notamment la résidence d’artistes Botkyrka, située dans le secteur. Pour l’installation sur site, les habitants sont invités à choisir la couleur de leur parabole parmi neuf teintes fluorescentes. En fait, les paraboles ne sont pas peintes, mais recouvertes d’un tissu de couleur imperméable. L’installation est gratuite et, en contrepartie, les participants acceptent d’accorder un court entretien et de recommander le projet à un proche, à un ami ou à un voisin. Ils peuvent choisir l’extrait qui sera rendu public et matérialisé par un point de couleur sur le plan interactif du quartier. Pris collectivement, ces courts enregistrements donneront une image auditive des opinions des habitants du quartier sur divers sujets, notamment sur l’importance des médias par satellite dans leur vie, leur souhait de conserver leur antenne parabolique sur leur balcon, ce qu’ils pensent de la vie à Fittja et les raisons qui ont motivé le choix de telle ou telle couleur. L’installation aura aussi une dimension « performance ». En effet, lors de visites scénarisées du quartier, des jeunes liront, à voix haute, l’ensemble de ces messages. 
www.satellitstaden.org

g) Sécurité urbaine

  1. Mettre l’accent sur les priorités communes en matière de sécurité. Elaborer des stratégies de sécurité combinant « le meilleur de trois mondes », à savoir : le travail de police axé sur le règlement des problèmes, le travail de police basé sur le renseignement et la police de proximité. Ce nouveau modèle est présentement enseigné à l’Ecole de police des Pays-Bas. Il est d’abord fait état des tendances de la criminalité sur la base des rapports et données sur les activités policières publiés annuellement, en appliquant la méthode standardisée SARA (Scanning, Analysis, Response and Assessment). Les problèmes prioritaires sont ensuite définis selon la règle des 80/20, qui exprime le fait que 80 % des problèmes sont dus à 20 % des causes. Les problèmes sont analysés en termes de concentration (hot spots), fréquence (hot crimes), auteurs (hot shots) et cibles (hot victims). Le plan de projet repose sur un modèle où les forces d’intervention se fondent sur le renseignement, les partenariats et la gestion, dans lequel le maire joue un rôle essentiel en accordant un degré de priorité élevé aux capacités policières et en mobilisant les institutions partenaires. Adopter le modèle SARA de La Haye, c’est mettre en œuvre une procédure normalisée de définition des priorités et des interventions avec la police, les partenaires sociaux et des citoyens d’origines diverses (voir plus loin l’exemple de La Haye).

  1. Rechercher des alternatives créatives de sécurité dans l’espace public. Mettre en lumière les améliorations visibles dans les quartiers connus pour être des « points chauds » (la Mouraria à Lisbonne, le quartier de la gare à Reggio d’Emilie, etc.) ; placer les ateliers consacrés à la sécurité au cœur de la stratégie interculturelle.

  1. Promouvoir l’établissement de rapports de confiance dans la dynamique de changement des cultures policières. Veiller à ce que la communication interculturelle devienne partie intégrante de la formation des policiers, de même que les nouvelles formules de police de proximité par le biais des médias sociaux (par exemple « Net Cops » en Finlande, « Flic de Quartier » à Genève).

  1. Etablir des relations structurelles et visibles entre sécurité et prise en charge. Elaborer une réponse interculturelle à la violence des jeunes et aux bandes criminelles ; conjuguer des modèles ayant fait leurs preuves, comme l’approche des émeutes mise en place à Botkyrka, le programme « Cessez-le-feu » de Lewisham, destiné aux jeunes meurtriers récidivistes, ou encore le concept unique de prise en charge de la maison Zorg- en Veiligheidshuis à Tilburg ; voir également les arguments à l’appui de la démarche CBRA (Community-Based Result Accountability) selon une approche interculturelle.

  1.  Elaborer des outils de suivi des interventions en matière de sécurité. Le modèle d’indice de sécurité retenu par Rotterdam et Copenhague, adapté aux priorités locales, fournit une méthode utile pour aborder sérieusement les préoccupations des habitants en matière de sécurité, et favorise à la fois l’instauration de la confiance et l’application des lois dans les quartiers.

Text Box: Exemple
Depuis 2008, une « police de proximité virtuelle » est à l’œuvreà Helsinki face à la violence des jeunes. L’équipe des « Net Cops » utilise les médias sociaux, comme Facebook et Twitter, pour intervenir en amont. Dans l’exercice de leurs fonctions, ces policiers en uniforme discutent avec des jeunes, partagent des informations et donnent des conseils. Selon une enquête conduite sur l’internet en 2011, les Net Cops comptaient 172 269 fans sur Facebook et étaient facilement reconnus lors de leurs patrouilles ordinaires dans la rue. Outre son intérêt en matière de prévention des violences, cette approche a permis d’améliorer la remontée de l’information sur des questions telles que la violence au sein de la famille, les violences sexuelles et la cybercriminalité. La confiance en la police a sensiblement augmenté, y compris chez les jeunes immigrés. L’étude d’évaluation tend à indiquer que cette approche contribue également à prévenir la radicalisation et la violence extrémiste. Il s’agit toutefois d’un processus délicat ; il importe d’éviter que les jeunes ne soient perçus comme des informateurs. A l’heure actuelle, 30 nouveaux Net Cops sont en formation à l’Ecole de police. 

Cette approche combine une stratégie de police de proximité et l’outil de gestion du travail de police basé sur le renseignement. Elle contribue à créer dans l’opinion un sentiment de confiance généralisée envers la police (96 % en Finlande). Les résultats concrets peuvent être mesurés à la fois en termes de « coût-bénéfice » et en termes de « valeurs publiques », par exemple un renforcement de la cohésion et du bien-être de la société.

Text Box: Pour aller plus loin :
Voies interculturelles vers la sécurité urbaine : www.coe.int/interculturalcities (section documents thématiques)

Text Box: Exemples
 A La Haye, Schilderswijk est un quartier notoire dans toutes les statistiques, entre autres parce qu’il affiche les plus hauts niveaux de ségrégation et de pauvreté des Pays-Bas. Quatre-vingt-cinq pour cent de ses 30 000 habitants sont des migrants originaires de 120 pays, principalement du Maroc, de la Turquie et du Surinam. Dans ce quartier d’habitat dense, les conflits mondiaux comme le « printemps arabe » peuvent avoir des répercussions directes sur le sentiment de sécurité. Le travail de police axé sur le règlement des problèmes a fait apparaître que la première des priorités était liée à l’augmentation de la fréquence des vols (hot crimes), concentrés dans certaines rues et pâtés de maisons (hotspots), et commis par des délinquants récidivistes, dont 75 % d’adolescents âgés de 12 à 17 ans, et même plus jeunes (hotshots). Les personnes les plus vulnérables étaient les immigrés âgés, par manque de contrôle social et en raison de la mauvaise qualité des logements (hot victims). 

