Strasbourg, 7 décembre 2016

CEPEJ(2016)14

COMMISSION EUROPÉENNE POUR L’EFFICACITÉ DE LA JUSTICE

(CEPEJ)

Mesures structurelles adoptées par des Etats membres du Conseil de l’Europe pour améliorer le fonctionnement de la justice civile et administrative

au-delà des recours internes effectifs requis par l’Article 13 de la CEDH

 

Guide de bonnes pratiques

Tel qu’adopté lors de la 28ème réunion plénière de la CEPEJ, le 7 décembre 2016

Mesures structurelles adoptées par des Etats membres du Conseil de l’Europe pour améliorer le fonctionnement de la justice civile et administrative

au-delà des recours internes effectifs requis par l’Article 13 de la CEDH

 

Guide de bonnes pratiques

Document préparé par le CEPEJ-GT-QUAL

sur la base d’un travail préparatoire de Francesco DE SANTIS, expert scientifique (Italie)

TABLE DES MATIERES

Introduction. 3

1.    Carte judiciaire et répartition du contentieux parmi les diverses juridictions. 5

2.    Décision collégiale ou à juge unique. 8

3.    Mise à disposition et gestion des ressources : l’organisation des tribunaux et la rationalisation des méthodes de travail 9

4.    « Case management », concentration des procédures et forclusions. 15

5.    Autres actions sur le terrain des règles de procédure, concernant notamment les voies de recours et les procédures sommaires. 18

6.    Lignes directrices concernant la « demande en justice », la résolution non-judiciaire des litiges et l’abus des droits de procédure. 21

7.    Le succès des réformes : une question de méthode et de ressources. 26

Conclusions. 28

Sources et bibliographie. 30


Introduction

1.            Améliorer l’efficacité et la qualité du service public délivré par les systèmes judiciaires au regard des attentes des praticiens du droit et des justiciables est au cœur de l’action de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ). En conformité avec un des objectifs sous-jacents de la CEPEJ, qui est de désengorger la Cour européenne des droits de l’homme (« CrEDH ») d’un nombre grandissant d’affaires, et en consultation avec le Greffe de la CrEDH ainsi que le Service de l’exécution des arrêts de la CrEDH auprès du Conseil de l’Europe (CdE), le Groupe de travail sur la qualité de la justice (CEPEJ-GT-QUAL) a entamé une réflexion sur la portée du droit à un recours effectif consacré par l’Art. 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et ses relations avec l’Art. 6 CEDH. Cette réflexion a eu égard, en particulier, aux implications que la mise en place des recours effectifs pose aux systèmes judiciaires et à la qualité de la justice. Une étude exploratoire a été discutée avec le Groupe sur cette question[1] abordant, entre autres, la mise en œuvre de recours effectifs dans des Etats membres sélectionnés du Conseil de l'Europe (CdE) et mettant en avant des points essentiels et des recommandations. Tout en valorisant le contenu et les conclusions d'une telle étude, les membres du CEPEJ-GT-QUAL ont décidé de choisir une approche différente et de mettre l'accent sur les actions possibles nécessaires pour traiter les sources des problèmes structurels existants dans ce domaine, et qui sont la cause principale du dysfonctionnement dans l'activité judiciaire. Par conséquent, le présent document se concentre sur les mesures structurelles qui doivent être prises avant l'introduction des recours effectifs sur base de l’Article 13 de la CEDH, pour améliorer le fonctionnement de la justice et décharger les systèmes judiciaires.  

2.            L’objectif du présent document est de fournir un cadre de référence. Il illustre des initiatives adoptées par certains Etats membres du CdE qui peuvent être considérées comme une source utile d’inspiration pour les décideurs publics et les professionnels de la justice dans la recherche de solutions aptes à garantir un meilleur fonctionnement des systèmes judiciaires, tout en étant respectueuses de l’exigence de fournir à l’usager un service public de qualité.

3.            En principe, trois critères principaux peuvent être retenus dans le cadre d’une évaluation du fonctionnement de la justice dans un pays donné ou lors d’une analyse comparative, qui correspondent respectivement à trois aspects fondamentaux de la justice : a) l’équité des procédures et de la décision ; b) les délais de procédure ; c) les coûts pour les parties au litige ainsi que pour les finances publiques[2]. En effet, le bon fonctionnement de la justice découle essentiellement d’une mise en balance adéquate de ces trois aspects fondamentaux par le décideur public. Eu égard aux fins poursuivies par le CEPEJ-GT-QUAL, l’application des critères d’évaluation susmentionnés doit être remodelée. Plus précisément, il faut se focaliser sur les actions qui, tout en restant abordables pour les finances publiques, soient aptes à réduire la surcharge des tribunaux et les délais des procédures sans entraîner, à la fois, des obstacles excessifs au droit d’accès à un tribunal, ni préjuger de l’équité de la procédure. En d’autres termes, ces actions doivent s’inscrire dans le cadre du respect des garanties découlant de l’Art. 6 CEDH et, de manière générale, des éléments pertinents du droit international et européen des droits de l’homme, poursuivant toujours l’objectif d’une justice de qualité.

4.            Par ailleurs, le CEPEJ-GT-QUAL a souhaité que la formulation de ces mesures s’appuie essentiellement sur les plans d’actions, les bilans d’actions et les autres documents d’information présentés par les gouvernements des pays du CdE au Comité des Ministres dans le cadre du processus d’exécution des arrêts de la CrEDH ayant constaté une violation du délai raisonnable aux termes de l’Article 6 § 1 CEDH[3]. Il s’agit, au demeurant, d’une méthodologie largement suivie dans le rapport « Analyse des délais judiciaires dans les Etats membres du Conseil de l’Europe à partir de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme », rédigé par Françoise Calvez en 2006 et actualisé par M. Nicolas Régis en 2012, qui a été adopté par la CEPEJ lors de sa 20ème réunion plénière. 

5.            Toutefois, l’adoption de cette méthodologie présente des points critiques et risque de produire des résultats partiels ou erronés.

6.            En premier lieu, les documents soumis par les pays du CdE dans le cadre du processus d’exécution des arrêts de la CrEDH ayant constaté une violation du délai raisonnable aux termes de l’art. 6 § 1 CEDH n’indiquent pas toujours les mesures générales adoptées ou envisagées par le pays concerné. En fait, la violation du délai raisonnable constatée par la CrEDH dans l’affaire en question ne décèle pas nécessairement un problème plus général dans le fonctionnement du système judiciaire[4]. Dès lors, s’appuyant exclusivement sur les documents soumis dans le cadre du processus d’exécution des arrêts de la CrEDH, on finirait par considérer exclusivement les pays dont les problèmes structurels de fonctionnement des systèmes judiciaires se sont manifestés devant la CrEDH, et par négliger, au contraire, les actions – vraisemblablement efficaces – entreprises par les pays qui ne montrent pas des problèmes similaires. Ce risque a été pallié en utilisant d’autres sources (primaires et secondaires), dans la limite de leur accessibilité pour l’expert.

7.            En deuxième lieu, les documents soumis par les pays du CdE dans le cadre du processus d’exécution des arrêts de la CrEDH n’offrent pas toujours assez de détails pour permettre de bien comprendre les mesures adoptées, ainsi que le contexte antérieur et postérieur à la réforme en question. Dès lors, dans le cadre de ce document, seules certaines mesures sont présentées de manière détaillée.

8.            En troisième lieu, dans le cadre de la surveillance de l’exécution des arrêts de violation du délai raisonnable, le Comité des Ministres procède moins à une évaluation analytique de l’impact de chacune des mesures présentées par le pays concerné qu’à une évaluation globale de l’efficacité de celles-ci. Aux fins d’une évaluation analytique, il serait souhaitable de conduire également une investigation approfondie et multidisciplinaire, incluant l’interrogation des divers acteurs et utilisateurs de la justice.

9.            En quatrième et dernier lieu, il faut garder à l’esprit que, dans le cadre de la surveillance de l’exécution des arrêts de violation du délai raisonnable, le Comité des Ministres n’est pas appelé à évaluer les effets des actions entreprises par le pays concerné sur le terrain des autres volets du droit au procès équitable aux termes de l’art. 6 § 1 CEDH et, plus généralement, de la qualité de la justice. En effet, même si dans certains cas les actions du pays « sous surveillance » permettent d’affirmer qu’il a rempli ses obligations découlant de l’art. 46 CEDH et, donc, de clôturer l’examen (de l’affaire ou bien) du groupe d’affaires en question, ces actions sont essentiellement approuvées, car elles ont globalement réduit la surcharge du système judiciaire considéré et ont raccourci la durée moyenne des procédures. En revanche, comme exposé précédemment, le CEPEJ-GT-QUAL se soucie de mettre en relief les actions qui, tout en restant abordables pour les finances publiques, soient aptes à réduire la surcharge des tribunaux et les délais des procédures sans entraîner, à la fois, des obstacles excessifs au droit d’accès à un tribunal, ni préjuger de l’équité de la procédure. Dès lors, dans le cadre de ce document, l’indication des diverses actions entreprises ou envisagées par les pays considérés s’accompagne de quelques considérations visant à mettre en évidence les effets potentiellement négatifs de ces actions sur le terrain du droit d’action et des garanties du droit à un procès équitable. Il s’agit moins de tirer des conclusions définitives ou de faire des évaluations précises que d’inviter à la réflexion et à la prudence dans un domaine aussi sensible.

10.          Après avoir indiqué les risques potentiels découlant de la méthodologie suggérée et des moyens qu’il est possible de déployer pour y pallier, il y a lieu de formuler quelques précisions supplémentaires sur l’objet de l’analyse et la structure adoptée.

11.          En ce qui concerne son objet, l’analyse s’est focalisée principalement, mais non exclusivement, sur la période qui n’est pas entièrement couverte par le Rapport Calvez-Régis précité, à savoir de 2011 jusqu’à présent[5]. Cette analyse considère l’administration de la justice (et les actions entreprises) dans les domaines civil et administratif, sans examiner le domaine pénal[6].

12.          En ce qui concerne la structure de l’analyse, les diverses actions recensées ont été regroupées autour de divers axes : certains d’entre eux concernent l’organisation du système judiciaire et, plus particulièrement, les tribunaux dans l’exercice de leurs fonctions (paragraphes nos 1-3); d’autres axes concernent les règles de procédure et, en particulier, le rôle du juge dans la préparation de l’affaire et la gestion des temps de la procédure (paragraphes nos 4-5) ; le dernier axe s’intéresse aux diverses actions envisageables pour réduire ou gérer de manière plus efficace la « demande en justice »,  y compris la conciliation et la médiation (paragraphe no 6). Enfin, il a été a estimé opportun de rappeler que le succès de toute réforme dépend également de la manière dont elle est conçue et mise en place (paragraphe no 7).

1.     Carte judiciaire et répartition du contentieux parmi les diverses juridictions

13.          La surcharge de certaines juridictions pouvant découler de l’importance de leur ressort géographique et démographique, plusieurs pays ont essayé de rationaliser le réseau judiciaire, notamment par la création de nouveaux tribunaux (ou de nouvelles chambres auprès des juridictions existantes) et/ou par la suppression des tribunaux (ou des chambres) existants sur le territoire national. On assiste également à la modification des critères de compétence territoriale, au transfert des compétences d’une juridiction à l’autre, et à la création de juridictions spécialisées[7].

1.1          Augmentation des tribunaux

14.          Afin de mieux faire face aux besoins de la justice, plusieurs pays ont augmenté le nombre de tribunaux sur leur territoire (par exemple la Slovaquie et la Turquie) ou de sections des certaines cours (par exemple, en Turquie, les sections des cours administratives régionales).

1.2          Création de tribunaux spécialisés ou de sections spécialisées

15.          Un grand nombre de pays ont mis en place des juridictions ou des sections spécialisées pour répondre aux besoins de la justice dans certains secteurs du droit.

16.          Par exemple, la Turquie a créé des tribunaux spécialisés pour traiter le contentieux en matière de sécurité sociale et de pensions, la France envisageant d’effectuer une démarche similaire[8]. La Belgique a créé un tribunal de la famille et de la jeunesse. En Grèce, des sections spécialisées en contentieux fiscal ont été créées dans les tribunaux administratifs ayant plus de trois sections. L’Italie a mis en place des tribunaux des entreprises, à savoir des sections spécialisées en matière de droit de la concurrence, droit des sociétés, propriété industrielle, marchés publics et autres litiges commerciaux auprès de chaque tribunal et cour d’appel siégeant dans le chef-lieu de chaque région. En Roumanie, une formation spécialisée au sein de la Haute Cour de Cassation et de Justice a été créé pour l’examen des recours dans l’intérêt de la loi.

17.          En Suisse, il existe depuis 2012 un « Tribunal fédéral des brevets » compétent pour tous les litiges en matière de brevets d’inventions (art. 26 LTFB[9]). Les décisions de cette juridiction ne peuvent être contestées que directement devant le Tribunal fédéral. Par ailleurs, les litiges boursiers en matière de propriété intellectuelle, de concurrence déloyale, et de cartel doivent être directement portés devant les juridictions cantonales d’appel (art. 5 CPC). Les cantons peuvent se doter d’une juridiction cantonale statuant en premier et dernier ressort sur tous les litiges entre personnes inscrites au registre du commerce (art. 6 CPC), le recours devant le Tribunal fédéral demeurant cependant toujours possible.

18.          Pour une série de pays, comme la Bulgarie et l’Albanie, c’est le contentieux administratif qui est à l’origine de la mise en place de juridictions ou de sections spécialisées.

19.          En Autriche, la réforme du contentieux administratif, en vigueur depuis le 1er janvier 2014, a entraîné l’abolition du système de recours hiérarchiques et la rationalisation des voies de recours disponibles : désormais chaque décision administrative ne peut être attaquée que devant un tribunal administratif fédéral ou régional, dont le jugement peut être contesté en second (et dernier) ressort devant la Cour supérieure administrative (pour violation de la loi) ou devant la Cour constitutionnelle (pour violation de la Constitution). Les nouveaux tribunaux administratifs (11 au niveau régional et 2 au niveau fédéral) remplacent, entre autres, les anciennes commissions administratives indépendantes (« unabhängiger Verwaltungssenat ») et la cour pour l’asile, exerçant ainsi les tâches auparavant confiées à 120 organes quasi-judiciaires.

20.          En principe, la spécialisation du juge, lequel devient plus expérimenté dans certains secteurs du droit et dans les litiges typiques à ceux-ci, peut contribuer à la fois à la qualité et à l’accélération des délais de justice. Néanmoins, en l’absence de toute forme de rotation ou d’alternance, la permanence du juge dans la même juridiction ou section spécialisée pourrait entraîner, au fil du temps, la création d’une familiarité excessive avec un cercle limité d’avocats et experts, ce qui ne profite pas nécessairement à une gestion efficace des procédures et, de manière générale, à l’apparence d’impartialité de la juridiction en question. Cette question a été fréquemment soulevée s’agissant des juridictions commerciales créées dans les cantons suisses et au sein desquels siègent des juges-assesseurs assumant également certains mandats en faveur d’établissements bancaires ou de compagnies d’assurances. Il arrive que les personnes concernées n’aient pas spontanément conscience de toutes les conséquences de leurs relations d’affaires, voire qu’elles en dissimulent l’existence aux parties[10].

 

21.          En outre, il arrive souvent que les juridictions spécialisées soient chargées de secteurs du contentieux les plus sensibles et délicats pour l’administration et/ou pour les finances de l’Etat. S’il n’y a pas lieu de douter a priori de l’égalité entre les parties au cours des procédures devant ces juridictions, on ne saurait exclure le risque que l’interprétation et l’application du droit par celles-ci apparaissent influencées par des considérations d’opportunité politique et/ou de soutenabilité budgétaire. Dès lors, il faut assurer à ces juridictions et à leurs membres les mêmes garanties d’indépendance qu’aux juges judiciaires ; en ce sens, la création de sections spécialisées au sein des juridictions ordinaires serait préférable à la création de juridictions autonomes ayant un statut différent.   

1.3    Modification des ressorts judiciaires, entrainant éventuellement la suppression de certaines juridictions ou leur rattachement à d’autres

22.          Certains pays ont reformé leur carte judiciaire en élargissant les ressorts judiciaires. En Belgique, par exemple, une réforme de 2013[11] a réduit au nombre de 12 les 27 arrondissements existants. 

23.          Les mesures de ce type comportent souvent le rattachement administratif des tribunaux les plus petits à d’autres tribunaux déjà existants, les premiers pouvant être supprimés ou maintenus en tant que sections détachées exerçant les fonctions de juridiction de proximité.

24.          En Roumanie, 12 tribunaux de première instance ont été supprimés, leurs ressources humaines et matérielles ayant été redistribuées. En Italie, la redéfinition des ressorts judiciaires a concerné environ 1.400 juridictions de première instance, entraînant la suppression de 750 petits sièges judiciaires et leur rattachement aux sièges limitrophes plus grands. Au Portugal, l’extension des ressorts judiciaires a entraîné une nouvelle répartition des compétences au sein des tribunaux de première instance, notamment entre le siège central (où se trouvent toutes les sections spécialisées) et les sièges locaux (exerçant une juridiction générale et de proximité). À la fin des années 1990 aux Pays-Bas, une douzaine de juridictions de proximité (kantongerechten) ont été supprimées, alors que plus de 50 de celles-ci ont été transformées en sections détachées des tribunaux du district (rechtbanken) exerçant les fonctions de juridiction de proximité.

