SESSION d'HIVER
Commission Démocratie, cohésion sociale et enjeux mondiaux
CONF/DEM(2015)SYN1
PROJET DE CARNET DE BORD |
La commission Démocratie, cohésion sociale et enjeux mondiaux, s'est réunie le 27 janvier 2015 à Strasbourg sous la présidence d’Anne-Marie CHAVANON .
Au nom des vice-présidents, Karl DONERT et Thierry MATHIEU et en son propre nom, la présidente a présenté aux membres de la commission des vœux personnels et pour l'activité de leur ONG, souhaitant que 2015 permette d'ouvrir de nouveaux chemins vers la démocratie, la cohésion sociale et la prise en compte des enjeux planétaires à l'occasion du Sommet sur le climat qui se tiendra à Paris, fin 2015. Elle a formulé des vœux personnels à l'attention des invités et des interprètes.
La présidente a ensuite évoqué la mémoire de Marc LEYENBERGER, membre actif de la commission, disparu quelques semaines auparavant
La commission
a adopté l’ordre du jour
a adopté le carnet de bord de la réunion du 25 juin 2014 [CONF/DEM(2014)SYN2]
a adopté le rapport d’activité 2014 [CONF/DEM(2014)RAPACT]
"Je suis Charlie, je suis..."
La marche du 11 janvier, un immense espoir et une responsabilité,
Comment réagir et agir maintenant ?
a débattu avec l'aide de sept intervenants : Claudia LUCIANI, directrice de la Gouvernance démocratique au Conseil de l'Europe, Françoise SCHÖLLER, présidente du Club de la Presse Strasbourg-Europe, Dominique JUNG, rédacteur en chef des Dernières Nouvelles d’Alsace, Abdel BELMOKADEM, directeur et fondateur de Nés & Cite, auteur de l’ouvrage « Tendez-nous la main », Samuel GRZYBOWSKI, président fondateur de l’association COEXISTER, auteur de l’ouvrage « Tous les chemins mènent à l’autre », François BECKER et Lilia BENSEDRINE THABET, respectivement président fondateur et membre du G3I (Groupe International, Interculturel, Interconvictionnel),
Anne-Marie CHAVANON a rappelé en introduction les événements terroristes récents dont le dernier a réuni, lors des marches du 11 janvier 2015, près de 4 millions de personnes en France et des millions d'autres dans le monde dans un élan de fraternité, "un temps pendant lequel les appartenances politiques, les convictions, les religions, les différences culturelles et sociales, les nationalités, les blessures du passé ont été oubliées.
"Il nous appartient aujourd'hui, à nous société civile, a-t-elle ajouté, de contribuer à pérenniser cet élan spontané, cet immense espoir d’humanité, de démocratie et de cohésion. Il faut que nous sachions donner sens à ces marches dans le quotidien de nos vies, donner corps à leur message au Conseil de l’Europe et dans chacun de nos pays !"
Pour Françoise SCHÖLLER, le monde de la presse a été secoué par les événements tragiques de la semaine du 7 janvier mais la rapidité de la mobilisation grâce aux réseaux sociaux a été réconfortante. En moins de deux heures, a-telle indiqué, près de 5000 personnes se sont rassemblées Place Kléber à Strasbourg. Ce qui s'est manifesté, à ses yeux, c'est "le désir de chacun de vivre ensemble, d'avoir le droit de pouvoir exprimer ses opinions, de pratiquer ou non sa religion.
Cela devrait marquer le début d'une nouvelle approche de la société, plus tolérante, plus ouverte. il est clair qu'il est de la responsabilité de chacun de voir comment donner davantage de place à la confiance, à la bienveillance plutôt qu'à la méfiance suscitée par la peur liée à l'ignorance. Le rôle de l'éducation et des ONG, entre autres, sera central a-t-elle conclu car ce n'est pas en décrétant la tolérance qu'elle va s'instaurer dans nos sociétés"..;
Dominique JUNG, rédacteur en chef des DNA, a partagé son analyse des difficultés pouvant entraver le développement de sociétés plus solidaires.
Pour Dominique JUNG, la France a eu conscience de transcender son individualisme, mais à la gratitude éprouvée devant la mobilisation immédiate a succédé, chez lui, un sentiment d'inquiétude devant le nombre de personnes sceptiques, récalcitrantes non pas devant la tuerie, qu'il dit unanimement condamnée, mais devant l'émotion suscitée. Avons nous fait le plein des convaincus, interroge-t-il ? Avons-nous participé à une sorte de rite d'exorcisme collectif qui nous a fait du bien mais qui a laissé indifférente une partie non négligeable de nos concitoyens ?
Si le combat pour la liberté de la presse est un combat noble, il ne doit pas, selon lui, écraser, d'autres combats tels que celui contre l'antisémitisme, "pointé du doigt" par les événements du 11 janvier.