En réaction, la police de proximité a été renforcée par 42 policiers à vélo, qui se sont constitués en patrouilles très mobiles et d’approche facile. En coopération avec les travailleurs sociaux et les organismes HLM, la qualité des serrures des appartements et de l’éclairage public a été améliorée. Les partenaires ont établi une liste commune des 40 délinquants les plus récidivistes. Chaque semaine, cinq personnes sélectionnées sur cette liste ont fait l’objet d’une attention accrue de la part de la police, à tous les niveaux. Les anciens délinquants reçoivent également de fréquentes visites d’agents de la police de proximité ou de travailleurs sociaux. Par ailleurs, le travail de police basé sur le renseignement est rendu public, par le biais des médias sociaux et des réunions de quartier. Au lieu de dissimuler aux habitants des données inquiétantes sur la criminalité, le parti pris est de les tenir pleinement informés, de leur donner des conseils en matière de prévention des vols, et de les encourager à débattre des efforts déployés par la collectivité. 
On s’attend à ce que l’année 2012 se solde par une baisse du taux de vol. L’expérience montre que lorsque les vols diminuent, tous les autres types de délinquance baissent également. Les principaux enjeux sont d’arriver à modifier la culture organisationnelle des forces de police, d’amener les organisations sociales à s’engager dans des partenariats axés sur le règlement de problèmes, et d’obtenir la participation active de groupes d’habitants dans chaque quartier. Quatre-vingt-dix pour cent des victimes sont des migrants qui ne font généralement pas confiance à la police et ne dénoncent pas les faits par peur des représailles. Cette approche ciblée du travail de police contribue à voir la diversité comme un atout en matière de sécurité urbaine, au sens où les migrants, loin d’être perçus à tort comme des délinquants en puissance, sont considérés comme des alliés potentiels. Les policiers sont formés aux compétences interculturelles, y compris de façon informelle, par exemple en organisant un match de football pour les jeunes avec les mosquées du quartier et d’autres groupes communautaires.


La stratégie de Reggio d’Emilie en matière de sécurité. Face à la dégradation urbaine et aux comportements antisociaux dans le quartier mal famé de la gare, la municipalité poursuit ses efforts pour donner une nouvelle identité au secteur, par le biais de la rénovation urbaine. Les espaces publics sont devenus des lieux de brassage interculturel et de dialogue. Citons la création d’un nouveau square et l’aménagement interculturel d’un parc, où l’on trouve désormais un mini-théâtre intégrant des éléments d’architecture marocaine, une boutique de commerce équitable et un centre social de médiation. A proximité, les locaux de la police municipale ouvrent 12 heures par jour. Le projet fait appel à des bénévoles qui travaillent dans le centre associatif Reggio Est, où fonctionne notamment un « atelier de la vie quotidienne » où les femmes arabes apprennent l’italien de tous les jours. Des activités sportives et artistiques sont également proposées dans l’optique de la préparation du festival d’été 167.


3. Reconnaître que les conflits sont inévitables dans toute société hétérogène et développer les compétences municipales en matière de médiation et de règlement des conflits, par exemple en créant des structures spécialisées en gestion de conflit culturel

L’un des principes de base de la cité interculturelle est que lorsque des groupes d’origine culturelle et de statut économique et social différents vivent à proximité les uns des autres, il y a toujours des risques de conflits liés à des valeurs, des comportements ou des ressources. Ceci est tout à fait normal. Ce qui ne serait pas normal, en revanche, c’est que les autorités municipales tentent de nier ou d’ignorer ces conflits. L’anticipation, l’identification, le traitement et le règlement des conflits sont des conditions essentielles du vivre ensemble dans une société dynamique, ouverte à la communication. De fait, une cité interculturelle idéale voit dans le processus même de médiation et de règlement des conflits une source possible d’innovation et de croissance.

La philosophie de la cité interculturelle concernant la médiation comporte plusieurs aspects :

Questions à se poser : La politique municipale est-elle fortement influencée par la nécessité d’éviter d’éventuels conflits ethniques ? Les fonctionnaires municipaux sont-ils formés à la médiation et au règlement des conflits ? La ville a-t-elle prévu des procédures et mécanismes visant à repérer les points où la situation pourrait devenir explosive et prendre les mesures qui s’imposent ? Y a-t-il dans la ville des institutions susceptibles d’aider les habitants à régler leurs différends ?

Text Box: Exemples
A Turin (Italie), la Casa dei Conflitti est la solution pour régler les problèmes de voisinage. http://urbact7.urbact.eu/fileadmin/subsites/euromediation_securities/pdf/03maisondesconflits-turin.pdf

A Vic (Espagne), une équipe de 10 « médiateurs de rue » traite les petits problèmes de voisinage et cherche à engager la conversation avec les habitants, dans la rue et dans les lieux publics, concernant leurs préoccupations liées à l’arrivée d’étrangers, les changements qui interviennent au sein de la communauté d’accueil et le rôle de cette dernière dans le processus d’intégration.

Les écoles de Neukölln qui se trouvent dans des zones de développement spécial (gestion urbaine de proximité) se sont dotées de programmes de médiation. Il est en effet important, tout particulièrement dans ces établissements, que les élèvent apprennent l’autonomie et un comportement socialement responsable. L’accent est mis sur l’enseignement d’attitudes positives envers la tolérance, la non-violence, la solidarité, la considération, la force morale et le sens des responsabilités. Des mesures de prévention de la violence sont intégrées dans le régime des établissements.

4 Investir fortement dans la formation linguistique afin que tous les migrants puissent tenir une conversation dans la langue majoritaire, mais permettre également aux locuteurs majoritaires d’apprendre les langues minoritaires ou de se familiariser avec elles, donner une visibilité renforcée à ces langues et favoriser leur reconnaissance dans l’espace public

L’apprentissage de la langue du pays hôte est essentiel pour l’intégration des migrants. Cependant, l’approche interculturelle de la langue repose également sur d’autres considérations. Cela implique de voir la langue comme une ressource utile dans les relations économiques, culturelles et scientifiques, ainsi que pour les évolutions à venir dans un monde interconnecté. La langue est une composante essentielle de l’identité. Dans les villes non confrontées à la réalité de l’immigration mais qui comptent une ou plusieurs minorités nationales (ou bien n’ayant pas de population clairement majoritaire), l’approche interculturelle requiert de respecter d’une manière égale toutes les langues en question et d’encourager l’apprentissage mutuel par-delà le fossé linguistique. Dans les villes où de récents flux migratoires ou commerciaux ont apporté des langues entièrement nouvelles parlées par une importante minorité de la population (comme l’espagnol dans certaines villes américaines), on peut prendre la mesure de l’interculturalisme en voyant à quel point la majorité est prête à adopter ces langues dans la vie quotidienne.