25.          La réforme de la carte judiciaire entreprise en France depuis 2007[12] a eu comme résultat la suppression de tribunaux et le rattachement de certains à d’autres juridictions existantes : Cette réforme a réduit le nombre de 186 à 163 tribunaux de grande instance, de 473 à 302 tribunaux d’instance, de 271 à 210 conseils des prud’hommes, et de 1190 à 863 juridictions commerciales. Le critère d’activité (seuil minimal d’affaires pour chaque type de juridiction existante), prenant également en compte l’évolution démographique ainsi que les avis exprimés par les responsables des juridictions concernées a été utilisé afin de redessiner la carte judiciaire,. En outre, au moins un tribunal de grande instance par département a été maintenu ; de même, la suppression des tribunaux d’instance dans les villes où le tribunal de grande instance était supprimé ou qui sont situés à plus d’une heure de route du tribunal d’instance de rattachement a été évité.

26.          Comme le démontre le dernier exemple, les mesures de ce type peuvent contribuer à une répartition plus rationnelle sur le territoire national des ressources disponibles et, en particulier, à donner à chaque juridiction le nombre de magistrats nécessaires pour faire face à leurs tâches (par exemple : juger en formation collégiale) et à poursuivre leur spécialisation. D’ailleurs, certains facteurs, tels que la géographie et l’accessibilité des diverses zones, doivent également être pris en compte pour pallier les risques que la réorganisation de la carte judiciaire et la suppression de certaines juridictions peuvent soulever sur le terrain de l’accès au juge (voir à ce propos les Lignes directrices relatives à la création de cartes judiciaires visant à faciliter l’accès à la justice dans un système judiciaire de qualité, précitées, par. 2). En outre, il faut veiller à ce que le rattachement des tribunaux n’entraîne la création d’une juridiction de dimension excessive chargée d’un trop grand nombre d’affaires. Enfin, toute réforme de la carte judiciaire doit se dérouler dans le respect des attributions constitutionnelles des diverses institutions (voir, par exemple, les difficultés rencontrées par la Pologne dans le processus de réforme entrepris en 2012 en raison des conflits d’attribution entre le Ministre de la justice et le Conseil supérieur de la magistrature).

1.4          Modification de la compétence

27.          Une répartition plus efficace et performante des litiges au sein de l’appareil judiciaire peut être assurée en modifiant la compétence de certaines juridictions[13].

28.          Ceci peut d’abord être réalisé en augmentant la compétence en première instance des juridictions de proximité au détriment du tribunal central. Tel est le cas du Portugal, en ce qui concerne l’élargissement de la compétence du juge de paix (de 5.000 EUR à 15.000 EUR), et de la Grèce, où l’augmentation du seuil de compétence du juge de paix (de 12.000 EUR à 20.000 EUR) s’est doublée d’une attribution à cette même juridiction de plusieurs types d’affaires non contentieuses (curatelle, publication du testament, etc.). 

29.          En Italie, la compétence du juge de paix (giudice di pace) liée à la valeur du litige est passée de 2.500 EUR environ à 5.000 EUR en ce qui concerne les litiges portants sur des biens corporels, et de 15.000 EUR environ à 20.000 EUR en ce qui concerne les litiges portant sur les dommages causés par des accidents de la circulation. En outre, la loi n° 57 du 28 avril 2016, qui a délégué au Gouvernement le pouvoir de réformer globalement le statut des juges non professionnels, envisage l’augmentation ultérieure du seuil de compétence du juge de paix (30.000 EUR en ce qui concerne les litiges portant sur des biens corporels, et 50.000 EUR en ce qui concerne les litiges portant sur les dommages causés par des accidents de la circulation) ainsi que  l’attribution au juge de paix des procédures de juridiction gracieuse en matière de copropriété, des procédures de juridiction gracieuse en matière successorale et de communauté des biens les moins complexes et, sous la direction d’un juge professionnel choisi par le président du tribunal, de certaines procédures de saisie des meubles du débiteur, qui peut éventuellement se dérouler avec la présence d’un tiers.   

30.          Il peut s’agir ensuite de la simplification des critères d’attribution de la compétence. En Roumanie, par exemple, le tribunal de première instance (judecatorie) était compétent, en matière commerciale, pour les litiges de valeur inférieure ou égale à 100.000 RON (environ 20.000 EUR), et en matière civile, pour les litiges de valeur inférieure ou égale à 500.000 RON (à savoir 100.000 EUR environ). Avec l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure civile en 2013, cette juridiction de proximité est devenue compétente pour connaître des litiges de valeur inférieure ou égale à 200.000 RON (à savoir 40.000 EUR environ), tout sujet confondu.  

31.          Dans la mesure où les juridictions de proximité ne sont pas composées de juges professionnels, l’extension de leur compétence à des litiges de valeur et d’importance considérables devrait être accompagnée par la mise en place des garanties adéquates, qui devraient progressivement se rapprocher de celles liées au statut de juge professionnel, afin d’assurer l’impartialité et l’indépendance des juges non-professionnels.

32.          Enfin, certains pays ont supprimé la compétence exclusive du Conseil d’Etat pour certaines catégories de litiges. C’est le cas des Pays-Bas où, au fil des années 1990, la compétence à connaître des litiges entrainant le contrôle des actes administratifs a été confiée à des sections spécialisées des tribunaux du district, le Conseil d’Etat devenant seulement une juridiction d’appel en la matière. C’est également le cas de la Grèce, où une série de litiges entraînant l’annulation d’actes administratifs a été confiée aux tribunaux administratifs de première instance ou aux cours d’appel administratives, ainsi que de la Turquie pour ce qui est des litiges portant sur les actes administratifs qui ne sont pas applicables sur tout le territoire turc.

2.     Décision collégiale ou à juge unique

33.          La réduction de la collégialité dans les juridictions de première instance constitue une tendance grandissante depuis plusieurs années dans les pays du CdE, car l’attribution de l’affaire à un juge unique permet de profiter au maximum des ressources humaines à disposition, alors que la collégialité présente des difficultés objectives pour l’organisation du travail des juges et contribue à alourdir le déroulement des procédures.

34.          Sur ce plan, l’exemple de la Grèce est très significatif : depuis 2011, le seuil de compétence du tribunal à juge unique, au détriment de la formation collégiale, est passé de 80.000 EUR à 120.000 EUR et, enfin, à 250.000 EUR. Au tribunal à juge unique on a également confié une vaste catégorie de litiges de droit de la famille (séparation de corps, divorce, etc.). De même, le seuil de compétence du tribunal administratif à juge unique est monté de 5.000 EUR à 60.000 EUR.

35.          Une démarche similaire a été récemment suivie en Turquie, où le seuil de compétence du tribunal administratif de première instance en tant que juge unique est passé de 3.500 EUR à 10.600 EUR. Cette mesure entraîne également une réduction de la compétence du Conseil d’Etat en deuxième ressort, car c’est la cour administrative régionale qui statue sur les appels interjetés contre les décisions du tribunal administratif de première instance à juge unique.

36.          Le système de répartition de la compétence entre formation à juge unique et collégiale du tribunal (Landgericht), qui est adopté en Allemagne (cf. § 348 Zivilprozessordnung, dorénavant : « ZPO »), mérite d’être souligné en raison de sa rationalité et de sa flexibilité. Depuis 2002, ce tribunal statue en principe à juge unique, sauf si le juge chargé de l’affaire en est à sa première année d’expérience, si la chambre de trois juges est compétente ratione materiae (par exemple en matière de propriété intellectuelle), ou si c’est le juge unique lui-même qui se dessaisit de l’affaire au profit de la chambre en raison de la difficulté de l’affaire ou de son importance. Inversement, la chambre peut se dessaisir d’une affaire ressortant originairement de sa compétence si elle n’est pas difficile ou est dépourvue d’importance.

37.          Plusieurs pays ont opté pour une décision à juge unique même en deuxième instance. En Italie, par exemple, c’est le tribunal à juge unique qui décide des appels interjetés contre les jugements du juge de paix. La même démarche a été récemment suivie en Grèce, où a également été attribuée à la cour d’appel à juge unique la compétence pour les appels interjetés contre les jugements du tribunal à juge unique.

38.          Il est également envisageable en Allemagne qu'un juge statut seul en appel si le jugement a été rendu en première instance par un juge unique, selon le niveau de difficulté de l’affaire, ainsi que son degré d'importance (§ 526 ZPO).

39.          Si l’utilisation du juge unique a été encouragée par le CdE[14] et peut être considérée acquise dans ses pays membres, surtout en première instance, il n’en reste pas moins que la collégialité de la décision (sinon l’instruction de l’affaire) constitue un moyen supplémentaire d’assurer l’impartialité du juge. En l’absence de collégialité, l’impartialité est assurée essentiellement par les garanties découlant du statut du juge ; dès lors qu’une affaire, parfois d’une importance non négligeable, est tranchée par un juge unique non professionnel, il y a lieu d’assurer une voie de recours devant un juge professionnel.

3.     Mise à disposition et gestion des ressources : l’organisation des tribunaux et la rationalisation des méthodes de travail

40.          La mise à disposition de locaux adéquats pour l’activité judiciaire est une condition préalable au bon fonctionnement d’un système judiciaire : c’est pourquoi certains pays (par exemple la Bulgarie, la Slovaquie, la Slovénie et la Turquie) ont fait des efforts significatifs pour réaménager les locaux existants ou édifier de nouveaux palais de justice[15].

41.          Par ailleurs, il faut noter l’augmentation – elle aussi essentielle – du nombre de juges et/ou de greffiers (par exemple en Bulgarie, Grèce, Italie, Roumanie, Slovaquie).

42.          Compte tenu de l’importance des tâches en question, l’augmentation des effectifs ne doit pas se traduire en un assouplissement des critères de sélection ou en un abaissement de la qualité de la formation, initiale et continue.

3.1          Transferts des ressources humaines entre juridictions

43.          Afin de faire face aux besoins des juridictions en sous-effectif et de gérer, le cas échéant, des congestions temporaires, plusieurs pays ont essayé de mieux distribuer les ressources humaines à disposition. En plus de la suppression de juridictions existantes et de la redistribution des effectifs qui y étaient assignés, il s’agit soit de changer le système d’affectation, soit de mettre en place des mécanismes de mutation et de remplacement plus rapides et plus rationnels.

44.          En Belgique, la réforme des arrondissements judiciaires implémentée en 2013 a également renforcé la mobilité des membres de l’ordre judiciaire : les magistrats peuvent être affectés plus facilement dans les différentes divisions territoriales au sein d'un plus grand arrondissement, et les situations imprévues (par exemple l'engorgement d’un tribunal) peuvent être gérées plus rapidement (avec l’aide de juges travaillant auprès d’autres tribunaux du même arrondissement).

45.          En Slovénie, les tribunaux de première instance sont devenus, sur le plan administratif, des sections de la juridiction du ressort (cour d’appel). Ainsi, chaque année, le président de la cour d’appel, eu égard à la charge de travail de toute section de son ressort, peut décider que le juge d’une section locale travaille également pour une autre section du même ressort.

46.          Si au Portugal a été créé une équipe de juges suppléants pour faire face aux besoins contingents d’une juridiction, en Hongrie, la loi sur les tribunaux prévoit que chaque juge peut être détaché auprès d’une autre juridiction sans son consentement pour une période d’une année tous les trois ans. De surcroît, une nouvelle figure de « juge détaché » a été créée : l’avis de vacance du poste à pourvoir peut stipuler que le juge peut être détaché auprès d’une autre juridiction sans son consentement pendant une période donnée. 

47.          Dans la mesure où les systèmes d’affectation/mutation décrits ci-dessus produisent une rotation forcée et empêchent la continuité de la fonction, ils peuvent affaiblir le sentiment d’attachement au service et causer la démotivation du personnel détaché. En outre, il y a lieu de veiller à ce que la perspective d'un transfert, surtout si celui-ci est possible en l’absence du consentement de la personne concernée, ne devienne pas un moyen de pression sur le juge, mettant ainsi en cause son indépendance.

3.2          Recours aux référendaires et à des nouvelles figures professionnelles

48.          Pour aider les juges dans l’accomplissement de leurs fonctions ou alléger leurs tâches, plusieurs systèmes judiciaires font de plus en plus recours à des figures de professionnels du droit encadrés au sein des juridictions, selon l’exemple de la tradition française (greffiers et conseillers judiciaires) et allemande/autrichienne (Rechtspfleger). Ces professionnels bénéficient d’une garantie d’indépendance dans certains états membres.

49.          Selon le premier modèle, le personnel non-juge assiste le juge à l'audience et apporte une aide dans la rédaction de projets de décisions judiciaires et la recherche de jurisprudence. En France, les greffiers des services judiciaires sont définis par le nouveau décret statutaire du 15 octobre 2015, en tant que techniciens de la procédure, assistant et authentifiant les actes juridictionnels des magistrats, mais exerçant aussi des fonctions d'assistance renforcée auprès des magistrats dans le cadre de la mise en état des affaires ainsi que dans le cadre de recherches juridiques ; ils rédigent des projets de décisions et de réquisitoires ou ils se voient déléguer la motivation des décisions. Ils peuvent aussi être chargés d'un service d'accueil et d'informations générales au public pour renseigner, orienter et accompagner les usagers dans l'accomplissement des formalités ou procédures judiciaires.

50.          Selon le deuxième modèle, le Rechtspfleger se définit comme un organe judiciaire indépendant ancré dans la loi ou la Constitution, qui remplit des fonctions à caractère juridictionnel qui lui sont déléguées par la loi, suite à un transfert de tâches des juges. Plus particulièrement, le Rechtspfleger n'assiste pas le juge. Il est présent à ses côtés et peut se voir confier par la loi différentes tâches, par exemple dans le domaine du droit de la famille et du droit de garde, du droit des successions ou du droit des registres fonciers et commerciaux. Il peut également être habilité à prendre de manière indépendante des décisions en matière d'attribution de la nationalité, d'injonctions à payer, d'exécution des décisions, de ventes forcées de biens immobiliers, d'affaires pénales, d'exécution des affaires pénales (publication de mandats d'arrêt ou de poursuite), d'exécution des peines de substitution à la prison ou d'accomplissement de travaux d'intérêt général, de poursuite devant le tribunal de district, d'aide judiciaire, etc.

51.          Pour citer quelques exemples, 2013 a vu la création d’une nouvelle figure d’assistant du juge en Estonie, et la création des assistants de recherche auprès de la Cour de cassation en Italie. Dans ce dernier pays, on procède également à la création d’une structure mixte au sein des tribunaux (ufficio del processo) : composée de stagiaires, greffiers et juges honoraires, cette structure est censée assister le juge dans les activités de recherche, préparation de l’audience, recensements statistiques, etc.

52.          En 2016, la France a décidé de l’introduction – tant auprès des juridictions judiciaires[16] que des juridictions administratives[17] –des juristes assistants, c'est-à-dire des personnes ayant acquis des compétences juridiques solides (grâce à leur formation universitaire et/ou à leur expérience professionnelle) et qui, en conséquence, peuvent permettre de libérer de manière significative du temps de magistrat professionnel. Le recrutement des juristes assistants auprès des juridictions judiciaires et administratives a lieu sur la base de contrats temporaires de deux ou trois ans et renouvelables une ou deux fois, respectivement. Il n’est pas dépourvu d’intérêt, au demeurant, que sous certaines conditions, les juristes assistants auprès des juridictions judiciaires puissent être directement nommés auditeurs de justice et être ainsi, intégrés dans le corps judiciaire.

53.          Dans d’autres pays, les attributions du personnel non-juge ont été élargies : c’est le cas de la Pologne, où, depuis 2009, les referendarze peuvent, entre autres, délivrer le titre exécutoire européen, ordonner la correction des vices formels des actes des parties à la procédure, examiner les demandes de mise sous tutelle des personnes de provenance inconnue, etc. De manière similaire, suite à la loi organique du 19 décembre 2003, les secretarios judiciales espagnols connaissent des attributions juridictionnelles en matière d'exécution et de juridiction gracieuse notamment.

54.          Pour d’autres exemples et davantage de détails, se référer aux rapports de la CEPEJ sur les systèmes judiciaires européens, qui consacrent un chapitre ad hoc au personnel non-juge[18].

55.          L’utilisation de ce personnel non-juge peut contribuer à la productivité du juge et à la qualité de la justice à condition qu’un niveau adéquat de formation théorique et pratique soit assuré. En outre, dans la mesure où des tâches quasi-juridictionnelles ou juridictionnelles sont confiées à ces professionnels, il y a lieu de mettre en place des garanties d’indépendance et des mécanismes effectifs de surveillance. Les stages auprès des juridictions contribuent à l’enrichissement culturel et à la formation pratique des participants, qui peuvent également apporter un soutien ponctuel au travail de ces juridictions.

3.3    Informatisation de l’enregistrement et de la gestion des affaires, digitalisation des dossiers et des communications

56.          La mise en place de systèmes informatisés pour l’enregistrement et le suivi des affaires constitue un moyen indispensable pour assurer une bonne gestion du stock des affaires au sein de chaque juridiction, car elle rend plus rapide et économique la répartition de ces affaires, la gestion des ressources humaines et la surveillance du déroulement des procédures.

57.          A titre d'exemple, au fil de ces dernières années, en Estonie a été créé un nouveau système informatique qui assure à la fois la gestion des affaires au sein des tribunaux, l’accès des utilisateurs des tribunaux aux informations concernant l’état des procédures, ainsi que les communications du greffe[19]. Le Portugal travaille dans cette même direction tandis qu’en Slovénie, depuis 2012, un nouveau système de collecte statistique et traitement des données judiciaires permets la création de « tableaux de bords », permettant aux présidents et aux managers des juridictions l’accès à des informations fiables et analytiques nécessaires pour évaluer la performance et améliorer l’organisation du travail[20]. En Belgique, depuis février 2015, dans le cadre de la première phase du projet E-Deposit, les avocats ont pu, pour la première fois, transférer par voie électronique des conclusions et des pièces en matière civile vers la Cour d’appel et le tribunal du travail d’Anvers, permettant aux avocats, aux justiciables, aux cours et aux tribunaux de gagner du temps. En cas de résultats positifs, ce projet sera étendu à toutes les autres juridictions.

