4e séminaire des Ministres européens de l'Education «Enseigner la mémoire pour vivre dans une Europe de liberté et de droit». Nuremberg et Dachau, Allemagne, 5-7 novembre 2008

 

Projet d’intervention par l’Ambassadeur Guido Bellatti Ceccoli,

Représentant permanent de Saint-Marin,

Président du Groupe de Rapporteurs sur l'Education, la Culture, le Sport, la Jeunesse et l’Environnement

Représentant du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

 

La mémoire et l’action pour les droits de l’homme

 

 

Madame le Ministre,

Monsieur le Ministre Président,

Monsieur le Secrétaire Général,

Mesdames et Messieurs,

 

Je voudrais commencer mon intervention avec une citation : « Notre dessein n’est pas d’étudier ici la question juive. Nous ne voulons présenter aucun plaidoyer. Qu’on nous permette seulement de rapporter un fait : depuis la mainmise sur la Pologne, trois cent mille juifs de ce Pays ont été abattus comme des bêtes. C’est là le crime le plus abominable perpétré contre la dignité humaine, et aucun autre dans l’histoire ne saurait lui être comparé. Qu’on ait sur la question juive l’opinion que l’on veut : les juifs sont des hommes et ce crime fut commis contre des hommes. Quelque imbécile oserait-il dire qu’ils ont mérité leur sort ? Ce serait une idée abominable ; mais cet imbécile, que pense‑t‑il du fait que toute la jeunesse polonaise ait été anéantie ? »[1].

 

Je vous ai lu une partie du deuxième tract de la Rose Blanche, publié pendant l’été 1942. Ce groupe de jeunes Résistants allemands ont condamné ainsi d’une manière ferme et radicale la politique nazi de l’extermination. Les persécutions antijuives ont été un élément décisif de l’entrée des jeunes allemands de la Rose blanche dans la Résistance contre le régime de Hitler qui étranglait leur pays. Un engagement qui leur a coûté la vie ou, dans les meilleurs des cas, leur a valu la prison.

 

Nous sommes réunis ici pour commémorer des heures parmi les plus noires du 20e siècle, dans une ville, témoin tour à tour de la surenchère de la haine et de la mort élevées au rang d’idéologie, puis de la renaissance du droit. Nous sommes ici pour célébrer la mémoire de ceux qui ont donné leur vie, des deux côtés du miroir, de ceux qui ont souffert dans leur chair et dans leur âme, de ceux qui ont survécu, qui veulent se souvenir et continuer de bâtir. Née de ce chaos, l’Europe que nous connaissons est une miraculée.

 

Après 1945 le monde a vécu de grands changements : la naissance des Nations Unies, l’affirmation des droits de l’homme, le processus de décolonisation, la guerre froide. L’Allemagne a continué à occuper une place centrale, du point de vue géopolitique, dans ce grand tableau, étant au centre de l’opposition des deux blocs atlantique et communiste, jusqu’à la chute du mur de Berlin. Entre-temps, 4 ans après la fin de la guerre, est né le Conseil de l’Europe, dans une ville, Strasbourg, qui représente la paix franco-allemande et qui incarne - dans une optique plus large - l’unification européenne. Aujourd’hui nous pouvons affirmer que le Conseil de l’Europe, avec ses presque 60 ans d’existence et ses 47 Etats membres, témoigne du succès du projet européen, qui pouvait sembler un rêve irréalisable à beaucoup de ceux qui ont vécu la guerre.

 

Depuis sa création, sous le signe de l’adhésion à la démocratie pluraliste, au respect des droits de l’homme et à la prééminence du droit, le Conseil de l’Europe a pris conscience de l’importance du rôle de l’histoire, en tant qu’outil de connaissance et de dialogue entre les pays. Deux programmes majeurs ont été mis en place pour assister les Etats membres dans leur travail de relecture et de réécriture des manuels scolaires. L’un était consacré à « l’enseignement de la mémoire » et à la prévention des crimes contre l’humanité, et l’autre à la mise en valeur de la dimension européenne dans l’enseignement de l’histoire.

 

Les connaissances recueillies dans ce contexte et les mesures préconisées pour sensibiliser les élèves aux risques de détournement et de falsification de l’histoire ont été réunies dans une recommandation[2] relative à l’enseignement de l’histoire en Europe au 21e siècle que le Comité des Ministres a adressée aux Etats membres du Conseil de l’Europe. Cette recommandation est à ce jour un instrument essentiel pour guider les Etats membres dans les réformes de leur enseignement de l’histoire. C’est également pour donner suite à cet instrument que le Conseil de l’Europe a initié la « Journée de la commémoration de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité ». Cette journée est célébrée tous les ans le 27 janvier.

 

Le Comité des Ministres attache une grande importance à ces questions et a apporté tout son soutien à ces programmes. Ján KUBIŠ, Ministre des Affaires étrangères de Slovaquie et Président en exercice du Comité des Ministres, s’en est d’ailleurs fait l’écho, le 27 janvier 2008, à l’occasion de la Journée de commémoration de l’Holocauste. Il s’est dit convaincu que l’enseignement de l’Holocauste aux jeunes générations est une condition sine qua non pour libérer l’Europe du racisme sous toutes ses formes et pour empêcher que ces événements tragiques se répètent.

