CONSEIL DE L’EUROPE
COMITE DES MINISTRES
Recommandation Rec(2004)14
du Comité des Ministres aux Etats membres
relative à la circulation et le stationnement des Gens du voyage en Europe
(adoptée par le Comité des Ministres le 1 décembre 2004,
lors de la 907e réunion des Délégués des Ministres)
Le Comité des Ministres, conformément à l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres et que ce but peut être poursuivi, en particulier, grâce à une action commune dans le domaine de la cohésion sociale ;
Convaincu que les Roms/Tsiganes et les Gens du voyage contribuent à la culture et aux valeurs européennes au même titre que les autres peuples d’Europe et constatant que, en dépit de ce mérite, ils sont victimes de discriminations dans tous les domaines de la vie ;
Estimant que celles parmi les communautés Roms/Tsiganes et des Gens du voyage qui désirent continuer à mener un mode de vie traditionnel itinérant ou semi-itinérant devraient avoir les possibilités légales et pratiques de le faire, au nom de la liberté de circulation et d’établissement, garantie à tous les citoyens des Etats membres et au nom du droit à la préservation et au développement des identités culturelles particulières ;
Estimant également que pour permettre l’exercice du droit à la circulation et au stationnement des Gens du voyage, un système coordonné et cohérent de garanties juridiques de la liberté de circulation des Gens du voyage s’avère nécessaire ;
Reconnaissant que les politiques visant à traiter les problèmes de circulation et de stationnement devraient s’inscrire au sein d’une politique cohérente visant à améliorer les conditions de vie des Roms/Tsiganes et des Gens du voyage ;
Gardant à l’esprit la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe de 1961 (STE no 35), son Protocole additionnel de 1988 (STE no 128) et la Charte sociale européenne révisée de 1996 (STE no 163) ;
Gardant à l’esprit les dispositions de la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel de 1981 (STE no 108) ;
Tenant compte de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales de 1995 (STE no 157) ;
Gardant à l’esprit sa Recommandation R (2000) 4 sur l’éducation des enfants Roms/Tsiganes en Europe et sa Recommandation Rec(2001)17 sur l’amélioration de la situation économique et de l’emploi des Roms/Tsiganes et des « voyageurs » en Europe ;
Gardant à l’esprit les Recommandations 563 (1969) et 1203 (1993) de l’Assemblée parlementaire qui font état des conditions de vie des Roms/Tsiganes et des Gens du voyage en Europe et la Recommandation 1557 (2002) de l’Assemblée parlementaire sur la situation juridique des Roms en Europe ;
Gardant à l’esprit les Résolutions 125 (1981), 16 (1995) et 249 (1993) et la Recommandation 11 (1995) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe relatives à la situation des Roms/Tsiganes en Europe ;
Gardant à l’esprit la Recommandation de politique générale no 3 de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance sur la lutte contre le racisme et l’intolérance envers les Roms/Tsiganes ;
Gardant à l’esprit la Directive 2000/43/CE du Conseil de l’Union européenne du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique ;
Estimant que la législation des Etats membres relative à l’entrée et la résidence des non-citoyens ne doit pas être affectée par les lignes directrices de cette Recommandation ;
Gardant à l’esprit que les structures constitutionnelles, les traditions juridiques et la répartition des compétences diffèrent d’un Etat membre du Conseil de l’Europe à l’autre, ce qui pourrait conduire à une mise en œuvre différenciée de la présente Recommandation ;
Recommande que, dans la conception, la mise en œuvre et le suivi de leurs politiques concernant la circulation et le stationnement des Gens du voyage, les gouvernements des Etats membres :
– s’appuient sur les principes énoncés dans l’Annexe à la présente Recommandation;
– portent la présente Recommandation à l’attention des instances publiques nationales, régionales et locales concernées, par les canaux appropriés.
Annexe à la Recommandation Rec(2004)14
I. Champ d’application
1. Le présent texte couvre les Gens du voyage, les Roms, les Sintis, les Yéniches et les autres groupes qui leur sont associés dans les Etats membres qui mènent un mode de vie traditionnellement itinérant ou semi-itinérant et qui sont des ressortissants de ces Etats ou sont présents en situation régulière. Par commodité d’écriture, le terme « Gens du voyage » sera utilisé dans la présente Recommandation.