Dominique JUNG estime que la carte de l'information est aujourd'hui redessinée, avec un fossé concernant la crédibilité des sources : les réseaux sociaux produisent, selon lui, le meilleur et le pire, l'immédiateté de l'information mais aussi la circulation et l'amplification d'informations non vérifiées, de rumeurs fausses et dangereuses, "un bombardement de particules", qui prennent du crédit par le seul fait qu'elles existent et qu'elles circulent, dit-il, citant l'exemple des thèses "complotistes" apparues sur internet. Ce type d'information explique, à ses yeux, la violence des manifestations d'hostilité, observées dans certains pays envers la France.
Multiplier les questionnements est le rôle des journalistes, souligne le rédacteur en chef et éditorialiste des DNA, notamment sur le lien entre le politique et le religieux, entre l'esthétique et la façon de penser la société, entre la mondialisation et la création d'une nouvelle "Terra incognita", l'apparition de zones où l'on ne peut pas pénétrer sans risque de mort, dit il, en espérant que le journaliste japonais détenu par Daech soit épargné.
A ses yeux, la tuerie de Charlie Hebdo montre qu'au cœur de l'Europe, existent des "mentalités qui peuvent sembler à mille lieux des valeurs dont nous souhaitons qu'elles soient universelles"...
Prenant la parole, Abdel BELMOKADEM déclare : "Je suis un citoyen français, laïc et républicain, de confession musulmane".
Après une carrière de boxeur professionnel qui l'a conduit sur les plus hautes marches des podiums, Abdel BELMOKADEM a repris le chemin de l'école, voulant être solidaire au sein de la société par une activité professionnelle. Adjoint au maire de Vaux en Velin, sa commune de naissance, pendant 10 ans, il a quitté la politique pour créer l'association Nés&cités (nécessité) qui a pour vocation de faire de la médiation dans les quartiers populaires, d'établir des contact entre les zones sensibles et le monde économique, institutionnel et politique.
La volonté affichée d'Abdel BELMOKADEM est d' "allers vers", aller vers les autres, "tendre la main aux autres, comme on m'a tendu la ma main à moi, et avancer avec eux".
La question prioritaire est l'emploi. Nés&cités met quotidiennement en contact des entreprises et des jeunes des quartiers. Nous avons, dit son président, développé des concepts qui permettent de rapprocher les publics les plus éloignés de l'emploi et les entreprises qui recrutent et qui ont du mal à trouver certains profils en temps de crise.
Grâce à 20 000 propositions de contact avec des employeurs, 7000 jeunes ont trouvé un emploi, grâce à cette mise en relation directe. Nes&cités est aujourd'hui une référence dans le domaine de la médiation et du vivre ensemble.
"Nous avons de la chance dit-Abdel BELMOKADEM, le monde économique nous suit". Ses sponsors de sportif ont ouvert la voie, et aujourd'hui de nombreuses entreprises trouvent dans les quartiers des talents qui viennent conforter leurs activités et leur développement. Elles ne peuvent plus se passer de cette richesse-là, dit-il. "Nous aimons travailler sur nos ressemblances, dit-il, mais c'est dans nos différences que nous sommes complémentaires et le plus utiles".
L'emploi crée une dynamique au sein des familles et sur le territoire. Sur ces territoires, marqués, qui ont un sentiment de solitude, Abdel BELMOKADEM estime nécessaire de ramener les acteurs économiques et les acteurs publics locaux. En réponse à une question sur le caractère français de son expérience, il a précisé qu'il intervient à l'étranger, notamment en Angleterre, en Suède et en Suisse où il constate que la préoccupation y est celle de la France d'il y a 30 ans, qui consistait à travailler sur "les aspects occupationnels et de loisirs". Aujourd'hui la France travaille davantage sur l'éducation, la formation et l'emploi. "Plus tôt on prend cette problématique à bras le corps, dit-il, plus vite on a des résultats, et plus vite les publics s'intègrent facilement".
S'il est un message à retenir pour combattre le fléau de l'embrigadement, qu'il soit religieux ou dans la délinquance, a-t-il martelé, c'est l'emploi, seul outil qui permet d'intégrer des étrangers sur un territoire".
Samuel GRZYBOWSKI a présenté les objectifs de l'association COEXISTER qu'il a créée il y a six ans et qui rassemble des jeunes, de 15 à 35 ans, de toute origine sociale, de toute religion et de toute conviction (chrétiens, juifs, musulmans, agnostiques et athées). L'association compte en France
1 800 adhérents et 600 actifs. Elle a pour objectif de permettre aux jeunes de "vivre une expérience de l'unité sur autre chose que leur identité", une question déclinée dans la marche "Je suis Charlie, je suis... " selon Samuel GRZYBOWSKI.
"Divers dans leurs appartenances et unis dans l'action", telle est la devise de cette association qui propose à chaque jeune de vivre sa différence comme une singularité qui renforce l'action commune ( ex d'activités : éléments de dialogue, visite de lieux de culte, organisation de débats et de tables rondes, actions de solidarité auprès des pauvres, des personnes âgées, des malades, des enfants).
