C’est avec beaucoup d’émotion que je m’adresse à vous tous aujourd’hui.

La cérémonie qui vient de se dérouler devant la plaque commémorative apposée au Musée et qui porte les noms des 65 Justes albanais répertoriés par Yad Vashem , cérémonie présidée par Monsieur le Premier Ministre d’Albanie en ce début d’après-midi, a été empreinte de moments forts, très forts, vécus par ceux qui étaient honorés, entourés de leader de jeunesse européenne prêts à transmettre le flambeau, il me revient de vous parler du travail de transmission de la mémoire de l’Holocauste que fait le Conseil de l’Europe depuis douze ans.

 

C’est Strasbourg, en France, ville emblématique par excellence, située à la frontière avec l’Allemagne, que seul un pont relie, que les pères fondateurs de l’Europe avaient choisie pour siège unique de la première organisation internationale créée sur les cendres du deuxième conflit mondial. Strasbourg, cette ville qui fut tour à tour française, puis allemande, et à nouveau française entre les deux guerres mondiales, sous administration nazie pendant la guerre de 39-45 et désormais à nouveau française à part entière.

 

C’est dans cette ville de Strasbourg que je suis née, la même année que le Conseil de l’Europe, en 1949.

J’ai été élevée par des parents français et juifs qui avaient fui l’occupant nazi en « se réfugiant » comme on avait coutume de dire dans le centre de la France, à Chatillon sur Indre, près de Chateauroux. Contrairement à beaucoup, mais aussi, disons-le dès l’abord, parce que toute la famille est rentrée saine et sauve après 6 ans d’exil, tout ce qui fut les petits et les grands moments de ces difficiles années me fut raconté et transmis dès mon jeune âge.

 

Entrée au Conseil de l’Europe il y a désormais 40 ans, j’ai, par le hasard des fonctions, été amenée à m’occuper du projet Histoire de l’Europe du 20 ème siècle, les projets Histoire constituant depuis 1954, date de l’entrée en vigueur de la Convention culturelle européenne, un des fils rouges de l’Organisation. A ce jour, 50 Etats ont signé et ratifié cette Convention et participent à part entière aux travaux.

Le Forum de Stockholm sur la mémoire de l’Holocauste s’est déroulé en l’an 2000 et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Walter Schwimmer, qui y participait, a demandé qu’une « Journée de la mémoire de l’Holocauste et de prévention des crimes contre l’humanité » soit introduite dans les écoles des Etats membres.

Projet pédagogique par excellence, les Ministres de l’Education ont validé cette proposition et depuis lors nous nous employons à former en particulier les enseignants afin qu’ils disposent des connaissances indispensables pour ce travail de mémoire.

 

Les enseignants albanais qui sont ici présents comprendront combien il est important de pouvoir relier l’histoire de l’Holocauste à l’histoire propre de son pays. Tous vos élèves seront d’autant plus intéressés et surtout concernés par cet épisode tragique lorsque vous leur aurez expliqué le rôle éminemment héroïque qu’ont joué leurs grand-parents, ou bisaeuls, ici, en Albanie, pendant la deuxième guerre mondiale. Une population majoritairement musulmane qui sauve de la mort certaine des voisins et souvent amis de toujours, pourchassés uniquement parce qu’ils sont juifs.

Ces nombreux actes de bravoure, de citoyenneté, c’est sur cela qu’il faut mettre l’accent ; c’est par ces histoires vraies, vécues par les leurs, qu’il faut parler aux élèves et leur faire connaître la Grande Histoire.

 

Si des paysans français, les Lecomte, n’avaient pas eu le même geste citoyen en cachant dans leur ferme de Pilbourse mon père, Léon Reich, pendant près de deux ans, je ne serai pas ici, aujourd’hui, pour vous parler des programmes du Conseil de l’Europe pour la transmission de la mémoire de l’Holocauste.

 

Si des prêtres catholiques français n’avaient pas caché, à Cublize, un petit garçon juif de 10 ans, je n’aurai jamais eu le bonheur de connaître Claude Levy, mon mari, qui est ici présent aujourd’hui.

 

Ces histoires de vies, nous essayons, au Conseil de l’Europe, d’y sensibiliser en tout premier les enseignants, par du matériel pédagogique facile à utiliser pour préparer les cours. Je n’en veux comme exemple que les deux dernières parutions :

Le pack européen pour la visite du Mémorial et du Musée d’Auschwitz-Birkenau qui contient de nombreuses pistes pédagogiques pour les enseignants et les éducateurs.

Ou encore la publication consacrée aux victimes du nazisme : juifs, roms, personnes handicapées physiques ou mentales, homosexuels, témoins de Jéhovah, prisonniers polonais, résistants.

Toutes les catégories de victimes sont prises en compte dans nos travaux, c’est notre devoir et notre responsabilité, et notre honneur de les rappeler toutes.

 

Nous accordons aussi une grande valeur, une valeur unique et inestimable aux témoignages des survivants. Vous allez tout à l’heure écouter le dialogue entre des survivants ou leurs proches, des sauveurs, et des jeunes. Ce moment sera le moment fort de cet après-midi. Chaque fois que nous pouvons vous écouter de vive voix est une bénédiction : celle que vous soyez là pour témoigner, celle pour la jeune génération de reprendre ainsi le flambeau et devenir témoin à son tour.

 

A Strasbourg, la ville du Conseil de l’Europe, une Allée des Justes a été inaugurée il y a quelques semaines, sur l’emplacement de l’ancienne synagogue incendiée par les nazis.

Nous avons l’immense privilège d’avoir ici présents des représentants de personnes qui ont sauvé l’honneur de l’humanité pendant l’Holocauste. Rendons-leur hommage certes, mais tirons en surtout les leçons pour l’avenir.