58.          En Italie, la digitalisation intégrale des actes de la procédure et des communications du greffe (Processo telematico) est allée de pair avec la mise en place d’un système de consultation en ligne de l’état de la procédure et de ses étapes principales (Polisweb). De manière similaire, l’Espagne a généralisé la communication digitalisée entre les diverses parties prenantes du système judiciaire, ce qui a permis de réduire les couts et les délais tout en assurant l’authenticité et  l’intégrité des documents communiqués[21].

59.          Comme certains de ces exemples le démontrent, les systèmes informatiques de gestion des affaires au sein du tribunal constituent également un outil essentiel pour fournir au personnel et aux utilisateurs un accès rapide, économique et dématérialisé de l’état de la procédure, et pour effectuer les communications nécessaires au cours de cette dernière. A ce propos, il y a lieu de rajouter l’exemple autrichien : depuis 2005 toute communication judiciaire est disponible sur un portal en ligne (Edict File) ; les listes des médiateurs, experts, interprètes et d’autres auxiliaires du juge étant également accessibles sur la toile[22].

60.          En Pologne, le code de procédure civile a été récemment modifié afin de permettre l’introduction par voie électronique des plaidoyers et des documents tout au long de la procédure civile. De plus, en matière d’enregistrement foncier, il est devenu obligatoire pour certaines entités (notaires, huissiers de justice et directeurs des offices des impôts) d’initier ce type de procédure par voie électronique. Cette modification permet la digitalisation des informations contenues dans la demande vers un registre foncier électronique, ainsi que l’enregistrement automatique des notifications dans les registres fonciers après la conclusion d’un acte notarial.

61.          En Roumanie, la loi « de la petite réforme » de 2010 permet également aux juges la notification aux parties par voie téléphonique, télégraphique, par fax ou par courriel.

62.          Depuis 2009, la Turquie a mis en place au niveau national le système informatique UYAP[23] pour la gestion des affaires et les communications aux utilisateurs. Par exemple, au moyen d’un SMS, les avocats peuvent être informés des dates des audiences.

63.          Si les avantages que comporte l’utilisation des systèmes informatiques pour la justice sont évidents, cette même technologie peut toutefois entraîner des problèmes d’accès à la justice. Les divers « bugs » ou blocages du système peuvent constituer un obstacle à l’accomplissement des actes de la procédure en bonne et due forme, et dans le délai établi sous peine de forclusion. En même temps, l’utilisation correcte des technologies informatiques peut soulever des difficultés importantes pour les personnes non familiarisées avec l’informatique de manière générale. C’est pourquoi, en Slovaquie, il est toujours possible de saisir le juge par écrit.

64.          L’informatique offre également des outils pour accélérer certaines activités judiciaires qui traditionnellement entrainent la rédaction physique d’un document. C’est d’abord le cas des procès-verbaux d’audiences, qui peuvent être préparés de manière plus efficace et complète grâce à un outil informatique. En Pologne, par exemple, depuis la modification en 2010 du code de procédure civile, on a introduit les procès-verbaux électroniques donnant aux parties l’accès à des enregistrements d’images et sonores du dossier. En Albanie, sont également utilisées les transcriptions des enregistrements audio des audiences pour rédiger les procès-verbaux. En Slovénie, depuis le 1er octobre 2010 les audiences sont enregistrées sur un support audio au lieu de procéder à la rédaction d’un procès-verbal par écrit, et on envisage également la possibilité de mettre à disposition l’enregistrement audio de l’audience pour les parties concernées au moyen d’un accès sécurisé via Internet. L’enregistrement des audiences constitue également un outil très efficace et apprécié en Lettonie[24].

65.          C’est également le cas de la motivation du jugement lorsque, comme en Pologne depuis 2014, l’audience est enregistrée sur un support audio-vidéo et le juge donne sa motivation à l'oral.

66.          De manière plus générale, il est évident qu’une bonne utilisation des outils informatiques permet d’économiser les ressources humaines nécessaires pour certaines activités, et donc, de les redéployer de manière plus efficace. En Slovénie, la délivrance des ordres d’exécution fondés sur certains documents faisant preuve de l’existence de la créance (lettres de change, chèques, etc.) a été intégralement digitalisée : si jusqu’en 2008 cette activité était accomplie par 350 employés auprès de 44 tribunaux locaux et demandait plusieurs mois d’attente, elle est désormais accomplie dans un délai de 48 heures par le Département central pour l’exécution sur la base des documents authentiques (CoVL) auprès du tribunal de Ljubljana, qui compte 4 juges et 62 autres employés[25].

 

67.          Une fois que l’enregistrement de l’affaire et sa gestion sont informatisées, il peut être envisagé la mise en place de masques dans lesquelles certaines informations et formules standards sont générées automatiquement par le système en suivant des trames de décisions standardisées : ceci aide à maintenir une structure constante et cohérente de décision, épargnant également du temps dans la rédaction et réduisant les erreurs de plume. Cela serait d’autant plus utile si le dossier de l’affaire (comprenant, par exemple, le procès-verbal et les conclusions des parties) était également digitalisé : d’autres éléments, que le juge devrait copier manuellement, pourraient ainsi être transférés automatiquement dans le texte de la décision. Cette méthode de travail, qui est couramment utilisée auprès du greffe de la Cour européenne des droits de l’homme, a été expérimentée au sein du parquet général du Land de Brandebourg (Allemagne)[26].

68.          Il convient également de rappeler que le CEPEJ-GT-QUAL est en train de définir des Lignes Directrices sur la conduite du changement vers la cyber-justice, qui analysent l’impact des technologies de l’information sur le travail judiciaire et le fonctionnement des systèmes judiciaires. Ce document fera état des défis, des risques et des opportunités qui se posent dans cette matière, tant sur le plan de l’efficacité que de la qualité de la justice.

3.4          Contrôles de l’activité des tribunaux

69.          Au fil de ces dernières années, certains pays ont augmenté les mesures pour s’assurer du respect des délais et inciter à obtenir de meilleures performances dans le travail judiciaire.

70.          En 2008, la loi fondamentale autrichienne a été modifiée en vue d’élargir la compétence de l’Ombudsman (Volksanwaltschaft) au fonctionnement de la justice : il peut désormais introduire des demandes de fixation d’un délai dans le cadre d’une procédure donnée et suggérer l’adoption de mesures de surveillance[27]. En outre, il y a lieu de mentionner la mise en place du Justiz-Ombudsstellen, une autorité de surveillance formée par des juges qui travaillent à temps partiel.

71.          En Belgique, la loi modifiant le code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire a instauré un meilleur contrôle des délais utilisés par les juges pour rendre leurs décisions. C’est ainsi qu’en cas de dépassement d'un délai de délibéré fixé par la loi, les juges doivent rendre compte à leurs autorités hiérarchiques (chef de corps, premier président de la cour d’appel ou du tribunal du travail) afin d’élaborer des solutions concertées et de pallier ces retards ; l’audition du magistrat concerné est obligatoire si les retards sont répétés. D’ailleurs, toutes les informations qui découlent de ce processus sont susceptibles d’être prises en compte à l’occasion de poursuites disciplinaires, de l’évaluation périodique du magistrat ou d’une procédure de nomination ou de désignation le concernant.

72.          En Estonie, le président de chaque juridiction a un pouvoir de vigilance et d’intervention en vue d’assurer le respect du délai raisonnable ; en outre, chaque président doit signaler au ministre de la Justice les affaires s’étalant sur plus de 3 ans.

73.          Depuis 2002, le mécanisme de financement des tribunaux aux Pays-Bas se fonde sur le nombre d’affaires résolues, eu égard à des durées standards pour chaque type d’affaire.

74.          Les actions de ce type soulèvent des questions importantes sur le plan du respect de l’indépendance des juges et de la promotion de la qualité de la justice. À ce propos, il suffit de rappeler l’avis n°17 (2014) du Conseil consultatif des juges européens (CCJE) sur l’évaluation du travail des juges, la qualité de la justice et le respect de l’indépendance judiciaire[28] et, en particulier, la Recommandation n°6 : « L'évaluation doit être fondée sur des critères objectifs. Ces critères devraient principalement être constitués d'indicateurs qualitatifs mais, en outre, peuvent inclure des indicateurs quantitatifs. Dans tous les cas, les indicateurs utilisés doivent permettre aux évaluateurs d'examiner tous les aspects constitutifs d’une bonne performance judiciaire. L’évaluation ne devrait pas être uniquement fondée sur des critères quantitatifs […] ». Cette recommandation exprime, d’un côté, le souci qu’en l’absence de règles objectives et de procédures structurées l’évaluation soit perturbée par des influences politiques ainsi que par le favoritisme, le conservatisme et le corporatisme ; de l’autre côté, elle vise à réaffirmer que la qualité de la justice ne doit pas être considérée comme synonyme de la simple « productivité » du système judiciaire[29].

75.          En ce qui concerne l’individualisation des indicateurs de performance, il peut être intéressant de rappeler également les points critiques qui ont été évoqués au sujet de l’art. 352-bis du code judiciaire belge, qui, depuis 2001, habilite le Roi à prendre un arrêté pour déterminer la manière dont doit être enregistrée et évaluée la charge de travail : « La première difficulté est liée à la diversité des méthodes de mesure, la seconde à l’hétérogénéité des contenus de la mesure de la charge de travail (intègrent-ils l’indication du temps nécessaire pour rendre un jugement, un contrôle de qualité, un contrôle de productivité par magistrat, le degré de difficulté, etc. ?). Enfin le dernier obstacle tient aux soupçons quant aux objectifs officiels ou potentiels poursuivis (aide à la décision pour le partage des ressources, gestion, surveillance du personnel, comparaison entre magistrats, détection de l’exercice insuffisant d’une fonction en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire, optimisation des ressources, etc. ?) »[30].

76.          Les problèmes évoqués sont inhérents à une vision « classique » du contrôle, qui vise essentiellement l'identification (et la sanction) des cas problématiques ou, au contraire, les progressions de carrière des magistrats. Une autre approche peut néanmoins être envisagée : le contrôle de la performance globale d’une juridiction donnée. Dans ce cadre, l’indépendance du juge va de pair avec sa responsabilité à l’égard des attentes des justiciables et des sociétés démocratiques[31]. Il est donc essentiel que les juges soient associés à la conception du système d’indicateurs, à son développement et à son utilisation. L’évaluation de la performance est alors faite essentiellement dans le cadre d’un processus collectif qui implique les parties prenantes concernées, et qui vise moins l’individualisation des responsabilités que la prise en charge collective du fonctionnement de la juridiction et la diffusion des méthodes de travail les plus efficaces[32].  

3.5          La décentralisation de la gestion de l’organisation judiciaire

77.          Une mention particulière doit être faite de l’ambitieux projet de décentralisation de la gestion des juridictions mis en œuvre en Belgique par la loi du 18 février 2014 relative à l’introduction d’une gestion autonome de l’organisation judiciaire. 

78.          D’après cette loi, qui a créé le Collège des cours et des tribunaux et le Collège du ministère public, le ministre de la Justice passe un contrat de gestion avec chacun des deux collèges. Un engagement à atteindre des résultats précis, sur la base duquel seront attribués le personnel et les moyens, est lié à ce contrat de gestion. Les organes négocieront avec le ministre au sujet des moyens qu'ils requièrent et devront justifier la manière dont ces moyens seront utilisés.

79.          Il appartiendra ensuite aux organes de gestion eux-mêmes, en concertation avec les entités locales, de déterminer, dans les limites de l'enveloppe attribuée, comment ces moyens seront répartis entre les différentes divisions au sein de l'ordre judiciaire. Cette répartition se fera sur la base d'un plan de gestion que les entités locales devront rédiger et présenter aux collèges. Les entités locales seront dirigées par un comité de direction.

80.          Enfin, la répartition des affaires est établie sur la base d’un règlement local réalisé par le chef de corps de chaque tribunal (après avoir entendu l’avis du ministère public, du greffe et du barreau) et approuvé par le Roi.

81.          Sur la base des plans de gestion établis par les entités locales, le collège compétent évaluera si les objectifs sont atteints et si les moyens attribués doivent être adaptés. Chaque année, tant les collèges que les entités locales devront rendre un rapport de gestion. L’attribution d’un budget global à la justice peut enfin permettre une meilleure allocation des ressources.

3.6          Plans d’action visant l’élimination de l’arriéré judiciaire

82.          Afin de combattre l’arriéré judiciaire, qui alourdit le travail des juridictions et constitue la source principale des constats répétés de violation du délai raisonnable aux termes de l’art. 6 § 1 CEDH, deux pays ont lancé des plans d’action extraordinaires.

83.          Suite à l’arrêt de la CrDEH du 6 octobre 2005 dans l’affaire Lukenda, la Slovénie a adopté le « projet Lukenda », qui échelonnait une série de mesures impliquant la collaboration de plusieurs acteurs institutionnels, sur la base de divers protocoles d’action. Le but de ce projet était l’élimination de l’arriéré judiciaire avant le 31/12/2010, délai qui a été prorogé jusqu’au 31/12/2012.

84.          Le projet Lukenda indiquait trois axes d’action principaux :

-       pourvoir les tribunaux de lieux de travail suffisants ;

-       augmenter le nombre de juges et de greffiers ;

-       prévoir des primes de productivité liés aux résultats dans l’élimination de l’arriéré judiciaire pour les juges qui seront chargés de cette tâche (et qui traiteront donc davantage d’affaires).

85.          Ces axes d’action étaient complétés de plusieurs mesures d’accompagnement, dont on a déjà fait mention et qu’on mentionnera ultérieurement. Il y a lieu de rappeler ici:

-       qu'un délai de référence pour l’achèvement d'une procédure est désormais prévu dans la Loi sur les tribunaux selon le type d’affaire et la juridiction concernée. Ces délais ont été réduits de manière considérable depuis 2006. Concernant la collecte des données statistiques, les affaires qui n’ont pas été tranchées dans le délai attendu sont comptabilisées séparément ;

-       que des programmes de réduction de l’arriéré judiciaire ont été élaborés et mis en place avec également l’introduction d’un système de suivi statistique adéquat ;

-       des primes de productivité, liés aux résultats dans l’élimination de l’arriéré judiciaire, ont également été prévus.

86.          L’Italie a d’abord prévu l’obligation pour les présidents des juridictions d’adopter des plans pour l’évaluation de l’arriéré judiciaire, combinée à des primes de productivité pour le personnel du greffe.

87.          Ensuite, à partir de l’automne 2014, un Recensement spécial de la justice civile a été effectué par le ministère de la Justice. Il s’agit, brièvement, d’une analyse statistique plus détaillée des affaires fondée sur l’ancienneté de la procédure (année d’introduction de la procédure), la matière (par exemple procédure contentieuse/non-contentieuse), la juridiction concernée, la localisation de la juridiction ainsi que sa taille. Les objectifs de cette analyse sont les suivants :

-       Distinguer, dans le stock des affaires pendantes, les procédures qui dépassent le délai raisonnable;

-       vérifier la productivité réelle des juges en prenant en compte la complexité des affaires tranchées ;

-       responsabiliser les présidents des juridictions.

88.          Le Recensement spécial de la justice civile a constitué la base du « Programme Strasbourg 2 », lancé par le ministère de la Justice, puis endossé par le Conseil supérieur de la magistrature, qui vise à : 

-       inviter les présidents des juridictions de première instance et d’appel à donner une priorité absolue à la définition des procédures les plus anciennes : d’abord les affaires introduites avant 2000, puis les affaires introduites avant 2005 ;

-       adopter les bonnes pratiques recensées dans le Programme Strasbourg du tribunal de Turin[33] (qui correspondent largement aux Lignes directrices Saturn de la CEPEJ) ou d’autres bonnes pratiques recensées par le Conseil supérieur de la magistrature.

89.          Le risque principal des projets extraordinaires visant l’élimination ou la réduction du « backlog » est de promouvoir une vision unidirectionnelle de l’activité judiciaire marquée uniquement par une logique de productivité. En revanche, s’il y a lieu de clôturer au plus vite les procédures s’étant déjà étalées au-delà du délai raisonnable, cela doit toujours se faire dans le respect des autres garanties du procès équitable et en préservant la qualité de la décision.   

4.     « Case management », concentration des procédures et forclusions

90.          Les règles qui, dans les pays du CdE, fixent les étapes principales de la procédure civile au fond sont diversifiées en ce qui concerne les forclusions, le rôle du juge dans la détermination de l’objet du litige et des faits contestés, les pouvoirs d’instruction du juge, et le rôle de l’audience.

91.          Néanmoins, une certaine tendance semble se dessiner vers une implication du juge dans la gestion du temps de la procédure afin d’assurer, en coopération avec les parties et leurs avocats, un traitement efficace de l’affaire dans le cadre du stock des affaires pendantes devant le juge et la juridiction à laquelle il appartient. La prévision d’une audience préparatoire et la diffusion de la pratique des « calendriers de procédure » reflète également cette tendance : l’objectif étant de planifier les activités ultérieures nécessaires compte tenu des exigences de chaque affaire et de fixer à ces fins des délais prévisibles qui engagent tous les acteurs du mécanisme procédural. Dans ce cadre, les renvois d’audience sont strictement limités.

92.          En Allemagne, d’après les réformes du code de procédure civile (ZPO) de 1976 et 2002, le juge se doit d’assurer le bon déroulement de la procédure et les parties doivent y coopérer. Le juge fixe les audiences nécessaires et les délais à respecter ; il doit également signaler aux parties les points qu’il estime potentiellement décisifs aux fins de la décision et dispose de vastes pouvoirs d’instruction sur la base des faits allégués par les parties (cf. §§ 139, 142 et 144 ZPO). L’audience ne constitue pas un passage obligé dans la procédure devant le tribunal d’instance (Amtsgericht) ni pour les procédures sommaires ou simplifiées qui ne sont pas clôturées par un jugement.

