La Bulgarie et les Juifs pendant l’Holocauste

27 et 28 mai 2013 à Sofia, Bulgarie

Institut Français

Transmission de la mémoire de l’Holocauste et prévention des crimes contre l’humanité : une approche transversale »

Atelier pédagogique du Conseil de l’Europe

Georges BENSOUSSAN

Au cœur de l’idéologie nazie : l’antisémitisme

Racines de l’antijudaïsme

L’antijudaïsme est un phénomène historiquement daté et géographiquement localisé. Il s’agit moins d’en comprendre le pourquoi que le comment en sachant que plus l'on pénètre dans ses arcanes, plus on s'approche de la question difficile du pourquoi.

Il n'y a pas de continuité de l'antijudaïsme païen à l’antijudaïsme chrétien, le premier relève de la xénophobie ordinaire, le second d’une construction de l'imaginaire qui deviendra à la longue une conception du monde. À l'origine de l'antijudaïsme chrétien : la relation empoisonnée entre la religion mère et la religion fille qui pousse l'Eglise des premiers siècles, encore fragile face à la force d'attraction du judaïsme du temps,  à faire un effort constant pour le discréditer. De là, l'accusation de déicide dès le premier siècle, qui se banalise au IVe siècle avec la thèse du « Juif fils du diable ». L'Eglise ne peut démontrer la vérité de sa foi sans dénoncer en même temps l'aveuglement de ce qu'elle appelle le « vieil Israël»,  en essayant de montrer que l' « esprit de Dieu » s’est déplacé d'Israël selon la chair à Israël selon l'esprit ( Verus Israël). Autrement dit, que le judaïsme est désormais une foi caduque, que Dieu a abandonné les Juifs, un peuple entêté, criminellement et collectivement coupable d'avoir mis en croix le fils de Dieu.

  Leur condition doit témoigner de leur malédiction. L'Eglise met donc en place ce que l'historien français Jules Isaac a jadis appelé un « enseignement théologique du mépris » qui s'aggrave au IVe siècle quand le christianisme devient la religion officielle de l'empire romain. En 438, le Code Théodosien multiplie les lois et les décrets de ségrégation qui finissent, au moins dans la loi, de mettre en place un système d'avilissement des Juifs.

Mais la coexistence entre Juifs et chrétiens demeure encore possible au 1e millénaire. En revanche, la dégradation est nette avec le prêche de la 1e croisade à la fin du XIe siècle.  Dans l’Occident des XI°-XVe siècles, se succèdent alors mesures humiliantes,  accusations diabolisantes (meurtre rituel) et  massacres. Cet ensemble de violences est ponctué d'expulsions qui culminent à la fin du XVe siècle avec l'expulsion d'Espagne (1492) puis du Portugal (1496). De là, la naissance de la grande communauté d'Europe orientale à partir du XVe siècle et le renforcement du judaïsme arabe et turc à partir du XVIe siècle.

Héritier de ce socle chrétien, l'antijudaïsme moderne va prendre trois visages :

-          une  judéophobie anticapitaliste qui sera le fait des milieux révolutionnaires.

-          Une judéophobie nationaliste avec l'émergence de l'Europe des nations au XIXe siècle.

-          une judéophobie raciale avec la naissance du racisme et du « mythe aryen » dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Un double mouvement anime l'antijudaïsme moderne devenu antisémitisme à la fin du XIXe siècle (le mot est forgé en Allemagne en 1879).

En premier lieu un mouvement de sécularisation dont on doit retenir :

-          que les progrès des schémas de pensée laïques nourrissent une offensive antichrétienne qui prend un visage antijuif dans la mesure où il s'agit, d’une part, de la religion mère, d’autre part de l’élément le plus facile à attaquer. Et sans risque aucun.

-          Des bouleversements économiques et sociaux générés par la poussée du monde urbain et du capitalisme. Ils entrainent non seulement le délitement du monde ancien, mais une anxiété qui se traduit par un anti modernisme cristallisé sur la figure du Juif. Et pourquoi celle-là précisément sinon parce que l'imaginaire chrétien en a fait depuis des siècles une figure diabolique ?  L'imprégnation chrétienne a préparé le rejet moderne : le Juif, figure repoussoir de la chrétienté  devient la figure repoussoir de la modernité capitaliste.

Second aspect capital des sociétés modernes, l’émergence du racisme dans la seconde moitié du XIXe siècle à la faveur d'un détournement des travaux du naturaliste anglais Charles Darwin.  De là, la naissance de l'eugénisme négatif, de l'hygiène raciale et du darwinisme social. Comme la naissance du thème de la race telle une réponse, en premier lieu, à l'angoisse du changement. Une réponse, en second lieu, à l'émancipation des Juifs (donc à l'égalité civique entre Juifs et non Juifs)  décidée par la Révolution française (1791). Le rejet du Juif n'est plus seulement d’ordre religieux ou national,  il est racial. Ce rejet qui se superpose au rejet de la modernité, du capitalisme et de la ville, cristallise non pas sur le Juif réel, mais sur une figure fantasmée du Juif, un Juif imaginaire qui est le support de l'angoisse du monde nouveau. De là, aussi, une idéologie complotiste qui s’étend rapidement dans les sociétés sécularisées et démocratiques en prenant pour première cible première (mais pas unique)  «  le Juif ».   Parce qu’il est depuis longtemps une figure diabolisée du christianisme, « le Juif » se mue à l'ère moderne en figure centrale d'une causalité diabolique qui fournit enfin une réponse aux malheurs du monde.

L'antijudaïsme-antisémitisme fonctionne comme un ré enchantement du monde. Le Juif imaginaire comble la faille identitaire du groupe, de la nation, ou de l'individu. C'est la part étrangère que l'on expulse de soi pour mieux se définir. La part étrangère que l'on expulse de la nation pour mieux la construire. Une part étrangère qui, en cristallisant sur la figure du complot, permet de donner une réponse à l’énigme du monde moderne. Et cette part apparait d’autant plus angoissante qu’elle est la figure de l'origine.

On considère généralement que l'antijudaïsme d’Occident a connu 3 phases : une phase religieuse, une phase nationale puis une phase raciale. L'explication est globalement avérée. Pour autant, la réalité est plus subtile qui voit les trois phases souvent coexister. Par ailleurs, l'antijudaïsme évoque très tôt la question du sang, autrement dit de l'origine immuable. En particulier quand l’Espagne catholique met au point en 1449  des « statuts de pureté de sang » (limpieza de sangre).

Le rejet du Juif d'ordre religieux et national ne vaut pas forcément promesse de mort : on peut se convertir ou changer de pays.  Mais quand le Juif devient une « race » définie par le « sang », cette mutation n'offre plus ni issue ni rédemption. Elle est concomitante de l'idéologie raciste. La racialisation de la figure du « Juif » est, en d’autres termes,  un appel à l'extermination. C’est ce que montre d’ailleurs le discours intellectuel de l’antisémitisme allemand de la fin du XIXe siècle.

C'est donc au moment où les Juifs sont émancipés politiquement, quand les sociétés se sécularisent et que s’élève le niveau d'éducation, que l'antijudaïsme (devenu antisémitisme en 1879), s'incarne comme force politique agissante dans des partis (comme en Allemagne ou en Roumanie), tient un premier congrès international ( Dresde en 1882), suscite des flambées de violence, massivement verbales (comme lors de l'affaire Dreyfus en France, 1894-1899),  souvent physique comme lors des pogroms en Russie, en Ukraine, en Pologne et en Roumanie. Cette passion antisémite s'incarne aussi dans une littérature journalistique prolifique (Protocoles des Sages de Sion, 1903) contre laquelle la raison s’épuise.  Face à un mécanisme de paranoïa (et l’antisémitisme en relève), toute démonstration rationnelle tend à renforcer le délirant dans ses convictions.

L'antisémitisme nazi reprendra à son compte les grands traits de l'antijudaïsme allemand du XIXe siècle. Il n'inventera rien, ni les mots, ni les thèmes. Il est l'enfant naturel de l'éducation chrétienne, de la réforme luthérienne du XVIe siècle, des frustrations nationales allemandes du début du XIXe siècle, de la modernité  brutale qui agite l'Allemagne dans la seconde moitié du XIXe siècle (marquée par une énorme poussée démographique). Cet antijudaïsme-antisémitisme redouble de violence avec la défaite de 1918. Mais bien avant la guerre de 1914, déjà,  « le Juif » était défini  par une grande partie de la nation allemande comme étranger par essence, inassimilable, un agent de conspiration, un parasite et un corrupteur du sang allemand. Il incarne plus encore cette figure du monde moderne (l’Allemagne capitaliste et citadine) que les Allemands ont du mal à assumer en se réfugiant dans le mythe d'un pays rural et bucolique qui n’existe pratiquement plus.

  Loin de décroître avec l'émancipation, l'antisémitisme, augmente au contraire avec elle. Si dans la foulée de la Révolution française, on avait considéré que l'émancipation, l'intégration, et l'assimilation étaient la solution au « problème juif », au XX° siècle, cette fois, c’est l'inverse : la solution est devenue le problème. Un « problème » qui est directement l'héritier de la démonologie chrétienne qui avait du « Juif » un visage du diable et du malheur.

  L'émancipation fut donc ambivalente. C'est en son cœur que la Shoah eut lieu. Et c’est à la faveur de l’émancipation-intégration que l'antisémitisme est devenu un code culturel du monde occidental, fonctionnant comme une idéologie, permettant à l'angoisse de s'apaiser et  à la violence du groupe d'être exorcisée. Le rejet du « Juif » en créant une identité collective fictive,  a donné en même temps sens au chaos du monde.

La passion de l'antisémitisme, cette mise en scène d’une peur de l’origine, de l'altérité et de la souillure, relève d'archaïsmes et de peurs infantiles.  Partant, elle est rebelle à la raison. On pensait la voir disparaître après la Shoah. Les 70 ans qui nous séparent d’Auschwitz montrent qu'il n'en a rien été. On est frappé au contraire par la durée exceptionnelle de la judéophobie en dépit de la destruction du judaïsme européen. Mais parce qu'il s'agit d'une passion, ses formes ont muté sans disparaitre. Ainsi, la « question juive » du début du XXe siècle est-elle devenue au début du XXIe siècle la « question sioniste ». Le Juif n'est plus coupable, c'est l'État d'Israël qui l’est. Si le peuple juif n'est plus le peuple « en trop sur la terre », c'est désormais l'État d'Israël que l'on considère parfois, ici et là comme un État gêneur, sinon même illégitime. Et dont la disparition, pourquoi pas,  assurerait au monde la paix universelle.

Comme jadis le « Juif ».

Laura FONTANA

Les étapes de la « Solution finale »

Aborder le thème de la shoah, le génocide des Juifs européen pendant la seconde guerre mondiale, implique forcément soulever la question : « Comment cela a-t-il été possible ? Comment un crime de cette ampleur a-t-il pu se produire au cœur de l’Europe et presque sous les yeux de tous ? ».

Il s’agit certes d’une question incontournable et politiquement centrale, mais qui est souvent posée sous la forme d’interrogation morale, c'est-à-dire « comment l’homme a-t-il pu en arriver là ? » Mais si la constatation de l’horreur absolue et de l’immensité du crime doit nous servir seulement à nous interroger sur la cruauté humaine sans reconstruire une narration historique, un cadre à la fois chronologique et géographique capable d’expliquer « où », « quand » et « comment » le crime fut perpétré, cette question ne nous permettra pas de comprendre comment la shoah a eu lieu.

La Shoah est un événement historique et elle doit être abordée en tant que tel avant d’engager toute réflexion morale.

Dans mon exposé, je vais essayer de mettre en lumière le processus qui a amené l’Allemagne nazie à évoluer du rêve de créer un monde régénéré car « judenrein », (débarrassé, nettoyé des Juifs) à la mise en place du génocide des Juifs d’Europe. Certes, cette question ne saurait être traitée à fond dans le temps qui m’est accordé, par conséquent je ne peux qu’essayer de brosser un tableau de synthèse.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, un avertissement s’impose, surtout si nous avons pour mission d’enseigner l’histoire et de transmettre sa mémoire aux jeunes générations, en particulier dans un milieu scolaire. Une grande précaution s’impose dans l’usage des termes du vocabulaire national-socialiste car on devrait éviter d’employer systématiquement la langue des bourreaux qui reflète leurs idées. En revanche, lorsque la précision lexicale est indispensable pour reconstruire l’histoire, on devrait prendre soin de mettre des formules comme solution finale ou question juive entre guillemets afin de manifester que nous prenons nos distances en tant que locuteurs avec la pensée nazie. Donc il faut faire attention à utiliser comme expression courante le verbe « exterminer », alors que dans tout vocabulaire on dit « tuer » ou assassiner » pour des êtres humains. Dans la langue des bourreaux, vernichten et  ausrotten sont deux verbes qui expriment toute la violence génocidaire de la langue nazie envers les Juifs et qui expriment l’éradication complète d’êtres humains (réduire à rien, extirper, détruire totalement).

Après cette parenthèse, revenons à notre sujet.