II. Définitions
2. Le terme « Gens du voyage » recouvre les populations visées au point 1; il est équivalent à celui de «Voyageurs» également utilisé.
3. Le terme « aire d’accueil » se définit comme l’emplacement réservé ou créé spécialement pour le stationnement des Gens du voyage; le terme « aire » se définit comme étant tout emplacement utilisé par les Gens du voyage pour leur stationnement: il inclut les aires d’accueil, les aires traditionnelles, les aires occasionnelles.
4. Le terme de « stationnement » se définit comme l’arrêt prolongé dans le temps des Gens du voyage, de leurs familles et de leurs abris mobiles sur une aire.
5. Le terme d’« aires traditionnelles de stationnement » se définit comme les aires habituellement utilisées par les Gens du voyage pour leur séjour. Concernant les Gens du voyage semi-itinérants, les aires de stationnement désignent les endroits où les Gens du voyage prennent généralement leurs quartiers d’hiver (durée maximale d’environ six mois). Les aires de passage sont celles où ils font halte pour quelques jours ou quelques semaines durant leur période d’activité itinérante (durée maximale d’un mois environ).
6. Le terme « abri mobile » se définit comme étant tout espace clos servant de domicile aux Gens du voyage et susceptible d’être remorqué.
7. Le terme « équipement minimal en infrastructures » se définit comme un point d’eau, un raccordement au réseau électrique, des sanitaires et une benne à ordures.
III. Principes généraux
Les Etats membres devraient :
8. garantir l’égalité des droits pour chaque Gens du voyage, particulièrement dans les matières suivantes: le droit à la propriété et aux aides sociales au même titre que pour les sédentaires, un loyer et des charges d’occupation des terrains justes et proportionnés, la sécurité de résidence ;
9. assurer aux Gens du voyage l’égalité d’accès à des services sociaux, culturels et économiques ;
10. encourager l’utilisation d’un site Internet officiel regroupant un ensemble de services publics facilitant les échanges entre Gens du voyage et administrations: déclaration fiscale, déclaration d’état civil, demande de prestations sociales, etc. Les Etats membres devraient par ailleurs soutenir les organisations des Gens du voyage de telle sorte qu’elles puissent conseiller et aider leurs membres et faciliter ainsi les échanges entre Gens du voyage et administrations ;
11. promouvoir des campagnes d’information et de sensibilisation à l’égard : 1. des Gens du voyage, en ce qui concerne leurs droits et leurs devoirs, et 2. de la population sédentaire, afin qu’elle acquière une meilleure connaissance du mode de vie et de la culture des Gens du voyage, et abandonne ses préjugés et stéréotypes à l’égard de cette population; les communautés concernées devraient être activement impliquées dans la mise sur pied de telles campagnes d’information ;
12. appliquer en tout point à l’abri mobile ou, le cas échéant, au domicile de rattachement des Gens du voyage les droits substantiels attachés au domicile sédentaire, notamment en matières juridique et sociale ;
13. promouvoir la conclusion de contrats ou de chartes de qualité entre les autorités locales et les Gens du voyage, basés sur les intérêts réciproques des parties en présence ;
IV. Application et mise en œuvre
Les Etats membres devraient :
A. La liberté de se déplacer des Gens du voyage
14. s’abstenir, pour circuler sur le territoire national, d’exiger des Gens du voyage nationaux des documents autres que des pièces d’identité de droit commun ou/et des documents autorisant une activité économique ambulante (carte professionnelle de marchand ambulant), dans les pays dans lesquels de telles pièces sont en vigueur ;
B. La domiciliation des Gens du voyage
15. mentionner le domicile de rattachement des Gens du voyage sur les pièces d’identité de droit commun dans les pays où celles-ci sont requises et conditionnent l’accès à d’autres droits ;
16. permettre la domiciliation des Gens du voyage chez une personne physique ou auprès d’une association ;
17. s’abstenir de constituer, à partir des mentions sus-énoncées relatives au domicile de rattachement, des fichiers permettant d’identifier la qualité d’itinérant ;
18. permettre un choix de domicile libre pour les ressortissants nationaux lorsque la domiciliation est obligatoire ;
19. diffuser largement les bonnes pratiques innovantes en matière de domiciliation ;
C. L’accueil des Gens du voyage
20. reconnaître aux Gens du voyage un droit de stationnement ;
21. créer des aires d’accueil pour la halte et le séjour des Gens du voyage afin de leur permettre d’y stationner plus durablement que de coutume en consultation avec les Gens du voyage et en tenant compte de leurs besoins ;