93.          Une approche similaire est employée en Suisse, où le code de procédure civile prévoit que le juge doit « prendre les décisions d’instruction nécessaires à une préparation et à une conduite rapide de la procédure » (art. 124 al.1 CPC). Par ailleurs, et à moins qu’une disposition législative n’en décide autrement, la tenue d’une audience n’est pas non plus nécessaire pour les affaires auxquelles la procédure sommaire s’applique, le juge pouvant y renoncer de sa propre autorité (art. 256 al. 1 CPC) ; s’agissant de la procédure ordinaire, la renonciation à une audience est toutefois conditionnée à l’accord des parties (art. 233 CPC). Les parties ne peuvent, en principe, amener des éléments nouveaux lors de l’audience de jugement que si ceux-ci se sont produits postérieurement à l’échange de conclusions ou à la dernière audience préparatoire, ou s’ils ne pouvaient être découverts antérieurement (art. 229 al. 1 CPC). Une exception est toutefois faite lorsque le juge passe immédiatement à l’audience préparatoire après le dépôt de la réponse, sans ordonner un nouvel échange d’observations ou une audience préparatoire (art. 229 al. 2 CPC).

94.          En Angleterre, dans un système où la gestion des délais de la procédure civile et la mise en état de l’affaire étaient entièrement confiées aux avocats des parties, une profonde réforme de la procédure civile a été menée avec l’introduction des Règles de procédure civile (Civil procedural Rules) en 1999. Cette réforme affiche l’objectif fondamental («The overriding objective ») de permettre aux tribunaux d’administrer les affaires de façon juste (« Dealing with a case justly and at proportionate cost »)[34]et repose sur trois axes : a) la mise en place de trois procédures diverses (small track, fast track et multi-track, selon certains seuils financiers de compétence, la complexité de l’affaire, etc.) qui se caractérisent, notamment, par les diverses formes de mise en état de l’affaire, les moyens de preuve recevables (par exemple l’expertise n’est pas utilisable dans la small track, alors qu’elle peut être seulement « conjointe » dans le fast track) etc. ; b) l’implication du juge dans la gestion de l’affaire (« case management »), étant donné qu’il oriente l’affaire vers la filière procédurale la plus appropriée, établit (dans le fast-track et le multi-track) un calendrier d’examen de l’affaire, dispose de certains pouvoirs visant l’identification des points essentiels du litige et des moyens de preuve nécessaires, peut infliger des sanctions en cas de non-respect des règles par les parties, etc. ; c) la coopération des parties à la procédure avec le juge afin de poursuivre l’overriding objective, qui est « encouragée » au moyen de sanctions de divers types (par exemple, condamnation au paiement des frais).

95.          En Belgique, la loi de 2007 modifiant le code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire tend à responsabiliser les juges et les parties, notamment en accélérant l'échange des arguments entre les parties et en s'assurant que le juge détermine, dès le départ, un calendrier reprenant les grandes étapes de la procédure.

96.          En Bulgarie, le nouveau code de procédure civile en vigueur depuis 2008 limite, sous peine de forclusion, la possibilité pour le juge de demander la production de moyens de preuve à la première audience (dans le déroulement ultérieur de la procédure, il n’est loisible de demander que la production des moyens de preuve que les parties n’avaient pas pu produire auparavant). Au début de la procédure, le juge rapporteur doit établir un rapport de l’affaire, identifiant la qualification légale de la demande, les faits non contestés, les faits qui doivent être prouvés ainsi que la répartition de la charge de la preuve entre les parties.

97.          En France, la nécessité d’adapter la procédure aux exigences de l’affaire en question ainsi que le rôle actif du juge dans l’indication des étapes essentielles de celle-ci constituent désormais des acquis, même devant le tribunal de grande instance et la cour d’appel. Une étape essentielle est celle de la conférence du président de la chambre (cf. art. 759 CPC), au cours de laquelle, sur la base des faits allégués et des pièces qui ont déjà été versées au dossier par les parties, on décide si l’affaire est déjà prête pour la décision (« circuit court » - art. 760 CPC), ou si aux fins de la mise en état, une audience ultérieure est nécessaire pour compléter les conclusions et la communication des pièces (« circuit moyen » - art. 761 CPC). Il se peut également que l’affaire ne soit pas en l’état pour la décision et que son instruction nécessite d’autres audiences, qui se dérouleront alors sous la direction du juge (ou du conseiller) de la mise en état (« circuit long » - art. 779 et s. CPC). Les délais sont fixés par le juge de la mise en état compte tenu de la complexité et de l’urgence de l’affaire. Ces dernières années, la fixation du calendrier de la mise en état est le produit d’un accord « négocié » entre les divers protagonistes de la procédure (« contrat de procédure »). Le juge a également le pouvoir d'ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles.

98.          En Grèce, la modification la plus frappante dans le nouveau code de procédure civile est le remplacement en première instance du processus partiellement oral de la procédure dite « ordinaire » par un processus en principe écrit, qui se déroule en moins d’étapes. En effet, les témoins n’apparaissent qu’exceptionnellement devant un tribunal pour témoigner, et leur attestation sera désormais faite à l’avance et par écrit ; tous les documents, les preuves, les plaidoiries des parties au litige, etc., doivent être soumis avant l’audience et dans les 100 jours suivants l’introduction de la demande.

99.          En Italie, les forclusions pour l’allégation des faits, la production des documents et l’indication d’autres moyens de preuve sont échelonnés entre les actes introductifs du demandeur et du défendeur, la première audience et trois mémoires ampliatifs qui, d’habitude, suivent celle-ci. L’instruction de l’affaire aura lieu dans le cadre d’audiences ultérieures, selon un calendrier de procédure établi par le juge et indiquant, en particulier, les dates des audiences ultérieures et les activités qui auront lieu au cours de chacune d’elles. Toutefois, si l’affaire n’est pas complexe, le juge peut dès la première audience décider sa mise en état selon une procédure abrégée (procedimento sommario).

100.        Dans « l’ex-République yougoslave de Macédoine », après l’échange des actes introductifs entre les parties, le cœur de la procédure est l’audience préparatoire. Celle-ci vise l’établissement des faits et des moyens de preuve nécessaires, ainsi que la date de l’audience principale, qui doit avoir lieu dans les  8 et 90 jours suivants. Après cette audience, les parties n’ont plus la possibilité d’alléguer d’autres faits et d’introduire d’autres moyens de preuve. D’ailleurs, le juge ne peut pas ordonner l’expertise ex officio.

101.        Le principe de concentration des activités procédurales et la participation active du juge à l’instruction de l’affaire ont été affirmés en Pologne; le principe de forclusion ayant été abandonné en faveur du pouvoir du juge d’admettre des allégations et moyens de preuve tardifs.

102.        Aux Pays-Bas, la réforme du code de procédure civile de 2002 se base sur le principe de forclusion et de concentration des procédures, l’audience constituant une étape fondamentale de la procédure et le juge jouant un rôle très actif. En effet, dans les actes introductifs, les parties doivent indiquer de manière exhaustive les raisons en droit et les moyens de preuve ; elles doivent ensuite comparaître personnellement à l’audience, sauf si le juge en décide autrement eu égard à la nature de l’affaire. À cette audience, le juge doit examiner la possibilité de parvenir à un accord ou de confier l’affaire à un médiateur ; dans le cas contraire, il décide du déroulement ultérieur de la procédure (par exemple, il établit les moyens de preuve nécessaires ou ordonne aux parties la production de certains documents) et fixe les audiences suivantes, dans lesquelles les avocats n’ont toutefois pas le droit de plaider ultérieurement ou d’exposer des conclusions ultérieures. Cependant, le juge a bien le pouvoir de rendre sa décision après la première audience.

103.        Afin d’éviter le renvoi de la première audience découlant de la nécessité d’amender les vices formels de la demande de saisine du tribunal, la Roumanie a introduit une forme de contrôle administratif préalable : un juge ad hoc vérifie que la requête n’est pas entachée des vices formels et, le cas échéant, invite les parties à corriger ces vices. Cet examen préliminaire des actes de procédure des parties existe également dans plusieurs pays, comme en Suisse (art. 132 CPC) et en Turquie (voir ci-dessous). Il y a lieu de remarquer également qu’en Roumanie, les parties peuvent décider que la preuve soit administrée par leurs avocats: après avoir statué sur les moyens de preuve nécessaires, le juge donne six mois aux avocats pour la présentation du dossier en vue de la décision finale. Toutefois, il semble que cette option soit peu utilisée.

104.        En Slovaquie, les réformes plus récentes de la procédure mettent en place une audience préliminaire au cours de laquelle le juge doit établir quels sont les faits principaux que les parties doivent prouver, et pour lesquels elles devront soumettre des moyens de preuve. D’ailleurs, une procédure écrite, sans audience, est également envisagée pour les affaires simples en droit. Dans un but de simplification et d’accélération de la procédure, il y a lieu de rappeler que le juge peut désigner un conseil commun pour plusieurs parties à la procédure concernant les affaires impliquant plus de vingt demandeurs ou défendeurs.

105.        En Slovénie, l’accélération de la procédure a été réalisée par l’augmentation de forclusions pour l’allégation des faits et les moyens de preuve utilisés, ainsi que par la limitation de la possibilité du renvoi d’audience. Toute décision de renvoi d'audience devant être motivée de manière adéquate.

106.        En Turquie, la procédure civile s’est récemment enrichie d’une étape dite « d’examen préliminaire », après l’introduction de la demande et de la réponse du défendeur, visant à éliminer dès le départ les erreurs et les vices des actes des parties (art. 137 à 142 CPC). Cette phase supplémentaire du procès implique la tenue d’une audience préparatoire (art. 139-140 CPC), en principe unique (art. 140 al. 4 CPC), au cours de laquelle le juge entend les parties sur les éventuelles exceptions de procédure qu’elles auraient fait valoir et les contestations en matière de recevabilité de la demande (art. 140 al. 1 CPC), puis identifie les points sur lesquelles les parties sont en accord, ainsi que l’étendue de leur différend (art. 140 al. 2 CPC), avant de tenter la conciliation sur les points restants litigieux (art. 140 al. 3 CPC). À l’issue de l’audience, le juge rend un jugement sur les questions de respect du délai pour agir en justice (art. 142 CPC) et fixe aux parties un délai maximal de deux semaines pour produire les documents auxquels les parties ont fait référence dans leurs actes introductifs d’instance (art. 140 al. 5 CPC). Passée l’audience d’examen préliminaire, les parties ne peuvent plus modifier l’objet du litige (art. 141 al. 1 CPC), sauf par un recours à la « réforme » du procès (art. 176 à 182 CPC), démarche impliquant le paiement des frais exposés par les autres parties au procès (art. 178 al. 1 CPC). De nouvelles preuves peuvent être presentées, à condition que la partie y procédant établisse qu’aucune faute ne lui est imputable (art. 145 CPC).

107.        Le juge peut difficilement jouer un rôle vraiment actif aux fins du bon déroulement de la procédure sans la mise en place d’autres mesures d’organisation mentionnées ci-dessus et particulièrement s’il doit faire face à une charge de travail excessive ; d’ailleurs, une fois les moyens nécessaires mis à disposition du juge pour programmer et gérer de manière efficace le stock d’affaires, l’exigence du « case management » devient aussi un moyen de responsabilisation du juge sur le plan du respect du délai raisonnable. À cet égard, il y a lieu de rappeler que selon le CCJE[35], « chaque procédure devrait être conduite ‘de façon proportionnée’, à savoir, à la fois de façon à permettre aux parties concernées d’obtenir justice pour un coût qui soit en rapport avec les problèmes et les sommes en jeu et d’une manière qui permette aux autres justiciables d’obtenir leur juste part du temps dont dispose le juge pour traiter leurs litiges. En somme, les parties ont droit à une part appropriée du temps et de l’attention du juge, mais il appartient au juge, lorsqu’il apprécie ladite proportionnalité, de prendre en considération les besoins et la charge pesant sur autrui, notamment l’Etat qui finance le système judiciaire et les autres parties à d’autres causes qui souhaitent en faire usage ».

108.        Les systèmes dans lesquels les délais, le nombre d'audiences et les forclusions sont établis par la loi risquent d’aboutir à un traitement standardisé de toutes les affaires. La possibilité d’adapter la procédure aux exigences de l'affaire étant, ainsi, limitée. D’ailleurs, un certain niveau de flexibilité, au sens de l’utilisation des ressources judiciaires proportionnelle aux exigences de chaque affaire, peut être assuré en prévoyant divers types de procédure (ou divers « circuits ») en fonction de la nature, de la valeur et de la complexité de l’affaire.  

109.        La tenue d’une audience préparatoire constitue en principe un moyen de simplifier l’instruction de l’affaire et d’éviter tout ralentissement de la procédure et elle est utile chaque fois que les vices des actes introductifs, l’exigence de l'intervention d'un tiers ou tout autre incident de procédure empêchent le juge de se prononcer immédiatement sur le fond de l’affaire. De surcroît, l’absence de tout débat préliminaire entre parties et juge, visant l’identification de l’objet du litige et la détermination des faits qui nécessitent d’être prouvés, peut alourdir l’instruction de l’affaire.

110.        Dans le cadre de l’accélération de la mise en état de l’affaire, le respect des délais dans l’accomplissement de l’expertise revêt une importance non négligeable. Outre la surveillance du juge, qui peut comprendre le pouvoir de révoquer le mandat de l’expert ou d’autres sanctions, d’autres mesures préventives sont envisageables[36].

111.        La Turquie a par exemple réformé la règlementation du registre des experts pour assurer une meilleure répartition des expertises entre ces derniers. En Italie, chaque juge doit informer le président du tribunal des expertises requises et des honoraires perçus par l’expert. Sur la base de ces informations et à l’aide des registres informatiques, le président du tribunal s’assure qu’aucun expert ne puisse obtenir plus de 10 % des expertises du tribunal assurant ainsi une meilleure répartition des expertises entre les experts inscrits au registre. En Belgique, deux initiatives méritent d’être signalés : d’abord, le projet lancé auprès du tribunal de première instance de Liège dans le domaine du droit de la construction[37], axé sur l’actualisation de la liste des experts, la mise en place d’une mission d’expertise standard et la surveillance accrue du respect des délai par le juge et le greffier ; ensuite, la création d’un service responsable du suivi des expertises judiciaires au sein du tribunal de première instance d’Anvers, qui, à l’aide d’un logiciel dédié, constitue une interface efficace entre juges et experts[38].

112.        Enfin, il y a lieu de mentionner le pouvoir des tribunaux d'accéder directement à des bases de données nécessaires à l’accomplissement de certains actes de la procédure ou bien à la mise en état de l’affaire.

113.        En Roumanie, par exemple, les tribunaux ont désormais un accès direct à des bases de données des institutions publiques afin d’obtenir les données et les informations nécessaires à la procédure de notification aux parties. De manière similaire, en Bulgarie, les juges ont un accès direct aux registres de l’état civil.

5.     Autres actions sur le terrain des règles de procédure, concernant notamment les voies de recours et les procédures sommaires

114.        En plus des règles qui se rapportent à la mise en état de l’affaire, aux forclusions et au rôle du juge, il y a lieu de se pencher sur les autres actions entreprises sur le terrain des règles de procédure. Il s’agit de divers mécanismes de modulation de l’appel et du pourvoi en cassation, de l’élargissement des procédures sommaires, de la réduction des débats publics et de l’obligation de motivation de la décision.  

5.1          Réduction des moyens d’appel/de pourvoi en cassation

115.        En Allemagne, depuis 2001, on a limité la possibilité de présenter de nouveaux arguments en appel. L’allégation de faits nouveaux est admise soit si les faits sont liés à un point qui a été négligé par la décision attaquée, soit si le jugement de première instance est atteint d’un vice de procédure. Par contre, les arguments ne sont pas recevables en cas de simple négligence des parties en première instance (§ 531 ZPO). De nouveaux moyens de preuve peuvent être soumis s’il y a des raisons de douter que les faits de l’affaire ont été établis de manière correcte et complète en première instance, notamment si les moyens exposés en appel par les parties sont de nature à faire douter de leur véracité (§ 529 al. 1 ch. 1 ZPO). Ainsi, l’appel vise essentiellement l’élimination des erreurs commises par le juge de première instance. Si les seuils financiers quant à la valeur du litige pour exercer les voies de recours ont été réduits (600 EUR pour l’appel) ou supprimés (pour la révision devant la Cour fédérale de justice), la demande de révision de l’arrêt rendu par la cour d'appel doit néanmoins être autorisée par la juridiction ayant rendu la décision attaquée (§ 543 al. 1 ch. 1 ZPO) ; le refus de délivrer une telle autorisation peut être contestée devant la juridiction suprême (§ 543 al. 1 ch. 2 ZPO) – système type « leave to appel ».  

116.        Selon le nouveau code de procédure civile bulgare, les arrêts rendus en appel peuvent être attaqués en cassation pour trois raisons uniquement : s’ils ne respectent pas la jurisprudence de la Cour de cassation, s’ils manifestent une contradiction entre les juridictions d’instance et d’appel au sujet de l’établissement des faits et s’ils soulèvent des questions importantes pour le développement de la jurisprudence ou la bonne interprétation du droit. Des critères similaires se retrouvent en Allemagne, non seulement pour le pourvoi en « Révision » (§ 543 al. 2 ZPO), mais aussi pour l’appel (§ 522 al. 2 ch. 2 et 3 ZPO). Sur ce dernier point, la procédure d’appel n’est pas assujettie à une éventuelle autorisation, la juridiction d’appel ayant toutefois le pouvoir de mettre fin à la procédure sans audience si l’appel n’est pas nécessaire au bon développement de la jurisprudence, ou si l’affaire ne présente pas une importance fondamentale.