Quels sont les facteurs qui expliquent qu’à un certain moment on passe à l’acte ? "Comment est-on passé d'une Judenpolitik, d’une politique antijuive marquée par l’exclusion et la persécution à une Vernichtungspolitik, une politique d'extermination de tous les juifs d'Europe ?". Nous savons que le changement radical de solution de la « question juive » et le basculement vers une politique génocidaire se produisit autour de l’automne et de l’hiver 1941.

L’idée de traduire la solution finale en élimination physique de masse de tous les Juifs ne se dessina, en effet, que dans le contexte de guerre contre l’URSS et très probablement dans les mois qui s’écoulèrent entre octobre et décembre 1941, lorsqu’il y eut un basculement de l’assassinat des Juifs russes - donc d’un génocide qu’on pourrait définir « régional » -, au génocide de tous les Juifs de l’Europe occidentale. Je reviendrai sur cette question du passage à l’acte plus tard.

Or, la question du « comment la shoah a-t-elle eu lieu ? » est strictement liée à la question du « pourquoi les Allemands en sont-ils venus à haïr les Juifs au point de participer et d'assister, en toute bonne conscience, à leur extermination systématique » ?

Une première réponse nous vient, sans aucun doute, du poids de l’idéologie et de la force de l’antisémitisme d’Hitler et en général de la culture allemande qui s’inscrit dans une longue tradition à la fois allemande et européenne. On ne saura donc minimiser le lien indissoluble entre le nazisme, en tant que mouvement politique et vision du monde, et l’antisémitisme. Car le nazisme est bien plus qu’une dictature totalitaire, c’est en premier lieu une Weltanschauung, une vision du monde fondée sur une idéologie raciste qui interprète la vie comme une lutte perpétuelle entre les races et comme une lutte à mort entre « Aryens » et Juifs à l'échelle mondiale. Dans cette vision du monde, les Juifs occupent une place centrale et singulière : ils ne représentent pas une race inférieure comme les slaves ou les noirs, mais ils sont exclus des humains et définis comme Gegenrasse, (contre race ou anti race), imaginés à la fois comme des êtres au plus bas de la hiérarchie des vivants (les Juifs sont des serpents, des rats, des poux, de la vermine) et tout en haut comme des êtres diabolisés et pourvus de super pouvoirs maléfiques. Les « Aryens » doivent donc mener contre eux une guerre impitoyable et les éliminer jusqu’au dernier pour assurer leur survie et leur domination. En clair, la rédemption des uns commande la disparition des autres, tout ce qui est positif pour l’Allemagne, le progrès économique et culturel, la santé, la force militaire, dépendent de la lutte contre le mal dont le Juif est la personnification. Détruire les Juifs deviendra, selon cette logique, une tâche salutaire et presque humanitaire.

Alors, oui, l’idéologie reste un point fondamental dans la logique qui mena l’Allemagne nazie à penser et à perpétrer le crime de mise à mort des Juifs et cet antisémitisme rédempteur et apocalyptique, comme il fut défini par les historiens Saul Friedländer et Philippe Burrin, et elle représenta sans aucun doute la toile de fond sans laquelle aucune compréhension de la Shoah n’est possible.

Nous savons qu’Hitler ne cacha jamais son rêve d’en finir avec les Juifs et de les détruire. Dans son tristement célèbre discours de la prophétie prononcé à Berlin le 30 janvier 1939 devant le Reichstag, il avait évoqué solennellement l’hypothèse d’une extermination des Juifs dans le cas où ils déclencheraient une nouvelle guerre mondiale (nous savons qu’Hitler attribuait la responsabilité de la Grande guerre et de la défaite aux Juifs). Aux yeux d’Hitler, la juiverie mondiale (Weltjudentum), donc tous les Juifs sur terre, représentait une double menace, à l’est par une bolchevisation et à l’ouest par l’hégémonie de la finance juive anglo-saxonne. Dans ce discours Hitler laissait entendre clairement que l’Allemagne pourrait même perdre la guerre mais elle n’aurait jamais perdu la guerre contre les Juifs. Il ne faut pas sous-estimer l’influence exercée par Hitler en tant que prophète du ressentiment allemand et de son rôle destructeur.

Hitler va d’ailleurs réitérer plusieurs fois cette prophétie à l’hiver 1939, puis cinq fois en 1942, l’année où l’assassinat des Juifs bat son plein, et encore deux fois en 1943.

En revanche, si nous pouvons affirmer que l’antisémitisme fut le thème clé du programme nazi et que la Shoah n’aurait pas été concevable sans Hitler, cette constatation ne suffit ni pour faire de la judéophobie le thème unique du nazisme, ni d’Hitler le seul responsable de la décision de la planification du génocide des Juifs.

Si la diffusion de l’antisémitisme dans la société conduisait directement au meurtre de masse des Juifs, donc à la Shoah, il convient de rappeler que dans les années 1920 et 1930, les Juifs étaient beaucoup plus menacés en Russie qu’en Allemagne. C’est dans l’ancienne zone de résidence de l’empire tsariste que l’antisémitisme était le plus violent au début du XXème siècle et c’est là que de nombreux pogroms éclatèrent dès la fin du XIXème siècle jusqu’aux années 1920. De même, d’autres pays comme la Roumanie ou la Pologne connaissaient un antisémitisme plus virulent de l’Allemagne.

Pourtant, malgré ces violences génocidaires, ce ne fut ni la Russie ni l’est européen - où les Juifs vivaient souvent dans des conditions discriminées, dans la peur et dans  l’humiliation - que le génocide fut pensé.

Venons-en maintenant à aborder une deuxième question : le génocide était-il programmé dès 1933 lorsqu’Hitler accéda au pouvoir ? La Shoah fut-elle préméditée ou fut-elle le produit des circonstances liées au déroulement de la guerre ? Cette question renvoie au vieux débat, aujourd’hui dépassé, entre interprétation intentionnaliste et interprétation fonctionnaliste que je vais résumer très brièvement.

Selon les travaux des historiens intentionnalistes, notamment Andreas Hillgruber, Lucy Dawidovicz et Raul Hilberg, l’intention d’exterminer tous les Juifs était présente dès l’élaboration en 1920 du programme politique d’Hitler qui aurait donc projeté le génocide dès son accession au pouvoir en 1933 et jusqu’à la rédaction de son testament politique avant son suicide le 29 avril 1945, avec une obsession perpétuelle mais aussi selon une cohérence et une volonté très fortes. Néanmoins, on ne peut pas imaginer une ligne droite menant de Mein Kampf à Auschwitz et il faut se garder de l’erreur de penser que la Shoah était inévitable. De surcroît, si  Hitler avait construit sa victoire électorale sur la promesse au peuple allemand de mettre à mort tous les Juifs d’Allemagne et d’Europe, il est fort probable qu’il ne serait pas arrivé facilement au pouvoir.

Aux thèses intentionnalistes se sont opposées les recherches conduites par des historiens qualifiés de fonctionnalistes, notamment Martin Broszat et Hans Mommsen qui se sont attachés à démontrer qu’il n’y eut pas de plan d’ensemble prévoyant l’assassinat des Juifs européens et que ce fut le produit d’un processus complexe à la fois de décision et de modalités techniques, qui progressa en se radicalisant par vagues successives.

Selon cette interprétation, la Shoah aurait été mise en place selon un processus de radicalisation progressive de la violence à partir de septembre 1939 avec l’agression de la Pologne et surtout à partir de juin 1941 avec le déclenchement de l’Opération Barbarossa et la guerre contre l’Union Soviétique. Si la responsabilité directe d’Hitler n’est pas niée et si le poids de l’idéologie antisémite est aussi pris en compte par l’école dite fonctionnaliste, d’autres facteurs sont mis en avant par ces historiens pour expliquer la décision de mettre à mort le peuple juif. En premier lieu, comme il a déjà été dit, le contexte de guerre - et la guerre à l’est fut d’abord et surtout une guerre idéologique contre l’ennemi juif bolchévique - qui permit à la violence de se déchaîner et de franchir toute limite morale à la barbarie, mais aussi de voir des actions parfois improvisées se mettre en place dans l’urgence du combat. En second lieu, le chaos institutionnel lié au rapport souvent contradictoire entre l’état hitlérien central, donc la volonté du Führer, et la périphérie de structures administratives de pouvoir, selon une organisation politique constituée d’une multitude de centres de décision qui formeraient une polycratie structurelle et dont les divers responsables seraient en concurrence, avec des marges de manœuvre et d’initiatives personnelles importantes.

Aujourd’hui les historiens essaient d’interpréter la politique antisémite nazie en associant les deux thèses. On retiendra donc de cette synthèse que l’intention de débarrasser des Juifs non seulement l’Allemagne mais également tout l’espace vital des Allemands était bien présente dès le début chez Hitler qui eut un rôle toujours central dans l’évolution de la « solution finale » et finalement de la programmation du génocide. Reste que dans la première moitié du régime, cette élimination était pensée à la fois comme exclusion sociale et comme déjudaïsation de la société allemande, avec le double objectif d’expulser tous les Juifs en les encourageant à partir ailleurs et d’éradiquer (entjuden) toute influence juive de la culture et de l’économie allemande. Ce ne fut que progressivement que la Judenpolitik associa à l’exclusion et à la discrimination juridique des mesures et des actions visant à encourager l’émigration volontaire et que cette exclusion se transforma par des mesures plus radicales en solution géographique d’une expulsion coordonnée et une émigration de masse, dans un territoire idéalement situé le plus à l’est possible.

Avant la Deuxième Guerre mondiale, la politique antijuive du régime nazi connut plusieurs phases d’inégale intensité. Sans rappeler toutes les étapes de ces  sept premières années qui couvrent la période 1933-1939, il est important de garder à l’esprit qu’Hitler eut besoin d’une période assez longue pour arriver à une mise à l’écart totale des Juifs allemands et pour préparer le peuple allemand non seulement à accepter la mort civique et économique de la minorité juive, mais surtout à cultiver et à adhérer, ne serait-ce que par passivité ou comportement grégaire, à l’idée que persécuter et expulser les Juifs était nécessaire et finalement juste, puisqu’ils incarnaient tous les problèmes de la société et représentaient une menace constante d’une guerre contre l’Allemagne.

La politique d’exclusion, au fur et à mesure plus radicale de 1933 à 1938, s’appuyait sur une base légale – le fameux Arierparagraph de la loi de la Reconstitution de la Fonction Publique du 7 avril 1933 servit de modèle pour une succession sans limites de mesures discriminatoires – dans le but précis de montrer au peuple allemand que le règlement de la question juive devait venir d’en haut, directement de l’État.

De 1933 à 1945, plus de 2000 lois, mesures et décrets antijuifs sont promulgués par le régime d’Hitler, selon une obsession délirante et paranoïaque qui n’a rien de rationnel car elle ne s’arrête pas même lorsque la politique de déportation est mise en place. En 1942, par exemple, lorsqu’une bonne partie des Juifs allemands étaient déjà enfermés dans les ghettos ou tués dans les centres de mise à mort, la bureaucratie allemande continuait à promulguer des décrets pour interdire aux Juifs du Reich de posséder un animal domestique ou de se faire couper les cheveux chez un coiffeur aryen ! (Uwe Dietrich Adam, Judenpolitik im Dritten Reich, pages 339-340). Cette déjudaïsation de la société allemande qui toucha progressivement tous les secteurs de la vie sociale, la fonction publique, les professions libérales, la culture, l’éducation, l’économie et le sport, marqua donc une mort civique et politique des Juifs, selon une logique à la fois d’exclusion et de séparation physique. Une nouvelle étape dans cette politique de mise à l’écart des Juifs fut franchie avec la promulgation, en septembre 1935, des Lois de Nuremberg. En interdisant les mariages et relations sexuelles entre « Aryens » et Juifs, ces lois introduisaient dans la législation allemande le crime de « souillure de race » (Rassenschande) en attribuant aux Juifs la responsabilité de contaminer la pureté de la « race aryenne » et privaient les Juifs allemands de leur citoyenneté les rabaissant au statut de « citoyens inférieurs » sans droits civiques et politiques.

A partir de 1936, le durcissement de la persécution antijuive s’accompagna de la montée en puissance du Reich sur la scène internationale, dans le but de construire la Grande Allemagne déjà évoquée dans Mein Kampf et fonder le Reich de mille ans (das tausendjährige Reich).

L’année 1938 constitua un tournant décisif dans les persécutions et un point de non retour. Plusieurs faits sont à rappeler et je me limiterai à les citer sans les approfondir. En premier lieu, l’annexion de l’Autriche au mois de mars qui intègre environ 192.000 Juifs dans le Reich et qui est précédée et suivie par des vagues de violences terribles. C’est surtout une violence de rue, l’œuvre des activistes du parti nazi qui se déferle sur les Juifs allemands et autrichiens à ce moment-là et qui suscite les critiques populaires des chefs nazis qui craignent de fragiliser le consensus intérieur à la veille de la guerre. En quelques jours, toute la législation antisémite est mise en place en Autriche. Si en Allemagne le régime avait agi avec prudence, en alternant attaques de la communauté juive et modération des mesures antisémites, en Autriche cette prudence n’est pas jugée nécessaire.

