Speech of Nicolas Schmit, Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale, Luxembourg

(Transcription of the recording of the speech made during the Conference-French only)

 

Caro Ministro,

Madame la Présidente de l’Assemblée,

Chers collègues Ministres,

Chers collègues,

 

Il y a 53 ans, au jour même, car je crois que c’était le 18 octobre, a été signée la Charte Sociale à Turin même.

 

Cette signature marque une certaine conception de l’Europe et cette conception de l’Europe est partie de cette ville qui, non seulement pour l’Italie, a une valeur historique considérable, mais qui représente aussi pour l’Europe une ville phare puisqu’elle allie les cultures, elle allie une partie de notre patrimoine commun.

 

Cette conception de l’Europe c’est celle qu’il n’y a pas de paix, qu’il n’y a pas de progrès sans le respect de la dignité humaine, c’est-à-dire sans le respect des droits sociaux.

 

Ces droits sont considérables. Ceux qui ont été inscrits dans cette Charte : le droit au travail – un droit important surtout en ce moment – le droit des conditions de travail équitables, le droit à la sécurité et à la protection sociale, le droit pour les travailleurs à la consultation et à l’information, le droit à l’égalité des chances, le droit à la dignité dans le travail, pour ne citer que quelques-uns.

 

Avoir inscrit ces droits dans un texte à portée juridique nationale, mais surtout internationale, marque aussi le fondement, pose le fondement, d’un modèle qui, aujourd’hui, est appelé le modèle social européen.

 

Ce 18 octobre 1961, seuls treize pays européens ont signé ce document qu’il faut qualifier d’historique. Rappelons-nous en 61 : c’est la guerre froide, avec ses crises qui risquent de déclencher, en quelques sortes, chaque instant, un cataclysme nucléaire. 1961, c’est la division de l’Europe et du monde entre l’ouest et l’est. 1961, c’est aussi le début prometteur de la construction européenne avec la Communauté Economique Européenne, avec des progrès considérables qui sont déjà accomplis au niveau du Marché Commun. L’Europe, en 1960, connaît une période d’expansion économique, un progrès social, un progrès aussi au niveau de l’ouverture de nos sociétés, considérables. Et ce projet européen, qui a été cimenté ici à Turin, est devenu le grand projet pour toute une génération. Ça a été un projet mobilisateur pour la jeunesse, et cela bien au-delà de ces 13 pays qui ont signé ce document ici à Turin. C’est devenu un projet, une vision de solidarité dont la portée économique est renforcée précisément par les valeurs que représente le Conseil de l’Europe, dont celles inscrites dans la Charte sociale.

 

Aujourd’hui, 53 ans plus tard, nous nous retrouvons à Turin non plus à 13 Etats, mais à une quarantaine, presque une cinquantaine d’Etats qui ont ratifié la Charte, qui ont rejoint le Conseil de l’Europe et qui partagent les valeurs du Conseil de l’Europe et les valeurs inscrites dans la Charte.

 

L’Europe, certes, a surmonté certaines de ses divisions. Mais n’oublions pas – je crois que célébrer un anniversaire c’est aussi se rappeler – des moments plus difficiles. Donc l’Europe a connu aussi, depuis, des guerres qui ont déchiré certaines régions de notre continent, entre des pays qui aujourd’hui d’ailleurs sont membres de ce Conseil de l’Europe et aujourd’hui malheureusement, hélas, nous assistons encore en Europe à un conflit pas si loin d’ici qui déchire et qui représente une réelle menace.

 

Le rôle et la mission du Conseil de l’Europe, celle d’unifier notre continent sur base des mêmes valeurs, des mêmes principes, du respect des droits de l’Homme, du respect des droits sociaux, n’ont rien perdu de leur importance et de leur actualité. La crise économique, hélas, a aussi ouvert de nouvelles fractures, d’abord entre les nations, mais aussi au sein même des pays, au sein même des sociétés. Le chômage touche aujourd’hui des millions d’Européens et, notamment, des millions de jeunes Européens. La pauvreté est redevenue, ou est devenue, une réalité présente, et je pense notamment à la pauvreté des enfants. Il y a aujourd’hui des pays où des centaines de milliers d’enfants n’ont pas tous les jours assez pour manger, et cela, en Europe. Il y a quelques jours, sous la présidence italienne, nous avons eu un débat sur la stratégie 20-20, et un des grands objectifs de la stratégie européenne 20-20 c’est précisément la réduction de 20 millions du nombre des pauvres en Europe. Aujourd’hui, cinq ans après le lancement de cette stratégie, nous avons constaté qu’hélas cet objectif est loin d’être atteint et donc représente aujourd’hui un défi plus fort encore qu’il y a cinq ans.

 

Au sein même de notre Union européenne, une réelle division, une réelle fracture, existe entre le Nord et le Sud, provoquée par les crises de la dette, mais provoquée aussi, ou aggravée, par ces politiques d’austérité qui ont été discutées hier et j’ajouterai simplement que, comme les saignées n’ont jamais été un remède en médecine, les politiques « austéritaires » ne peuvent pas être à l’origine d’une croissance et du progrès économique.