L’école est un facteur clé de promotion du multilinguisme. A une époque placée sous le signe de la diversité, l’école devient un lieu où peuvent coexister des dizaines de langues d’origine différentes héritées par les enfants. L’école peut favoriser la sensibilisation aux langues en puisant des exemples dans ces répertoires plurilingues, contribuant ainsi à abolir le classement de facto entre les langues occidentales « nobles » et les langues moins « nobles » ou moins « utiles » du monde non occidental. Un tel classement, contraire à l’approche interculturelle qui refuse d’établir une hiérarchie entre les cultures et les langues, est en outre totalement en décalage avec l’importance grandissante, sur les plans économiques et culturels, prise par les langues des économies émergentes.

La sensibilisation aux langues peut être mise en œuvre pour toutes les langues étrangères, mais il semble logique de se concentrer sur les langues maternelles et les variétés linguistiques déjà présentes en classe (par exemple, chanter des chansons, compter, dire les jours de la semaine dans différentes langues, portfolio des langues). Une attitude positive envers la diversité linguistique peut favoriser une meilleure compréhension entre les enfants en classe et à l’école. Cela contribue en outre au bien-être et au développement de l’identité des apprenants dont la langue de scolarisation n’est pas la langue première. Grâce à cette approche, en effet, ces enfants se sentent encouragés à exprimer leurs idées, leurs opinions et leurs sentiments dans leur propre langue. L’attention accordée à leur langue d’origine renforce son statut et leur permet de mieux la maîtriser. Cela favorise l’amour-propre et, indirectement, la motivation et le désir d’apprendre, qui se traduisent par une amélioration des résultats scolaires.

Ces principes sont applicables à la fois aux enfants et aux parents. La sensibilisation aux langues peut constituer un instrument de première importance pour accroître la participation de ces derniers. Lorsqu’ils participent, ils sont considérés comme des experts dans leur langue d’origine, tout comme leurs enfants. Cette reconnaissance les récompense et contribue à renforcer leur confiance en eux lorsqu’ils dialoguent avec des membres de l’équipe pédagogique. Voir que leur langue est prise en compte et appréciée peut encourager les parents à aider leurs enfants dans leurs devoirs en utilisant leur langue d’origine. L’argument classique selon lequel il faut absolument maîtriser la langue du pays d’accueil (par exemple le néerlandais aux Pays-Bas) pour ce faire est démenti par les faits.

Entre la sensibilisation aux langues et l’éducation plurilingue, bien des possibilités demeurent inexplorées. Toutes ces potentialités pourraient être qualifiées d’« apprentissage plurilingue fonctionnel ». Dans cette approche, l’école met à profit le répertoire plurilingue des enfants pour dynamiser l’acquisition des connaissances. La langue maternelle et les variétés langagières employées par les enfants peuvent être vues comme un capital explicitement utilisé pour améliorer la réussite scolaire et l’enrichissement personnel. La langue première peut servir de tremplin pour l’acquisition de la deuxième langue et de nouveaux contenus d’apprentissage. Dans le cadre de cette approche, l’enseignant encourage les apprenants à s’entraider dans l’exécution d’une tâche (pour reprendre l’exemple des Pays-Bas, expliquer quoi faire à un nouvel élève qui ne maîtrise pas le néerlandais) ou dans la préparation des travaux de groupe. Cela demande une certaine méthode de travail : l’environnement d’apprentissage doit permettre une interaction régulière entre apprenants et la formation ne doit pas être entièrement dirigée par l’enseignant. Pendant ces moments interactifs forts, les compétences langagières des élèves aident à résoudre un problème mathématique ou à exécuter une tâche en physique[19].

 

Questions à se poser : Dans le cadre des divers efforts d’information du public, notamment dans le contexte des services sociaux, la traduction des informations dans les langues minoritaires constitue-t-elle un encouragement ou, au contraire, un obstacle à la maîtrise de la langue majoritaire ? Les services offerts pour faciliter l’apprentissage de la langue du pays d’accueil sont-ils assortis d’incitations psychologiques à s’investir dans cette démarche ? Y a-t-il des mesures ou des initiatives, éducatives ou culturelles, visant à promouvoir la reconnaissance des langues des immigrés et des communautés minoritaires ? La ville compte-t-elle des quotidiens, des magazines ou des émissions de radio ou de télévision locaux dans des langues autres que celle de la population majoritaire ?

Text Box: Exemples
Les bibliothèques qui fournissent des livres dans diverses langues parlées dans le monde et multiplient les initiatives pour recruter des lecteurs dans les quartiers avoisinants donnent une chance aux parents n’ayant pas une bonne maîtrise de la langue du pays d’accueil d’affirmer leurs compétences, leur rôle éducatif et leur autorité en faisant la lecture à leurs enfants dans la langue de leur pays d’origine. 

A Lyon, dans le cadre de la biennale d’art contemporain, des cours accélérés de langue sont organisés afin que les immigrés présentent leur langue à d’autres. Cette initiative est une reconnaissance symbolique de l’importance de ces langues pour la communauté. 

A Neukölln, pendant les « Semaines des langues et de la lecture », des personnalités et des citoyens « ordinaires » donnent vie à des textes multilingues dans le cadre de plus de 400 lectures publiques. Plus de 30 000 personnes du monde entier sont susceptibles d’être touchées par l’organisation de lectures et de tournois de poésie (Poetry Slam). La motivation principale du projet est de faire découvrir la beauté de toutes les langues du monde. L’initiative, lancée sur la base de l’engagement citoyen, vise à encourager la lecture et la communication interculturelle.

5. Définir une stratégie commune avec les médias locaux et, le cas échéant, les écoles de journalisme afin de recueillir et de présenter les informations dans un esprit responsable et interculturel, d’assurer une présence équilibrée des migrants et des minorités dans les médias, et de renforcer les médias de proximité.

Quelques éléments importants à prendre en considération concernant le discours public et la déontologie des médias :

Actions en lien avec les médias

·         Le travail en direction des médias est une dimension spécifique et très réussie du programme Cités interculturelles. Des réunions avec les journalistes sont toujours organisées pendant les réunions d’experts afin de leur faire comprendre le concept de la cité interculturelle et de les inviter à devenir des partenaires en vue d’atteindre les objectifs. La méthode du reportage croisé avec des équipes internationales (pendant quelques jours, des équipes mixtes de journalistes préparent des reportages écrits, radio ou télévisés sur certaines questions interculturelles puis les présentent lors d’une audience publique) a remporté un franc succès tant auprès des villes que des journalistes, pour qui de telles expériences sont toujours riches d’enseignements.

      Les médias locaux doivent participer activement au projet ICC et ne pas se limiter à un simple rôle d’information. Dans l’idéal, cela veut dire qu’ils doivent être représentés au sein de la Task Force, ou au minimum au sein du réseau d’appui. Il doit au moins y avoir des conversations régulières avec les médias concernant la progression du projet.

      En même temps, les villes doivent aborder certaines des causes profondes à l’origine du traitement déséquilibré de la diversité par les médias. A tous les niveaux (propriétaires, rédacteurs en chef, rédacteurs et journalistes), les médias grand public ne réservent pas suffisamment d’espace pour un dialogue ouvert sur des questions autour des langues, des races, des croyances, de l’ethnicité, du genre et d’autres enjeux de la diversité. Une ouverture est nécessaire à deux égards : au niveau des contenus (dans la plupart des cas, le contenu des médias ne reflète pas la diversité sociale existante), et au niveau du recrutement (les effectifs des organisations médiatiques sont moins diversifiés que leur audience).