22. lors de la création d’aires d’accueil, prendre en compte les aires traditionnelles de stationnement des Gens du voyage ;
23. assurer que ces aires d’accueil :
i. ont un équipement minimal en infrastructures, notamment sanitaires,
ii. sont en nombre suffisant, tenant compte de l’évolution démographique des familles et leur implantation selon un lieu convenant au degré de fréquentation et de passage des Gens du voyage,
iii. sont signalisées au moyen d’un hologramme européen routier ;
24. créer des aires d’accueil adaptées aux grands rassemblements et/ou aux Gens du voyage étrangers de passage ;
25. favoriser une pluralité d’options dans l’offre de stationnement, notamment en offrant la possibilité aux membres du groupe qui ne sont plus mobiles, du fait de l’âge ou de l’état de santé, de rester toute l’année sur les aires de stationnement où leur famille pourrait les rejoindre lorsqu’ils désirent s’arrêter ;
26. mettre en place une structure de suivi et d’évaluation de la mise en place et du fonctionnement des aires de stationnement et de passage; cette structure devrait permettre une évaluation régulière des besoins et donner les indications nécessaires de localisation des sites et de leur équipement. Les autorités devraient assurer l’implication pleine et entière des Gens du voyage dans le travail d’une telle structure ;
27. fournir aux Gens du voyage l’information nécessaire à l’acquisition de terrains privés et à l’usage qui peut en être fait ;
D. Garantir l’exercice particulier du droit des Gens du voyage au stationnement
28. inscrire le droit au stationnement dans leur droit interne par des normes ayant au moins valeur législative, et en l’assimilant au droit à un logement décent ;
29. dans le respect de l’autonomie des collectivités territoriales, utiliser un mécanisme de contrôle et d’incitation afin que les autorités locales remplissent leurs obligations en matière de création d’aires d’accueil; le cas échéant, instaurer un pouvoir de substitution de l’autorité supérieure au cas où les autorités locales ne les rempliraient pas ;
30. Les Etats membres devraient instaurer un cadre juridique conforme aux normes internationales relatives aux droits de l'homme afin d'assurer une protection efficace contre les expulsions forcées collectives et d'imposer des règles strictes concernant les situations dans lesquelles il peut être procédé à des expulsions légales. En cas d'expulsions légales, les Roms devraient se voir fournir un logement de substitution convenable s'il y a lieu, excepté dans les cas de force majeure. La législation devrait également définir précisément les procédures à suivre lorsque l'expulsion est légale, et elle devrait être en conformité avec les normes et principes internationaux en matière de droits de l’homme, y compris ceux décrits dans le Commentaire général 7 sur les expulsions forcées du Comité des Nations Unies pour les droits économiques, sociaux et culturels. Ces mesures devraient inclure les points suivants : concertation avec la communauté ou la personne concernée, délai de notification raisonnable, communication d'informations, garantie que l'expulsion sera conduite de manière raisonnable, voies de recours juridique effectif, gratuité ou coût modique de l'assistance juridique pour les victimes indigentes. Les logements de substitution ne devraient pas entraîner une ségrégation supplémentaire.
31. dans les pays qui ne font pas de différence entre des aires de stationnement et des aires de passage, limiter la durée du stationnement dans les aires afin d’éviter leur transformation en zone d’exclusion par la sédentarisation in situ des utilisateurs et afin de permettre la rotation des Gens du voyage entres les aires, tout en s’abstenant de fixer une durée de stationnement autorisé inférieure à la période scolaire la plus longue existante entre deux périodes de congés et tout en offrant à ceux qui désirent se sédentariser des alternatives autres que l’arrêt sur les aires existantes ;
32. autoriser les associations des Gens du voyage à exercer les droits individuels des Gens du voyage devant les tribunaux compétents en matière d’expulsions, tant en défense qu’en demande et à tous les stades de la procédure ;
33. mettre en place des dispositifs législatifs permettant de faire appel de décisions d’interdiction d’accéder à certains sites ou de stationner ;
34. délimiter comme faisant partie de la caravane, et donc du domicile des Gens du voyage, un périmètre de quelques mètres autour de la caravane.