En outre, suite aux décrets promulgués dès le mois d’avril, un processus de spoliation et d’aryanisation forcée  se met en place et entraîne la paupérisation générale de la communauté juive du Reich. 

Par ailleurs, la politique de persécution menée par le régime nazi dès 1933 avait suscité d’un côté une vague d’émigration d’Allemagne et d’Autriche vers l’Europe occidentale et les Etats-Unis (en septembre 1939 à la veille de la guerre, on estime qu’environ un peu plus de la moitié des Juifs allemands et environ 60 % des Juifs autrichiens avaient réussi à quitter le Reich), et de l’autre côté une réaction de plus en plus rigide de la part des pays d’accueil potentiels. La Conférence d’Evian, organisée en juillet 1938 à l’initiative du président américain Roosevelt dans le but d’apporter une solution au problème des réfugiés juifs, s’acheva par le refus de tous les représentants des pays présents à la réunion, de modifier leurs quotas d’immigration – à l’exception de la République Dominicaine. Et l’échec de la conférence d’Évian comme démonstration de politique timorée des puissances occidentales marqua un tournant très important, signifiant concrètement l’abandon des Juifs par la communauté internationale à la veille de la guerre, mais aussi un véritable encouragement à Hitler de poursuivre sa politique antijuive.

Poussés à quitter le Reich, les Juifs furent soumis tout au long de l’année 1938 à d’autres mesures de discrimination visant à les marquer en tant que Juifs, dans l’impossibilité de les distinguer sur le plan physique et pour empêcher qu’ils cachent leur identité. Le 17 août 1938, les hommes juifs durent ajouter après leur prénom un deuxième prénom, Israël et les femmes celui de Sara. Et encore, à partir du 5 octobre, sur initiative de la Suisse, les passeports appartenant aux Juifs allemands et autrichiens furent tamponnés de la lettre J (Jude). Quelques jours plus tard, tous les Juifs polonais habitant le Reich furent expulsés de force et abandonnés à la frontière avec la Pologne.

Dans ce contexte d’accélération et de radicalisation, le pogrom des 9 et 10 novembre 1938 (connu sous le nom de « Nuit de Cristal ») représenta un tournant décisif de la politique antisémite car pour la première fois on assista à une vague de violences physiques : des centaines de Juifs furent frappés en public, certains furent tués, d’autres se suicidèrent dans la terreur de ces jours. De surcroît, pour la première fois dans l’histoire du régime nazi, environ 20.000 Juifs hommes et adultes furent raflés et internés dans les camps de concentration de Buchenwald, Dachau et Sachsenhausen, dans le but de les terroriser, leur extorquer de l’argent et les forcer à émigrer. La plupart de ces prisonniers, d’ailleurs, sera libérée quelques semaines plus tard.

Ce fut exactement au tournant de la Nuit de Cristal, l’hiver de l’année qui précéda la guerre, qu’Hitler  réalisa que ce n’était pas à travers la violence des activistes du parti qu’il aurait pu résoudre le problème d’expulser les Juifs. D’autant plus qu’une politique antijuive associant exclusion et encouragement à l’émigration ne s’était pas révélée suffisamment efficace pour réaliser un Reich judenfrei dans un temps raisonnable. Il lui fallait donc trouver le moyen d’accélérer au maximum cette émigration de masse. Il faut rappeler que si l’émigration fut très difficile dans les premières années du régime, elle devint impossible et interdite pour tout Juif du Reich à partir du 26 octobre 1941, lorsque l’Europe toute entière fut verrouillée,  sans plus aucune possibilité de sortie pour les Juifs, même s’ils possédaient des visas.

On pourrait se demander pourquoi la première solution envisagée par le régime nazi d’éliminer les Juifs par une politique combinée d’exclusion, de discrimination et de spoliation ne donna pas les résultats espérés ?

Pour plusieurs raisons que je n’ai pas le temps d’approfondir, je me limiterai à souligner que le « problème juif », au fur et à mesure que l’Allemagne annexait ou occupait des territoires prenait une ampleur de plus en plus importante puisqu’un nombre grandissant de Juifs tombaient sous la botte nazie (après l’annexion de l’Autriche, en mars 1938, l’année suivante plus de 90.000 Juifs résidant dans les provinces thèques de Bohême et Moravie furent soumis à la politique antisémite nazie).

Se retrouvant alors dans une impasse pour traiter « la question juive », le régime dut penser à d’autres moyens de persécution. Cette crise permettra au Sicherheitsdienst, le service de sécurité de la SS, d’acquérir de plus en plus de pouvoir et de pouvoir montrer au Führer qu’à partir de ce moment, la solution de la question juive ne pouvait être que l’émigration forcée. L’homme clé de ce tournant fut Reinhard Heydrich, adjoint direct de Heinrich Himmler, et à ses côtés Adolf Eichmann qui se définira lui-même comme le meilleur spécialiste de la question juive.

Heydrich, à la tête de l’appareil de sécurité et de police du Reich, restera l’homme numéro un du génocide des Juifs jusqu’à sa mort en mai 1942 suite à un attentat commis à Prague par des résistants tchèques. Bien évidemment, sous la direction d’Heinrich Himmler qui fut le véritable architecte de la solution finale.

Heydrich obtiendra d’Hermann Göring l’autorisation de continuer la politique d’émigration forcée, déjà coordonnée avec grande efficacité par Eichmann à Vienne, ainsi que l’autorisation d’instituer un office central du Reich pour la question de l’émigration juive. L’équipe dirigée par Heydrich sera par la suite absorbée par une nouvelle institution créée en septembre 1939 sous le nom de Reichssicherheitshauptamt RSHA (Office central de la Sécurité du Reich). Transformés en experts de la question juive, les hommes aux ordres de Heydrich organiseront la déportation et prendront directement part au génocide des Juifs.

Néanmoins, restait encore à savoir où diriger exactement les Juifs étant donné la fermeture des frontières de la part de la communauté internationale et le livre blanc de la Palestine sous mandat britannique, publié le 17 mai 1939, qui fixait des limites à l’immigration juive pour apaiser les révoltes arabes.

Le 1er septembre 1939, avec le déclenchement de la guerre à l’Est par l’Allemagne hitlérienne et l’agression de la Pologne, où vivait la plus grande communauté juive européenne, plus de trois millions de personnes, le problème juif prit des proportions énormes et s’amplifia deux ans plus tard, lorsque le 22 juin 1941 Hitler attaqua l’Union soviétique.

Ce fut donc la guerre à l’est qui permit à l’Allemagne d’entrevoir de nouvelles possibilités à la « question juive », en particulier la guerre contre l’Union soviétique, et c’est la guerre qui constitua le contexte qui rendit possible la Shoah.

Avant d’aborder la deuxième partie de mon exposé qui portera sur les étapes de la mise en oeuvre du génocide, il importe de rappeler à l’esprit que dans le contexte de début de guerre qui évolua rapidement de la haine au meurtre des Juifs, le régime nazi déclencha deux programmes criminels pour assassiner des dizaines des milliers d’individus.

Le premier programme fut lié à la politique dite d’ « euthanasie » selon laquelle la vie « sans valeur »  des malades mentaux, des incurables devait être systématiquement  ôtée. Dès la fin de l’été 1939, un dispositif administratif et logistique fut mit en place pour assassiner environ 5.000 enfants et 70.000 adultes malades ou handicapés, ces derniers par gazage dans des camions ou dans des chambres à gaz.  Cette politique criminelle représenta une étape importante de la Shoah car pour la première fois fut franchi le seuil qui sépare l’idée de laisser mourir les faibles, comme l’affirmait une branche de la science et de la médecine allemande et européenne, et la mise en oeuvre de l’assassinat des malades. En outre, le programme T4, le nom de code de cette politique de mise à mort des malades, permit la formation de « professionnels de la mise à mort ». Ces spécialistes de l’usage du gaz seront envoyés à partir de l’automne 1941 en Pologne pour mener l’assassinat des Juifs dans les centres de mise à mort qui seront construits dans la Pologne occupée, Belzec, Sobibor et Treblinka. Un seul exemple : Christian Wirth qui connut une rapide carrière au sein de la SS, car il évolua en moins que deux ans (1939-1941) de la charge d’inspecteur général de tous les instituts d’euthanasie à celle d’inspecteur général des camps de l’Aktion Reinhardt en Pologne.

Le deuxième programme meurtrier qui précéda la mise en place du génocide des Juifs concerna les élites polonaises dont plusieurs milliers de personnes furent assassinées méthodiquement par balles ou pendaison durant les premiers mois de l’occupation, l’œuvre de groupes d’interventions appelés « Einsatzgruppen » appartenant aux services de sécurité de la police et aux ordres de Heydrich.

Ces deux politiques expliquent le climat général de durcissement de la politique raciste menée par le régime nazi au tournant de la guerre et nous rappellent aussi que la guerre aux yeux de l’Allemagne nazie devait servir à poursuivre deux objectifs interdépendants : d’une part, restructurer et réorganiser le continent européen afin de conquérir l’espace vital nécessaire au développement et à la domination de la race germanique et d’autre part, « nettoyer » cet espace en le vidant de tous les indésirables, Juifs et slaves.

Pour comprendre la spécificité de la politique de destruction des communautés juives sous le nazisme, il est donc essentiel de faire le lien avec cette politique de remodelage racial du Reich et tout particulièrement de l’est occupé qui ne visait pas seulement à dominer et exploiter des territoires et des populations, mais surtout à dessiner une nouvelle démographie européenne. Il s’agissait de donner vie à une double utopie raciale et spatiale ayant nourri toute une génération d’intellectuels et un vivier de scientifiques, de l’idée de la nécessité d’une restructuration spatiale et raciale pour lutter contre la dégénération de la « race aryenne ».

Néanmoins, on se gardera d’établir (comme postule l’historien allemand Götz Aly) une relation de cause à effet entre les deux politiques et de considérer le génocide comme la conséquence inévitable et logique du plan de colonisation et de germanisation en Europe orientale, d’autant plus que cette politique de germanisation n’a rien à voir, par exemple, avec la destruction des Juifs d’Europe occidentale comme ceux qui furent déportés de France, d’Italie ou de Grèce.

A la tête de cette politique de germanisation, mais aussi de l’extermination des Juifs, il n’y eut pas seulement Hitler mais il y eut son premier adjoint, le Reichsführer Heinrich Himmler, chef de la SS, qui le 7 octobre 1939 se donnera le titre de Reichskommissar für die Festigung des deutschen Volkstum (commissaire pour la consolidation de l’ethnie allemande).

Envahie par l’armée allemande le 1erseptembre 1939, puis attaquée par l’URSS le 17 septembre, en vertu des dispositions secrètes du pacte germano-soviétique qui avait été signé le 23 août 1939, la Pologne capitula après quatre semaines de résistance et vit son gouvernement partir en exil à Londres.

Son territoire fut partagé entre ses deux vainqueurs : à l’Est, les territoires conquis par l’URSS furent incorporés à la Biélorussie et à l’Ukraine, tandis qu’à l’Ouest, environ deux millions et demi de Juifs polonais ou vivant en Pologne tombaient sous l’occupation allemande.

Au cours du mois de septembre, Hitler prit la décision de partager le territoire polonais occupé en deux zones. A l’Ouest, la Prusse occidentale, Poznan, la Haute-Silésie, et l'ancienne ville libre de Dantzig furent annexées, donc rattachées au Reich et destinées à être germanisées par un plan visant à la fois l’expulsion des Juifs et de la plupart des Polonais ou Slaves et le repeuplement par les Allemands de souche, (Volksdeutsche), à rapatrier de force des pays baltes, grâce à un accord signé avec Staline qui obtient en échange l’occupation de la Lituanie. Ces Volksdeutsche étaient aux yeux d’Hitler essentiels pour la construction de l’empire allemand car ils devaient servir à régénérer la « race aryenne » ; en outre, en prévision de la guerre contre l’URSS, Hitler ne voulait pas risquer qu’ils restent dans des territoires où ils pouvaient devenir otages de l’ennemi soviétique.

Ces territoires annexés à l’Allemagne seront nommés à partir de janvier 1940 Wartheland ou Warthegau et mis sous la direction du Gauleiter Arthur Greiser.

En revanche, les autres territoires polonais occupés et situés plus à l’est et plus près de la frontière avec les territoires occupés par l’Union soviétique devaient devenir, selon les projets nazis, une vaste région ou un « dépotoir » (mentionné par Hitler comme « état polonais résiduel ») où transférer et concentrer les Juifs de la grande Allemagne (Allemagne, Autriche et régions incorporées) dans l’attente de définir plus précisément la « solution finale ». Cette deuxième région, avec pour capitale Cracovie, fut appelée en octobre 1939 « Gouvernement général », sous la responsabilité de Hans Frank, nommé gouverneur général par Hitler.