      Une stratégie globale des villes en faveur de la diversité dans les médias peut prévoir des actions dans les domaines suivants :

·         Suivi des médias

·         Formation à la diversité en milieu de carrière et perfectionnement professionnel

·         Reportages sur la diversité

·         Formation au journalisme et aux reportages sur la diversité et élaboration des programmes

·         Appui des médias aux organisations de la société civile et aux communautés marginalisées

·         Prix interculturel décerné aux médias

Text Box: Pour aller plus loin : Media diversity concept
http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/mediapack.pdf

6. Doter la ville d’une politique internationale

La cité interculturelle idéale serait un lieu cherchant activement à nouer des liens avec d’autres lieux dans l’intérêt du commerce, des échanges de connaissances, du tourisme, etc. Elle serait une ville lisible, accueillante et accessible pour les étrangers (qu’ils soient là pour affaires, pour le tourisme ou en tant que nouveaux habitants), offrant des possibilités de relations commerciales, professionnelles et amicales.

La stratégie interculturelle d’une ville devrait :

Questions à se poser : Quelle est l’image de la ville à l’extérieur ? Est-elle vue comme cosmopolite et ouverte aux personnes extérieures ? Comme un lieu à visiter ? Comme un lieu propice au commerce et aux investissements ? Parmi les habitants, combien pensent que l’apport des étrangers est avantageux pour la ville ? Combien pensent que les influences étrangères menacent la culture locale ?

Text Box: Pour aller plus loin :
Internationalisation of OPENCities http://opencities.britishcouncil.org/web/index.php?internationalisation_en

Text Box: Exemple
Lublin (Pologne) a ouvert un Centre eurorégional d’information et de coopération culturelle, baptisé « De plus en plus près », en vue de soutenir en permanence la coopération culturelle transfrontalière entre Lublin, Lutsk en Ukraine et Brest, au Bélarus. Le centre dépend de la municipalité de Lublin. Il joue un rôle important dans le rapprochement des institutions et organisations culturelles des trois villes, à travers l’échange d’informations sur les manifestations culturelles en cours et l’organisation de projets transfrontaliers.

7. Instaurer un organisme de typeobservatoire de l’interculturalisme, ou du moins lancer les processus suivants :

Comme toute autre politique, les politiques interculturelles devraient être fondées sur des données factuelles. Une ville ne peut être «interculturelle» si elle ne connaît pas ses habitants, leur diversité, leurs modes de vie et leurs formes d’interaction. Un observatoire interculturel analyse les données existantes sous un angle interculturel. Il repère également les domaines dans lesquels les connaissances de la ville sont lacunaires et conçoit, le cas échéant, de nouveaux types de données et d’analyses afin d’avoir une vision plus fine et plus claire de la situation. L’« audit interculturel » ainsi établi sert de support à l’élaboration d’une stratégie de gestion de la diversité.

Cartographie numérique

L’un des instruments développés plus récemment et qui offre d’excellents résultats dans la gestion des politiques publiques, y compris dans le domaine des relations interculturelles, est la cartographie numérique d’un territoire.

 

Barcelone a utilisé cette méthode pour élaborer des politiques dans le domaine de la gestion des migrations et de l’interculturalité. Il y a quelques années, le conseil municipal a demandé l’élaboration d’un portail web permettant la cartographie de différents types d’informations liées à l’immigration, aux pratiques culturelles, aux lieux et aux organisations pertinentes.

 

Le résultat a été le portail sur l’immigration de Barcelone – un outil précieux pour visualiser et mieux comprendre les changements démographiques intervenus ces dernières années.

 

Le portail se présente comme un plan de la ville et permet la recherche d'informations à partir de multiples variables qui s’appliquent à différentes échelles territoriales : au niveau de la ville, d’un district ou d’un quartier.

Les informations qui peuvent être affichées sont très diverses. Sont notamment fournies des données statistiques concernant le profil de la population par nationalité : nombre de personnes, lieux de résidence, âge, sexe, nombre de naissances, etc.

 

D'autre part, la carte contient un grand nombre d'informations relatives aux associations d’immigrés, aux organisations qui s'occupent du dialogue interculturel, aux centres de culte des différentes confessions et aux principales institutions et organisations dans les domaines du social, de l’éducation, de la culture et de la santé.

 

La possibilité de choisir plusieurs variables et de les afficher simultanément sur la carte permet d’affiner la perception et la connaissance d'une réalité complexe et en évolution rapide.

 

Il est par exemple possible de « créer » des cartes pour comparer le degré de dispersion ou de concentration dans le temps des ressortissants de différentes nationalités. On peut également comparer le lieu de résidence des citoyens d’une nationalité donnée et l'emplacement des structures d’accueil ou des bibliothèques publiques afin d'évaluer le degré de proximité et mieux comprendre les différences dans l’utilisation des services.

 

En « cliquant » sur un quartier, on obtient le détail de toutes les informations statistiques choisies. Et si l’on clique sur les symboles des institutions ou des lieux de culte, l’écran affiche des informations explicatives, un lien vers un site web, etc.

 

Les cartes interactives numériques peuvent être converties en un fichier PDF qui pourra être joint à tout document, étude ou communiqué de presse.

 

Le portail est destiné au grand public et, bien évidemment, aux responsables des politiques. Mais il présente aussi un intérêt pour des usagers tels que les journalistes, les chercheurs et les étudiants, auxquels il donne accès à une information objective dans un domaine où la transparence et la rigueur de l’information sont essentielles pour approfondir les connaissances et éviter la consolidation des stéréotypes et des clichés.

Questions à se poser : La ville travaille-t-elle en lien avec l’université locale ? Quel rôle est assumé par l’université ? Fournit-elle des informations locales et des données relatives à l’appartenance ethnique, à l’incidence des mesures incluses dans la stratégie de la ville en matière de diversité et à la perception de la diversité par l’opinion ? Traite-t-elle ces données ? Ces informations sont-elles ensuite utilisées par le gouvernement local pour formuler et mettre en œuvre de futures initiatives ? Le gouvernement local utilise-t-il ces informations pour améliorer, directement ou indirectement, les services destinés aux populations minoritaires ?

Text Box: Exemples
A Reggio d’Emilie, le suivi de l’intégration et du bien-être des migrants, de l’opinion publique et des effets des politiques municipales est assuré grâce à un partenariat avec l’université locale. 

Tous les deux ans, une enquête est conduite auprès des habitants de Tilburg pour examiner les attitudes de la population envers la société multiculturelle. Cette enquête comporte 10 questions, toujours les mêmes ; il est donc facile de comparer les résultats. Le Service Recherche et Information de la ville présente également des rapports de suivi de la pauvreté, de l’intégration, de la population antillaise, de la population marocaine, etc. Sur la base de ces informations, la politique de Tilburg peut être maintenue, adaptée ou entièrement revue.