117.        En Grèce, l’appel devant le Conseil d’État ou le pourvoi en cassation dans les procédures administratives sont désormais permis seulement si le jugement est contraire à la jurisprudence du Conseil d’État ou d’une autre juridiction supérieure ou en l’absence de jurisprudence du Conseil d’État ou d’une autre juridiction supérieure.

118.        En Italie également, de nouveaux moyens de preuve ne peuvent plus être soumis en appel. De plus, la possibilité de contester le vice de motivation devant la Cour de cassation a été réduite.

119.        En Roumanie, avec le nouveau code de procédure civile, le pourvoi en cassation devient une voie de recours extraordinaire qui peut être interjetée pour des raisons légales limitées, uniquement par un avocat ou un conseiller juridique. Auparavant, la loi « de la petite réforme » a éliminé les voies de recours pour certains litiges concernant des droits de créance d’une valeur maximale de 2.000 RON (soit environ 440 EUR). Ces litiges ont alors fait partie du champ de compétence des tribunaux de première instance qui ont statué en premier et en dernier ressort.  

5.2  Mise en place de mécanismes de filtrage en appel et en cassation, combinés éventuellement

      avec des procédures de décision sommaire

120.        Un tel mécanisme a été mis en place en Grèce, où un conseil composé de trois membres décide du rejet immédiat des pourvois en cassation qui sont irrecevables ou manifestement dépourvus de fondement, sur proposition du juge-rapporteur. Cette même procédure concerne d’ailleurs également tous les recours adressés aux juridictions administratives.

121.        Le droit suisse va très loin dans cette direction. En effet, tant les juridictions cantonales (art. 312 al. 1 et 322 al. 1 CPC) que le Tribunal fédéral (art. 102 al. 1 LTF[39]) peuvent écarter un recours sur le seul motif du mémoire présenté par le demandeur sans qu’il soit nécessaire de fixer un délai aux autres parties pour répondre. La juridiction suprême helvétique utilise de manière intensive cette possibilité, avec pour conséquence que la décision finale soit rendue dans un très grand nombre d’affaires moins d’un an après l’introduction du recours, parfois même en l’espace de deux ou trois mois. La relative célérité des procédures devant le Tribunal fédéral suisse peut en grande partie s’expliquer par cette possibilité de mettre fin à la procédure de recours avant que les observations des parties n’encombrent le dossier.

122.        L’Italie a créé une section-filtre auprès de la Cour de cassation (art. 376 CPC) qui se prononce, à l’issue d’une procédure simplifiée, sur les pourvois manifestement irrecevables ou mal fondés (s’il n’y a aucune violation des garanties du procès équitable ou si l’arrêt attaqué est conforme à la jurisprudence de la Cour de Cassation et il n’y a pas de raison de confirmer cette jurisprudence ou d’effectuer un revirement) ou sur les pourvois manifestement bien fondés. En ce qui concerne l’appel ordinaire, depuis 2012, on observe un alourdissement des conditions de recevabilité de l’appel (art. 342 CPC) et l’introduction des procédures de filtrage afin de déclarer irrecevables les appels auxquels le juge ne fera vraisemblablement pas droit (art. 348-bis et 348-ter CPC).  

123.        Un système similaire existe en Allemagne pour la procédure d’appel (§ 522 al. 2 ZPO). La juridiction pouvant écarter les recours sur la base des seules observations écrites des parties, après les en avoir dûment averties, lorsque le recours ne présente pas de chance de succès ou si les conditions d’une intervention de la juridiction du second degré ne sont pas réunies.

5.3    Réduction des cas de renvoi de l’affaire au juge de première ou deuxième instance pour réexamen

124.        Plusieurs pays – comme l’Allemagne (§ 538 al. 2 ZPO), l’Italie (art. 354 CPC), la Pologne, la Slovaquie et la Suisse (art. 318 al. 1 litt. c CPC) – ont prévu la limitation de la possibilité pour les juridictions d’appel d’infirmer les décisions rendues en première instance et de les renvoyer pour réexamen.

125.        De plus, la Slovaquie a prévu que la Cour de cassation règle définitivement l’affaire au fond après annulation de l’arrêt de la cour d’appel. La juridiction suprême demeure toutefois libre de statuer ou non sur le fond en Suisse (art. 107 al. 2 LTF), en Allemagne (§ 563 al. 3 ZPO), en Italie (art. 384 CPC) ainsi qu’en France (art. L. 411-3 COJ). Dans les deux premiers pays, le renvoi demeure relativement rare en dehors des affaires où de nouvelles preuves doivent être administrées, tandis qu'en France, il constitue toujours la règle en vigueur.

126.        En Roumanie, la loi « de la petite réforme » a limité le pourvoi en cassation et rend possible le renvoi à une juridiction inférieure qu'une seule fois au cours de la procédure. La Haute Cour de cassation et de justice applique cette nouvelle orientation jurisprudentielle, en conservant l’affaire pour un examen sur le fond, même s’il faut encore produire des moyens de preuve.

5.4          Utilisation des procédures simplifiées et/ou sommaires en première instance

127.        En Autriche, avant de pouvoir saisir les juridictions de première instance en matière de créances civiles, il est obligatoire d’utiliser la procédure d’injonction de paiement pour les créances d’une valeur allant jusqu’à 75 000 EUR (voir l’art. 244 et suivants du code de procédure civile autrichien). Il semble que seulement 10 % des ordres de paiement sont contestés par le défendeur, déclenchant par la suite une procédure ordinaire.

 

128.        En Suisse, les procédures d’injonction de payer sont de la compétence d’autorités administratives et sont systématiquement utilisées.

129.        En France également, plusieurs procédures simplifiées sont utilisées, par exemple une procédure abrégée pour les injonctions de payer et les injonctions de faire. Les procédures en référé sont aussi largement utilisées. En particulier dans les affaires où l’obligation n’est pas sérieusement contestable (art. 808 CPC), le président du tribunal de grande instance (ou un juge délégué) peut ordonner en référé le paiement d’une provision, donnant ainsi un règlement provisoire à l’affaire, ce qui finit souvent par décourager l’introduction d’une procédure au fond, et vaut donc règlement définitif de facto.

130.        En Italie aussi, lorsque l’affaire n’est pas complexe, le juge peut suivre une procédure simplifiée par rapport à la procédure dite « ordinaire » (art. 702-bis et suivants CPC).

131.        En Suisse, le code de procédure civile connaît une procédure sommaire « pour les cas clairs et évidents », ou lorsque « l’état de fait n’est pas litigieux ou [s’il est] susceptible d’être immédiatement prouvé » et que « la situation juridique est claire » (art. 257 CPC). Les jugements rendus lors d'une telle procédure sont revêtus de l’autorité de la chose jugée comme n’importe quelle autre décision du juge civil. À côté de cela, la Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite permet au créancier d’obtenir, toujours en procédure sommaire, la continuation de la procédure d’exécution forcée en dépit de l’opposition du débiteur quant à l’injonction de payer (art. 80 à 83 LP[40]). Dans ce cas, la décision du juge n’a pas autorité de la chose jugée.

132.        Aux Pays-Bas, une procédure en référé devant le président du tribunal (kort geding), similaire à la procédure française, est utilisée pour le règlement de la plupart des litiges (art. 289 CPC).

133.        En Slovaquie, le champ d’application de la procédure d’injonction a été élargi aux injonctions de faire ou de ne pas faire.

134.        Dans ce pays, comme en Slovénie, des procédures simplifiées par défaut ont été introduites pour le règlement des petits litiges. En Grèce, on a généralisé la règle selon laquelle, dans le cadre des procédures civiles, la contumace équivaut à un aveu.

5.5          Réduction des débats publics

135.        En Grèce, il existe une règle générale selon laquelle les décisions sont prises en chambre de conseil. Le nouveau code de procédure civile roumain a apporté une modification de la structure du procès civil, la phase d’instruction se déroulant désormais en chambre de conseil et la phase du débat au fond en séance publique.

136.        En Slovaquie, les catégories d’affaires qui peuvent être tranchées sans audience par les juridictions administratives ont été élargies. De plus, les cours d’appel peuvent se prononcer sur un plus grand nombre de questions sans tenir d’audience. Une tendance similaire peut être constatée en Allemagne (§ 522 ZPO).

5.6          Réduction de l’obligation de motivation

137.        En Allemagne, on applique le principe selon lequel la motivation de la décision d’appel ne doit pas offrir un exposé exhaustif des raisons en fait et en droit de la décision. Etant donné qu’il s’agit de modifier ou confirmer la décision de première instance, la décision en appel doit contenir seulement les corrections apportées à la décision de première instance (cf. § 540 ZPO).

138.        En Pologne, les arrêts prononcés en appel contiennent obligatoirement une motivation sommaire. Les parties ont la possibilité de demander une motivation plus détaillée.

139.        En Suisse, les décisions des tribunaux de première instance ne sont motivées que sur demande des parties (art. 239 al. 2 CPC). S’agissant des décisions rendues sur recours par les juridictions cantonales, il existe un débat à savoir si la motivation s’impose immédiatement ou seulement sur demande des parties. En pratique, les décisions sont systématiquement motivées, ne serait-ce que parce que la plupart des cantons les publient désormais aussi sur internet.

5.7. Remarques critiques

140.        Bien qu’efficaces sur le plan de la réduction de la prestation judiciaire et de l’économie des ressources, les mesures décrites ci-dessus doivent également être analysées à l’aune du droit d’accès au juge et des garanties à un procès équitable. En d’autres termes, il ne faut pas oublier que, eu égard à l’art. 6 § 1 CEDH, les pays du CdE doivent toujours assurer l’accès à un tribunal indépendant et impartial qui prendra une décision, dans un délai raisonnable, à la suite d’une procédure équitable.

141.        Dès lors, l’adoption de procédures sommaires en première instance, qui représente dans plusieurs pays un moyen efficace de traiter rapidement certains types d’affaire tout en réduisant la charge des tribunaux, doit toujours aller de pair avec des « garde-fous », afin de protéger, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure ultérieure, le principe du contradictoire et de l’égalité des armes.

142.        En ce qui concerne la réduction de l’accès aux procédures d’appel et de pourvoi en cassation ainsi que les mécanismes de filtrage de ces voies de recours, il y a lieu de rappeler que, si en matière civile l’introduction de ces voies de recours n’est pas un impératif découlant de l’art. 6 § 1 CEDH dans le domaine non-pénal, l’art. 6 § 1 CEDH s’applique une fois qu’elles ont été mises en place[41]. Certes, on peut aisément comprendre que la réglementation du droit d’accès aux juridictions d’appel et de cassation ne doit pas nécessairement correspondre à celle du droit d’accès à la première instance, qu’un certain formalisme est admissible et que des mécanismes de filtrage sont bien concevables à ce stade de la procédure. Il n’en reste pas moins que les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que ce droit s’en trouve atteint dans sa substance même ; elles ne se concilient avec l’art. 6 § 1 CEDH que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé[42].

143.        En outre, il ne faut pas négliger que ces voies de recours représentent les outils principaux pour corriger les violations de plusieurs volets du droit à un procès équitable (droit à une procédure contradictoire, égalité des armes, droit à une décision motivée, droit à un tribunal établi par la loi, droit à un juge impartial), en plus des procédures en révision et des mécanismes de récusation et de règlement des conflits de compétence. Ainsi, le justiciable peut obtenir réparation d'une violation liée au déroulement de la procédure, étant donné que le respect du droit à un procès équitable doit être apprécié à la lumière de la procédure dans son intégralité, et, plus généralement, afin d'obtenir une décision de meilleure qualité. Il s’agit donc de parvenir à un juste équilibre entre cette exigence d’une part, et la protection du délai raisonnable d'autre part[43].

144.        Quant aux systèmes dans lesquels l’appel ou le pourvoi en cassation sont recevables seulement en cas de contrariété de la décision attaquée avec la jurisprudence des juridictions supérieures, le risque de réduire excessivement l’espace octroyé à l’évolution de la jurisprudence ne saurait être exclu.   

145.        Eu égard à l’art. 6 § 1 CEDH, la réduction de l’obligation de motivation et la suppression de débats publics doivent être considérées avec un surcroît de prudence, surtout en première instance.

6.     Lignes directrices concernant la « demande en justice », la résolution non-judiciaire des litiges et l’abus des droits de procédure

146.        Enfin, la réflexion ne doit pas s’arrêter aux mesures relatives à l’amélioration du fonctionnement du système judiciaire. Il est également nécessaire de considérer ces problèmes, et en particulier la surcharge des tribunaux, du point de vue de la « demande en justice » et de l’abus des droits de procédure.

147.        À ce propos, il convient de garder à l’esprit que l’accès au juge et aux procédures juridictionnelles ne représente pas un « inconvénient » pour l’Etat : il s’agit d'un moyen de protection des droits des justiciables (en particulier des plus vulnérables) et de réaffirmation de la primauté du droit.

148.        De même, des actions peuvent également être envisagées afin de mieux gérer les tâches des tribunaux, de combattre certaines sources des litiges, de réduire le contentieux porté devant les juridictions étatiques, et enfin, d'assurer que le bon déroulement des procédures judiciaires ne soit pas affecté par des pratiques abusives.

6.1          Réduction des tâches non-contentieuses des tribunaux

149.        Un premier axe de travail, envisagé depuis longtemps par le CdE [44], peut être consacré aux tâches non-contentieuses des juridictions : gestion du registre des commerces, divorces non-contentieux, enregistrement et homologation de certains actes, délivrance de certaines attestations, etc. Ces tâches peuvent être confiées à d’autres autorités administratives, aux notaires ou à d’autres professionnels.

150.        La Bulgarie a par exemple créé un registre du commerce géré par une autorité administrative distincte des tribunaux.

151.        Plusieurs mesures de ce type sont envisagées en France dans le cadre du projet de réforme « J21 ». Tout d’abord, l’enregistrement du PACS devrait être confié à l’officier d’état civil à la mairie. Ceci dans le but de simplifier les démarches du citoyen et alléger la charge des greffes ainsi que celle des officiers de l’état civil[45]. Ensuite, le contrôle du juge des tutelles lorsqu’un des deux parents de l’enfant mineur est décédé ou se trouve privé de l’exercice de l’autorité parentale sera réduit : en effet, la loi n°2015-177 autorise le gouvernement à prendre une ordonnance pour limiter les cas pour lesquels l’autorisation du juge des tutelles est requise ; ainsi, seuls les actes qui pourraient affecter de manière grave, substantielle et définitive le patrimoine du mineur doivent faire l’objet d’une autorisation systématique de ce magistrat.

152.        En Italie, les parties peuvent signer une convention de divorce, formée avec l’assistance des avocats et soumise au procureur de la République pour aval (art. 6 Décret-loi n° 132 du 2014). De plus, si les époux n’ont pas d’enfants mineurs, la séparation de corps et le divorce peuvent avoir lieu au moyen d’un accord conclu devant l’officier d’état civil (art. 12 Décret-loi n° 132 du 2014).

153.        De manière similaire, en Roumanie, la loi « de la petite réforme » a attribué aux notaires et aux officiers d’état civil la compétence en matière de divorce amiable, dans le cas où les époux n’ont pas d’enfants mineurs.

154.        En Turquie, les compétences des notaires ont aussi été élargies en matière de juridiction gracieuse (par exemple, en matière successorale ou lorsque l’époux a été invité à retourner à la demeure conjugale).

155.        Tant la Pologne que le Portugal ont attribué aux notaires des pouvoirs d’attestation en matière successorale.

156.        En Slovaquie également, les procédures successorales ont été simplifiées. Elles sont menées par les notaires en vertu d’une autorisation du tribunal, ceux-ci étant compétents pour délivrer des certificats d’hérédité.

157.        La déjudiciarisation de certaines activités doit se faire en prenant en compte l’augmentation des coûts qu’elle peut entraîner pour les particuliers et la nécessité d’assurer des garanties de fiabilité équivalentes à celles du juge.

6.2          Conciliation et médiation

158.        La conciliation et la médiation constituent des voies de résolution des litiges dont les avantages pour les particuliers, les entreprises et les administrations publiques sont désormais universellement reconnus. Compte tenu également du fait que la conciliation et la médiation peuvent contribuer à désengorger les systèmes judiciaires et à clôturer les procédures dans un meilleur délai[46], ces voies de résolution des litiges sont de plus en plus encouragées au sein des pays du CdE.

159.        En Allemagne, aux termes de l’article 278(2) ZPO tel qu’amendé en 2001, la première audience de la procédure est destinée à une tentative de conciliation, sauf si la possibilité de parvenir à un accord ne semble pas possible ou si une tentative de conciliation extra-judiciaire a déjà échoué.

160.        En Belgique, lors de la création du tribunal de la famille et de la jeunesse, il a été prévu une chambre des règlements à l’amiable. Dans cette dernière, le magistrat ne tranche pas le litige mais propose aux parties des pistes de solutions sans les influencer. Concrètement, le magistrat conciliateur doit évaluer la possibilité que la médiation aboutisse et doit transmettre le dossier à un médiateur agréé dans le cas où les deux parties consentent à la médiation.

161.        En France, le projet de loi n° 35 relatif à l'action de groupe et à l'organisation judiciaire, approuvé par le Sénat le 5 novembre 2015, prévoit deux axes d’action sur le terrain des modes alternatifs de règlement des litiges. D'une part, est posé le principe de la tentative de règlement amiable du litige par un conciliateur de justice avant la saisine du juge pour les petits litiges du quotidien. D'autre, il est prévu qu’avant toute saisine du tribunal des affaires sociales, les réclamations formulées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés soient soumises à une commission de recours amiable établie au sein du conseil d’administration de chaque organisme.

