Piero Fassino, maire de Turin – Discours d’ouverture - 17/10/2014

(Transcription de l’enregistrement de l’intervention réalisé lors de la Conférence)

(Texte traduit à partir de l’original en italien)

 

Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue à Turin. C’est pour moi un très grand honneur que de vous saluer et de vous accueillir, et j’y prends d’autant plus de plaisir que j’ai moi-même siégé au Conseil de l’Europe pendant plus de neuf ans et ai travaillé plusieurs années durant aux côtés de Thorbjørn Jagland, avec qui j’ai noué une amitié que j’apprécie tout particulièrement.

Je vous remercie d’avoir choisi la ville de Turin pour tenir cette importante réunion destinée à réfléchir aux moyens de relancer – c’est bien là le sens du slogan « L’Europe repart de Turin » - le processus qui doit conduire à l’affirmation pleine et entière de la Charte sociale européenne.

La Charte sociale européenne a été signée le 18 octobre 1961 dans le bâtiment qui se trouve juste en face de celui où nous sommes, le Palazzo Madama. Sur sa façade a été apposée une plaque de bronze venue de Strasbourg, qui rappelle cet évènement ; et tous les ans – non pas seulement cette année, qui vous voit ici rassemblés – notre ville commémore ce fait si important pour la vie de Turin, mais aussi pour la vie de l’Europe.

Vous avez fait le bon choix de vous retrouver ici, et ce pour plusieurs raisons. La première est évidente : c’est ici qu’est née la Charte sociale, et il n’est donc que juste de revenir, pour réfléchir aux moyens de donner pleinement effet à cet instrument, dans la ville où elle a vu le jour.

La deuxième raison tient au fait que Turin a longtemps été une grande ville industrielle, une cité manufacturière, un lieu de production. Elle a été le symbole du travail, en particulier du travail industriel, selon un modèle fordiste qui, tout au long du XXe siècle, a caractérisé le développement de l’Italie et de tous les pays d’Europe. Une ville très en vue, connue pour ses qualités industrielles, technologiques et productives. Une ville où le facteur social, lié au monde de l’industrie, était très présent. Une ville aux traditions d’organisation sociale et syndicale bien ancrées. Une ville dont l’identité a été marquée par le travail et par les droits du travail.

Il est un troisième motif qui justifie totalement votre présence parmi nous aujourd’hui : c’est le fait que cette ville qui, pendant un siècle, a été une ville industrielle, manufacturière, productive, le principal moteur industriel de l’Italie, une véritable « ville usine », a connu ces quinze dernières années une extraordinaire métamorphose qui a fait que Turin offre également le visage d’une ville très différente, nouvelle à bien des égards, et beaucoup plus ouverte.

Turin est et reste une grande ville industrielle ; en même temps, c’est une ville dont l’identité et le profil se sont étoffés pour intégrer de nouvelles vocations et apparaître ainsi de plus en plus comme un pôle d’excellence dans les domaines de la recherche, de l’innovation et de la technologie.

C’est une grande ville universitaire qui accueille 100 000 étudiants, dont 13 000 étrangers, dans deux universités de grande qualité. C’est une grande capitale de la culture : nous nous trouvons ici dans l’une de ses principales institutions culturelles, la ville n’en a pas moins investi et continue d’investir dans la culture tant et si bien que celle-ci ne vient pas simplement compléter son développement mais en est l’un des éléments constitutifs.

Et c’est là ce qui explique que Turin soit aussi devenue une ville touristique – ce qu’elle n’était pas, de toute évidence, auparavant.

Pourquoi avoir rappelé la trajectoire qu’a suivie Turin ? Non seulement pour dire à nos amis venus de si nombreux pays d’Europe ce qu’est aujourd’hui cette ville, mais aussi parce que Turin a valeur de métaphore ; elle est un bon exemple de la façon dont l’identité d’une ville se transforme à mesure qu’évoluent les ressorts de l’économie européenne et mondiale.

Cette ville n’a longtemps eu qu’une vocation unique ; à présent, elle a une vocation plurielle. A l’époque, les villes à vocation unique ont grandi et se sont développées dans le cercle clos, économiquement parlant, des marchés protégés. A l’ère de la mondialisation et de l’ouverture des marchés, l’essor des villes obéit à une dynamique qui les destine à ne plus se contenter d’une vocation unique et à miser au contraire sur une pluralité de vocations. 

Turin illustre bien le processus par lequel une ville parvient à élargir son identité en repensant son développement de manière à faire converger son profil industriel historique et tout ce qui gravite autour de l’économie de la connaissance et du savoir, la recherche, l’université, la culture.