8. Lancer un programme de formation et sensibilisation à l’interculturel à l’intention des élus ainsi que des responsables et agents municipaux les plus directement concernés, comme ceux travaillant au contact du public. Encourager le secteur privé à y prendre part.

La sensibilisation à l’interculturel est d’abord devenue à la mode dans les multinationales, où elle était utilisée pour faciliter la gestion d’équipes diversifiées et le travail avec les clients étrangers. De plus en plus de villes fournissent désormais à leurs employés une formation à l’interculturel afin d’améliorer l’efficacité de l’administration et des services et de garantir un accès adéquat aux droits sociaux. Une telle sensibilisation est en effet essentielle pour que les agents municipaux puissent évaluer la façon dont les politiques et services sont perçus par différents groupes et les adapter aux spécificités culturelles des citoyens. Les relations familiales, l’expression des attentes, les sentiments et les réactions, les perceptions de la ponctualité, l’autorité et de nombreuses autres facettes importantes du comportement humain sont façonnés par la culture et exercent une profonde influence sur le rapport à l’autre, le positionnement de l’individu par rapport au groupe et le rapport à l’autorité publique.

Seules quelques rares personnes seront à même d’avoir une bonne connaissance de plus d’une ou deux langues et cultures des nombreux groupes qui cohabitent dans une ville. Cependant, dans une ville vraiment interculturelle, les fonctionnaires municipaux compétents devraient être capables de détecter la présence de différences culturelles et d’adapter leur approche en conséquence, plutôt que de chercher à imposer un comportement unique dans toutes les situations. Cette sensibilité et cette assurance dans des situations peu familières ne sont pas fréquentes, mais ces qualités peuvent s’acquérir par le biais d’une formation spécialisée, et doivent devenir aussi importantes pour les fonctionnaires que leur profession proprement dite et leurs compétences techniques.

Text Box: Exemples
Les pouvoirs publics peuvent étendre la formation de sensibilisation à l’interculturel à d’autres personnels. Le Service pour la cohésion multiculturelle du canton de Neuchâtel a préparé, en liaison avec la société Novarox, un cours de formation sur la sensibilisation interculturelle et l’a proposé à plus de 200 cadres de cette société. 

Dans le cadre du système de certification européen Xpert, le centre de formation pour adultes de Neukölln assure plus particulièrement une formation dans le champ de la compétence interculturelle. Les diplômés jouent à leur tour un rôle de multiplicateur. Des enseignants – professeurs d’école, de centres de jour ou de centres de formation pour adultes – et toutes les personnes intéressées apprennent à développer une sensibilité aux autres cultures. Les attestations remises sanctionnent une formation de niveau élémentaire, master ou professionnel. 

Les neuf programmes de gestion de quartier de Neukölln pour les secteurs ayant des besoins particuliers de développement sont organisés de façon à garantir le recours aux compétences des immigrés dans les équipes de gestion et les conseils consultatifs de quartier. Les associations d’immigrés sont associées aux décisions prises sur le terrain. Les équipes de gestion des quartiers dynamisent l’action menée en faveur de l’intégration.

9. Souhaiter la bienvenue aux nouveaux arrivants et organiser des visites de la ville permettant non seulement aux nouveaux arrivants (temporaires ou permanents), mais aussi – ce qui est tout aussi important – aux habitants de longue date de se rendre dans des parties de la ville qu’ils ne connaissent pas, d’être accueillis par des personnes de différentes cultures et de découvrir les services et les institutions de la ville. Les nouveaux arrivants bénéficient d’un appui personnalisé pour les aider à s’intégrer.

En effet, une personne qui arrive dans une ville pour un séjour prolongé (quelle que soit sa situation) risque fort de se sentir perdue et d’avoir besoin de soutien, sous de multiples formes. La capacité à coordonner les différentes mesures d’appui et à les mettre en œuvre de façon efficace a une incidence majeure sur l’adaptation et l’intégration des nouveaux arrivants. On oublie souvent de se demander si la population hôte a été un tant soi peu préparée à l’arrivée de ces personnes ou si, au contraire, elle risque d’en être surprise, voire inquiétée – aspect qui a pourtant une grande influence sur les relations interculturelles.

Questions à se poser : Les autorités locales organisent-elles l’accueil des nouveaux arrivants, par exemple rencontres avec les décideurs, réunions d’orientation avec des ONG ou des prestataires de services, réalisation d’un test de compétences ? Des programmes de visite de la ville sont-ils proposés (guides interculturels, circuits découverte, safaris photos, etc.) ? Quelle est la fréquence de ces initiatives et à qui s’adressent-elles ? Comment sont sélectionnés les guides ? Comment les autorités locales veillent-elles à ce que les guides soient issus d’horizons culturels divers ? Les diverses traditions sont-elles célébrées, par exemple au travers de la littérature, de la chanson, des mythes, ou de manifestations symboliques pendant lesquelles différents groupes peuvent présenter leur patrimoine culturel ?

Text Box: Exemples
Chaque mois, l’hôtel de ville de Tilburg est le théâtre d’une cérémonie destinée aux personnes ayant réussi les examens du programme d’intégration. Les participants à cet événement festif, qui peuvent être au nombre de 30, sont accueillis par l’adjoint au maire en tant qu’habitants officiels de Tilburg. Ils se voient ensuite offrir une visite de la ville en bus, au cours de laquelle ils reçoivent des informations sur les lieux historiques de la ville et sur son patrimoine. La municipalité organise également une fois par an une grande fête pour tous les nouveaux habitants. Dans certains quartiers et immeubles, les nouveaux arrivants sont accueillis par des « guides » spécialisés. Ces derniers leur racontent la vie d’autrefois à Tilburg et leur donnent des informations importantes (médecin, hôpital, police, mairie, transports en commun, etc.). Au cours du programme d’intégration, les nouveaux arrivants peuvent également faire appel à un système de « parrainage ». Un fonctionnaire devient le parrain d’une personne de même nationalité, afin de lui permettre de parler sa langue.