162.        Les Pays-Bas ont adopté plusieurs mesures afin d’éviter la résolution judiciaire des litiges dans plusieurs matières. Ainsi, avant l’introduction de l’instance, en matière de droit des consommateurs, les associations de consommateurs jouent un rôle important, car ce sont des institutions à composition mixte visant la résolution des litiges. En matière commerciale, l’arbitrage commercial est souvent offert par les organisations du secteur, par exemple le secteur de la construction. Dans le secteur des assurances, les experts techniques (en matière d’accidents de la route) sont agréés par les assureurs et les assureurs eux-mêmes offrent un service d’expertise juridique aux clients. Les avocats sont en général consultés suite à l’échec de toutes ces formes de résolution à l’amiable des litiges et seulement en vue d’initier une procédure. Après l’introduction de l’instance, grâce à l’aide des juges qui agissent à la fois comme décideurs et médiateurs, une conduite coopérative des parties est encouragée. Dernièrement, le Bureau d’aide judiciaire, en partenariat avec d’autres parties prenantes, a lancé et mis à disposition des parties au contentieux familial une plateforme en ligne (Rechtwizer[47]) qui permet - avec l’assistance, le cas échéant, des professionnels de la médiation – de mener des négociations et conclure des règlements amiables concernant les divers aspects de la fin de la vie du couple (garde des enfants, habitation familiale, autres propriétés etc.).

163.        Au Royaume-Uni, compte tenu du succès du projet-pilote lancé en 2005 auprès du tribunal de Manchester, un service de médiation des petits litiges a été institué dans tous les ressorts judiciaires du pays[48]. Ce service offre aux parties un moyen de solution des litiges, disponible avant le debout de la procédure judiciaire ou même au cours de celle-ci, qui semble présenter des avantages non négligeables en termes de couts et délais ; une pratique d’exécution volontaire des règlements amiables conclus à l’issue de la médiation à également été relevée[49].   

164.        Plus récemment, l’Italie a également essayé de faciliter la résolution amiable des litiges. D’une part, toute personne qui envisage l’introduction d’une action en dommages et intérêts découlant d’un accident routier ou toute autre action réclamant le paiement d’un montant jusqu’à 50.000 EUR doit inviter la partie adverse à une négociation, chaque partie étant assistée par son avocat. D’autre part, à la première audience et tout au long de la procédure, le juge peut formuler une proposition de règlement amiable du litige (voir l’art. 185-bis du code de procédure civile).

165.        Sauf exception légale, l’introduction d’une demande en justice en Suisse ne peut se faire qu’après l’échec d’une tentative de conciliation, généralement menée devant le tribunal compétent ou devant une autre juridiction désignée à cet effet (art. 197 CPC).

166.        En Turquie, la première audience consacrée à l’examen préliminaire de l’affaire comporte une tentative de conciliation, le juge pouvant de surcroît ordonner la tenue d’une nouvelle audience à cet effet (art. 140 al. 2 CPC).

167.        En ce qui concerne la conciliation judiciaire, il faut veiller à ce que l’activité menée par le juge afin de faciliter le règlement à l’amiable du litige ne remette pas en cause son impartialité et, en particulier, que cette activité ne soit pas analysée comme une véritable anticipation de la décision[50]

168.        De manière générale, les pays de l’Union européenne ont adopté des mesures destinées à encourager la résolution des litiges par le biais de la médiation, à la lumière de la directive UE n° 2008/52/EC du 21 mai 2008 concernant certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale.

169.        Au fil de ces dernières années, la Grèce a investi dans le domaine de la médiation, notamment par la formation et l’accréditation de médiateurs professionnels.

170.        En Italie, la tentative de médiation extra-judiciaire constitue une condition préalable pour la saisine du tribunal dans un large éventail de types d'affaire (successions, copropriété, responsabilité médicale, etc.). De même, tout au long de la procédure judiciaire, le juge a le pouvoir de renvoyer les parties devant un médiateur.

171.        Dans « l’ex-République yougoslave de Macédoine », à l’audience préparatoire, le juge indique aux parties la possibilité de résoudre le litige par le biais d’une médiation extra-judiciaire.

172.        En Roumanie, le juge a l’obligation d’essayer de résoudre le litige civil par un règlement amiable à l’aide d’un médiateur. Si c’est le juge qui recommande la médiation, les parties (assistées par leurs avocats) doivent au moins participer à une première rencontre, qui est gratuite. Si les parties parviennent à un accord dans le cadre de la médiation, cet accord est entériné par un jugement du tribunal et les parties peuvent récupérer les frais de justice. Le nouveau code de procédure civile a introduit la demande de conciliation comme condition préalable à l’action en justice contre l’administration (il doit être demandé à l’administration de révoquer sa décision dans les 30 jours) et concernant des litiges commerciaux ayant comme objet une somme d’argent (la demande doit être signifiée à l’autre partie, les éléments de preuves doivent être fournis et une réunion doit être requise afin de négocier un accord).

173.        Accroître l’information apportée aux citoyens sur les caractéristiques et les avantages de la conciliation et de la médiation (surtout concernant certains différends), veiller au professionnalisme des conciliateurs et des médiateurs, prévoir un soutien financier (concernant les frais de justice et de l’aide juridique et les avantages fiscaux) comptent parmi les actions envisageables pour encourager ces formes de résolutions des litiges[51]. Dans les pays où ces voies de résolution des litiges ne sont pas très pratiquées, il serait souhaitable d'adapter, le cas échéant, la formation et les rémunérations de l’avocat sur le profil d’un expert juridique qui assiste son client avant que des poursuites ne soient engagées, puis par la suite dans le cadre des diverses procédures de résolution du litige.

6.3  « Class actions » et autres mesures pour réduire les pratiques de l’administration ou des grands acteurs de la vie économique qui sont sources de contentieux

174.        Les flux de contentieux considérables sont souvent le fruit de l’incertitude quant à l’interprétation et l’application des règles de droit. Ces flux d'affaires sont également le résultat de pratiques (ou de l’inaction) de certaines agences ou organisations (administrations publiques, caisses maladie/retraite, grandes entreprises, etc.) capables d'atteindre un grand nombre de particuliers. Dans ce cas, il faut aborder le problème à la source : sanctionner les comportements illégaux de ces « acteurs », clarifier la législation ou changer les pratiques administratives qui génèrent le contentieux et introduire des actions de groupe efficaces[52].

175.        Tout d’abord, il y a lieu de mentionner l’exemple de la Roumanie, où on a introduit à la fois un moyen d'accélérer l’exécution et la possibilité d'accorder une indemnisation pour des retards dans l'exécution des jugements rendus à l'encontre de l’administration. Plus précisément, les instances judiciaires peuvent statuer sur un éventuel retard dans l’exécution du jugement rendu en faveur des particuliers et appliquer une amende judiciaire au dirigeant de ladite institution. L’amende représente 20 % du salaire minimum brut garanti pour chaque jour de retard et doit être payée à l’Etat, alors que le dédommagement continue à être dû au créditeur.

176.        Des astreintes sont également prévues, par exemple en Italie ou en Pologne, en cas de non-exécution des jugements des tribunaux administratifs de la part de l’administration responsable. Ainsi, les administrations concernées et leurs fonctionnaires sont encouragés à se conformer aux décisions de justice, ce qui réduit les litiges ultérieurs qui peuvent découler de leur inactivité.

177.        Concernant un domaine proche de celui de la coopération de l’administration visant la réduction des litiges, peuvent être mentionnées les mesures exceptionnelles adoptées en Italie par l’article 3, paragraphe 2 bis, du décret-loi no 40/2010 afin de clôturer les procédures pendantes devant la juridiction fiscale de troisième instance. Ces mesures proviennent de recours inscrits au rôle en première instance, qui sont pendants, à la date d’entrée en vigueur de la loi de conversion du présent décret, depuis plus de dix ans, et pour lesquelles l’administration des finances de l’Etat a échoué devant les deux premiers degrés de juridiction. La clôture est automatique pour les procédures fiscales qui demeurent pendantes devant la Commissione tributaria centrale, alors qu’elle est soumise au paiement par le contribuable de 5 % de la valeur du litige pour les procédures fiscales pendantes devant la Cour de cassation[53]. Ces prévisions ne s’appliquent pas aux procédures fiscales ayant pour objet une demande de remboursement du contribuable.

178.        Si cette ligne d’intervention a lieu à un moment où un litige entre l'administration et un particulier a déjà commencé, il est d’abord souhaitable que la procédure administrative se déroule dans le respect de la loi et avec célérité.

179.        Concernant cet aspect, plusieurs mesures ont été mises en place en Pologne pour améliorer les procédures administratives et réduire les violations de la loi ou les retards causés par des fonctionnaires, qui sont souvent sources de litiges. Par exemple, la procédure visant la délivrance de permis de construire a été digitalisée et placée sous la supervision de l’Inspecteur en chef de la surveillance des constructions : l'objectif étant d’accélérer la procédure en question. La possibilité de se plaindre non seulement des décisions de l’administration mais également du retard de l'autorité dans le cadre de la procédure administrative a aussi été introduite. En outre, plusieurs changements apportés au droit matériel permettent désormais de mettre en cause la responsabilité à la fois de l’administration et de ses fonctionnaires en cas de violation de la loi ou de retards au cours de la procédure administrative. Enfin, les actes illégaux et les abus commis par les fonctionnaires, qui sont découverts au cours d'une procédure judiciaire, peuvent être signalés directement aux supérieurs hiérarchiques en vue de l’exercice de leur pouvoir disciplinaire.

180.        Même les procédures judiciaires non-litigieuses, qui contribuent à alourdir le travail des juges, peuvent être accélérées grâce à l’amélioration des procédures administratives : tel est le cas de la Slovénie, grâce à l’amélioration du fonctionnement du registre foncier numérique.

181.        Concernant la prévention et la résolution des litiges résultants de l’incertitude du cadre législatif et règlementaire, un type de « procédure modèle » a été envisagé en Grèce pour les affaires impliquant des questions nouvelles ou des questions pouvant aboutir à un grand nombre d'actions en justice, dans le but de créer un précédent. Les parties à la procédure ou le commissaire général des tribunaux administratifs peuvent demander le traitement de l’affaire en priorité et directement par le Conseil d’État, un comité de trois juges au sein de celui-ci devant se prononcer sur cette saisine ; de manière similaire, le tribunal administratif peut décider le renvoi préjudiciel au Conseil d’État de la question nouvelle ou de la question pouvant aboutir à un grand nombre d'actions en justice. Entre temps, la procédure concernée et toutes les procédures dans lesquelles la même question est posée sont suspendues. Après la décision du Conseil d’État, les affaires ayant comme unique objet la question résolue, peuvent être tranchées à huis clos, à moins que les parties ne s'y opposent.

182.        Toujours dans le souci d’assurer l’interprétation et l’application unitaires de la loi, dans le cas où une juridiction administrative constate qu'une loi est contraire à la Constitution grecque, les voies de recours disponibles à l’encontre de cette décision bénéficieront d’un traitement accéléré et extra ordinem, en vue de résoudre dans le plus court délai toute incertitude sur l’applicabilité de la loi.

183.        En France, le projet de loi n° 35, approuvé par le Sénat le 5 novembre 2015[54], prévoit l’introduction d’un modèle d’action de groupe en matière de lutte contre la discrimination. La légitimation à agir en justice est attribuée soit aux associations titulaires d’un agrément national reconnaissant leur expérience et leur représentativité en matière de lutte contre la discrimination, soit aux organisations syndicales représentatives de salariés. Cette action peut être exercée par les associations en vue soit de la cessation du manquement mentionné au premier alinéa, soit de l’engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis, soit à ces deux fins.Par contre, les organisations syndicales ne peuvent exercer cette action qu’en vue de la première de ces fins. Lorsque l’action de groupe vise à obtenir réparation des préjudices subis, le juge statue sur la responsabilité du défendeur, détermine le groupe de personnes à l’égard duquel la responsabilité du défendeur est engagée et fixe les critères de rattachement au groupe ainsi que les préjudices susceptibles d’être réparés pour chacune des catégories de personnes ; lorsque les éléments de preuves produits ainsi que la nature des préjudices le permettent, le juge peut décider en outre de la mise en œuvre d’une procédure collective de liquidation des dommages, dont il fixe le montant ou les critères d’évaluation, habilitant le demandeur à négocier avec le défendeur cette indemnisation. Les personnes remplissant les critères de rattachement et souhaitant se prévaloir du jugement sur la responsabilité peuvent adhérer au groupe ; elles ont ainsi le droit d’obtenir réparation de leur préjudice par la personne jugée responsable et, à cette fin, peuvent se prévaloir des négociations ou d’une action ultérieure entreprise par l’association.

184.        En ce qui concerne les « class-actions », les Pays-Bas ont suivi de près le modèle des Etats-Unis, surtout en ce qui concerne les « class settlements » (accords de groupe). Plus précisément, d’après la Loi sur le règlement de groupe du 27 juillet 2005, la Cour d’appel d’Amsterdam peut déclarer que la résolution du litige conclue par certains représentants du groupe est contraignante pour toute personne qui a subi un préjudice du même type, cette personne pouvant donc être considérée comme faisant partie du groupe, exception faite de ceux qui renoncent explicitement aux effets de cet accord (droit de « opt-out »). Ainsi, on a pu régler de manière efficace un grand nombre de litiges qui présentaient des aspects communs en fait et droit, et qui auraient vraisemblablement engorgé le système judiciaire néerlandais.

6.4          Mesures pour lutter contre l’abus des droits de procédure

185.        Enfin, il y a lieu de mentionner les diverses mesures qui peuvent être mises en place pour lutter contre l’abus des droits de procédure concernant le point de vue de l’accès au juge, et surtout, de la défense. 

186.        En Roumanie, par exemple, le Conseil supérieur de la magistrature a modifié le règlement de fonctionnement des instances pour rendre plus facile l’identification des affaires enregistrées sur le rôle de la même instance judiciaire et ayant le même objet, la même cause et impliquant les mêmes parties. Si ces dispositions ont entrainé des tâches supplémentaires pour les greffiers, ceux-ci étant chargés de l’identification de telles affaires, elles ont rendu plus efficace l’activité judiciaire par rapport aux possibles actions abusives en établissant un seul organisme pour les examiner - un aspect qui rend le travail des autres départements plus facile et qui peut aussi diminuer la durée totale des procédures.

187.        En ce qui concernant le champ de l’abus des droits de la défense, la Roumanie a supprimé l’effet suspensif automatique de la procédure civile qui se produisait lorsqu’une exception d’illégalité d'une décision administrative individuelle était soulevée.

188.        En Belgique, d’après la loi modifiant le code judiciaire en vue de lutter contre l'arriéré judiciaire, le juge a le pouvoir d’infliger des amendes à l'égard des parties qui utilisent la procédure à des fins manifestement dilatoires ou abusives.

189.        En Italie, l’abus des droits de procédure pouvait être sanctionné principalement au moyen de la condamnation à des dommages et intérêts de la partie perdante qui avait introduit une action ou s’était défendue en justice avec mauvaise foi ou faute grave. Toutefois, cette forme de responsabilité délictuelle, régie par l’article 96 du code de procédure civile, était très peu courante dans la pratique en raison de la difficulté, pour la partie gagnante, d’offrir la preuve de l’élément subjectif (mauvaise foi ou faute grave de l’autre partie) ainsi que du dommage effectivement subi. Dès lors, en vue d’assurer une sanction plus efficace, la loi a accordé au juge le pouvoir d’infliger une amende « en tout cas », c’est-à-dire dans tous les cas d’abus des droits de procédure.

189 En Grèce, plusieurs retards dans la procédure devant le juge administratif étaient causés par le retard de l’administration à communiquer des pièces nécessaires. Désormais, en cas d’ajournement de l’affaire en raison de l’absence de communication du dossier par l’administration, la loi a établi une présomption de vérité en faveur de la personne exerçant le recours.

190.              Dans « l’ex-République yougoslave de Macédoine », des sanctions pécuniaires sont prévues contre les administrations publiques qui ne soumettent pas les documents nécessaires.

191.        Enfin, si l’avocat joue un rôle essentiel pour la protection des droits du citoyen, il faut éviter que le système de protection juridictionnelle des droits ne soit abusé par des professionnels poussés uniquement par l’appât du gain. Dès lors, il est également important de veiller au respect des règles déontologiques et de sanctionner de manière adéquate les violations qui ont un impact majeur sur la bonne administration de la justice. Certaines décisions de la CrEDH, déclarant une requête irrecevable parce qu’abusive aux termes de l’article 35 § 3 a) CEDH, offrent un aperçu intéressant de certaines pratiques de ce type, tant dans le cadre des procédures nationales, que des procédures devant la CrEDH[55].

7.     Le succès des réformes : une question de méthode et de ressources

192.        Le succès ou l’échec des mesures dans le cadre des axes esquissés ci-dessus dépend de plusieurs facteurs :

ü  Une approche globale : la durée déraisonnable des procédures dans un système judiciaire donné constitue un problème aux multiples facettes qui est souvent causé par une gamme de facteurs de natures diverses et qui, doit donc être abordé de manière organique et globale, sans négliger les aspects sociaux et culturels inhérents à chaque pays qui peuvent influencer l’impact des actions envisagées.

ü  Consultation et concertation : le centre de décision peut être mieux informé sur les causes des problèmes et sur les solutions les plus efficaces prenant en compte les points de vue des divers acteurs du système judiciaire, ce qui aide également à préparer la mise en place de réformes ;

ü  Réflexion et communication : il faut éviter l’introduction de règles de mauvaise qualité technique, la modification continue des mesures entreprises et l’incohérence dans le processus de réforme, car tout cela est source de confusion pour les parties prenantes ;

ü  Suivi des résultats à court et moyen terme, à la fois au niveau statistique et du « feedback » des parties prenantes. Ce processus, qui demande une bonne qualité dans la collecte et l’analyse des données, devrait rester objectif, son issue ne devant pas être orientée par les résultats prédits au début de la mise en place de la réforme[56].