Il faut bien tenir compte du contexte général de l’occupation de la Pologne qui impliquait la réalisation de gigantesques projets de déplacements de populations juives et non juives dans ces territoires qui entraînaient de nombreux problèmes logistiques et d’organisation de transports. Car il fallait à la fois expulser Juifs et polonais, les concentrer quelque part, organiser le rapatriement forcé des Allemands de souche et aussi assurer que les transports servent en priorité à l’armée allemande, dans un chaos et parfois des contradictions où plusieurs mesures se chevauchaient et se superposaient. L’homme clé de ces programmes ambitieux et titanesques  fut Himmler et à ses côté Heydrich qui s’occupa immédiatement de la question. La rapidité d’action de la politique nazie dans la période 1939-1941 fut la caractéristique essentielle de l’efficacité dans la préparation de la « solution finale ».

                   Déjà le 21 septembre, alors que Varsovie n’avait pas encore capitulé, Heydrich avait signé un télégramme (Schnellbrief), dans lequel il donnait aux chefs des Einsatzgruppen des instructions détaillées, en insistant sur le fait que « les mesures d’ensemble planifiées devaient être tenues strictement secrètes » et en définissant quatre objectifs : 1) les Juifs polonais devaient être dirigés vers des centres urbains situés près de voies de chemin de fer aussi vite que possible et concentrés dans des ghettos, 2) les Juifs du Reich devaient être  transférés en Pologne ; 3) les 30.000 Tsiganes encore dans le Reich devaient aussi partir au plus vite pour la Pologne ; 4) les Juifs devaient être systématiquement expulsés des territoires incorporés par trains de marchandise. Heydrich faisait une distinction entre l’objectif final (Endziel), qui exigeait de longs délais, et les étapes pour sa réalisation. Concernant les ghettos, il ordonna la création de Conseils juifs dans le but d’aider au recensement de la population juive.

On remarque donc que fin septembre 1939, la Judenpolitik ne visait plus l’émigration des Juifs du Reich mais l’expulsion programmée et la déportation vers l’est européen. Néanmoins, même à ce stade nous ne pouvons pas avoir la certitude que lorsque Heydrich évoquait l’objectif ultime de la question juive, le régime nazi avait pris la décision de perpétrer le génocide planifié des Juifs.

Mais restait encore la question de savoir où expulser exactement les Juifs et que faire de ces ennemis dangereux ? Les trois millions de Juifs sous occupation allemande ne pouvaient pas tous émigrer, par conséquent une solution territoriale s’imposa.

Entre l’automne 1939 et l’été 1940, deux plans différents furent développés mais ils furent tous les deux vite abandonnés car irréalisables : le plan Nisko-Lublin et le plan Madagascar. Le premier plan, le plan Nisko-Lublin, vit le jour à l’automne 1939 et prévoyait dans un premier temps de transférer les Juifs des territoires incorporés au Reich et quelques milliers de Tsiganes du Reich dans un camp à construire près de Nisko, sur la rivière du fleuve San, près de la frontière avec la Galicie et dans un deuxième temps de transférer ces Juifs dans le district de Lublin où créer une sorte de « réserve juive ». Le 6 octobre 1939, Heinrich Müller, chef de l’Office IV du RSHA, chargea Eichmann d’organiser la déportation de 70 à 80.000 Juifs du Reich vers Nisko, un test pour pouvoir ensuite procéder à une évacuation plus importante. Arrivé en Pologne le 12 octobre, Eichmann sillonna le pays pour étudier l’organisation de ces transports et à peine quelques jours plus tard, le 18 novembre, plusieurs milliers de Juifs de Vienne, d’Allemagne et de Haute Silésie furent ainsi transportés vers Nisko, une région insalubre ou rien n’était prévu pour loger et nourrir les déportés.

Mais à peine lancé, ce plan dut être interrompu car il se heurta à plusieurs résistances : celle de Hans Frank, en premier, qui se plaignit de devoir gérer une arrivée massive des Juifs qui s’ajoutaient à une population déjà très importante et totalement démunie de ressources. La résistance aussi de l’armée allemande qui protesta contre la réquisition des wagons pour le transport des déportés et finalement aussi de l’URSS car Nisko se trouvait trop près de la frontière et les Soviétiques voulaient arrêter la fuite des Juifs au delà de la ligne de démarcation.

En mars 1940, le plan Nisko-Lublin fut définitivement abandonné car les problèmes logistiques étaient insolubles.

Au cours de l’été, après la défaite de la France et après la création du grand ghetto de Lodz où plus de 60.000 Juifs étaient enfermés, un nouveau plan se développa, le plan Madagascar. La « solution finale de la question juive » étant à ce moment encore une question d’espace à trouver où expulser les Juifs, le choix tomba sur cette île, colonie française, où on prévoyait de déporter 4.000.000 de Juifs d’Allemagne, de Pologne et de toute l’Europe occupée. Mais le plan Madagascar fut vite abandonné comme le plan Nisko, cette fois en raison du fait que l’Allemagne ne possédait pas de flotte importante pour assurer le transport et que la Grande Bretagne contrôlait les routes maritimes. En outre, le déclenchement de l’Opération Barbarossa contre l’URSS détourna le régime nazi vers d’autres priorités militaires.

Bien qu’en 1940 la volonté d’extermination des Juifs ne fût pas encore arrivée à maturité, les deux plans étaient bien d’essence génocidaire car ils prévoyaient de laisser mourir de faim et par le travail forcé les personnes déplacées dans un espace qui n’offrait aucun cadre viable. En outre, le plan Madagascar prévoyait la séparation entre les hommes et les femmes pour empêcher la reproduction de la « race maudite ». Au même titre, la politique d’enfermement dans les ghettos - celui de Varsovie, le plus grand ghetto après Lodz, fut fermé le 16 novembre 1940 -, doit être considérée comme une politique d’essence génocidaire, car elle laissa mourir de faim, de froid et de maladie des centaines de milliers de vieillards, d’enfants, de malades maintenues dans des conditions terribles. Les ghettos ne furent pas seulement une « solution provisoire » comme les nazis le prétendaient, mais ils furent une machine de mort lente : dans le seul ghetto de Varsovie, environ 100.000 personnes moururent de faim avant que les déportations vers Treblinka ne commencent le 22 juillet 1942.

                Le projet de génocide se précisa et se radicalisa après le déclenchement de l’Opération Barbarossa contre l’Union Soviétique (22 juin 1941) qui fut conçue par Hitler comme une guerre éclair. Ce fut donc au courant de l’été que l’expression « solution finale » prit tout son sens d’extermination physique des Juifs. Cinq millions de Juifs vivaient alors sur le territoire soviétique, dont quatre dans la partie occidentale directement touchée par l’invasion.

Quatre Einsatzgruppen, unités mobiles de tuerie affectées chacune à une zone géographique définie, environ 3.000 hommes en tout, reçurent les ordres de suivre les troupes allemandes et de rafler et fusiller les opposants au Reich, donc en priorité les commissaires politiques russes, et aussi les hommes juifs, en vertu de l’association idéologique qui liait les bolchéviques et les Juifs.

L’armée allemande apporta un soutien logistique aux Einsatzgruppen, en leur fournissant approvisionnement en munitions, transport et logement.

Il faut se garder de l’erreur de croire que la volonté de mettre à mort les Juifs ne venait que de Berlin et d’ «en haut ». Car les 3.000 membres des Einsatzgruppen, des hommes de la SS et des policiers allemands, ne pouvaient pas suffire face à l’ampleur de la tâche. Ils furent rapidement aidés ou secondés par des volontaires, des collaborateurs locaux, des civils recrutés sans difficulté sur place. Des unités de police auxiliaire locales furent ainsi aisément recrutées sur place, dans les pays baltes ou en Ukraine, parmi les populations locales. Ce fut parfois l’armée régulière, la Wehrmacht, qui prêta main forte aux Einsatzgruppen.

Au début, les Einsatzgruppen exécutèrent surtout des hommes juifs. Mais à partir de la fin de l'été 1941, ils tuèrent aussi bien des hommes, des femmes que des enfants juifs, sans distinction d'âge ou de sexe, pour les enterrer ensuite dans des fosses communes. Le modèle d’organisation du massacre était partout le même. Souvent avec l'aide d'indicateurs et d'interprètes locaux, les Juifs étaient recensés puis rassemblés. Ils devaient ensuite marcher ou étaient transportés par camion jusqu'au lieu de l'exécution (forêts, carrières, fossés) où des tranchées avaient été préalablement creusées. Dans certains cas, les victimes devaient creuser leur propre tombe. Après avoir remis leurs objets de valeur et s'être déshabillées, les victimes (hommes, femmes et enfants) étaient mitraillées, fusillées, souvent achevées à coups de pistolet.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les fusillades n’étaient pas réalisées en secret et les massacres avaient lieu aux yeux de tous.

Babi Yar, avec son énorme bilan de 33.771 victimes juives massacrées en 2 jours (29 et 30 septembre 1941) montre mieux que d’autres exemples comment la machine génocidaire tournait désormais à plein régime sur le territoire soviétique. Il est à noter que les volontaires ne manquèrent jamais pour rafler les Juifs, les escorter vers la mort et participer au massacre. La collaboration et la participation au génocide de la population locale en Ukraine et dans les territoires russes (comme d’ailleurs en Roumanie et en Croatie) furent importantes mais ce fut en Lituanie qu’elles prirent des proportions énormes puisque deux tiers de la communauté juive lituanienne furent exterminés par des unités locales. Nous le savons par le rapport Jäger du nom de Karl Jäger, commandant de l’Einsatzkommando 3 qui nota de façon méticuleuse les meurtres commis par ses troupes.

Qui étaient ces tueurs qui fusillaient sans répit et sans aucune pitié des nourrissons, des vieillards, des femmes et des hommes, dans une confrontation directe entre bourreaux et victimes ?

C’étaient des Allemands et des Autrichiens qui étaient membres des Einsatzgruppen, des soldats de la Wehrmacht et aussi des policiers locaux, des activistes nationalistes, des anciens criminels et des paysans. Les assassins agissaient par haine des Juifs, une bonne partie étant en effet nourrie d’idéologie antisémite, mais beaucoup d’autres agissaient par opportunisme et carriérisme, sous pression du groupe et par ressentiment contre le communisme soviétique dont les Juifs étaient considérés à la fois comme l’allié et la personnification.

Les rapports et la correspondance des tueurs montrent la fierté d’accomplir un bon travail jugé nécessaire.

De juin 1941 à janvier 1942, les Einsatzgruppen ont assassiné 800.000 personnes. Jusqu’à la fin 1944, le nombre de leurs victimes est estimé à 1.500.000.

Malgré l’ampleur gigantesque des massacres, les fusillades des Juifs sur les territoires russes s’inscrivaient encore dans une logique de massacre génocidaire de masse  mais régional, c’est à dire limité à ces territoires. A l’été 1941, on n’était pas encore dans la logique du génocide total de tous les Juifs, de Salonique à la Norvège, de la France à l’Italie qui fut programmé probablement entre octobre et décembre de la même année et qui fut perpétré au courant de l’année 1942 et jusqu’à la fin de la guerre.

                Comment et pourquoi eut lieu ce basculement vers la destruction totale des Juifs européens qui se traduisit par une succession rapide d’événements ? Cette question est au cœur du débat historiographique de la Shoah. Les historiens sont partagés entre la date qui marque le véritable début du génocide qui peut se fixer entre septembre ou octobre selon Christopher Browning et décembre 1941  d’après Christian Gerlach et Peter Longerich. Entre ces deux dates, Hitler évoqua à sept reprises l’extermination des Juifs.

Le 31 juillet 1941, Göring adressa à Heydrich l’ordre d’entreprendre les préparatifs pour aboutir à la « solution finale » (Endlösung). Il s’agit de l’un des documents majeurs parmi ceux qu’on a pu récupérer après la guerre.

Et ce fut à la fin de l’été ou au début de l’automne qu’Hitler donna l’ordre de déporter les Juifs du Reich (Allemagne, Autriche, Protectorat) vers l’est. Le 15 septembre 1941, tous les Juifs allemands au-dessus de 6 ans furent obligés de porter l'étoile  juive.

Le 10 octobre, Heydrich mentionne lui aussi le vœu du Führer « que les Juifs allemands soient transférés à Lodz, Riga et Minsk, si possible avant la fin de l’année ». Cette formule du « vœu du Führer » évoquée de nombreuses fois par Heydrich, Himmler, Goebbels, Hans Frank et d’autres dignitaires du régime, persista tout au long de la Shoah comme une injonction obligeant les chefs nazis à trouver des solutions concrètes aux attentes de leur Führer. (Working Towards the Führer, d’après la formule de l’historien Ian Kershaw).

Les déportations systématiques de Juifs d'Allemagne commencèrent à la fin du mois de septembre 1941, avant même que les camps de mise à mort ne soient créés en Pologne occupée. Entre octobre et décembre 1941, près de 50.000 Juifs furent déportés du Reich, principalement vers les ghettos de Lodz, Varsovie, Minsk, Kaunas (Kovno) et Riga.

La circulaire signée le 23 octobre 1941 par Heinrich Müller, chef de la Gestapo,  qui interdit aux Juifs allemands de quitter le Reich s’inscrit dans ce tournant vers le génocide.