J’ai voulu évoquer cette transformation car il me paraît que l’application des droits, la façon dont ils sont mis en œuvre, vécus et reconnus, n’est pas si éloignée ni différente de la dynamique et des modalités propres au développement.

Pendant longtemps, nous avons été habitués à inscrire chaque jour les droits sociaux dans un modèle productif socio-professionnel fordiste – un modèle de type industriel. A présent, il nous faut inscrire ces mêmes droits dans une société dont le profil a changé, qui a plusieurs vocations, dans la manière d’organiser le marché du travail, la manière d’organiser le rapport entre la production et la consommation et la manière d’organiser les activités.

Ce problème se pose chez nous, mais il se pose aussi dans bien d’autres régions du monde. Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de dire que les droits que proclame la Charte sociale européenne sont justes – cela va de soi, sans quoi nous ne serions pas ici. Il s’agit de savoir comment, à l’heure de la mondialisation, de l’ouverture des marchés et de l’économie plurielle, il est possible de faire vivre ces droits énoncés dans la Charte sociale avec une intensité et une force égales à celles dont nous avons fait preuve pour les faire vivre à une autre époque et dans un autre contexte.

C’est là tout l’intérêt de la réflexion à laquelle cette Conférence va se livrer, car Turin est précisément une ville qui illustre une mutation, une transformation qui s’est opérée dans son identité, son modèle de développement, sa façon d’être, selon un processus qui nous force à nous demander comment faire vivre, aujourd’hui encore, ces droits fondamentaux qui ont accompagné le développement de l’Europe depuis cinquante ans. D’autant que les dernières années ont été, on le sait, placées sous le signe de difficultés et crises économiques et sociales dans lesquelles l’Europe est enlisée, qui ont été une source majeure d’incertitude, d’insécurité et de précarité pour beaucoup d’individus et de familles. Ainsi comme nous le savons déjà le marché du travail a évolué vers des formes de travail toujours plus flexibles et si la flexibilité est naturellement un mode d’organisation non seulement de la production mais également de la société d’aujourd’hui, il est également vrai que nous avons le devoir de nous interroger de savoir comment faire afin d’éviter que la flexibilité ne se transforme en précarité. 

Le thème de réflexion – comment faire vivre aujourd’hui les droits sociaux, les droits de la Charte sociale européenne – est donc un thème d’une extraordinaire actualité, qui est lié aux stratégies par lesquelles l’Europe s’efforce de sortir de la crise et aux moyens de bâtir un modèle social capable de conjuguer droits et flexibilité.

Tel est le sens de cette manifestation. Comme l’a dit le Ministre Poletti, que je remercie d’être aujourd’hui parmi nous – et je remercie aussi, bien évidemment, les autres Ministres qui prendront part à la séance ministérielle -, cette initiative s’inscrit dans le cadre du semestre de la présidence italienne de l’Union européenne, un semestre marqué pour la ville de Turin par un foisonnement d’activités, cette Conférence étant l’une des plus importantes. Au début du mois de septembre, nous avons accueilli dans cette même salle une réunion de la Conférence des présidents du Comité des Régions de l’Union européenne ; quelques semaines auparavant, ce sont les 28 Ministres de la Culture de l’Union européenne qui se sont retrouvés à Turin et, la semaine prochaine, nous célèbrerons une autre date majeure, à savoir le 50ème anniversaire de la création à Turin du Centre de formation de l’Organisation internationale du Travail - commémoration qui nous donnera une nouvelle opportunité d’évoquer les droits sociaux et les droits du travail. Nous fêterons juste après, en présence des Ministres de l’Union européenne et des pays riverains de la Méditerranée, le 20ème anniversaire  de la Fondation européenne pour la formation, ce qui nous permettra, là encore, de revenir sur les thèmes qui sont au cœur de nos débats de ce jour. D’autres rendez-vous se succèderont jusqu’à la fin du mois de décembre, de sorte que le semestre de présidence italienne offrira véritablement à notre ville l’occasion de s’ouvrir plus encore au plan international et de nous pencher sur les multiples défis auquel notre continent doit faire face.

Je vous remercie très sincèrement de votre présence. J’espère que votre séjour à Turin ne vous permettra pas seulement de mener les débats qui sont prévus aujourd’hui et demain, mais vous laissera aussi profiter des très nombreuses possibilités culturelles qu’offre notre ville, de façon que vous puissiez en apprécier également le charme en termes de détente et de loisirs. Mon souhait est que vous tombiez un tant soit peu amoureux de cette ville, que vous y reveniez souvent et qu’à chaque fois, vous y receviez un accueil amical et sympathique. Merci.