193.        Il est surtout opportun de rappeler que « le système judiciaire doit disposer de ressources suffisantes pour accomplir sa charge de travail ordinaire en temps utile. Ces ressources doivent être accordées en fonction des besoins et utilisées avec efficacité »[57].

194.        Pour tous les aspects évoqués ci-dessus, les Etats membres du Conseil de l’Europe peuvent tirer profit des Lignes directrices révisées du centre Saturn pour la gestion du temps judiciaire, de la Checklist pour la gestion du temps ainsi que de l’activité d’analyse et d’évaluation des systèmes judiciaires menée par la CEPEJ.


Conclusions

En général

a)     L’accès au juge et les procédures juridictionnelles ne représentent pas un « inconvénient » pour l’État : il s’agit des moyens indispensables pour protéger les droits des justiciables (surtout des plus vulnérables) et réaffirmer la primauté du droit. Dès lors, le système judiciaire doit disposer de ressources suffisantes pour accomplir sa charge de travail ordinaire en temps utile.

b)    Le bon fonctionnement de la justice fait l’objet d’une responsabilité partagée parmi les divers pouvoirs publics ainsi que les parties prenantes.

c)     Les actions aptes à réduire la surcharge des tribunaux et les délais des procédures doivent s’inscrire dans le cadre du respect des garanties découlant de l’art. 6 CEDH et, plus généralement, des éléments pertinents du droit international et européen concernant les droits de l’homme.

d)    Les actions aptes à réduire la surcharge des tribunaux et les délais des procédures devraient s’inspirer du principe de proportionnalité : parmi les diverses mesures envisageables, il serait souhaitable de privilégier celles qui ont le moins d’impact possible sur les autres aspects de la qualité de la justice. De même, le processus de réforme devrait assurer la cohérence globale des actions au sein du système juridique national et préserver l’équilibre général dans l’administration de la justice.

e)     Le succès ou l’échec de toute réforme peut dépendre de la manière dont celle-ci est conçue et mise en place : approche globale, consultation et concertation, réflexion et communication ainsi que le suivi des résultats des actions entreprises constituent autant d’étapes essentielles à cet égard. Ainsi, une politique de réforme à long terme en matière de justice semble préférable à des mesures d’urgence, adoptées sous la contrainte.

En particulier

f)     La spécialisation du juge peut contribuer à la fois à la qualité et à l’accélération des temps de la justice, mais devrait être combinée avec des formes de rotation ou d’alternance du personnel au sein des tribunaux spécialisés ou des sections spécialisées, les membres de ceux-ci devant en outre bénéficier des mêmes garanties d’indépendance que des juges judiciaires. 

g)    La modification des ressorts judiciaires, entraînant éventuellement la suppression de certaines juridictions ou leur rattachement à d’autres, peut contribuer à une répartition plus rationnelle des ressources disponibles, mais il convient de ne pas négliger les risques potentiels sur le terrain de l’accès au juge.

h)     L’élargissement des compétences des juges non-professionnels, qui contribue à réduire la charge de travail des juges professionnels, devrait s’accompagner de la mise en place de garanties adéquates, graduellement plus proches de celles liées au statut de juge professionnel, afin d’assurer indépendance et impartialité.   

i)      Si l’utilisation du juge unique peut être considérée comme acquise dans le pays du CdE, surtout en première instance, il ne faut pas négliger qu’en l’absence d’une décision collégiale, l’impartialité est assurée essentiellement par les garanties découlant du statut du juge.

j)      Des systèmes flexibles d’affectation/mutation des ressources humaines permettent de réagir promptement aux besoins des juridictions en sous-effectif et de gérer, le cas échéant, des engorgements temporaires. Toutefois, ils peuvent contribuer à affaiblir le sentiment d’attachement du personnel au service duquel il est affecté, et présentent des risques non-négligeables en ce qui concerne le domaine de l’indépendance du juge.

k)     L’utilisation de personnel d’appui à la fonction du juge (greffiers, référendaires, etc.) et l’augmentation des tâches de ce personnel peuvent contribuer à l’augmentation de la productivité du juge et de la qualité de la justice, à condition qu’un niveau adéquat de formation théorique et pratique soit assuré.

l)      L’informatisation de l’enregistrement et de la gestion des affaires ainsi que la digitalisation des dossiers et des communications comportent des avantages évidents pour l’administration de la justice, dans la mesure où les systèmes informatiques répondent aux besoins des utilisateurs et ne créés pas des obstacles inopinés à l’accès au juge.

m)   Les contrôles de l’activité judiciaire et les mesures incitatives de performances peuvent constituer des moyens efficaces pour réduire la durée de procédures, mais risquent de s’avérer problématiques sur le plan du respect de l’indépendance du juge et de la promotion de la qualité de la justice. En particulier, l’évaluation du juge doit avoir lieu dans le cadre de procédures structurées et sur la base de critères objectifs, qui ne doivent pas se réduire à des indicateurs quantitatifs. D’ailleurs, le contrôle de la performance globale d’une juridiction semble moins problématique dans la mesure où il s’analyse en un processus collectif, qui implique les parties prenantes concernées, et vise moins les responsabilités individuelles que la prise en charge collective du fonctionnement de la juridiction et la diffusion des méthodes de travail les plus efficaces.

n)    

Une certaine tendance semble se dessiner au sein des pays du CdE dans le sens de l’implication du juge dans la gestion du temps de la procédure afin d’assurer, en coopération avec les parties et leurs avocats, un traitement efficace de l’affaire. Toutefois, le juge ne peut jouer un rôle vraiment actif aux fins du bon déroulement de la procédure qu’à condition qu’il dispose des moyens nécessaires pour gérer de manière efficace son stock d’affaires et qu’il n’ait pas une charge de travail disproportionnée.

o)    Lorsque les délais de procédure, le nombre des audiences et les forclusions sont établis par la loi, la possibilité d’adapter la procédure aux exigences de l'affaire est limitée. D’ailleurs, un certain niveau de flexibilité, dans le sens de l’utilisation des ressources judiciaires proportionnelle aux exigences de chaque affaire, peut-être assuré prévoyant divers types de procédure (ou divers « circuits ») en fonction de la nature, de la valeur et de la complexité de l’affaire.

p)    La tenue d’une audience préparatoire constitue en principe un moyen de simplifier l’instruction de l’affaire et d’éviter tout ralentissement de la procédure.

q)    Bien qu’efficaces sur le terrain de la réduction de la prestation judiciaire et de l’économie des ressources, l’adoption des procédures sommaires en première instance doit toujours aller de pair avec des mécanismes procéduraux aptes à protéger, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure ultérieure, le principe du contradictoire et l’égalité des armes. Eu égard à l’art. 6 § 1 CEDH, la réduction de l’obligation de motivation et la suppression de débats publics doivent être considérées avec un surcroît de prudence.

r)      En ce qui concerne la réduction de l’accès aux procédures d’appel et de cassation ainsi que les mécanismes de filtrage de ces voies de recours, il ne faut pas négliger que ces voies de droit représentent les outils principaux pour corriger les violations de plusieurs volets du droit à un procès équitable et, plus généralement, pour assurer une décision de meilleure qualité. Il s’agit donc de parvenir à un juste équilibre entre cette exigence d’une part, et la protection du délai raisonnable d'autre part.

s)     La réduction des tâches non-contentieuses des tribunaux, qui peut constituer un moyen d’économiser les ressources du système judiciaire, doit se faire en prenant en compte l’augmentation des coûts qu'elle peut entraîner pour les particuliers et la nécessité d’assurer des garanties de fiabilité équivalentes à celles du juge.

t)      La conciliation et la médiation peuvent être encouragées en augmentant l’information apportée aux citoyens sur les caractéristiques et les avantages de celles-ci, en veillant au professionnalisme des conciliateurs et des médiateurs et en prévoyant des formes de soutien financier pour encourager ces voies de résolution des litiges. Il serait également souhaitable d’axer la formation et les rémunérations de l’avocat sur le profil d’un expert juridique qui assiste son client avant que des poursuites ne soient engagées, puis par la suite dans le cadre des diverses procédures de résolution du litige.

u)     Afin de réduire les pratiques de l’administration ou des grands acteurs de la vie économique qui sont sources de contentieux de masse, il faudrait considérer la mise en place des « actions de groupe » ainsi que d’autres mesures préventives ou répressives.


Sources et bibliographie

ALBANIE

Plan d’action du 28 janvier 2015, 1222 réunion du 10-12 mars 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)171

ALLEMAGNE

Bilan d’action révisé du 12 novembre 2013, 1186 réunion du 3-5 décembre 2013, réf. DH-DD(2013)1234

Résolution CM/ResDH(2013)244, adoptée par le Comité des Ministres le 5 décembre 2013 lors de la 1186e réunion des Délégués des Ministres

Autres sources :

·         P. Gottwald, “Déjouer les retards en procédure civile allemande” - « Defeating delay in German civil procedure », paru dans « Les délais de la loi : Essais sur les temps excessifs en procédure civile »« The Law’s Delay. Essays on Undue Delay in Civil Litigation » (sous la direction de C. H. van Rhee), Intersentia : Antwerp – Oxford – New York, 2004, pages 121-129

·         G. Walter,”La loi de réforme de la procedure civile allemande en 2002 : Beaucoup de bruit pour rien” -  « The German Civil Procedure Reform Act 2002 : Much Ado About Nothing ? », paru dans « Les réformes de la procédure civile dans une perspective comparative » - « The Reforms of Civil Procedure in Comparative Perspective » (sous la direction de N. Trocker et V. Varano), Giappichelli : Torino, 2005, pages 67-91

·         A. Wall, “Autriche et Allemagne : une histoire de réformes réussies” - « Austria & Germany: a History of Successful Reforms », paru dans « Le procès civil en Chine et en Allemagne » - « Civil Litigation in China and Europe » (sous la direction de C.H. van Rhee et Fu Yulin), Springer Science+Business Media : Dordrecht, 2014, pages 141-194

AUTRICHE

Bilan d’action du 1 octobre 2015, 1243 réunion du 8-10 décembre 2015, réf. DH-DD(2015)1126

Résolution CM/ResDH(2015)222, adoptée par le Comité des Ministres le 9 décembre 2015, lors de la 1243e réunion des Délégués des Ministres

Autres sources:

·         A. Wall, “Autriche et Allemagne : une histoire de réformes réussies” - « Austria & Germany: a History of Successful Reforms », paru dans « Le procès civil en Chine et en Allemagne » - « Civil Litigation in China and Europe » (sous la direction de C.H. van Rhee et Fu Yulin), Springer Science+Business Media : Dordrecht, 2014, pages 141-194

BELGIQUE

Bilan d’action du 26 octobre 2015, 1243 réunion du 8-10 décembre 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)1113

Résolution CM/ResDH(2011)189, adoptée par le Comité des Ministres le 2 décembre 2011 lors de la 1128e réunion des Délégués des Ministres

Décision CM/Del/Dec(2015)1243/H46-6 adoptée par le Comité des Ministres le 10 décembre 2015 lors de la 1243e réunion des Délégués des Ministres

Résolution CM/ResDH(2015)245, adoptée par le Comité des Ministres le 10 décembre 2015lors de la 1243e réunion des Délégués des Ministres

Autres sources :

·         http://justice.belgium.be/fr/ordre_judiciaire/reforme_justice (consulté le 15 décembre 2015)

·         « La réforme de l’ordre judiciaire (2012-14) »

(http://justice.belgium.be/sites/default/files/downloads/R%C3%A9forme%20de%20l'OJ.pdf, consulté le 15 décembre 2015)

BULGARIE

Plan d’action du 22 juin 2015, 1236 réunion du 22-24 septembre 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)672

Bilan d’action du 15 juin 2015,1236 réunion du 22-24 septembre 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)664

Résolution finale CM/ResDH(2015)154, adoptée par le Comité des Ministres le 24 septembre 2015 lors de la 1236e réunion des Délégués des Ministres

ESTONIE

Bilan d’action révisé du 19 novembre 2014,1221 réunion du 3-5 mars 2015, réf. DH-DD(2014)1445

Résolution CM/ResDH(2014)287, adoptée par le Comité des Ministres le 17 décembre 2014 lors de la 1215bis réunion des Délégués des Ministres

FRANCE

Sources :

·         F. Ferrand, « The respective Role of the Judge and the Parties in the Preparation of the Case in France », paru dans « The Reforms of Civil Procedure in Comparative Perspective » (sous la direction de N. Trocker et V. Varano), Giappichelli : Torino, 2005, pages 7-32

·         S. Guinchard (sous la direction de), « Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l’Union européenne », 8ème édition, Dalloz : Paris, 2014

·         « La réforme judiciaire #J21 » (http://www.justice.gouv.fr/la-reforme-judiciaire-j21-12563/, consulté le 19 décembre 2015)

·         « Présentation du projet de loi ordinaire, du projet de loi organique pour la réforme judiciaire J21 » (http://www.justice.gouv.fr/publication/Projet_Loi_ReformeJ21-270715-A4.pdf, consulté le 19 décembre 2015)

·         Inspection Générale des Services Judiciaires, « Rapport sur le développement des modes amiables de règlements des différends » (avril 2015), réalisé avec l’appui du secrétariat général à la modernisation de l’action publique

(http://www.justice.gouv.fr/publication/2015_THEM_Rapport_definitif_reglement_conflits.pdf, consulté le 20 décembre 2015)

·         Cour des comptes, « Rapport publique annuel 2015 » (février 2015), Tome I, Volume II, pages 35-62 (https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Rapport-public-annuel-2015, consulté le 18 décembre 2015)

GRECE

Plan d'action du 29 juillet 2013, 1179 réunion du 24-26 septembre 2013, réf. DH-DD(2013)892

Bilan d’action révisé du 17 mars 2015, 230 réunion du 9-11 juin 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)324

Bilan d’action révisé du 5 novembre 2015, 1243 réunion du 8-10 décembre 2015) (DH), réf. DH-DD(2015)1211

Plan d’action du 11 octobre 2011 Réf. DH -DD(2011)850F

Plan d’action complémentaire du 8 avril 2013,1179 réunion du 24-26 septembre 2013, réf. DH-DD(2013)758

Bilan d’action du 2 juin 2015, 1236 réunion du 22-24 septembre 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)621

Bilan d’action révisé du 24 novembre 2015, 1243 réunion du 8-10 décembre 2015, réf. DH-DD(2015)1269

Résolution finale CM/ResDH(2015)230, adoptée par le Comité des Ministres le 9 décembre 2015, lors de la 1243e réunion des Délégués des Ministres

Résolution finale CM/ResDH(2015)231, adoptée par le Comité des Ministres le 9 décembre 2015, lors de la 1243e réunion des Délégués des Ministres

HONGRIE

Plan d’action mis à jour du 28 mai 2015, 1236 réunion du 22-24 septembre 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)631

ITALIE

Communication des autorités du 10 avril 2013 (Mesures générales), 1172 réunion du 4-6 juin 2013 (DH), réf. DH-DD(2013)415

Communication des autorités du 10 juillet 2015, préparée pour la visite de M. Klaas de Vries rapporteur APCOE en Italie le 22-23 octobre 2014 concernant les groupes d’affaires Ceteroni, Luordo et Mostacciuolo contre Italie (requêtes n° 22461/9, 22461/93, 64705/01) ,1236 réunion du 22-24 septembre 2015, réf.DH-DD(2015)760

Communication des autorités du 26 octobre 2015 (Mesures générales), 1243 réunion du 8-10 décembre 2015, réf. DH-DD(2015)1157

Décision CM/Del/Dec(2015)1243/H46-11,adoptée par le Comité des Ministres le 10 décembre 2015 lors de la 1243e réunion des Délégués des Ministres

Résolution finale CM/ResDH(2015)247, adoptée par le Comité des Ministres le 10 décembre 2015 lors de la 1243e réunion des Délégués des Ministres

Autres sources :

·         « Rapport sur l’administration de la justice » - « Relazione sull'amministrazione della giustizia » (années de 2010 à 2014)

(http://www.cortedicassazione.it/corte-di-cassazione/it/inaugurazioni_anno_giudiziario.page, consulté le 12 novembre 2015)

·         “¨Recensement de la Justice et Programme Strasbourg 2” - «Censimenti giustizia e programma Strasburgo 2»

(https://www.giustizia.it/giustizia/it/mg_2_9_10.wp, consulté le 10 janvier 2016)

·         G. Balena et autres, « L’actualité en matière d’appels » - « Le novità in materia di impugnazioni » (Cahiers de l’Association italien des chercheurs en matière de procédure civile -  Associazione italiana fra gli studiosi del processo civile), Bononia University Press : Bologna, 2014

·         C. Consolo – M. De Cristofaro – B. Zuffi (sous la direction de), « La riforma del 2009 », IPSOA : Milano, 2009

L’EX-REPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACEDOINE

Bilan d’action du 4 juillet 2011, réf. DH - DD(2011)524E

POLOGNE

Plan d’action du 24 novembre 2011, réf. DH- DD(2011)1074

Plan d’action du 24 novembre 2011, réf. DH - DD(2011)1073

Plan d’action mis à jour du 4 juillet 2013, 1179 réunion du 24-26 septembre 2013 (DH), réf. DH-DD(2013)787

Plan d’action du 27 avril 2015, 1230 réunion du 9-11 juin 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)493

Plan d’action mis à jour du 26 mai 2015,1236 réunion du 22-24 septembre 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)618

Plan d’action mis à jour du 27 octobre 2015, 1243 réunion du 8-10 décembre 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)1146

Décision CM/Del/Dec(2015)1236/14, adoptée par le Comité des Ministres le 24 septembre 2015, lors de la réunion 1236e

Résolution finale CM/ResDH(2015)248, adoptée par le Comité des Ministres le 9 décembre 2015, lors de la 1243e réunion des Délégués des Ministres

