Recommandation adoptée par la Conférence des OING le 25 juin 2015

CONF/PLE(2015)REC1

«La violation des droits économiques, sociaux et culturels par des mesures d’austérité: une menace grave pour la démocratie»

Dans le cadre de la grave crise économique, certains pays européens ont été obligés d’adopter une série de programmes d’austérité visant à réduire leur déficit budgétaire et à rendre leur économie plus «compétitive». Parmi les mesures adoptées, figurent des coupes importantes dans les dépenses publiques et la sécurité sociale, des baisses de salaires aussi bien dans le secteur public que privé – dans le second en raison notamment de la récession prolongée –, des augmentations d’impôts ainsi que des vastes programmes de privatisations. Néanmoins, après presque cinq années de mise en œuvre, ces mesures sont considérées par de nombreuses institutions[1] et experts[2] – nationaux, européens et internationaux – comme contre-productives tandis que leur impact sur les droits économiques, sociaux et culturels s’est avéré désastreux.

Parmi les droits gravement touchés par la crise économique et les mesures d’austérité figurent notamment les suivants :

Droit au travail : Le secteur de l’emploi a été le plus touché par la crise économique et les restrictions budgétaires qui en ont suivi. Selon les données d’Eurostat, parmi les États membres de l’Union européenne, le taux de chômage atteint son niveau le plus haut en Grèce (25,8% en novembre 2014) et en Espagne (23,4%). Particulièrement inquiétante est la situation chez les jeunes où le chômage s’élève à 50,9% en Espagne, à 50,6% en Grèce (en novembre 2014), à 44,1% en Croatie (au quatrième trimestre 2014) et à 41,2% en Italie[3]. Cette situation oblige un grand nombre de jeunes à quitter leur pays et à immigrer pour travailler à l'étranger, tandis que ceux qui restent au pays sont plus susceptibles de basculer dans l’extrême pauvreté et l’exploitation, ainsi que d’être privés du droit « à un niveau de vie suffisant pour [eux-mêmes et leur famille], y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de [leur] conditions d'existence » (article 11 par. 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels).

Droit à la santé : L’accès à des soins de santé a été gravement entravé en raison, d’une part, de la mauvaise situation économique et du taux de chômage croissant et, d’autre part, des importantes coupes budgétaires dans les systèmes de santé publique et sécurité sociale. Des frais à la charge de patients, instaurés ou augmentés dans certains pays, rendent les soins inabordables pour les personnes à faibles revenus, les chômeurs, les personnes en grande précarité et les immigrés. Dans leur rapport de 2013, Médecins du monde soulignent que, parmi les obstacles à l’accès aux soins, figurent, en premier lieu, les problèmes financiers (25,0%)[4], tandis que 64,5 % de patients reçus dans leurs centres ne bénéficiaient d’aucune prise en charge des soins au moment où ils s’y adressaient[5]. De plus, le nombre de personnes susceptibles d’être en mauvaise santé mentale a augmenté de 24% en 2007 à 25% en 2011, soit plus de 3 millions de personnes dans l’EU 28.[6]

Droit à l’éducation : Le domaine de l’éducation a aussi subi des coupes budgétaires radicales. Ainsi, les dépenses publiques destinées aux établissements d'enseignement ont diminué dans un tiers de pays de l’OCDE entre 2009 et 2011[7]. Cela a eu pour conséquence la réduction des salaires et du nombre des enseignants avec un impact évidement négatif sur la qualité et l’accessibilité à l’éducation.

Droit au logement, à la nourriture et à l’eau : Les effets dévastateurs liés à l’inégalité d’accès au logement, à l’alimentation et à l’eau sont particulièrement préoccupants. Depuis le début de la crise, la demande de services d'aide aux personnes sans domicile fixe a augmenté de 25% - 30% au Portugal et en Espagne et de 25% en Grèce (entre 2009 et 2011)[8]. Les restrictions budgétaires dans le système de protection sociale pèsent sur une situation déjà difficile et ne permettent pas à ces personnes de rebondir.

Outre ces importantes restrictions budgétaires, les faibles revenus et les impôts élevés, les citoyens sont confrontés à des programmes de privatisation massive ciblant les biens et les services publics. Ces programmes de privatisation ont été de plus en plus critiqués pour leur manque de transparence et de contrôle démocratique. Ils constituent une menace incessante pour l’accès à l’eau, à l’électricité et aux soins de santé ainsi que pour le patrimoine culturel et naturel.