Les membres de l'association sont au contact d'autres jeunes dans les écoles, les lycées, les universités pour déconstruire avec eux, en menant un travail sur les préjugés religieux, ethniques et culturels.
En 7 ans, COEXISTER a permis à 27 000 jeunes de se rencontrer.
François BECKER a présenté la mission et les objectifs du G3I , groupe de réflexion international, interculturel et interconvictionnel. Il insiste sur l'importance de l'interconvictionnel, dès lors que nombre d'Européens de culture religieuse sont aujourd'hui agnostiques ou athées. L'objectif du G3I, qui rassemble des personnes de différentes religions et convictions, est donc de réfléchir aux différentes manières de vivre ensemble de façon cohésive dans une Europe multiculturelle et multiconvictionnelle.
La tolérance apparait insuffisante au G3I dès lors qu'elle vise à accorder des droits inhérents à la personne dont celui d'exister. Le groupe de réflexion promeut en regard la reconnaissance mutuelle qui s'exerce dans le cadre des droits de l'Homme, des droits économiques et sociaux. Elle prend appui sur quatre principes adoptés par le G3I : la liberté de conscience, la liberté d'expression, la non discrimination et la séparation entre l'Etat et les institutions ou organisations religieuses et courants de pensée. Cette disposition nécessite un travail sur soi et le développement d'aptitudes au dialogue dès le plus jeune âge.
Aussi le G3I a-t-il décidé de mettre en place, dès le mois de mai 2015, un programme de formation de formateurs. Il est parallèlement actif auprès de la Commission et du Parlement européens pour privilégier la mise en place d'espaces de rencontre et de travail dédiés à l'échange entre personnes appartenant à des religions et des convictions différentes.
A son tour, Lilia BENSEDRINE se définit comme Tunisienne et Française, musulmane, avec des appartenances à la Méditerranée, à la fois d'Orient et d'Occident. Ce sont ces appartenances, dit-elle, qui constituent son identité. Se référant à la phrase d'Amine Maalouf dans son ouvrage sur les Identités meurtrières, " nous sommes faits de multiple appartenances", Lilia BENSEDRINE dénonce le danger d'une réduction à une seule d'elle. Comment travailler ensemble à travers nos différences ? Citant les mots d'une femme, professeur de théologie musulmane a l'université de la Zitouna où elle a dù franchir des moments difficiles : "dans ce combat contre les totalitarismes et la lutte contre les libertés, et la dignité humaine, nous pensons que la ligne de démarcation ne passe pas obligatoirement entre l'Occident et l'Orient, entre le Nord et le Sud mais plutôt entre intégristes de toute obédience et rationnels de tous les pays, entre autoritarisme et démocratie, entre ceux qui possèdent la vérité et ceux qui savent douter, ceux qui savent reconnaitre en l'autre "le différent", un frère en humanité, reconnaitre les trésors cachés de notre diversité"
Comme Djamel DEBBOUZE et Dominique JUNG, elle reconnait avoir été "sidérée" par les événements mais comme Djamel DEBBOUZE, elle met en garde contre les amalgames et les incompréhensions qui nécessitent une connaissance de la culture de l'autre. Elle avoue s'être sentie blessée par certaines caricatures de Charlie Hebdo mais capable d'en faire une lecture au second degré par sa connaissance de la culture occidentale. Ce qui l'a conduite à manifester son soutien à la liberté d'expression.
Elle met en garde contre les possibles réactions de peur et d'insécurité face à une menace diffuse. La réalité de la peur pouvant conduire à des actes irrationnels, elle doit être davantage prise en considération que la réalité de la menace. Elle appelle à la lutte contre les ignorances, à l'apprentissage des différences et au dialogue.
Claudia LUCIANI, directrice de la gouvernance démocratique, a indiqué que la consultation faite auprès des États membres a permis de dégager deux axes: comment renforcer l'arsenal juridique du Conseil de l'Europe pour aider les États membres a mieux coopérer entre eux dans la lutte contre le terrorisme tout en respectant les droits fondamentaux et comment soutenir l'action individuelle de ces États sur leur territoire en faveur du vivre ensemble ? Elle a présenté à la commission les actions du conseil de l'Europe, engagées ou en projet :
=> La commission s'est déclarée prête à répondre aux sollicitations du Secrétariat général sur le thème particulier du débat.
Elle propose de porter au niveau européen l'expérience de terrain performante des ONG, notamment par le biais d'un groupe de travail dédié et le développement d'une plate-forme numérique positive.
Elle soutiendra le thème du respect et de la solidarité dans le cadre d'une semaine européenne et examinera la faisabilité d'un réseau d'alliances interculturelles européenne
Dans le cadre du plan de travail de la commission les membres de la commission ont décidé d'améliorer la capitalisation de ses travaux, tant auprès des organes du conseil de l'Europe que des réseaux extérieurs