PAYS BAS

Sources :

·         E. Blankenburg, “Justice civile : accès, coût et exécution” - « Civil justice : Access, Cost, and Expedition. The Netherlands », paru dans “La justice civile en crise, la procédure civile dans une perspective comparative » -  « Civil Justice in Crisis. Comparative Perspective of Civil Procedure » (sous la direction de Adrian Zuckerman), Oxford University Press : Oxford – New York, 1999, pages 442-463

·         C. H. van Rhee – R. Verkerk “Les Pays-Bas: une approche de la réforme de la procedure civile sans fondement” - « The Netherlands: A No-Nonsense Approach to Civil Procedure Reform », paru dans « Le procès civil en Chine et en Europe » - « Civil Litigation in China and Europe » (sous la direction de C.H. van Rhee et Fu Yulin), Springer Science+Business Media : Dordrecht, 2014, pages 259-280 

PORTUGAL

Plan d'action du 10 janvier 2013, 1164 réunion du 5-7 mars 2013 (DH), réf. DH-DD(2013)56

Communication des autorités du 8 octobre 2013, 1186 réunion du 3-5 décembre 2013 (DH), réf. DH-DD(2013)1040

Communication des autorités du 22 janvier 2015, 1222 réunion du 10-12 mars 2015 (DH), réf.DH-DD(2015)127

REPUBLIQUE SLOVAQUE

Résolution intérimaire CM/ResDH(2010)225, adoptée par le Comité des Ministres le 2 décembre 2010, lors de la 1100e réunion des Délégués des Ministres

Plan d’action 23 septembre 2015, 1243 réunion du 8-10 décembre 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)990

Plan d’action du 27 octobre 2015, 1243 réunion du 8-10 décembre 2015 (DH), réf. DH-DD(2015)1149

SLOVENIE

Plan d’action du 22 mars 2012, réf. DH-DD(2012)320

Information complémentaires du 22 juillet 2013, 1179 réunion du 24-26 septembre 2013 (DH), réf. DH-DD(2013)886

Autres sources :

·         “Projet conjoint entre Etats : l’élimination de l’arriéré dans les tribunaux – Le projet de Lukenda »« Joint State Project. The elimination of court backlogs - The Lukenda project »

(http://www.mp.gov.si/fileadmin/mp.gov.si/pageuploads/mp.gov.si/zakonodaja/angleski_prevodi_zakonov/The_Lukenda_Project_angl.pdf, consulté le 8 décembre 2015)

SUISSE

Code de procédure civile du 19 décembre 2008 (état le 1er janvier 2016)

Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (« LP») du 11 avril 1889 (état le 1er janvier 2016)

Loi sur le tribunal fédéral (« LTF ») du 17 juin 2005 (état le 1er janvier) 

Loi sur le tribunal fédéral des brevets (« LTFB») du 20 mars 2009 (état le 1er janvier)

 

TURQUIE

Plan d’action du 11 janvier 2013,1164 réunion du 5-7 mars 2013 (DH), réf. DH-DD(2013)82

Bilan d’action du 24 novembre 2014, 1221 réunion du 3-5 mars 2015 (DH), réf. DH-DD(2014)1468

Résolution CM/ResDH(2014)298, adoptée par le Comité des Ministres le 17 décembre 2014, lors de la 1215bis réunion des Délégués des Ministres

N.B : Ce Guide des bonnes pratiques a été rédigé sur la base du travail de l’expert scientifique Francesco De Santis, [email protected]. L’auteur est chercheur en procédure civile dans l’Université de Naples "Federico II" et avocet à Naples. Il a exercé les fonctions de juriste référendaire à la Cour EDH. L’auteur souhaite remercier Valentin Rétornaz, Andreea Maria Rosu and Silvia Blasi  pour les suggestions et l’assistance dans sa recherche.



[1]CEPEJ-GT-QUAL(2015) 6

[2] A cet égard, voir Adrian Zuckerman, « Justice in Crisis : Comparative Dimensions of Civil Procedure », paru dans « Civil Justice in Crisis. Comparative Perspective of Civil Procedure », sous la direction de Adrian Zuckerman, Oxford University Press, 1999, page 3 et suivantes.

[3] La liste de ces documents est indiquée en annexe (Sources et bibliographie). L’indication détaillée des lois ou des autres sources nationales ayant mis en place les actions ici relatées est omise lorsqu’elle figure dans lesdits documents présentés par les Gouvernements des pays du CdE au Comité des Ministres. Cette indication est également omise lorsque les sources nationales n’étaient ni directement accessibles à l’expert ni mentionnées dans les sources secondaires (doctrine et autres documents d’information) consultées par lui.  

[4] Voir, par exemple, la Communication des autorités relative au groupe d’affaires Moreno Carmona contre Espagne, soumise le 30/05/2013 en vue de la réunion CM-DH 1179 du 24-26 septembre 2013 : compte tenu des informations statistiques concernant la durée moyenne des procédures civiles en Espagne, le Gouvernement « considère que l'exécution de l'arrêt Moreno Carmona ne requiert pas l'adoption de mesures générales ».

[5] Données actualisées jusqu’à décembre 2015, sauf cas particuliers plus récents.

[6] Ce choix se justifie pour plusieurs raisons :

A) Le but et l’objet de la procédure pénale sont nettement différents par rapport à ceux de la procédure civile et administrative. Dans les Etats démocratiques, la procédure pénale est essentiellement un instrument de garantie pour l’accusé face à la prétention punitive de l’Etat. En revanche, la procédure civile vise la solution des litiges, selon l’application du droit privé, entre deux parties dans une position d’égalité ; la procédure administrative (dans les pays où elle se distingue de la procédure civile) vise la solution des litiges qui opposent les particuliers aux pouvoirs publics, découlant de l’existence de certains vices dans les actes administratifs. Dès lors, les problèmes qui se posent dans l’administration de la justice sont nettement différents dans le domaine pénal par rapport aux autres.

B) Efficacité et qualité de la justice en matière pénale doivent s’apprécier à la fois du point de vue de l’accusé et des autorités de poursuite, les intérêts de la victime et des parties civiles ne pouvant être négligés non plus. En revanche, les intérêts en cause dans les procédures civiles et administratives se polarisent, en principe, autour de deux parties à la procédure.

C) La charge de travail des juridictions en matière pénale est fortement influencée par la politique criminelle adoptée par l’Etat, à la fois en ce qui concerne les actes que le législateur qualifie de crime et, le cas échéant, les crimes sur lesquels les autorités de poursuite focalisent leurs activités. Encore une fois, il s’agit de facteurs qui n’ont pas de pertinence pour les procédures civiles et administratives. 

[7] A cet égard, il faut garder à l’esprit les indications fournies dans les Lignes directrices relatives à la création de cartes judiciaires visant à faciliter l’accès à la justice dans un système judiciaire de qualité (CEPEJ-QUAL).

[8] Voir les modifications du code de la sécurité sociale contenues dans le projet de loi n° 35 approuvé le 5 novembre 2015 relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire.

[9] Loi sur le tribunal fédéral des brevets du 20 mars 2009.

[10] Cf. l’arrêt du Tribunal fédéral du 18 avril 2011, dossier n° 4F_8/2010, disponible sur www.bger.ch, d’après lequel il y a un soupçon de partialité d’un avocat siégeant en qualité de juge suppléant non seulement lorsqu'il représente ou a récemment représenté l'une des parties dans un autre procès, mais aussi lorsqu'il se trouve ou s'est trouvé, dans un autre procès, dans un rapport de représentation avec l'adversaire de l'une des parties (en l’espèce l’existence des mandats avait été apprise par l’avocat de la partie demanderesse à l’occasion d’une conversation téléphonique, bien après que le Tribunal de commerce de Zürich et la juridiction fédérale avaient écarté la demande de récusation) ; voir également l’arrêt du Tribunal fédéral du 27 août 2013, publié in ATF 139 III 433 et disponible sur www.bger.ch : un des juges du Tribunal fédéral des brevets amené à se prononcer dans une affaire ayant un retentissement médiatique considérable était par ailleurs le conseil en propriété intellectuelle de la filiale d’une des parties.

[11] Cf. la Loi du 1er décembre 2013 portant réforme des arrondissements judiciaires et modifiant le code judiciaire en vue d'une plus grande mobilité des membres de l'Ordre judiciaire.

[12] Entreprise par la Garde de Sceaux de l’époque, Rachida Dati, cette réforme a été mise en place, notamment par les décrets du 15 février 2008, du 29 mai 2008 et du 30 juillet 1999.

[13] Voir en ce sens le point VI de la recommandation R(86)12 du Comité des Ministres relative à certaines mesures visant à prévenir et réduire la surcharge de travail des tribunaux, adoptée le 16 septembre 1986.

[14] Cf., en ce sens, le point V de la recommandation R(86)12 du Comité des Ministres relative à certaines mesures visant à prévenir et réduire la surcharge de travail des tribunaux, adoptée le 16 septembre 1986.

[15] Voir à cet égard les Lignes Directrices sur l’organisation et l’accessibilité des tribunaux (CEPEJ(2014)15).

[16] Voir le plan de lutte anti-terroriste démarré en mai 2016 ainsi que le récent projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

[17] Voir l’article L227-1 du code de justice administrative, tel que modifié en avril 2016.                                      

[18] En ce qui concerne le rapport "Systèmes judiciaires européens – Efficacité et qualité de la justice" Edition 2016 (données 2014), voir le Chapitre 3.3.

[19] Voir le projet « Une base de données judiciaire centralisée », distinction spéciale dans le cadre du prix Balance de Cristal 2014 de la CEPEJ.

[20] Voir le projet « Base de données juridiques et tableaux de bord de la performance », mention spéciale dans le cadre du prix Balance de Cristal 2012 de la CEPEJ.

[21] Voir le projet « Lexnet », mention spéciale dans le cadre du prix Balance de Cristal 2012 de la CEPEJ.

[22] Voir le projet « CourtPub », distinction spéciale dans le cadre du prix Balance de Cristal 2015 de la CEPEJ.

[23] Distinction spéciale dans le cadre du prix Balance de Cristal 2008 de la CEPEJ.

[24] Voir le projet « Enregistrement d’audiences devant le tribunal par le biais de techniques spécifiques », distinction spéciale dans le cadre du prix Balance de Cristal 2015 de la CEPEJ.

[25] Voir le projet « Système automatisé de validation des documents authentiques », distinction spéciale dans le cadre du Prix Balance de Cristal 2010 de la CEPEJ.

[26] Voir le projet « SAS », distinction spéciale dans le cadre du Prix Balance de Cristal 2009 de la CEPEJ.

[27] Cf. § 148 de la Loi constitutionnelle fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz, « B-VG »).

[28] Ce texte décrit de manière détaillée les pratiques actuelles en matière d’évaluation des juges dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et formule des recommandations.

[29]Pour plus de détails, voir l’analyse développée aux paragraphes 31-35 de l’Avis précité.         

[30] Voir Alexandre Piraux, « Plan Thémis de modernisation de l’Ordre judiciaire, projet Phenix d’informatisation, mesure de la charge de travail : les difficultés du management judiciaire », Pyramides [En ligne], 12 | 2006, mis en ligne le 14 septembre 2011, consulté le 1 février 2016. URL : http://pyramides.revues.org/287.

[31] Voir François Paychère, « Comment mesurer la performance des tribunaux en respectant les principes fondamentaux de la justice ? Un débat entre « indépendance » et « responsabilité » (« indépendance » vs « accountability ») », contribution à la XIVème session plénière de la CEPEJ, consulté le 1 février 2016. URL : http://www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/thematiques/Measuring_perf/Study_session_14th_plenary_contrib_paychere_fr.asp

[32] A cet égard, voir François Paychère, précité.

[33] Distinction spéciale dans le cadre du Prix Balance de Cristal 2006 de la CEPEJ.

[34] Cet objectif est détaillé comme suit par l’art. 1.1, al. 2, de Règles de procédure civile : « Administrer les affaires de façon juste implique, dans la mesure du possible de (a) s’assurer que les parties sont à armes égales ; (b) économiser les frais ; (c) gérer les affaires de façon proportionnée (i) à l’enjeu ; (ii) à l’importance de l’affaire ; (iii) à la complexité des questions posées ; et (iv) à la position financière de chaque partie. (d) s’assurer que l’affaire soit jugée rapidement et justement ; et (e) en lui allouant une part appropriée des ressources du Tribunal, tout en prenant en compte le besoin de consacrer ces ressources à d’autres affaires ».

[35] Avis n°6(2004) sur le procès équitable dans un délai raisonnable, points 104-105.

[36] Voir à cet égard CEPEJ(2014)14, Lignes directrices sur le rôle des experts nommés par un tribunal dans les procédures judiciaires des Etats membres du Conseil de l’Europe.

[37] Distinction spéciale dans le cadre du prix Balance de Cristal 2005 de la CEPEJ.

[38] Lauréat du prix Balance de Cristal 2012 de la CEPEJ.

[39] Loi sur le tribunal fédéral du 17 juin 2005.

[40] Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889.

[41] Il s’agit d’une affirmation constante dans la jurisprudence de la CrEDH, à partir de l’affaire Delcourt c. Belgique, n° 2689/65, § 25, 17 janvier 1970. 

[42] Pour l’application de ces principes en matière de voies de droit voir, parmi les affaires plus récentes, Hansen c. Norvège, n° 15319/09, §§ 71-74, 2 octobre 2014 ; Mazzoni c. Italie, n° 20485/06, §§ 39-41, 16 juin 2015 ; Arribas Anton c. Espagne, n° 16563/11, §§ 41-42, 20 janvier 2015.

[43] A ce propos, voir en particulier les articles 1, première alinéa, et 7 de la Recommandation n° R (95) 5 du Comité des Ministres sur l'instauration de systèmes et procédures de recours en matière civile et commerciale et sur l'amélioration de leur fonctionnement, adoptée le 7 février 1995.

[44] Cf., en ce sens, le point II de la recommandation R(86)12 du Comité des Ministres relative à certaines mesures visant à prévenir et réduire la surcharge de travail des tribunaux, adoptée le 16 septembre 1986.

[45]Voir l’ancien art. 17 du projet de loi n° 35-2015.

[46] Cf., dans ce sens, le point I de la recommandation R(86)12 du Comité des Ministres relative à certaines mesures visant à prévenir et réduire la surcharge de travail des tribunaux, adoptée le 16 septembre 1986.

[47] Mention spéciale dans le cadre du prix Balance de Cristal 2015 de la CEPEJ.

[48] Voir le projet « Médiateur pour petits litiges rattaché au tribunal », distinction spéciale dans le cadre du prix Balance de Cristal 2006 de la CEPEJ.

[49] Voir le projet « The Small Claims Mediation Service », lauréat du prix Balance de Cristal 2008 de la CEPEJ.

[50] A ce propos, on peut rappeler que le projet-pilote « Médiation judiciaire », poursuivi entre 2003 et 2005 dans le district de la cour d’appel d’Anvers (distinction spéciale dans le cadre du Prix Balance de Cristal 2005 de la CEPEJ) prévoyait la création d’un dossier de médiation autonome par rapport à celui de la procédure judiciaire ainsi que le dessaisissement de l’affaire du juge ayant connu celle-ci dans le cadre d’une médiation échouée.    

[51] Pour plus de détails, on peut faire référence à plusieurs instruments du Conseil de l’Europe. Voir, notamment, la Recommandation (98)1sur la médiation familiale, laRecommandation (99)19sur la médiation en matière pénale, la Recommandation (2001)9sur les modes alternatifs de règlements des litiges entre les autorités administratives et les personnes privées et laRecommandation (2002)10sur la médiation en matière civile. En ce qui concerne plus précisément le travail de la CEPEJ, il y a lieu de mentionner l’activité du GT-MED et l’espace dédié à la médiation dans les Rapports d’évaluation des systèmes judiciaires. Des projets dans ce domaine ont été également salués par la CEPEJ dans le cadre du prix Balance de Cristal : au-delà des exemples mentionnés dans le texte, voir « La médiation attachée aux tribunaux et programme de règlement accéléré des litiges civils au sein du tribunal du district de Ljubljana » (projet retenu lors de l’édition 2005) ainsi que « La Pratique de la Médiation dans le contentieux familiale au TGI de Tarascon (13) : un changement de culture judiciaire » (projet distingué lors de l’édition 2005).

[52] Cette ligne d’intervention se situe dans le sillage des principes indiqués dans les Lignes directrices Saturn pour la gestion du temps judiciaire, Section II, lettre C).

[53] Pour une évaluation de compatibilité avec le droit de l’Union européenne en matière de TVA, voir l’arrêt de la Cour de justice du 29 mars 2012, rendu dans l’affaire C-500/10. Au demeurant, cette clôture automatique – qui a été ultérieurement qualifiée comme « péremption » (estinzione) par une loi d’interprétation authentique – pourrait poser des interrogations sur le terrain du droit au recouvrement des frais de procédures exposés en troisième instance par le contribuable.

[54] Projet de loi n° 35 relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire.

[55] Voir par exemple Basileo et autres c. Italie, décision du 23 août 2011 ; Petrović c. Serbie, décision du18 octobre 2011 ; Bekauri c. Géorgie, décision du 10 avril 2012 ; Simonetti (II) et Simonetti (III) c. Italie, décision du 10 juillet 2012 ; De Cristofaro et autres c. Italie, décision du 10 juillet 2012.

[56] A ce propos, les Etats peuvent s’appuyer sur les Lignes directrices de la CEPEJ en matière de statistiques judiciaires et, de manière plus générale, sur les outils mis à disposition par le Groupe de travail sur l’évaluation des systèmes judiciaires (CEPEJ-GT-EVAL).

[57] Voir Lignes directrices révisées du centre Saturn pour la gestion du temps judiciaire, Section II, A), 1.