Texte relatif à l’allocution du Ministre Giuliano Poletti à l’occasion de la Séance d’ouverture de la Conférence à haut niveau sur la Charte sociale européenne (Turin, 17- 18 octobre 2014)

(Texte traduit à partir de l’original en italien)

 

 

Monsieur le Maire, Monsieur le Secrétaire Général, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs,

Nous sommes aujourdhui réunis à Turin dans un lieu symbolique, à une date symbolique. En effet, cest dans cette ville qu’il y a 53 ans, jour pour jour, la Charte sociale européenne a é signée. Je remercie donc le Conseil de l’Europe pour sa volonté résolue de tenir cette conférence. Je remercie aussi Turin qui l’accueille, dans la tradition douverture et d’accueil qui est la sienne, pleinement en accord avec les valeurs promues par la Charte. Je dirais, quant à moi, que cest un grand honneur et une belle occasion pour lItalie dorganiser cette rencontre pendant le semestre de la psidence italienne de l’UE, et de pouvoir ainsi renforcer les synergies entre Union européenne et Conseil de l’Europe et mettre en avant nos objectifs communs.

 

I. Cette conférence arrive à un moment particulièrement délicat pour le continent européen dont les perspectives en matière d’économie et d’emploi semblent poccupantes, selon les dernières données. La crise a eu des effets négatifs sur l’exercice des droits sociaux et familiaux ainsi que sur le niveau de participation au travail, particulièrement chez les jeunes. Elle coûte cher sur le plan économique, sur le plan social et sur celui de l’emploi, et porte le risque dune marginalisation des éléments les plus faibles de la société.

 

Les réformes du marc du travail, surtout du côté de l’offre par le biais de politiques actives et efficaces, semblent nécessaires mais ne suffiront pas à elles seules à faire retomber le chômage à des niveaux acceptables. Il convient donc dagir aussi sur la demande agrégée. Le retour à lemploi, impératif pour la cohésion sociale et les bonnes conditions de vie des groupes sociaux, demande une combinaison de mesures monétaires, fiscales, structurelles et sociales.

 

Pour s’attaquer aux causes de la crise, lUnion européenne a récemment renforcé les règles de surveillance macroéconomiques et budgétaires, mis en place un mécanisme de stabilité financre dans l’eurozone et adopté une union bancaire. De la même manière, il faut


contrecarrer aujourdhui les effets de la crise, en premier lieu le chômage et le malaise social, en coordonnant opportunément nos politiques fiscales et financres, alliées à des mesures pour une croissance inclusive et durable et à des politiques sociales.

 

Les restrictions budgétaires, la croissance modeste et l’érosion du potentiel économique exigent une vision commune qui privilégie les investissements de qualité, publics et privés, en optimisant l’utilisation des fonds publics et en opérant un contrôle adéquat de la gestion du risque.

 

II.LItalie s’est pleinement engagée dans la mise en œuvre dun programme général de réformes, ambitieux et de grande ampleur, dont le pays a besoin depuis des années et qui, comme le montrent les résultats des récentes élections européennes, fait l’objet du consensus du corps électoral.

 

Les réformes du secteur du travail doivent donc s’insérer dans un cadre réformateur plus large, dautant plus que l’approbation rapide de ce train de réformes est la raison d’être du gouvernement du Président du conseil Renzi, en commençant par la réforme du socle institutionnel du pays, avec le dépassement du bicaralisme paritaire qui ralentit fortement le processus législatif, la réforme de la loi électorale afin de garantir la gouvernabilité, la remise à plat de la répartition des compétences entre Etat et gions, et la suppression définitive des provinces.

 

Viennent ensuite la réforme de l’impôt, qui vise à faire diminuer le fardeau fiscal qui pèse sur les revenus du travail, notamment les plus bas, et sur les entreprises, la réforme de l’administration publique qui doit accompagner la réforme des institutions, avec un mode de fonctionnement moins lourd, plus efficace et plus ouvert au dialogue, au service des citoyens et des entreprises, et la réforme de la justice civile dont le dysfonctionnement décourage les investissements nationaux et internationaux en Italie.

 

Tout le monde est bien conscient que ces réformes sont essentielles pour relancer la compétitivité de notre pays, pour renforcer la cohésion et la mobilité sociales, et pour conforter la confiance des citoyens dans les institutions publiques et la politique.