Il est souvent difficile pour les nouveaux arrivants de déchiffrer les normes culturelles de leur nouvelle société et de les distinguer des normes juridiques et des obligations. Pour dissiper cette confusion, Neuchâtel a introduit une Charte de la citoyenneté. Cette charte est novatrice au sens où elle vise à favoriser l’intégration interculturelle, contrairement aux conventions d’intégration que l’on trouve en Allemagne, par exemple. Ces dernières sont une sorte de contrat entre les autorités et l’immigré, lequel est tenu de respecter certaines obligations, l’accent étant mis sur l’aspect formel et contraignant. Ces conventions sont généralement utilisées dans des cas très particuliers, par exemple pour des ressortissants étrangers accédant à une haute fonction religieuse ou pour des migrants reconnus coupables d’infractions pénales d’une certaine gravité. En revanche, la Charte de la citoyenneté du canton de Neuchâtel insiste sur la réciprocité entre le migrant et la société, tout en soulignant les valeurs fondamentales de toute société démocratique. La Charte met également en exergue « la notion de bienvenue » et le principe de respect mutuel, qui favorisent une meilleure acceptation des devoirs associés à l’intégration. 
L’idée centrale de la Charte est une conception de la tolérance et de l’ouverture d’esprit comme un gage de stabilité au sein d’une population diversifiée. La vision du canton de Neuchâtel comme une « république démocratique, laïque, sociale et garante des droits fondamentaux » est également expliquée dans la Charte, notamment à l’intention des nouveaux venus. Un exemplaire de la Charte est remis contre signature. Le fait de signer ne crée aucune obligation juridique contraignante mais souligne bien l’importance du document. L’expérience montre que, contre toute attente, la plupart des nouveaux arrivants sont ravis de signer le récépissé ; peu d’entre eux s’y refusent. 
Le lancement de la Charte en 2009 a été précédé par une série de cours et de séances individuelles organisés sur deux jours à l’intention des organismes et des agents municipaux, afin qu’ils puissent remettre la Charte de la citoyenneté en connaissance de cause. La Charte de la citoyenneté du canton suisse de Neuchâtel est disponible sur www.ne.ch/chartecitoyennete.

10. Instaurer un processus de gouvernance interculturelle destiné à encourager les prises de décision interculturelles dans les institutions publiques comme dans les organisations de la société civile. Soutenir l’émergence de nouveaux chefs de file, civiques et politiques, venus d’horizons divers, et veiller à ce que les dirigeants actuels soient avertis et compétents en matière culturelle.

Les processus de représentation démocratique et de prise de décision constituent peut-être les actions les plus marquantes et ambitieuses qu’une ville puisse engager pour devenir plus interculturelle. Ils sont bien sûr souvent définis au plan national, mais le conseil municipal dispose néanmoins d’une grande latitude pour influencer l’interaction et la coopération entre différents groupes concernant la répartition des pouvoirs et des ressources.

En lien avec la gouvernance interculturelle, les villes doivent reconnaître que :

Questions à se poser : Les responsables municipaux sont-ils bien informés de toute la diversité qui existe dans leur ville ? Y a-t-il des procédures claires permettant de mener des actions transversales sur les problèmes de relations entre communautés ? Existe-t-il dans la ville un organisme fédérateur, indépendant de l’autorité locale, représentant toutes les minorités ethniques ?Existe-t-il une instance transversale chargée de superviser la mise en œuvre de la politique municipale en matière d’intégration et de relations interculturelles ? Lorsqu’elle conçoit et applique des programmes de consultation publique, la ville a-t-elle à l’esprit l’amélioration des relations interculturelles ? La ville encourage-t-elle les actions (comme les comités de quartier) permettant aux habitants de diverses origines ethniques ou culturelles de participer ensemble au développement de leur quartier ? Comment les personnalités politiques et associatives de la ville émergent-elles ? Dans quelle mesure le système est-il ouvert aux nouveaux arrivants et aux étrangers ? Les représentants des différentes communautés s’expriment-ils uniquement au nom de leur propre groupe ethnique, ou d’un groupe plus large ? La ville suscite-t-elle l’apparition de leaders interculturels qui s’imposent en dehors des structures politiques et associatives officielles ?

Le succès de la politique interculturelle de Neuchâtel (Neuchâtel obtient le meilleur score selon l’Index des cités interculturelles) s’explique dans une large mesure par l’efficace dispositif de gouvernance de la diversité qui est en place. Ce dispositif à plusieurs niveaux, mais cohérent, repose sur la loi cantonale de 1996 (première du genre en Suisse) et sur la nouvelle Constitution cantonale de 2002.

Il comprend un Service de la cohésion multiculturelle, doté d’un personnel multiculturel dont les 15 membres couvrent, à eux tous, un grand nombre des 95 langues présentes dans la ville. Le Service est chargé de coopérer avec d’autres institutions à tous les niveaux et de prendre des initiatives. Il a une bonne capacité opérationnelle et applique une approche intégrée recouvrant plusieurs domaines d’intervention. Il est clair que le canton ne peut relever à lui seul l’enjeu de la diversité. Il opère donc par l’intermédiaire d’un vaste réseau d’associations — africaines, latino-américaines, islamiques, turques, kosovares, albanaises, macédoniennes —, vecteurs de la mise en œuvre des consultations et des programmes.

Le service a pour mission d’appliquer la loi cantonale sur l’intégration des étrangers, du 26 août 1996, qui a pour but de favoriser des relations harmonieuses entre Suisses et étrangers par la médiation et de promouvoir l’intégration des étrangers dans le canton de Neuchâtel. Le Service de la cohésion multiculturelle est rattaché au Département de l’économie.

Il travaille en collaboration étroite avec la Communauté de travail pour l’intégration des étrangers (CTIE – voir plus loin).

Le service a trois fonctions principales et très importantes en matière de politique d’intégration. C’est ainsi :

Le Service offre des services d’interprétation et de médiation, fondés sur le modèle du recours à une tierce partie et sur un réseau de 85 médiateurs (approche « pragmatique » vs approche culturelle). Il comporte différentes unités dont un Centre de compétence « Intégration », qui fournit des informations ciblées afin de promouvoir les politiques sociales et les mesures d’intégration, et un Centre de compétence « Prévention du racisme » qui lutte contre toute forme de discrimination.

Outre le programme d’accueil des nouveaux arrivants et la Charte de la citoyenneté de Neuchâtel, les principaux programmes menés à bien par le service sont :

Le service a élaboré l’instrument « Integratio Tempo » pour repérer et cerner les principaux enjeux et développements concernant l’intégration des immigrés. Un graphique permet d’apprécier leur situation selon deux lignes d’intersection : inclusion-exclusion et agrégation-ségrégation. On obtient ainsi quatre grandes positions : intégration, distinction, discrimination, insertion. L’instrument se fonde sur 12 indicateurs de base et des indicateurs complémentaires.

Le dispositif de gouvernance interculturelle  à Neuchâtel comprend également la Communauté de travail pour l’intégration des étrangers. La CTIE, composée de 40 membres, joue depuis 1991 un rôle consultatif auprès du Conseil d’Etat (gouvernement cantonal) – lequel a toujours adopté ses recommandations – et valide les politiques et les projets du Service du délégué aux étrangers. La CTIE se réunit quatre fois par an en séance plénière et tient des réunions en commission (3 à 4 fois par an pour chaque commission).

Des représentants des communautés ethniques (mais pas des communautés religieuses étant donné que le canton est officiellement laïc) siègent au sein de la CTIE. Leur nombre est proportionnel au nombre de membres de chaque groupe. Ces représentants sont proposés par les communautés et nommés par le Conseil d’Etat. Des représentants d’autres groupes (patronat, syndicats) et d’entités géographiques participent également aux travaux de la CTIE, notamment au sein des commissions. Ainsi, la commission « Travail et problèmes sociaux » compte des représentants de la communauté italienne, des catholiques et des protestants, ainsi que des représentants des secteurs de l’horlogerie et du bâtiment.