 

Cette crise touche également les voisins non encore ou non membres de l’Union. Elle mine la cohésion sociale, elle fait réapparaître les démons du passé – nationalisme, populisme, xénophobie, discrimination, cela vient d’être dit – notamment pour certaines catégories de nos populations. Tous ces mots qui ont chaque fois amené l’Europe à la catastrophe, des mots que le Conseil de l’Europe a précisément pour mission d’éradiquer. Vous avez donc bien choisi, cher ami, la devise pour cette conférence : l’Europe repart de Turin. En effet, elle doit repartir, non pas tellement sur de nouvelles bases, mais peut-être sur celles qu’il y a 53 ans ont été posées ici même. Et je crois que le choix d’avoir organisé cette conférence est un message fort pour les Européens et, notamment, pour les jeunes Européens. Progrès économique et progrès social ne s’opposent pas, ils sont complémentaires et peuvent se soutenir mutuellement. On ne peut pas construire un avenir de sécurité, un avenir de paix si toute une génération, si la jeunesse européenne, ne voit pas pour elle-même une réelle perspective. Une génération perdue, des millions de jeunes sans emploi, souvent très bien formés – jamais les jeunes Européens n’ont été mieux formés qu’aujourd’hui – et pourtant ils souffrent du chômage et de l’exclusion. Ces jeunes, cette génération perdue, n’a plus confiance souvent dans nos institutions, ni nationales, ni d’ailleurs européennes. Avec cette jeune génération, avec cette génération dite perdue, on ne peut pas créer un avenir, parce que eux ne peuvent pas construire leur propre avenir. Comment est-ce qu’un jeune qui vit dans la précarité, comment est-ce qu’un jeune qui vit sans emploi, peut fonder une famille, avoir des enfants, avoir un logement, tous ces droits d’ailleurs qui sont inscrits dans la Charte européenne ? Il est donc indispensable que l’Europe, l’Union européenne certes, mais l’Europe dans son ensemble, change de cap et retrouve un nouvel élan dans la solidarité. Solidarité d’abord dans notre société, cela a été dit – les riches et les moins riches et les pauvres – solidarité aussi entre les Etats membres, et solidarité au-delà pour refaire de l’Europe une zone de croissance, d’innovation, de créativité. Je pense aussi à ces milliers, ces centaines de milliers de jeunes qui traversent la Méditerranée. C’est aussi une responsabilité de l’Europe ces jeunes qui viennent chercher un monde meilleur ici en Europe et qui souvent découvrent qu’ils sont exclus, qu’ils n’ont pas de perspectives, qu’ils sont discriminés. Je crois aussi que ce problème de la migration est devenu un problème crucial pour l’Europe, mais aussi pour les valeurs que nous voulons représenter. Non, notre modèle de société n’est pas dépassé. Beaucoup de pays s’en inspirent aujourd’hui, ou du moins s’y intéressent de plus en plus. C’est le cas notamment de la Chine qui s’intéresse à comment on va construire un système de solidarité entre générations, comment on va construire un système de pensions, puisque la solidarité entre générations ne fonctionne plus à cause de la politique démographique qu’ils ont menée, comme elle a pu fonctionner pendant des millénaires. Regardons cette jeunesse de Hong-Kong. De qui est-ce qu’elle parle ? Qu’est-ce qu’elle revendique ? Elle revendique des droits, elle revendique des droits à l’autonomie, elle revendique le respect des valeurs que nous représentons, que le Conseil de l’Europe représente. Le principe de justice sociale n’est pas seulement une valeur morale, c’est aussi une valeur éthique. Certes, il l’est aussi, mais il est aussi une valeur économique et d’ailleurs c’est quand même intéressant de lire dans les textes du FMI, le Fond monétaire international, qui dit maintenant qu’une société inégalitaire, une société où règne une forte injustice sociale, ne peut pas être une société économiquement performante et qu’on ne peut pas construire une économie durable, une économie performante, innovatrice, sur une telle injustice, sur des inégalités. Et d’ailleurs on le voit bien, concrètement, et cela a été rappelé par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. Les Etats membres du Conseil de l’Europe, comme de l’Union européenne, où l’injustice et les inégalités sont les moins grandes, où la justice est la plus ancrée dans les traditions, dans les pratiques, ce sont souvent les pays où la compétitivité est la plus forte, où l’innovation est la plus forte, où la cohésion, bien sûr, des sociétés, est la plus forte.

 

Faisons repartir l’Europe ici de Turin en nous engageant qu’il n’y a pas de politique économique, qu’il n’y a pas d’assainissement budgétaire, qu’il n’y a pas de réforme de nos structures – et elles sont nécessaires, disons-le – valables sans intégrer pleinement et concrètement les principes de la Charte, les principes des droits sociaux dans leur application concrète. J’ai eu le message de mon amie la Présidente. Nous allons nous mettre au travail pour effectivement rattraper ce retard du Luxembourg au niveau de la ratification. Et c’est grâce à cette application concrète des droits sociaux que nous pouvons redonner espoir et confiance à une jeunesse souvent désorientée. L’Europe, la grande Europe, celle du Conseil de l’Europe, peut trouver pleinement sa place, son rôle, sa cohésion, son rayonnement à travers ses valeurs, mais aussi son économie dans un monde qui se globalise et qui regarde vers l’Europe, et qui attend un message fort de cette Europe. Merci.