 

III.Le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer dans ce contexte ; en effet, la crise économique qui a ébranlé les Etats membres a montré que les systèmes nationaux étaient bien fragiles pour protéger les droits dont l’Organisation est garante depuis sa fondation, à une époque l’Union européenne, aujourd’hui porteuse de valeurs qui ne sont pas seulement économiques, était encore en devenir. Ce n’est pas par hasard quaucun Etat na adhé à l’Union européenne sans avoir dabord adhé au Conseil de l’Europe dont la mission de protection de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit est plus que jamais actuelle. Comme en témoignent les 200 traités - conventions, chartes et accords - signés à ce jour, parmi lesquels la Convention des droits de l’homme, qui est déclinée dans la  vie quotidienne de millions de citoyens européens par la Charte sociale que nous célébrons aujourdhui.

 

Les droits au logement, à la santé, à l’éducation, au travail, à la libre circulation, concernent directement les individus et les familles, les jeunes et les personnes âgées, les enfants et les personnes handicapées. La sauvegarde de ces droits s’incarne dans le concept européen de protection sociale et dEtat social, qui, ces dernières années, a connu des moments de grandes tensions. Dans le passé, on pouvait croire presque inévitable l’amélioration progressive des droits reconnus par la Charte gce aux performances économiques et sociales de nos pays, mais la crise a remis en cause cette évolution. L’obligation constantde  respecter et de faire appliquer la Charte a contraint les Etats membres à réfléchir sur létat de réalisation de la protection sociale en leur sein, à faire face à des évaluations découlant de choix politiques imposés par la contingence, à ne pas perdre de vue les droits fondamentaux.

 

Le système de contrôle de la mise en œuvre de la Charte par les Etats est très original : il se fonde sur des rapports périodiques et sur le travail des experts indépendants du Comité européen des droits sociaux, dont les Etat sont tenus de se conformer aux conclusions, ce qui débouche souvent sur des actes législatifs et administratifs de grande portée. A titre dillustration concrète, citons, dans notre pays, ladoption de la Stratégie nationale sur les Roms ou le Plan national pour le handicap, en écho au débat qui s’est développé sur ces sujets au sein du système de contrôle de la Charte.

 

Une protection encore plus directe est offerte à tous les citoyens des Etats qui ont signé le Protocole additionnel sur les réclamations collectives. Ce dernier permet aux ONG et aux partenaires sociaux de présenter au Comité de véritables réclamations dans des affaires de non-application présumée des normes de la Charte. Au fil des ans, on constate l’influence accrue qu’il a sur les législations nationales des pays qui lont ratifié. Une généralisation de la signature du Protocole pourrait donc rapprocher encore plus la Charte de ses bénéficiaires directs, les citoyens.

 

Lévolution de lUnion européenne a rendu les champs d’action des deux organisations plus contigus. Au fil du temps, les références à la Charte sociale dans la gislation communautaire, même de premier degré, se sont multiples, et témoignent de la volonté commune de mettre le respect des droits de l’homme au centre de l’action des Etats et des organisations auxquelles ceux-ci adhèrent. Les traités fondamentaux de lUE font référence très précisément à la Charte sociale, surtout en ce qui concerne la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de travail, l’évolution de la protection sociale, la défense des relations industrielles et le développement des ressources humaines. La Charte des droits fondamentaux de l’UE en reprend en grande partie les dispositions, même si ce n’est pas dans leur totalité.

 

On observe néanmoins parfois des chevauchements des systèmes juridiques de l’UE et du Conseil de l’Europe. Certaines décisions adoptées par le Comité européen des droits sociaux ont engendré des modifications de certaines gislations nationales considées comme contrevenant au droit communautaire, et qui ont fait l’objet de condamnations par la Cour européenne de justice de l’UE. De même, il est des cas les Etats ont é sanctionnés par le Comité pour des normes adoptées en conformité avec le droit communautaire, sans que cette circonstance puisse être considérée comme justifiant une non-conformité à la Charte.

 

C’est pourquoi la confrontation directe entre les deux organisations est la bienvenue dans l’objectif commun de donner une pleine application aux droits qui, bien que déclinés dans la sphère sociale et dans la sphère économique, sont avant tout des droits de l’homme, reconnus comme fondamentaux par les deux organisations, même avec des approches différentes. Je suis convaincu que la réflexion d’aujourdhui contribuera de manière significative à sortir de l’impasse actuelle, avec des retombées fructueuses non seulement sur les administrations des Etats et des organisations concernées mais, dabord et surtout, sur les citoyens qui sont la cible ultime de leurs politiques.

 

Je vous remercie de votre attention et nous souhaite à tous des journées de travail fécondes.