En particulier, la décision de déporter les Juifs du Reich avant même que la guerre contre l’URSS ne soit gagnée, revêt une grande importance, car Hitler avait l’espoir de les utiliser en cas de besoin comme otages, comme monnaie d’échange avec les États-Unis où vivait la plus grande communauté juive au monde. Mais à partir du moment où l’espoir de gagner la guerre vacillait et surtout la crainte d’une entrée en guerre de l’Amérique prenait des proportions énormes, les Juifs avaient perdu toute leur valeur et la décision du génocide devint immédiate.

Si au début de la guerre, l’armée allemande agissait dans l’euphorie et dans la certitude de remporter une victoire rapide, à l’automne elle était déjà passée au pessimisme et nous l’apprenons de la correspondance et des journaux rédigés par les soldats allemands. En six mois, l’armée allemande fit deux millions de prisonniers soviétiques sans toutefois réussir à briser la résistance de son ennemi. Hitler commit deux erreurs, non seulement il sous-estima totalement son adversaire, mais il ne prit pas en compte le facteur climat, la rigueur de l’hiver russe qui fit plus de morts que les armes sur les champs de bataille.

A l’automne 1941, le régime nazi prit manifestement la décision d’étendre l’assassinat des Juifs russes à d’autres communautés juives et à d’autres territoires. (Peter Longerich conteste l’idée qu’il s’agisse là d’une décision visant à assassiner l’ensemble des Juifs européens, contrairement à ce qu’affirment d’autres historiens comme C. Browning and P. Burrin).

Ce fut encore en octobre, lorsque Himmler commença à comprendre que les fusillades entraînaient des problèmes techniques importants (les armes, les corps) et psychologiques (les tueurs sont stressés par ce travail qui les amène à avoir un contact direct si fort avec leurs victimes), qu’Eichmann discuta avec Victor Brack, le responsable du programme d’euthanasie à la chancellerie du Reich des projets de gazage.

Mi-octobre, encore, Himmler décida la construction d’un centre de mise à mort à Chelmno, à 70 kilomètres à l’ouest de Lodz, où le 7 décembre 1941 commença l’assassinat des Juifs provenant du ghetto de Lodz qui furent tués dans des camions à gaz. Leurs corps furent ensuite enterrés dans la forêt. L’activité meurtrière de Chelmno correspondait à une sorte de phase d’expérimentation et d’installation qui visait à assassiner une partie des Juifs du Warthegau pour faire de la place dans le ghetto de Lodz aux Juifs qui devaient être déportés du Reich. Néanmoins, Chelmno n’avait pas été construit pour assassiner à la vitesse espérée par les bourreaux. Himmler en avait certainement conscience puisque le 13 octobre il évoqua la construction d’un centre plus grand de mise à mort à Belzec, dans la région de Lublin.

Si au tournant de la fin de l’été, début de l’automne 1941 tous ces éléments prouvent que le processus de mise à mort des Juifs dans les territoires occupés était bien en cours, néanmoins nous n’avons pas la preuve qu’un programme global de génocide de tous les Juifs européens avait déjà été mis sur pied.

Il fallut attendre le courant de l’hiver 1941/1942 pour assister à un changement radical, surtout avec l’entrée en guerre des Etats-Unis après l’attaque japonaise à Pearl Harbour le 7 décembre 1941, qui représenta un facteur décisif car la situation se précipita. L’Allemagne entra à ce moment dans une guerre mondiale, revivant le cauchemar d’une guerre totale, encerclée à l’est comme à l’ouest et menacée de disparaître de la carte de l’Europe. Alors face au risque de perdre la guerre, l’Allemagne nazie ne pouvait pas se permettre de perdre la guerre contre les Juifs qui ne riront plus de l’Allemagne (prophétie de Hitler). La « solution finale de la question juive » ne pouvait alors que devenir l’extermination physique du monde juif.

Ce passage d’une intention d’extermination restée jusqu’alors d’ordre général à un plan coordonné de génocide apparaît clairement dans le compte-rendu de la conférence de Wannsee convoquée par Heydrich le 29 novembre 1941 mais reportée au 20 janvier 1942 à cause des événements militaires. Contrairement à ce que l’opinion publique continue à penser, ce ne fut pas lors de la conférence de Wannsee que la décision de la « solution finale » fut prise, nous avons vu que le génocide était déjà en cours en Pologne et dans les territoires soviétiques. En revanche, la réunion servit pour la répartition des compétences et pour que chaque ministère de l’état nazi puisse apporter sa contribution à la mise à mort des Juifs d’Europe.

L’année 1942 marqua à la fois l’apogée de l’Allemagne nazie et le summum du génocide car la moitié des victimes (2,7 millions) fut tuée au cours de ces douze mois. Trois grands centres de mise à mort, des « usines d’abattage humain » furent mis en place dans le territoire du Gouvernement général : à Belzec (17 mars 1942), à Sobibor (mai 1942) et à Treblinka (juillet 1942). Ces trois centres d’assassinat par chambres à gaz seront par la suite appelés « Aktion Reinhardt » à la mémoire de Heydrich, assassiné en mai de cette même année par les résistants thèques.

Dans un premier temps, les corps des victimes furent enterrées dans des fosses communes mais au cours de l’été 1942, Himmler donna l’ordre de rouvrir les fosses, extraire les dépouilles et les brûler, afin d’effacer toute trace du meurtre. Cette opération fut connue sous le nom de code Aktion 1005). La raison de ces mesures venait du fait que les Alliés étaient au courant de l’extermination des Juifs, donc il fallait effacer les preuves du crime et aussi du fait que la décomposition des corps et la chaleur de l’été rendaient la région totalement insalubre et infecte, avec un risque important de contamination qui pouvait toucher l’armée allemande et les équipes des tueurs.

Le cœur de la Shoah se situe autour de ces trois usines de fabrication de cadavres : en 21 mois, de mars 1942 à novembre 1943 lorsque Treblinka ferma son activité, Belzec, Sobibor et Treblinka firent 1,7 million de victimes, en immense majorité des Juifs polonais provenant des ghettos du Gouvernement général, mais aussi quelques convois de Juifs déportés des Pays Bas, de France, de Belgique, de Slovaquie, du Reich et du Protectorat.

En même temps, depuis mars 1942, des gazages de Juifs provenant de Slovaquie et d’Europe occidentale eurent lieu à Auschwitz Birkenau, nommé aussi « Auschwitz II ». Près de la ville polonaise d’Oswiecim, dans les Warthegau donc dans la Pologne annexée, avait été aménagé dès le mois d’octobre 1941, un énorme camp de concentration, ouvert selon les ordres de Himmler pour y emprisonner les prisonniers de guerre soviétiques mais par la suite (dès le printemps 1942) très rapidement transformé en centre de mise à mort pour les Juifs occidentaux. A partir du mois de mars 1943, Birkenau fut équipé d’immenses chambres à gaz et de fours crématoires pouvant tuer et détruire plusieurs milliers de personnes en quelques heures.

Lorsqu’on évoque la Shoah on a tendance à penser que le génocide des Juifs fut commis pendant la durée de la seconde guerre mondiale, c'est-à-dire durant six annéesalors que c’est inexact. L’assassinat de masse de Juifs fut perpétré essentiellement dans un laps de temps beaucoup plus court, 21 mois environ, entre mars 1942 et novembre 1943.

La rapidité et la coordination du plan du génocide sont deux éléments qu’on ne peut pas ignorer si on veut comprendre comment la Shoah a eu lieu. C’est par exemple reconstruire la concomitance des déportations et des massacres : les 16-17 juillet 1942 eurent lieu la rafle du Vel d’Hiv et la déportation des Juifs de France vers Auschwitz, en juillet 1942 fut organisée la déportation des Juifs des Pays-Bas, le 22 juillet commença la « liquidation » du ghetto de Varsovie suite à laquelle les Juifs du ghetto furent transférés et assassinés à Treblinka.

Avec l’Aktion Reinhardt qui se déroula en même temps que les massacres par fusillades des juifs des territoires soviétiques, le génocide connut un changement notoire. Non seulement la technique de mise à mort changea grâce à l’apport des spécialistes du programme T4, dans l’effort de tuer plus vite, à moindre coût, de façon plus coordonnée et psychologiquement moins lourde pour les assassins, mais pour la première fois dans l’histoire les victimes ne furent plus tuées sur place, sur le lieu où on les avait raflées, capturées, enfermées, mais elles étaient acheminées par train ou par camion vers le lieu choisi et équipé par leurs bourreaux pour leur assassinat.

A la fin de l’été 43, le programme pour les territoires sous occupation directe était presque achevé, les installations de Belzec, Treblinka furent alors démantelées. En 1943, l’activité meurtrière d’Auschwitz Birkenau battait son plein avec 4 grands crématoires équipés de chambres à gaz et plusieurs fours pour incinérer les corps des victimes. Auschwitz sera le lieu de mise à mort de la plupart des Juifs déportés de France et d’Italie, mais aussi de Grèce, de Belgique, du Luxembourg, de Norvège, des Pays-Bas et aussi des derniers Juifs polonais, puis de mai à juillet 1944 de la communauté hongroise qui fut la dernière assassinée (437.000 victimes du 15 mai au 9 juillet) avant la fin de la guerre.

En moins de 4 ans, environ 6 millions de Juifs européens trouvèrent la mort sous l’occupation allemande, assassinés dans les centres de mise à mort ou sous les balles des Einsatzgruppen ou encore victimes des conditions effroyables dans les ghettos.

                Pour conclure, plusieurs réflexions s’imposent. Le génocide des Juifs européens ne fut en aucun cas un processus d’extermination qui se serait déroulé de manière quasi automatique ou qui aurait résulté de l’application de la seule décision d’Hitler ou de ses collaborateurs les plus fidèles (P.Longerich). Non seulement l’assassinat de millions de personnes eut besoin d’un contexte particulier comme celui de la guerre et d’une idéologie de haine contre les Juifs qui nourrit les esprits qui pensèrent la Shoah et qui anima les actions des bourreaux, mais le génocide fut l’œuvre de plusieurs organisations, institutions et individus, allemands et européens. Les nazis n’auraient pas pu assassiner 6 millions de personnes en si peu de temps sans l’aide, la collaboration et la participation active de centaines de milliers de complices.

Si Hitler, Himmler et Heydrich pour ne citer que les noms des trois responsables de la Shoah, eurent un rôle central dans la programmation et mise en place du génocide des Juifs, la réalité du pouvoir était beaucoup plus complexe car le système nazi basé sur une polycratie offrait des marges de manœuvre en matière de violence et permit à de nombreux fonctionnaires du parti comme Adolf Eichmann de réussir une belle carrière en prenant s’occupant de la question juive.

Il ne faut pas oublier non plus les implications entre génocide et spoliations qui ne furent pas seulement l’œuvre de la SS mais aussi de la police, de la Wehrmacht et surtout des administrations civiles et des entreprises privées qui profitèrent de la persécution des Juifs pour s’enrichir.

Une complicité énorme qui amplifie le domaine des responsabilités politiques et morales dans le meurtre et qui doit être associée au climat d’indifférence général dans lequel le crime fut perpétré et qui peut se traduire par l’expression de l’historien Ian Kershaw : « La route d'Auschwitz fut construite par la haine mais pavée d'indifférence ».

Roumen AVRAMOV

Persécutions, déportations, sauvetages : l’Etat bulgare face à la Shoah

Texte manquant

Fabrice ROMANET

Enseigner l’histoire de la Shoah : enjeux et approche systémique

                La presse française se fait régulièrement l’écho de la question de l’enseignement de l’histoire de la Shoah au sein de l’Education Nationale. Volumes horaires comprimés, élèves nourris de représentations souvent approximatives, voire fausses, sur la période de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, «dans les collèges et les lycées, en raison de la densité des programmes, les enseignants – de troisième et de première – ne consacrent pas plus de deux heures dans l'année àaborderl'histoire de la Shoah enEurope.(...) Les enseignants français font d'ailleurs leur travail avec dévouement, indépendance et intelligence dans uncontexteparfois difficile. Il faut leurrendre hommage. Cette évolution de la pédagogie est également confirmée dans les musées qui ont placé les faits historiques et non l'émotion au cœur de leur muséographie. [Malgré tout] en 2012, au moment du 70e anniversaire des déportations de l'année 1942, un sondage CSA nous rappelait que 60 % des étudiants de 18 à 24 ans n'avaient jamais entenduparlerdu Vél'd'Hiv »[1]. De plus,  «le discours public laisse à penser que l'on connaît tout sur cette période. Nous sommes abreuvés de Shoah, mais les choses sont mal dites.» Iannis Roder combat ce qu'il appelle «la pédagogie de l'horreur». «En choquant, on paralyse la pensée», poursuit celui qui bannit le film Nuit et Brouillard pourtant souvent diffusé en classe de troisième ainsi que «les pèlerinages doloristes àAuschwitz». D'aucuns estiment même que ces voyages pensés comme des vaccins antiracistes sont un ratage complet. «Il faut entrer dans cette question par le nazisme, par la politique. Si les souffrances ne peuvent être comparées, les systèmes politiques peuvent l'être», résume l'enseignant qui entend ainsi couper court aux interrogations communautaristes classiques formulées par certains élèves.»[2]

Il apparait donc indispensable de favoriser une approche didactique et pédagogique, ancrée dans une dynamique scientifique rigoureuse et actualisée, afin  d’enseigner l’histoire de la Shoah dans une démarche résolument historique avec nos élèves. Aussi convient-il de réfléchir aux postures indispensables  que l’enseignant se doit d’adopter, de privilégier une entrée par la politique, par l’analyse de l’idéologie ayant abouti au déclenchement d’un tel crime de masse, qualifié de génocide, tout en se plaçant dans une analyse systémique identifiant les différentes étapes ayant conduit à l’assassinat de six millions de Juifs en Europe et la volonté d’effacement de leur culture. Cette approche, qui doit se soustraire de l’émotion, est à mener  à partir d’un travail sur des sources (documents historiques) dont l’analyse met en lumière la logique du processus génocidaire et qui est l’occasion de bâtir un véritable récit historique scientifique avec les élèves.