La montée de l’extrémisme politique menace la démocratie européenne

La paupérisation d’un nombre grandissant de la population et le risque de pauvreté et d’exclusion sociale dans l’UE 28 – qui s’élevait à 24,8 % en 2012, soit 124,2 million de personnes[9] – contribuent à la délégitimation croissante des institutions démocratiques et, par-là, à la montée de l’extrémisme politique en Europe. Les actes xénophobes, antisémites, racistes et autres actes de violence fondés sur la haine de l’Autre ont considérablement augmenté et menacent, outre les immigrés et les groupes vulnérables, les fondements même de la société européenne d’après-guerre.

A la lumière des faits précités, nous tenons à exprimer notre profonde préoccupation quant à la détérioration et les violations continues des Droits de l’Homme en cette période de crise. Nous considérons que toute mesure adoptée pour faire face à la crise économique doit être compatible avec les Droits de l’Homme tels qu’ils sont énoncés dans et protégés par la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte sociale européenne (révisée) ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Par conséquent, nous invitons l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à faire suite à sa Résolution 1884 (2012) « Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie et les droits sociaux » et à adopter une nouvelle résolution sur le respect des droits économiques, sociaux et culturels en ces temps de grave crise afin que les Etats membres du Conseil de l’Europe:

1. Accordent une attention particulière aux droits des personnes appartenant aux groupes les plus vulnérables car elles souffrent le plus de la crise économique et des mesures d’austérité qui ont été adoptées et mises en œuvre en conséquence (enfants, personnes en situation d’handicap, femmes, personnes âgées, personnes sans emploi, personnes sans abri, immigrés).

2. Révisent leurs politiques d’austérité qui ne cessent de faire détériorer l’état des Droits de l’Homme ainsi que les conditions de vie des personnes relevant de leur juridiction.

3. Adoptent une approche axée sur les Droits de l’Homme pour faire face à la crise économique, ce qui est imposé, par ailleurs, par leurs obligations juridiques découlant du droit du Conseil de l’Europe – notamment de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte sociale européenne (révisée), du droit de l’Union européenne – pour les Etats qui en sont membres – ainsi que de la Charte internationale de droits de l’homme – à savoir la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Nous considérons que c’est en des périodes particulièrement difficiles et dangereuses comme celle que nous traversons aujourd'hui que nous nous devons réaffirmer notre attachement sans faille aux valeurs de la dignité humaine, de l’égalité et de la non-discrimination, de la solidarité et de la liberté, des valeurs qui sous-tendent nos sociétés démocratiques.



[1] Voir, outre les Résolutions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe 1884 (2012) « Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie et les droits sociaux » et 1885 (2012) « La jeune génération sacrifiée: répercussions sociales, économiques et politiques de la crise financière », la Résolution du Parlement européen du 13 mars 2014 sur l’emploi et les aspects sociaux du rôle et des opérations de la Troïka (BCE, Commission et FMI) dans les pays du programme de la zone euro (P7_TA(2014)0240).

[2] Voir, à titre d’exemple, Cephas Lumina, Expert indépendant des Nations Unies chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des Etats sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, particulièrement des droits économiques, sociaux et culturels, « Rapport – Mission en Grèce (22-27 avril 2013) », A/HRC/25/50/Add.1, 27 mars 2014, ainsi que l’avis juridique du professeur Andreas Fischer-Lescano « Human Rights in Times of Austerity Policy - The EU institutions and the conclusion of Memoranda of Understanding » (17 février 2014).

[3] Op.cit. 

[4] En deuxième lieu, les problèmes administratifs (22,8%) et, en troisième lieu, un manque de connaissance ou de compréhension du système de santé (21,7%). Médecins du monde (2013), L'accès aux soins des plus précaires dans une Europe en crise sociale. Le cas des femmes enceintes et des enfants, Paris, p. 27.

[5] Op. cit., p. 26

[6] Eurofound (2013), Impacts of the crisis on access to healthcare services in the EU, Dublin, p. 8.

[7] OECD (2014), Education at a Glance 2014: OECD Indicators, p. 222.

[8] FEANTSA, On the Way Home?, FEANTSA Monitoring Report on Homelessness and Homeless Policies in Europe, 2012, p. 21. 

[9] Eurostat, http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/People_at_risk_of_poverty_or_social_exclusion (dernière visite le 30 mars 2015)