 

Le Comité des Ministres a également tenu un échange de vues très intéressant avec le Président de la Task Force pour la coopération internationale sur l’éducation, le souvenir et la recherche sur l’Holocauste, en explorant plus avant les perspectives de coopération de cette instance avec le Conseil de l’Europe. Je tiens à souligner que cette task force a vu le jour en 1998, à l’initiative de Goran Persson, alors Premier Ministre de la Suède, ce même pays qui a organisé en janvier 2000 le 3e Forum international sur la Shoah et qui assure à l’heure actuelle, à son tour, la Présidence du Comité des Ministres.

 

La Présidence suédoise du Comité des Ministres porte un très vif intérêt à ces questions, à l’instar de son engagement au niveau national, par le biais du « Swedish Living History Forum » qui, prenant l’Holocauste comme point de départ, œuvre en faveur de la tolérance, de la démocratie et des droits de l’homme et contribue ainsi à une compréhension et à une réflexion approfondies.

 

La promotion du dialogue interculturel, identifié par le Troisième Sommet des Chefs d’État et de Gouvernement du Conseil de l’Europe (Varsovie, mai 2005), comme « un moyen de promouvoir la prise de conscience, la compréhension, la réconciliation et la tolérance, de prévenir les conflits et d'assurer l'intégration et la cohésion de la société » est un autre volet important de l’action du Conseil de l’Europe.

 

Le lancement du « Livre blanc du dialogue interculturel » en mai dernier et la mise en place, par le Comité des Ministres, des « Rencontres annuelles sur la dimension religieuse du dialogue interculturel », dont une première édition a eu lieu le 8 avril dernier et qui sera reconduite en 2009, sont des jalons marquants pour les travaux futurs du Conseil de l’Europe. Ces initiatives prennent une valeur particulière, si l’on considère les activités européennes au sens large, car cette année 2008 a été déclarée « Année Européenne du dialogue interculturel ».

 

Au sein de l’Organisation s’est ainsi produite une interaction entre les États membres, les représentants des communautés religieuses et les autres composantes de la « société civile », y compris les organisations laïques et athées. De cette façon, des thèmes d’importance fondamentale ont pu être abordés dans un cadre nouveau, pour la promotion et l’affirmation de nos valeurs fondamentales : droits de l’homme, démocratie, État de droit[3]. La première « Rencontre sur la dimension religieuse du dialogue interculturel » (8 avril 2008) s’est présentée sur le plan politique comme une « contribution à l’éducation à la citoyenneté démocratique, aux droits de l’homme et au dialogue interculturel ». La participation de religieux juifs, musulmans et chrétiens, a notamment permis de souligner l’importance du rôle de la mémoire dans des parcours collectifs marqués par les appartenances religieuses, ou par la perception de ces appartenances dans le contexte social et culturel en Europe.

 

Cette rencontre fructueuse doit beaucoup à l’engagement du Conseil de l’Europe, marqué notamment par la Déclaration de Saint-Marin[4], elle-même issue de la Conférence européenne sur « La dimension religieuse du dialogue interculturel », tenue à Saint-Marin en avril 2007 à l’initiative de la Présidence saint-marinaise du Comité des Ministres. La Déclaration de Saint-Marin, en mettant l’accent sur l’intérêt partagé des acteurs politiques, religieux et civiques pour la mise en place d’un dialogue ouvert et transparent fondé sur les valeurs du Conseil de l’Europe, a donné un élan particulier et novateur à l’organisation des rencontres dont je viens de vous parler.

 

Je voudrais conclure en exprimant la conviction que nos efforts pour le respect mutuel et pour l’affirmation de la dignité humaine doivent se fonder sur la mémoire. Une mémoire qui doit être cultivée avec les meilleurs soins, en faisant un effort sur soi-même pour éviter tout esprit partisan et toute mauvaise foi. La mémoire n’est pas seulement un devoir moral, elle est aussi un élément constitutif de notre identité et un outil indispensable de notre action au quotidien, pour l’affirmation de nos valeurs fondamentales. Pour mener cette action, il est essentiel de se souvenir à chaque instant que tous les êtres humains ont les mêmes droits, car la dignité humaine doit être reconnue à chaque individu de la même manière et sans exception.

 


[1] Inge Scholl, La Rose blanche, trad. de l’allemand par Jacques Delpeyrou, éd. de Minuit, Paris 1953, rééd. 2008, p. 154, cit. in Hans et Sophie Scholl, Lettres et carnets, Tallandier, Paris 2008, p. 28.

[2] Rec(2001)15

[3] Le thème de la « Rencontre annuelle sur la dimension religieuse du dialogue interculturel » tenue le 8 avril 2008 à Strasbourg, a été « L’enseignement des faits religieux et relatif aux convictions - Outil de connaissance des faits religieux et relatifs aux convictions au sein de l’éducation ; contribution à l’éducation à la citoyenneté démocratique, aux droits de l’homme et au dialogue interculturel ».

[4] Document DD(2006)260 du 24 avril 2008.