1-       Des postures indispensables pour enseigner l’histoire de la Shoah

2-       Entrer par la politique et l’idéologie pour saisir les mécanismes ayant entrainé le déclenchement d’un tel crime de masse :

Ø  En prenant soin de définir avec les élèves ce que recouvre la notion génocide.

Ø  En analysant les fondements et les principes de  l’idéologie nazie

3-       Bâtir progressivement une séquence de cours dans une dynamique systémique

                L’enseignant, amenant ses élèves à réfléchir à partir d’un corpus de sources justement sélectionnées, peut  alors aboutir à  l’élaboration d’un récit historique contextualisé mettant en avant les logiques successives de stigmatisation, de spoliation, d’exclusion/expulsion jusqu’à la décision de la mise à mort systématique afin de comprendre les mécanismes ayant entrainé, ce que Raoul Hilberg a nommé, la «  destruction des Juifs d’Europe ».

Travailler dans une démarche historique rigoureuse, porter un regard scientifique sur les événements  caractérisés  par l’emploi de mots justes, tels sont  aujourd’hui les enjeux majeurs de l’enseignement de l’histoire de la Shoah.

Bibliographie indicative et non exhaustive

          Sur l’histoire de  la Shoah

1.       Etudes générales

FRIEDLÄNDER Saul, L’Allemagne nazie et les Juifs, Les années de persécution (tome 1), Les années d’extermination (tome2), Seuil, 1997, 2008.

HILBERG Raul, La Destruction des Juifs d'Europe, Fayard, 1988, repris en Gallimard-Folio Histoire,  2 volumes (1° édition américaine 1961, dernière édition américaine remaniée, 1985)

2. Sur le basculement dans le génocide

BURRIN Philippe, Hitler et les Juifs, Genèse d’un génocide, Points Seuil,  réed. 1995

3. Sur les déportations

BRUTTMANN Tal, JOLY Laurent, WIEWORKA Annette (dir.), Qu’est-ce qu’un déporté ?, CNRS éditions, 2009

4. Sur la spoliation des biens des juifs

BRUTTMANN Tal (sous la direction de), La spoliation des Juifs, une politique d’Etat (1940,1944), Memorial de la Shoah, 2013

5. Sur les tueries à l’est

BROWNING Christopher, Des hommes ordinaires. Le 101° bataillon de réserve de la police allemande et la “Solution finale” en Pologne, Les Belles Lettres, 1994, (réédité en format poche)

          Sur l’idéologie nazie

  CHAPOUTOT Johann, Le nazisme. Une idéologie en actes, Documentation photographique n° 8085

INGRAO Christian, Croire et détruire, Les intellectuels dans la machine de guerre SS, Fayard 2010.

KLEMPERER Victor, LTI. La Langue du III° Reich,  Albin Michel, 1996, dernière édition allemande, 1975 (réédition Presses Pocket, collection Agora)

KLEMPERER Victor, Journal (Un témoignage capital sur l'Allemagne hitlérienne au jour le jour)

Tome 1. Mes Soldats de papier 1933-1941 Tome 2. Je veux témoigner jusqu'au bout 1942-1945, éd. du Seuil, 2000

KERSHAW I. , Qu'est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d’interprétation, Gallimard, Folio-Histoire 1992 (1° éd anglaise 1985)

MOSSE George L. , Les racines intellectuelles du Troisième Reich, La crise de l’idéologie allemande, 1ère édition 1964, Mémorial de la Shoah / Calmann-Lévy, Paris, 2006.

Barbara MELLUL

Comment enseigner l’histoire de la Shoah à de jeunes enfants ?

Le Mémorial de la Shoah a créé un site d’introduction  à l’histoire de la Shoah : www.legrenierdesarah.org , destiné spécifiquement aux enfants de 8 à 12 ans dans le respect de la sensibilité des jeunes visiteurs.

A travers la présentation de ce site, il s’agit de montrer aux enseignants les postulats à adopter pour enseigner cette histoire et leur suggérer quelques approches pluridisciplinaires.

Traduit en anglais, espagnol, allemand et polonais, il peut être utilisé dans les classes comme support pédagogique mais ne se substitue en aucune façon au cours d’histoire.

En effet, nous partons du principe que la dimension émotionnelle de l’enseignement de l’histoire de la Shoah doit être dépassée et transformée en apprentissages solides.

MShoah_Grenier_Accueil 


 Enseigner l’histoire

Il faut donc enseigner l’histoire et bien clarifier les objectifs des activités proposées aux enfants.

Dans la rubrique « En noir et blanc », neufs parcours témoignent de la vie quotidienne des Juifs pendant la guerre. Chaque récit permet d’aborder une étape de la politique allemande.

La chronologie et le processus historique doivent être mis en exergue et problématisés de manière à montrer la rapidité et la concomitance du crime.

Tout au long des parcours, des documents d’archives et des définitions sont mis à disposition des navigateurs et peuvent être imprimés.

L’espace enseignant propose des pistes d’activités afin de questionner les sources et d’exercer le regard critique des enfants.


·                Le refus de la pédagogie de l’horreur et la mise à distance de l’émotion

Un des principes fondamentaux du Mémorial de la Shoah est le « refus de la pédagogie de l’horreur ».

Une approche pluridisciplinaire permet d’aborder des sujets difficiles comme cette interrogation en image sur l’exil du peintre Felix Nussbaum.

La peinture, la littérature, la musique laissent aux enfants un espace de liberté et leur offrent la possibilité d’interpréter, de réagir et s’exprimer avec leurs propres mots et affects.

 

Felix Nussbaum, MAHJ, Skira Flammarion, Paris, 2010

·                Nuancer et complexifier

En évitant toute simplification, il est aussi recommandé d’apprendre aux enfants à nuancer.

Aborder, par exemple, la thématique des Justes, permet de mettre en avant les conditions extérieures qui ont favorisé le sauvetage.

Enfin, l’histoire des Juifs n’est pas qu’une longue histoire de persécutions. Il faut se garder d’essentialiser les juifs comme victimes.

La rubrique du site «  Il était une fois» donne ainsi, un aperçu de la diversité des cultures juives à travers les contes et font entendre, avec un brin d’humour, les différences idiomatiques dans « Des mots à l’oreille » en yiddish, judéo arabe et judéo espagnol  .

Cet outil informatique permet d’entrevoir la manière dont les enseignants, en France, s’adresse aux plus petits.

Une démarche identique peut-être suivie par les professeurs bulgares en s’appuyant sur l’histoire locale.

Afin de présenter aux enfants des documents originaux susceptibles d’éveiller leur curiosité, il serait peut-être intéressant d’approfondir les connaissances sur le judaïsme bulgare et de suivre l’actualité artistique du moment en s’adressant, par exemple, aux responsables des Archives Nationales, du Musée juif de Sofia et de l’Institut Culturel français.


BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

Histoire

Georges BENSOUSSAN, Histoire de la Shoah, PUF, Que sais-je ?, Paris, 2012Georges BENSOUSSAN, Jean-Marc DREYFUS, Edouard HUSSON, Joël KOTEK (Dir.), Dictionnaire de la Shoah, Larousse, Paris, 2009Antoine GERMA, Benjamin LELLOUCH et Evelyne PATLAGEAN (Dir.), Les Juifs dans l’Histoire, les classiques de Champ Vallon, Seyssel, 2011

Katy HAZAN, avec la participation de Serge KLARSFELD, Le Sauvetage des enfants juifs pendant l’Occupation dans les maisons de l’OSE 1938-1945, Somogy Editions d’Art, Paris, 2003

Jacques  SEMELIN, Claire ANDRIEU, Sarah GENSBURGER (dir.), La Résistance aux génocides. De la pluralité des actes de sauvetage, Presses de Sciences Po, Paris, 2008

Annette WIEVIORKA,  Auschwitz expliqué à ma fille, Seuil, Paris, 1999

Témoignages

Hélène BERR, Journal, Points, Paris, 2009

Sous la direction de Jean-Pierre GUENO, Paroles d’étoiles. Mémoire d’enfants cachés 1939-1945, Librio, Radio France, Paris, 2002

Littérature

Amir Gutfreund, Les gens indispensables ne meurent jamais, Gallimard, Folio, Paris, 2009

Yvan JABLONKA, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus, Seuil, Paris, 2012

Leïb Rochman, A pas aveugles de par le monde, Denoël, Folio, Paris, 2013

Littérature Jeunesse

Isaac BASHEVIS-SINGER, Le Monde est un grand Chelm, Paris, Hachette, 1994

Didier DAENINCKX, PEF, Les Trois secrets d’Alexandra, t.1 : Il faut désobéir, Rue du Monde, Paris, 2002

Yaël HASSAN, Le Professeur de musique, Casterman, Paris, 2006

Rachel HAUSFATER, Olivier LATYK, Le Petit garçon étoile, Casterman, Paris, 2003

Ben ZIMET, La Princesse perdue et autres contes yiddish, Syros, Paris, 2003


Catalogues

Friedl DICKER-BRANDEIS, Vienne 1898 – Auschwitz 1944, MAHJ, Somogy Editions d’Art, Simon Wiesenthal Center, Paris, 2000

Felix Nussbaum, MAHJ, Skira Flammarion, Paris, 2010

Charlotte Salomon, Vie ?ou Théâtre ?, (Prestel, Munich, 2004) Rééd. Paris :  MAHJ, 2005

Roman VISHNIAC, Un Monde disparu (1947), Rééd. Paris : Le Seuil, 1997

Films

Le Vieil Homme et l’enfant, Claude Berri, France, 1967

Un Sac de billes, Jacques Doillon, France, 1974

Au Revoir les enfants, Louis Malle, France, 1987

Disques

The Well, the Klezmatics, Xenophile Records, 1998

Ghetto-Blaster, Socalled, Label Bleu, 2006

Ashes and dust, Yehuda Poliker, CBS Records, 1988

Sites web

www.grenierdesarah.org

www.enseigner-histoire-shoah.org

http://www.histoire-immigration.fr/des-dossiers-thematiques-sur-l-histoire-de-l-immigration/juifs-d-europe-orientale-et-centrale

Ophir LEVY

Cinéma et Shoah

Dans le cadre des cours d’histoire, l’utilisation de supports vidéo (documentaires, films de fiction, témoignages, CD-Rom) est devenue monnaie courante. Or, lorsqu’il s’agit d’évoquer des thèmes tels que la déportation au sein du système concentrationnaire nazi et le génocide des Juifs d’Europe, l’usage des images appelle de multiples précautions. Celles-ci tiennent à la fois à la nature particulière de l’événement, aux multiples confusions qui lui sont attachées et à l’impact des images.  

« Représenter » la Shoah : une difficulté fondamentale

Tout d’abord, si l’on prend en compte la singularité de la « Solution finale », il faut d’emblée souligner que l’entreprise de mise à mort des Juifs s’est doublée d’une volonté radicale de disparition (des cadavres, des chambres à gaz, des sites d’extermination, des archives). Si bien que le cinéma se trouve face à un défi quasi insurmontable : que filmer lorsqu’il n’y a plus rien à voir et que peut le cinéma lorsque, précisément, l’événement que l’on cherche à rendre sensible se caractérise par l’effacement des traces ?

Afin d’appréhender cette question, nous suggérons d’utiliser la séquence du film Shoah (1985) de Claude Lanzmann tournée sur le site de l’ancien centre de mise à mort de Sobibor.

 

Les confusions fréquentes : camps de concentration et génocide des Juifs

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les images tournées par les Alliées lors de l’ouverture des camps de concentration de l’Ouest ont fait le tour du monde et n’ont cessé d’être réemployées dans de multiples documentaires. Au point d’être devenues aux yeux du grand public, de manière tout à fait erronée, des images du génocide. Or, 90% des victimes juives durant la Seconde Guerre mondiale ne sont pas passées par le système concentrationnaire et les monceaux de cadavres qui envahissent les images d’archives n’ont pas de lien direct avec la « Solution finale ». D’où la difficulté de montrer de telles images lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la Shoah.

