Séminaire des Ministres européens de l'Education - ''Enseignement de la mémoire et patrimoine culturel'' - Cracovie et Auschwitz-Birkenau - Pologne - 4-6 mai 2005

 

Echange entre Elie Wiesel et un professeur du Rwanda

 

 Monsieur le Professeur Wiesel, je viens de loin. J’ai fait 8 000 km pour venir ici.

Nous avons la chance de nous rencontrer, vous et tant d’autres témoins de première importance.

J’enseigne les Droits de l’Homme dans mon pays, le Rwanda.

Et j’aurais été frustré de partir sans pouvoir vous poser une question et je vous remercie une fois encore de la possibilité de cet échange.

Que diriez vous à quelqu’un venu du fin fond de l’Afrique, d’un pays quasi inconnu jusqu’au génocide qui nous a touché et qui pense survivre dans l’indifférence de tous. Comment redonner espoir à ceux parmi les survivants du génocide Tutsi qui se sentent abandonnés de tous ?

 

 Monsieur, ce que vous dites me touche beaucoup. L’ambassadeur des Etats-Unis, présent à mes côtés connaît bien mon histoire et je ne peux que rappeler ce que je disais lors du discours du millenium en présence du président Clinton, je l’avais intitulé : «les périls de l’indifférence».

Une jeune femme s’est levée, comme vous le faite là, et m’a dit «Je suis du Rwanda, et vous osez parler d’indifférence».

J’ai dit au Président qui était à mes côtés : «c’est à vous que cette question s’adresse : 600 000 à 800 000 personnes auraient pu être sauvées. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait ?».

Le Président Clinton a rougi, c’était en direct à la télévision et il a dit :

«Vous avez raison Elie, on aurait pu mais on ne l’a pas fait. C’est pour cela – dit-il – que je suis parti au Rwanda pour demander pardon en mon nom et en celui de mon pays. Cela ne se reproduira plus, je vous le promets».

Le lendemain, un évêque du Rwanda me téléphonait de Washington pour venir me voir avec un groupe. Il m’a dit : «Vous êtes le garant de la parole présidentielle. Je viens vous voir pour vous parler du Darfour au Soudan.».Et me voilà impliqué en ce lieu…

L’indifférence est toujours horrible, impardonnable, péché et châtiment en même temps. Elle n’est pas au début, elle est la fin.

Rwanda, Bosnie, Soudan, c’est le monde entier qui est concerné.

Les adultes se font la guerre, les enfants meurent.

Et moi comme être humain, j’ai honte.