Chaque session est consacrée à un thème ou à un problème, par exemple les conduites criminelles (avec une intervention du chef de la police), les travailleurs transfrontaliers (« Volent-ils » les emplois des travailleurs locaux ? – un chercheur et le responsable de l’Observatoire ont expliqué qu’il n’y avait pas de dumping social) –, l’intégration par le football, l’Islam entre mythe et réalité.

La CTIE dispose également d’un budget de fonctionnement.

La politique d’immigration relève du niveau fédéral, tandis que la responsabilité de la politique d’intégration est assumée au niveau local. La politique d’intégration n’opère aucune distinction fondée sur le statut juridique des personnes. En revanche, il est des valeurs et des principes fondamentaux à respecter par tous. Pour l’heure, aucun autre canton suisse ne s’est encore doté d’un organisme de lutte contre le racisme.

Priorités actuelles de la politique d’intégration :

a) Intégration professionnelle – des études montrent que les non Européens sont souvent victimes de discrimination

b) Intégration par le logement

c) Citoyenneté

Malgré le succès indéniable de la politique d’intégration de Neuchâtel, le canton tient à participer au programme Cités interculturelles car il faut constamment se préparer à relever de nouveaux défis dans une société en perpétuelle évolution, où rien n’est jamais acquis. L’une des principales difficultés identifiées par le canton est la politique du gouvernement fédéral qui restreint l’immigration et ne facilite pas l’intégration.

Pour obtenir de plus amples informations, consulter : les rapports annuels du Service de la cohésion multiculturelle[20] ; les bulletins d’information mensuels[21] ; un aperçu de la gestion de la diversité interculturelle de Neuchâtel – exemple de politiques publiques[22] fourni par Oriane Von Gunten dans l’article de quatre pages intitulé « Swiss interculturality in Neuchâtel ».

Text Box: Exemples

Reggio d’Emilie compte un conseiller municipal observateur élu par les étrangers qui habitent la ville. La municipalité a par ailleurs signé, dans l’un des quartiers multiculturels les plus pauvres, un « pacte de voisinage » soulignant les obligations mutuelles de la ville (prestation de services) et des citoyens (gestion des conflits, organisation de manifestations et d’activités).

Au lieu de se tourner automatiquement vers les associations d’immigrés lorsqu’un problème se pose, Tilburg préfère partir de la base : elle cherche toujours à soutenir les initiatives de ses habitants. Dans le cadre du programme « Enrichissez votre quartier », les habitants peuvent recevoir des subventions pour l’organisation d’activités spécifiques près de chez eux. Il peut s’agir d’un barbecue collectif, d’une soirée consacrée aux cuisines de différents pays, de la pose de bacs à fleurs dans les rues, d’équipements supplémentaires pour les terrains de jeu, d’une fête de quartier, etc. Le projet est approuvé ou rejeté par le comité de quartier ; l’achat d’alcool n’est pas subventionné. Des ambassadeurs du programme « Enrichissez votre quartier », dotés d’une expérience en la matière, peuvent aider leurs voisins à réunir et à remplir les documents nécessaires ou à organiser l’activité prévue.

En tant qu’employeur, Lyon a mis en place un « audit égalité » applicable à sa politique de recrutement et de carrières, et prépare actuellement un label de qualité visant à inciter les entreprises et les associations travaillant avec la ville à appliquer elles aussi des politiques de diversité. A terme, la prise en compte de la diversité devrait devenir une condition à remplir pour les organisations qui souhaitent bénéficier d’aides publiques.

Text Box: Pour aller plus loin : ICC paper on intercultural governance
http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/paperviarregio_en.pdf

V         Suivi de la mise en œuvre et mesure des progrès accomplis

Comme pour toutes les politiques urbaines, il est essentiel d’assurer un suivi de la mise en œuvre, d’évaluer les progrès accomplis, de communiquer à la collectivité les résultats de l’évaluation, et de prendre des mesures correctives.

Certains aspects liés à la création d’une base de données pour la politique interculturelle ont été mentionnés au point IV.7 ci-dessus. L’approche de la responsabilité axée sur les résultats présentée plus haut comporte également l’élaboration d’indicateurs et d’un tableau de bord permettant de suivre les progrès vers des objectifs spécifiques.

La création de groupes et comités de suivi, composés de préférence par des représentants des pouvoirs publics et de la société civile, est un mécanisme utile pour garantir une évaluation continue des progrès. Dans certains cas, ces groupes pourront procéder à une évaluation critique des résultats et formuler des recommandations à l’organe de prise de décision responsable de la stratégie. L’idéal serait cependant que le groupe de suivi puisse également prendre des décisions visant à ajuster la stratégie.

L’Index des cités interculturelles est un outil complémentaire qui permet de suivre le développement interculturel de la ville au fil du temps et d’effectuer une comparaison avec d’autres villes d’Europe.

L’Index a été élaboré pendant la phase pilote du programme Cités interculturelles et a été testé par les 11 villes pilotes. Bien que chacune parte d’une situation unique et de contextes nationaux différents, toutes sont convenues de travailler sur un même ensemble de thèmes et d’objectifs, tels qu’exprimés dans les éléments d’une stratégie municipale interculturelle présentés ci-dessus.

L’Index n’est pas conçu comme un outil scientifique : il serait en effet impossible de réduire l’interculturalisme à quelques mesures, ou d’établir des liens directs de cause à effet entre les politiques et leurs résultats dans un domaine aussi subjectif. La démarche interculturelle n’est pas une science, mais un ensemble de principes et une façon de penser. L’Index de la ville interculturelle vise ainsi à mettre en lumière quelques faits et phénomènes communs – quelques « points d’acupuncture », en quelque sorte – qui suggèrent le degré d’interculturalité d’une ville et permettent d’entamer un débat dans lequel une ville peut être comparée à une autre. Cependant, l’Index n’a pas vocation à être utilisé pour établir un « classement » entre villes. Il devrait plutôt être employé pour approfondir la réflexion et à des fins d’apprentissage et d’amélioration.

Text Box: Boîte à outils : Questionnaire pour l’Index « Cités interculturelles » 
http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/ICCindex_en.pdf

Graphiques interactifs de l’Index des Cités interculturelles http://www.culturalpolicies.net/web/intercultural-cities-charts.php


Dans la mesure où l’Index est conçu comme un outil de benchlearning (apprentissage des meilleures pratiques identifiées par un benchmarking) pour éclairer et appuyer le processus d’élaboration des politiques municipales, et non comme un outil de classement, les résultats sont communiqués directement aux villes et ne sont pas rendus publics. Le rapport de l’Index est assorti d’un ensemble de recommandations et suggestions pour savoir où chercher des sources d’inspiration et des bonnes pratiques.