Il peut être intéressant de travailler à partir des archives des actualités cinématographiques qui furent diffusées dans le pays des élèves au printemps 1945. Qu’est-ce qui, au lendemain de la guerre, est dit, montré, passé sous silence concernant les crimes nazis ? Et pourquoi ?

Des images traumatiques : l’importance de la parole

Par ailleurs, outre le fait qu’elles soient inappropriées, il est impossible de mesurer quel sera l’impact de ces images d’effroi sur les plus jeunes élèves (les collégiens notamment). C’est pourquoi elles nous semblent bien plus porteuses de confusion que d’intelligibilité. Mais de toute façon, que l’on fasse usage de ces images ou de quelques autres que ce soit, il est absolument primordial que l’enseignant s’en serve avant tout comme le support d’une authentique discussion avec les élèves (et non simplement comme la plate illustration d’un point précis de son cours). Le dialogue permet aux élèves d’évacuer la charge émotionnelle des images en formulant ce qu’ils ont pu ressentir par des mots (ou grâce aux mots de leurs camarades). Il permet également aux enseignants de repérer les points d’incompréhension, les stéréotypes et les fantasmes qui persistent dans l’esprit de ses élèves. 

À cet égard, le documentaire Nuit et Brouillard (1956) d’Alain Resnais, qui comporte de nombreuses images insoutenables, permet cependant de s’interroger sur l’évolution de la mémoire de la déportation depuis la fin de la guerre en tenant compte des confusions, des représentations dominantes et des enjeux politiques des époques successives.

Fiction vs. Documentaire : un clivage peu pertinent

La position de principe selon laquelle il serait préférable, pour évoquer le thème de la persécution des Juifs de d’Europe, d’employer des images documentaires plutôt que fictionnelles n’est pas nécessairement fondée. Il existe des images d’archive qui sont en vérité mensongères (par exemple celles tournées par les Soviétiques lors de la prétendue libération d’Auschwitz, plusieurs semaines après l’ouverture du camp), des documentaires qui sont soigneusement mis en scène (pour certains témoignages de Shoah, Claude Lanzmann a loué un salon de coiffure ou une locomotive afin d’y filmer ses interlocuteurs), et des fictions qui atteignent des zones de vérité inaccessibles par d’autres moyens.

La séquence d’ouverture de M. Klein (1976) de Joseph Losey permet ainsi de saisir la dimension déshumanisante, clinique, pseudo-scientifique des théories raciales nazies et du regard qu’ils portaient sur les Juifs.

Conclusion : réintroduire de la distance

                Il est très important, lorsque l’on fait usage d’images dans le cadre d’un cours d’histoire (a fortiori sur la Shoah), de les analyser en tant qu’images : c’est-à-dire en tant qu’elles sont le produit d’une fabrication qui est le produit d’une époque donnée, d’un contexte idéologique et du savoir historique disponible à cette époque. Les images, même d’archive, ne sont jamais la présentation directe de la réalité mais toujours un certain point de vue porté sur cette réalité. C’est pourquoi tout film sur la Shoah nous en dit au moins autant sur la période qu’il décrit que sur celle à laquelle il a été tourné.

Ophir LEVY

[email protected]
Bibliography

·         DIDI-HUBERMAN Georges, Images in Spite of All: Four Photographs from Auschwitz (2003), University of Chicago Press, 2012.

·         DONESON Judith E., The Holocaust in American Film, New York, Syracuse University Press, 2001.

·         FRIEDLANDER Saül, Reflections of Nazism: An Essay on Kitsch and Death, Indiana University Press, 1984.

- Probing the Limits of Representation. Nazism and the « Final Solution », Cambridge, Harvard University Press, 1992.

·         FRODON Jean-Michel (ed.), Cinema and the Shoah: An Art Confronts the Tragedy of the Twentieth Century, Albany, State University of New York, 2010.

·         INSDORF Annette, Indelible Shadows: Film and the Holocaust (1982), Cambridge University Press, 2002.

·         LIEBMAN Stuart, Claude Lanzmann’s Shoah: Key Essays, Oxford University Press, 2007.

·         LINDEPERG Sylvie, Nuit et Brouillard. Un film dans l’histoire, Paris, Odile Jacob, 2006.

-          La Voie des images, Paris, Verdier, 2013.

·         SHANDLER Jeffrey, While America watches : Televising the Holocaust, New York, Oxford University Press, 1999.

·         ZELIZER Barbie, Remembering to Forget. Holocaust Memory Through the Camera’s Eye, Chicago, Londres, The University of Chicago Press, 1998.


Filmography

Nazi Concentration Camps, Ray Kellogg (1945, USA, doc, 59 min.)

Les Insoumis,  Marc Donskoï (1945, USSR, fiction, 94 min.)

The Stranger, Orson Welles (1946, USA, fiction, 96 min.)

The Last Stage,  Wanda Jakubowska (1948, Poland, fiction, 111 min.)

Night and Fog, Alain Resnais (1956, France, doc., 32 min.)*

Kapo, Gillo Pontecorvo (1959, Italy, fiction, 115 min.)

Enclosure, Armand Gatti (1961, France/Yugoslavia, fiction, 99 min.)

Passenger, Andrzej Munk (1961, Poland, fiction, 60 min.)

The Shop on Main Street, Jan Kadar & Elmar Klos (1965, Czechoslovakia, fiction, 125 min.)

The Sorrow and the Pity, Marcel Ophuls (1969, France, doc., 270 min.)*

The Night Porter, Liliana Cavani (1974, Italy, fiction, 115 min.)

Black Thursday (Les Guichets du Louvre), Michel Mitrani (1974, France, fiction, 92 min.)*

Jacob the Liar, Frank Beyer (1975, East Germany, fiction, 96 min.)*

Mr Klein de Joseph Losey (1976, France, fiction, 123 min.)*

Holocaust, Marvin Chomski (1978, USA, TV, 414 min.)

Shoah, Claude Lanzmann (1985, France, doc., 566 min.)*

Schindler’s List, Steven Spielberg (1994, USA, fiction, 195 min.)

Drancy Avenir, Arnaud des Pallières (1996, France, essai, 84 min.)

Life is Beautiful, Roberto Benigni (1997, Italy, fiction, 116 min.)

A Visitor from the Living, Claude Lanzmann (1997, France, doc., 64 min.)

The Specialist, Eyal Sivan (1999, France, doc., 123 min.)

Voyages d’Emmanuel Finkiel (1999, France, fiction, 115 min.)

Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures de Claude Lanzmann (2001, France, doc., 95 min.)*

The Pianist, Roman Polanski (2002, France/Poland, fiction, 148 min.)*

Amen de Costa Gavras (2002, France, fiction, 132 min.)

The Last Letter, Frederick Wiseman (2002, France, fiction, 60 min.)

The Black Book, Paul Verhoeven (2006, Netherlands, fiction, 145 min.)

Charlotte LE PROVOST

Enseigner la Shoah sur les lieux de Mémoire : la préparation d’une visite scolaire d’Auschwitz-Birkenau

Depuis dix ans, Le Mémorial de la Shoah coordonne le programme des voyages d’étude à Auschwitz initié par la

Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Ce programme, codirigé et cofinancé avec des partenaires publics, Conseils régionaux et Rectorats, n’est pas un programme de voyage de mémoire mais bien un programme visant à étudier et enseigner la Shoah directement sur un des lieux de l’assassinat des Juifs d’Europe.
Ce programme se déroule en 3 phases : la préparation assurée par le professeur avec l’accompagnement d’un coordinateur du Mémorial, le voyage sur une journée, enfin l’approfondissement des connaissances et ses restitutions prenant différentes formes en fonction du projet présenté par les professeurs en début d’année scolaire.
Ce programme concerne environ 950 élèves et professeurs de lycée par an. Les élèves sont issues de classes de 1ère et Terminale et sont en moyenne âgés de 16 à 18 ans.
La pertinence de ces voyages reste une interrogation constante.
Quels apports représentent-ils ? Une préparation est-elle nécessaire ? et comment doit-elle être faite ?

L’histoire d’Auschwitz occupe une place prépondérante dans l’enseignement de la Shoah en France. Ce complexe est devenu le symbole des crimes nazis et l’assassinat des Juifs d’Europe. Ces observations découlent de deux choses : tout d’abord, parce qu’il était à la fois le plus grand camp de concentration du système concentrationnaire nazi ; ensuite, parce qu’il était le plus grand centre de mise à mort.
Pour la France, il était le principal lieu de déportation des Juifs de France. En effet, 69000 des 76000 Juifs déportés de France sont partis à Auschwitz.
Son organisation mixte avec un espace concentrationnaire et un lieu d’assassinat a également comme conséquence l’existence de survivants en 1945 et donc de témoignages.
Cette parole, notamment dans les années 90 contribue à la focalisation sur l’histoire d’Auschwitz au détriment de la connaissance des autres centres de mise à mort et à l’attention portée sur les vivants effaçant le parcours majoritaire vers la mort immédiate.
C’est pourquoi, le déplacement dans ces lieux nécessite une préparation importante portant sur les fondements du Nazisme, l’antisémitisme et la spécificité du traitement des populations juives qui en découlent. Le site d’Auschwitz étant un vaste champ de ruines, il est également utile d’insister en amont sur l’organisation du camp et sur le fait que la majorité des déportés étaient tués immédiatement à leur arrivée.
Sur place les guides du musée et les accompagnateurs-historiens du Mémorial conduisent les groupes en distinguant à chaque instant les trajectoires de la majorité des victimes et la minorité, qui représentait entre 10 et 20% des convois, sélectionnée pour travailler.
Pour conclure, le voyage ne se substitue pas au cours et la préparation est obligatoire pour que les apports d’un tel déplacement soient pleinement exploités et exploitables.
Une restitution des connaissances emmagasinées est utile pour des bénéfices à long terme.
Nous mettons en ligne sur le site internet du mémorial de la Shoah certaines restitutions réalisées par les classes :
www.memorialdelashoah.org rubrique Formation/Pédagogie/Activités pour le secondaire/voyages d’étude à Auschwitz
Vous pouvez également me recontacter par mail :
[email protected]

Francine MAYRAN

Utilisation de l’art dans la transmission de la mémoire de l’Holocauste

C’est un travail de mémoire intitulé « Témoigner de ces vies » qui s’est construit en trois phases depuis 2008

Et je décidai alors consciemment de continuer à peindre la Shoah à partir des photos de déportés, de photos d’archives. Ainsi aucune de ces toiles n’est née de l’imaginaire, parce les drames dont les nazis furent responsables n’étaient pas imaginaires, c’était une réalité qu’on ne peut nier. Là mon objectif a été de connecter des photos, traces historiques du passé, de me remplir la tète de témoignages lus et écoutés sur le net. Et c’est remplie de ces messages, de ces histoires personnelles, de ces difficultés de vivre ou de ces volontés de survivre que je me mettais à peindre. C’est alors comme un moment d’identification, selon le mot allemand « miterleben » / « vivre avec », c’est par une sympathie identifiante avec le rescapé que je transfigurais l’image et le témoignage et les reliais par une création personnelle picturale, comme dans un lien de descendance

ü  Mais peindre la shoah n’est pas pour moi chose facile. Je ressentais en moi des souffrances, celles des déportés, celles des rescapés. Il n'était pas non plus facile de faire face au malaise que le sujet de la déportation génère chez le public ou les interlocuteurs qui souvent m’interpellent. Pourquoi peindre la Shoah? A-t-on le droit de peindre la Shoah? A-t-on le droit de peindre la Shoah alors qu'on ne l'a pas soi-même vécu? C'est une peinture qui gène, c'est une peinture qui dérange.

C’est dans cet objectif que s’est construit une exposition qui parcourt depuis 2008 un chemin de mémoire européen. reliant des lieux du mémoire à des lieux tournés vers l’avenir, tout en s’enrichissant de nouvelles toiles tout au long du parcours : comme le camp du Struthof, le mémorial d'Alsace-Moselle, le Conseil régional d’Alsace, le mémorial du camp de Royallieu à Compiègne, le centre mondial de la paix à Verdun, à Luxembourg l’ancienne gare de déportation Hollerich, en Belgique le fort de Breendonk ou la gare de Boortmeerbeek ou encore divers colloques du Conseil de l'Europe (Albanie, Grèce, Bulgarie, Londres à la réunion plénière de l’IHRA).

Par ces oeuvres, des peintures, des céramiques et des textes, je souhaite qu’un écho d’humanité résonne et se propage tout le long du parcours d'un site à l’autre, symbolisant ainsi une mémoire vive, perpétuée, tissée entre les différents lieux et différents pays.

Alors que disparaissent les derniers témoins directs, il faut trouver de nouveaux moyens de transmission pour prendre le relais de leur parole, l’art au service de la mémoire et de l’histoire en est un.

C’est dans ce but que je cherche à collaborer avec les enseignants, en échangeant par mail photos, témoignages et photos des toiles qui sont des prétextes pour transmettre des faits historiques, voire transmettre les textes accompagnant les toiles sur lesquels ils peuvent travailler ainsi qu’un petit film qui présente à la fois les toiles, leur message et les lieux de mémoire ou elles sont passées.

C’est dans ce cet objectif de transmission que j’interviens dans des formations à la mémoire pour enseignants européens mises en place par le Conseil de l’Europe.

Plusieurs thèmes en rapport avec la Shoah et les autres génocides sont abordés au travers de mes oeuvres.

Des toiles qui s’adressent à l’élève qui, devient alors lui-même, le témoin du destin collectif de ces individus.

Des toiles qui symbolisent la perte d’individualité et la désignation d’un groupe. Des foules en partance, des déportations, des arrestations collectives, des victimes désignées, sans visage, l‘individu déjà anonyme avalé par le groupe, englouti par son destin.

Des toiles qui renvoient à l’absence :L’absence de témoins, l’absence de réactions des populations qui assistent impuissantes, l’absence de repères dans le paysage environnant.

en représentant des groupes de déportés sans visage, qu’on a voulu déshumaniser.

et en représentant par des chiffres le système de déshumanisation qui symbolisent les matricules qui remplacent les noms. Il s’agit aussi là pour moi de revenir à la dimension humaine de l’Holocauste que l’anonymat des chiffres rend abstrait

Ces toiles ont été réalisées pour illustrer des fiches pédagogiques sur les différents groupes de victimes du nazisme pour l’enseignement de la mémoire au niveau Européen.

Ce sont des barbelés et des suites de chiffres, symbolisant l’inhumanité et la barbarie qui se poursuivent en suivant une courbe d’une toile à l’autre, pour former une seule oeuvre, pour ainsi associer toutes les mémoires.

Ces toiles sont aussi prétexte à parler aux élèves des destins spécifiques et particulier de chaque groupe de victime du nazisme.

la musique au rôle protecteur qui a permis à certains d’échapper à la mort,

mais la musique à fonction d’accompagnement du système concentrationnaire,

cela permet aussi de questionner le rôle de la culture qui ne protège pas de la barbarie

pour sortir les victimes de l’anonymat, leur redonner un nom, un visage et leur humanité, pour s’opposer à la volonté des nazis de déshumaniser des survivants aujourd'hui, ainsi que des descendants, des survivants juifs, tsiganes, homosexuels, résistants… des déportés connus médiatiquement, d'autres témoignant dans les écoles, d'autres anonymes. Tous survivants d'une expérience indélébile.

Ces portraits questionnent la résilience et le vivre avec les traces et leur transmission ces traces indélébiles de la deshumanisation chez les rescapés, ces traces indélébiles chez les descendants des non-dits, des silences et des trous dans les chaines de la descendance, mais aussi ces traces que l’humanité doit garder de la capacité à la barbarie d’un homme civilisé,

- Des suites de chiffres mécaniquement tracées à l'aide de pochoirs, renvoyant aux traces de la Shoah, comme la mécanisation inhumaine du système concentrationnaire.

- Mais à la dureté du béton et à l'anonymat d'une numérotation s'oppose la chaleur d'un visage humain.

- J'ai voulu représenter l'humain plus fort que l’inhumain, l’échec de la volonté de deshumanisation qui n'est pas parvenue à annihiler l'humanité de chaque déporté, de chaque rescapé

Ces portraits accompagnés de textes transmettent aussi l’exemple de certains hommes qui eurent la capacité de s’appuyer sur leur vécu traumatique de déshumanisation pour faire le bien.

·       Des portraits de Justes (consuls, hommes du peuple, français, albanais, polonais, bulgares, chrétiens religieux, musulmans…), ces hommes qui ont fait preuve d’héroïsme, de générosité et de résistance, ou simplement d’actes humains, eux qui peuvent transmettre le message essentiel du respect de l’autre (quelle que soit sa religion, sa culture) et renvoyer aux élèves que n’importe qui est capable d’humanité, que tout homme est capable de refuser l’indifférence et que parfois des touts petits gestes suffisent.

·       Des toiles sur les autres génocides: Tutsi, Arméniens pour réfléchir à la répétition de l’histoire, au danger de l’oubli et à l’absolu nécessité de réveiller les consciences

Ce chemin de mémoire se doit de continuer pour sensibiliser et réfléchir au danger de l’intolérance, de l’indifférence et de la soumission passive à une idéologie, et au rôle que chacun peut prendre face au drame d’un génocide.

Pour contrer le mal et le danger il faut unir nos forces et c'est ce que je vous propose, vous pourrez me demander de vous transmettre des reproductions de toiles que vous choisirez sur mon site, selon l’objectif que vous décidez d’aborder avec vos élèves.

Quant à moi, je me propose de peindre des photos que vous me transmettrez des portraits de Justes ou de victimes de votre pays, de votre région ou des photos des déportations, que je peindrais et vous transmettrais et qui permettront que soient transmises de nouvelles histoires individuelles et collectives dans les lieux où l’exposition fera de nouvelles haltes vous me transmettez d'autres, dans le but d’unir les mémoires et de les renforcer.

Francine MAYRAN

Utilisation de l’art dans la transmission de la mémoire de l’Holocauste

C’est un travail de mémoire intitulé « Témoigner de ces vies » qui s’est construit en trois phases depuis 2008

Et je décidai alors consciemment de continuer à peindre la Shoah à partir des photos de déportés, de photos d’archives. Ainsi aucune de ces toiles n’est née de l’imaginaire, parce les drames dont les nazis furent responsables n’étaient pas imaginaires, c’était une réalité qu’on ne peut nier. Là mon objectif a été de connecter des photos, traces historiques du passé, de me remplir la tète de témoignages lus et écoutés sur le net. Et c’est remplie de ces messages, de ces histoires personnelles, de ces difficultés de vivre ou de ces volontés de survivre que je me mettais à peindre. C’est alors comme un moment d’identification, selon le mot allemand « miterleben » / « vivre avec », c’est par une sympathie identifiante avec le rescapé que je transfigurais l’image et le témoignage et les reliais par une création personnelle picturale, comme dans un lien de descendance

ü  Mais peindre la shoah n’est pas pour moi chose facile. Je ressentais en moi des souffrances, celles des déportés, celles des rescapés. Il n'était pas non plus facile de faire face au malaise que le sujet de la déportation génère chez le public ou les interlocuteurs qui souvent m’interpellent. Pourquoi peindre la Shoah? A-t-on le droit de peindre la Shoah? A-t-on le droit de peindre la Shoah alors qu'on ne l'a pas soi-même vécu? C'est une peinture qui gène, c'est une peinture qui dérange.

C’est dans cet objectif que s’est construit une exposition qui parcourt depuis 2008 un chemin de mémoire européen. reliant des lieux du mémoire à des lieux tournés vers l’avenir, tout en s’enrichissant de nouvelles toiles tout au long du parcours : comme le camp du Struthof, le mémorial d'Alsace-Moselle, le Conseil régional d’Alsace, le mémorial du camp de Royallieu à Compiègne, le centre mondial de la paix à Verdun, à Luxembourg l’ancienne gare de déportation Hollerich, en Belgique le fort de Breendonk ou la gare de Boortmeerbeek ou encore divers colloques du Conseil de l'Europe (Albanie, Grèce, Bulgarie, Londres à la réunion plénière de l’IHRA).

Par ces oeuvres, des peintures, des céramiques et des textes, je souhaite qu’un écho d’humanité résonne et se propage tout le long du parcours d'un site à l’autre, symbolisant ainsi une mémoire vive, perpétuée, tissée entre les différents lieux et différents pays.

Alors que disparaissent les derniers témoins directs, il faut trouver de nouveaux moyens de transmission pour prendre le relais de leur parole, l’art au service de la mémoire et de l’histoire en est un.

C’est dans ce but que je cherche à collaborer avec les enseignants, en échangeant par mail photos, témoignages et photos des toiles qui sont des prétextes pour transmettre des faits historiques, voire transmettre les textes accompagnant les toiles sur lesquels ils peuvent travailler ainsi qu’un petit film qui présente à la fois les toiles, leur message et les lieux de mémoire ou elles sont passées.

C’est dans ce cet objectif de transmission que j’interviens dans des formations à la mémoire pour enseignants européens mises en place par le Conseil de l’Europe.

Plusieurs thèmes en rapport avec la Shoah et les autres génocides sont abordés au travers de mes oeuvres.

Des toiles qui s’adressent à l’élève qui, devient alors lui-même, le témoin du destin collectif de ces individus.

Des toiles qui symbolisent la perte d’individualité et la désignation d’un groupe. Des foules en partance, des déportations, des arrestations collectives, des victimes désignées, sans visage, l‘individu déjà anonyme avalé par le groupe, englouti par son destin.

Des toiles qui renvoient à l’absence :L’absence de témoins, l’absence de réactions des populations qui assistent impuissantes, l’absence de repères dans le paysage environnant.

en représentant des groupes de déportés sans visage, qu’on a voulu déshumaniser.

et en représentant par des chiffres le système de déshumanisation qui symbolisent les matricules qui remplacent les noms. Il s’agit aussi là pour moi de revenir à la dimension humaine de l’Holocauste que l’anonymat des chiffres rend abstrait

Ces toiles ont été réalisées pour illustrer des fiches pédagogiques sur les différents groupes de victimes du nazisme pour l’enseignement de la mémoire au niveau Européen.

Ce sont des barbelés et des suites de chiffres, symbolisant l’inhumanité et la barbarie qui se poursuivent en suivant une courbe d’une toile à l’autre, pour former une seule oeuvre, pour ainsi associer toutes les mémoires.

Ces toiles sont aussi prétexte à parler aux élèves des destins spécifiques et particulier de chaque groupe de victime du nazisme.

la musique au rôle protecteur qui a permis à certains d’échapper à la mort,

mais la musique à fonction d’accompagnement du système concentrationnaire,

cela permet aussi de questionner le rôle de la culture qui ne protège pas de la barbarie

pour sortir les victimes de l’anonymat, leur redonner un nom, un visage et leur humanité, pour s’opposer à la volonté des nazis de déshumaniser des survivants aujourd'hui, ainsi que des descendants, des survivants juifs, tsiganes, homosexuels, résistants… des déportés connus médiatiquement, d'autres témoignant dans les écoles, d'autres anonymes. Tous survivants d'une expérience indélébile.

Ces portraits questionnent la résilience et le vivre avec les traces et leur transmission ces traces indélébiles de la deshumanisation chez les rescapés, ces traces indélébiles chez les descendants des non-dits, des silences et des trous dans les chaines de la descendance, mais aussi ces traces que l’humanité doit garder de la capacité à la barbarie d’un homme civilisé,

- Des suites de chiffres mécaniquement tracées à l'aide de pochoirs, renvoyant aux traces de la Shoah, comme la mécanisation inhumaine du système concentrationnaire.

- Mais à la dureté du béton et à l'anonymat d'une numérotation s'oppose la chaleur d'un visage humain.

- J'ai voulu représenter l'humain plus fort que l’inhumain, l’échec de la volonté de deshumanisation qui n'est pas parvenue à annihiler l'humanité de chaque déporté, de chaque rescapé

Ces portraits accompagnés de textes transmettent aussi l’exemple de certains hommes qui eurent la capacité de s’appuyer sur leur vécu traumatique de déshumanisation pour faire le bien.

·       Des portraits de Justes (consuls, hommes du peuple, français, albanais, polonais, bulgares, chrétiens religieux, musulmans…), ces hommes qui ont fait preuve d’héroïsme, de générosité et de résistance, ou simplement d’actes humains, eux qui peuvent transmettre le message essentiel du respect de l’autre (quelle que soit sa religion, sa culture) et renvoyer aux élèves que n’importe qui est capable d’humanité, que tout homme est capable de refuser l’indifférence et que parfois des touts petits gestes suffisent.

·       Des toiles sur les autres génocides: Tutsi, Arméniens pour réfléchir à la répétition de l’histoire, au danger de l’oubli et à l’absolu nécessité de réveiller les consciences

Ce chemin de mémoire se doit de continuer pour sensibiliser et réfléchir au danger de l’intolérance, de l’indifférence et de la soumission passive à une idéologie, et au rôle que chacun peut prendre face au drame d’un génocide.

Pour contrer le mal et le danger il faut unir nos forces et c'est ce que je vous propose, vous pourrez me demander de vous transmettre des reproductions de toiles que vous choisirez sur mon site, selon l’objectif que vous décidez d’aborder avec vos élèves.

Quant à moi, je me propose de peindre des photos que vous me transmettrez des portraits de Justes ou de victimes de votre pays, de votre région ou des photos des déportations, que je peindrais et vous transmettrais et qui permettront que soient transmises de nouvelles histoires individuelles et collectives dans les lieux où l’exposition fera de nouvelles haltes vous me transmettez d'autres, dans le but d’unir les mémoires et de les renforcer.



[1] http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/01/22/l-histoire-de-la-shoah-est-elle-trop-enseignee-en-france_4352173_3232.html

[2] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/01/26/01016-20140126ARTFIG00134-quand-les-professeurs-peinent-a-enseigner-la-shoah.php