ANNEXE I

Exercice rapide d’auto-évaluation

Qu’en est-il dans votre ville ?

AUCUNE POLITIQUE

ACCUEIL DES TRAVAILLEURS

ASSIMILATION

MULTICULTURALISME

INTERCULTU-RALISME

Organisations des groupes minoritaires

Ignorées par l’Etat

Coopération informelle dans quelques domaines

Non reconnues par l’Etat

Soutenues par l’Etat comme vecteurs d’autonomisation

Soutenues par l’Etat comme vecteurs d’intégration

Emploi

Ignoré ; l’Etat ferme les yeux sur le travail au noir

Réglementation minimale, formation limitée

Soutien général à la formation, sans critères ethniques

Politique antidiscriminatoire ; discrimination positive en matière de formation et d’emploi

Politique antidiscriminatoire ; valorisation des compétences interculturelles et linguistiques

Logement

La question du logement des immigrés est ignorée. Fourniture d’abris temporaires en cas de crise

Solutions d’hébergement à court terme ; réglementation minimale du secteur locatif privé

Egalité d’accès au logement social, sans critères ethniques. La discrimination ethnique en matière de logement est ignorée

Politique de location antidiscriminatoire. Discrimination positive en matière d’accès

au logement social

Politique de location antidiscriminatoire. Statistiques ethniques. Promotion de la mixité dans l’habitat

Education

Prise en charge des enfants migrants au cas par cas

Les enfants migrants sont inscrits à l’école

L’accent est mis sur la langue, l’histoire et la culture nationales. L’Etat ignore ou interdit les enseignements supplémentaires

Soutien spécial aux écoles non homogènes. Soutien à la langue maternelle. Enseignement religieux et culturel

Enseignement de la langue/culture nationale et maternelle. Compétences interculturelles pour tous. Déségrégation

Ordre public

Les migrants sont considérés comme un problème de sécurité

La police surveille les migrants et procède à des expulsions

Forte présence de la police dans les lieux de vie des migrants

La police joue un rôle social et fait respecter la législation antiraciste

La police gère les conflits interethniques

Perception et sensibilisation

Les migrants sont perçus comme une menace potentielle

Les migrants sont utiles sur le plan économique mais sans importance politique, sociale ou culturelle

Campagnes pour la tolérance envers les minorités, mais intolérance envers ceux qui ne s’assimilent pas

Festivals célébrant la diversité, campagnes de marketing urbain (City branding)

Campagnes en faveur de la convivialité interculturelle


Urbanisme

L’Etat ignore l’émergence d’enclaves ethniques ; en cas de crise, il les disperse

Les enclaves ethniques sont tolérées mais considérées comme temporaires

Les enclaves ethniques sont considérées comme un problème. Politique de dispersion et d’embourgeoisement. Lutte contre les

usages symboliques de l’espace

Reconnaissance des enclaves et prise en compte de la volonté des communautés. Revitalisation des quartiers. Reconnaissance symbolique (minarets, par exemple)

Soutien à la mixité ethnique des quartiers et des espaces publics. La gestion des conflits est une compétence clé des ONG et des responsables municipaux

Gouvernance et citoyenneté

Pas de droits ni re-connaissance

Pas de droits ni reconnaissance

Naturalisation facilitée. Pas de structures consultatives pour les minorités

Les minorités ont voix au chapitre. Existence de structures consultatives et allocation de ressources sur des critères ethniques

Soutien aux décisions, associations et consultations interculturelles. Reconnaissance du métissage. Accent mis sur l’usage fonctionnel (et non symbolique) de l’espace

Il ne serait pas étonnant qu’après avoir réalisé cet exercice, vous constatiez que différents services fonctionnent selon des modalités assez différentes. Pour des raisons diverses, comme la présence d’une forte personnalité ou d’une équipe solide, en réaction à une crise ou pour saisir une opportunité, certains services ont déjà adopté une approche interculturelle alors que d’autres se comportent assez différemment.

Les catégories ci-dessus ne sont pas exclusives et vous pourrez trouver utile d’élargir le tableau à d’autres domaines d’intervention, en remplissant vous-même les cases.


ANNEXE II

Principales parties prenantes à consulter et à associer à la préparation de la stratégie interculturelle de la ville.

Le fait de consulter des services spécifiques séparément (à la fois par écrit et dans le cadre de réunions organisées à cette fin) est certes utile pour analyser en détail les questions soulevées. Cependant, l’organisation de réunions interservices, en y associant des professionnels et la société civile, permet d’ouvrir des perspectives et de créer, en fin de compte, de nouvelles relations et alliances qui dépassent les cloisonnements institutionnels et favorisent la création d’un climat de confiance durable et de partenariats entre les autorités et les organisations de la société civile.



[2] http://www.interculturaldialogue2008.eu/

[4] http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/finalreport_en.pdf

[5] The Intercultural City: Planning for Diversity Advantage, Phil Wood et Charles Landry, 2007.

[6] Berlin-Neukölln (Allemagne), Ijevsk (Fédération de Russie), Lublin (Pologne), Lyon (France), Melitopol (Ukraine), Neuchâtel (Suisse), Oslo (Norvège), Patras (Grèce), Reggio d’Emilie (Italie), Subotica (Serbie), Tilburg (Pays-Bas).

[7] Botkyrka (Suède), Copenhague (Danemark), Genève (Suisse), Dublin (Irlande), Lisbonne (Portugal), Limassol (Chypre), Londres-Lewisham (Royaume-Uni), Pécs (Hongrie), Saint-Sébastien (Espagne).

[9] http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/Publication/EducationColes_Vincent.pdf

[10] http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/Publication/OsloDrammen.pdf

[11] http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/cities/Publication/Entrepreneurfinal2.pdf

[12] http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Source/Source2010_ForumGeneva/MigrantChildrenConceptPaper_EN.doc

[13] http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Source/Migr2010_BrochureB_en.doc

[14] Saunders, Doug, Arrival City: How the Largest Migration in History is Reshaping Our World, Heinemann, Londres, 2010.

[15] Easterly, William, The White Man's Burden: Why the West's Efforts to Aid the Rest Have Done So Much Ill and So Little Good, Penguin Press HC, 2006.

[17] Andrew J Jordan and Andrea Lenschow (2008), ‘Integrating the environment for sustainable development: an introduction’, in Jordan and Lenschow (eds), Innovation in Environmental Policy? Integrating the Environment for Sustainability (Cheltenham: Edward Elgar), 3-23

[19] Sierens, Sven et Van Avermaet, Piet, Language diversity in education: evolving from multilingual education to functional multilingual learning, Centre pour la diversité et l’apprentissage, université de Gand.

[20]http://www.ne.ch/neat/site/jsp/rubrique/rubrique.jsp?StyleType=bleu&CatId=1428

[21]http://www.ne.ch/neat/site/jsp/rubrique/rubrique.jsp?StyleType=marron&DocId=12956

[22]http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/Publication/BookCoE24-Neuchatel.pdf